Construction JBA |
2013 QCCLP 5790 |
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DÉCISION
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[1] Le 24 avril 2013, Construction JBA (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), le 20 mars 2013, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 10 janvier 2013 et déclare que l’imputation du coût des prestations au dossier de l’employeur demeure inchangée en lien avec la lésion professionnelle subie par monsieur Roland Miner (le travailleur), en date du 28 août 2011.
[3] Une audience est tenue à Gatineau, le 11 septembre 2013, en présence du procureur de l’employeur. Le délibéré débute le jour même.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que les coûts inhérents à la lésion professionnelle du 28 août 2011 doivent être transférés aux employeurs de toutes les unités, pour la période du 16 avril au 28 octobre 2012 et ce, parce qu’il est obéré injustement au sens de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’employeur a droit au transfert d’imputation qu’il demande en invoquant les dispositions du deuxième paragraphe de l’article 326 de la loi :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[6] Plus particulièrement, l’employeur allègue être obéré injustement du fait que le travailleur soit déménagé à l’extérieur de la ville où se trouve sa place d’affaires, rendant impossible une assignation temporaire. Cet empêchement aurait fait en sorte qu’une part significative de l’indemnité de remplacement du revenu aurait été versée au travailleur alors qu’il aurait dû plutôt recevoir un salaire pour un travail effectué en assignation temporaire.
[7] Selon la décision rendue dans l’affaire Location Procam inc. et C.S.S.T.[2], un employeur sera obéré injustement dans la mesure où le fardeau financier découlant de l’injustice alléguée est significatif par rapport au fardeau financier issu de la lésion professionnelle dans son intégralité.
[8] La notion d’« obérer » doit être interprétée en fonction de l’importance des conséquences monétaires en cause pour l’employeur par rapport à l’ensemble de la lésion professionnelle.
[9] La notion d’« injustice », pour sa part, se conçoit en fonction des situations étrangères aux risques que l’employeur doit assumer, mais qui entraînent des coûts qui sont rajoutés à son dossier.
[10] L’accident du travail à la base du présent litige survient le 28 août 2011 alors que le travailleur doit, en raison de conditions hors de son contrôle, sauter d’une remorque. Il subit alors une fracture du calcanéum gauche.
[11] Le 20 janvier 2012, l’orthopédiste G.-K. Berry indique que la fracture elle-même est consolidée mais que la physiothérapie agressive doit se poursuivre. Il prévoit de revoir le travailleur dans trois mois pour évaluer si le retour au travail est possible.
[12] Le 16 février 2012, ce même médecin indique qu’il reverra le travailleur dans deux mois pour voir si la lésion est consolidée.
[13] Le 13 avril 2012, le docteur Berry revoit le travailleur et produit un rapport final consolidant la lésion le jour même, avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles. Il inscrit sur ce rapport un retour au travail comme paysagiste
[14] Le dossier révèle que l’emploi occupé par le travailleur lors de la survenance de l’accident du travail est celui d’homme de cour, travaillant pour une compagnie de construction, soit l’employeur au dossier. Cela n’a rien à voir avec l’emploi de paysagiste.
[15] Les tâches effectuées par le travailleur, dans le cadre de son emploi chez l’employeur, sont décrites dans une note évolutive du 23 janvier 2012 :
Emploi-pré-lésionnel
Type d’activité de l’entreprise : Construction JBA, T.P.
Nom et coordonnées de l’E : Madame Brigitte Malo (514) 259-8776, commis comptable
Nom du président : Monsieur Jonathan Forget
Rep : E. : ACQ, M. Steven Jefferf 1-888-865-3424 poste 2824
Contrat de travail au moment de l’événement. (T était en congé parental au moment de l’événement), il travaillait de 5 à 6 heures par semaine, il conduisait la remorque pour transporter les nacelles, le ‘sky track’ et le ‘sky Jack’ (petit chariot élévateur)
Description de tâches et exigences physiques
Le matin, il devait préparer les camions (20 camions) pour les chauffeurs, embarquer l’équipement, les matériaux de construction, outils, le soir. Il devait décharge les camions.
Il effectuait les tâches du commissionnaire pour les chantiers de construction. T était également chauffeur de remorque, il transportait les nacelles, le « sky track » et le « sky Jack » (petit chariot élévateur) sur les chantiers de construction.
T n’avait pas besoin d’une autre classe pour la conduite de la remorque à cause de la longueur de celle-ci. [Sic]
[16] Lorsqu’il réfère à l’emploi de paysagiste, le tribunal estime que le docteur Berry réfère à un possible nouvel emploi que le travailleur pourrait occuper ailleurs que chez son employeur.
[17] C’est ce qui ressort d’ailleurs des notes évolutives consignées le 20 avril 2012 au dossier :
À la question pourquoi le médecin précise-t-il un emploi de paysagiste, le T nous dit qu’il a informé simplement le Dr Berry qu’il aurait possiblement l’opportunité de travailler comme paysagiste chez Entretien Paysagiste à Gatineau, l’E est un ami; emploi qu’il pourrait débuter sous peu nous dit-il selon la température. Nous lui rappelons l’importance de respecter ses limitations fonctionnelles actuelles afin de ne pas aggraver sa lésion. Le T nous dit que les tâches ne devraient pas solliciter sa blessure au pied gauche puisqu’il pourrait conduire un tracteur à gazon, couper de la pierre patio, poser de la tourbe. Son taux horaire sera entre 12$ et 14$ de l’heure.
[18] Malgré le rapport final qu’il produit le 13 avril 2012, le docteur Berry rédige le même jour un autre rapport contradictoire dans lequel il mentionne qu’il reverra le travailleur dans trois mois pour voir s’il y a consolidation. Il suggère la poursuite de la physiothérapie et de l’ergothérapie jusqu’à atteinte d’un plateau de récupération.
[19] Le 16 août 2012, le travailleur rencontre le docteur Mario Giroux, orthopédiste, agissant à titre de médecin désigné par la CSST selon les dispositions de l’article 204 de la loi.
[20] Il établit le déficit anatomo-physiologique à 6.5 % et émet des limitations fonctionnelles selon lesquelles le travailleur doit éviter d’accomplir, de façon répétitive ou fréquente, des activités impliquant de marcher en terrain accidenté ou glissant ou de travailler dans une position instable (échelle, échafaudage).
[21] Le 11 septembre 2012, le docteur Berry rédige un formulaire d’information médicale complémentaire dans lequel il se dit d’accord avec ces conclusions sur l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles faisant en sorte que l’avis du docteur Giroux devient liant au sens de l’article 224 de la loi :
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
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1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
[22] La CSST convoque ensuite les parties pour l’évaluation du poste de travail prélésionnel afin de voir si le travailleur est toujours capable de l’occuper. Le travailleur ne se présente pas à cette rencontre.
[23] La conclusion de l’ergonome Sébastien Larochelle, après visite du poste et rencontre des parties, révèle que les limitations fonctionnelles sont respectées, ce qu’il confirme dans un rapport écrit.
[24] Le 23 octobre 2012, un représentant de l’employeur fait part à la CSST qu’il est prêt à reprendre le travailleur dans son emploi prélésionnel, à compter du lundi 29 octobre 2012.
[25] Dans le cadre d’une conversation téléphonique du 26 octobre 2012 avec la conseillère en réadaptation, le travailleur affirme qu’il ne reprendra pas son emploi chez l’employeur, à Montréal, puisqu’il habite maintenant à Gatineau et ce, depuis novembre 2011.
[26] Le travailleur est déménagé dans la région de l’Outaouais pensant qu’il obtiendrait un emploi à la Monnaie royale canadienne, ce qui n’a pas été le cas.
[27] La CSST rend une décision de capacité de travail et met fin à l’indemnité de remplacement du revenu.
[28] La décision rendue par la CSST quant à la capacité de travail du travailleur, le 29 octobre 2012, n’a pas été contestée et est donc devenue finale et irrévocable. Le tribunal doit donc tenir pour acquis que le travailleur n’était pas capable de reprendre son emploi prélésionnel avant cette date.
[29] L’employeur demande de transférer le coût des indemnités versées au travailleur aux dossiers des employeurs de toutes les unités à compter du 16 avril 2012 et ce, jusqu’à la fin de ces indemnités, le 28 octobre 2012. Il invoque qu’il n’a pu assigner temporairement un travail au travailleur en raison de son déménagement survenu en novembre 2011.
[30] Les indemnités en jeu couvrent plusieurs mois et représentent presque la moitié de toutes les indemnités versées dans ce dossier, à titre d’indemnité de remplacement du revenu. Il s’agit donc d’une somme significative de sorte qu’on peut conclure que la notion « d’obérer » est remplie.
[31] Toutefois, le tribunal ne peut pas conclure à la présence d’une injustice, en l’espèce, en l’absence d’une assignation temporaire autorisée ou dont l’autorisation fait l’objet d’une preuve prépondérante.
[32] Le tribunal constate que l’employeur n’a effectué aucune démarche pour demander une assignation temporaire de travail dans les premiers mois d’évolution de la lésion professionnelle. Entre le mois d’août 2011 et le mois d’avril 2012, il n’en est aucunement question de sorte que le fait que le travailleur soit déménagé n’a alors aucune pertinence.
[33] Une note du 17 novembre 2012 indique que le travailleur n’a pas parlé à son employeur depuis un mois et demi et qu’aucun suivi n’a été fait. On remarque donc un certain désintéressement de l’employeur.
[34] Hormis une conversation téléphonique intervenue le 6 octobre 2011 entre la représentante de l’employeur et la CSST, concernant notamment la base salariale, la prochaine communication de l’employeur avec la CSST intervient le 11 janvier 2012 par l’entremise d’un représentant de l’Association de la construction du Québec (l’ACQ).
[35] Ce n’est que le 5 mars 2012 que le représentant de l’ACQ communique avec la CSST pour obtenir le nom du médecin qui a charge en vue d’une éventuelle assignation temporaire de travail.
[36] Il y a lieu de reproduire un extrait de la note consignée par l’agent d’indemnisation à cette occasion:
- ASPECT PROFESSIONNEL :
Assignation temporaire : l’E désire offrir de l’assignation temporaire au T. Nous lui rappelons que le T est maintenant déménagé dans l’Outaouais et qui ne sera pas disponible pour travailler à Montréal. L’E fera tout de même une demande, nous dit-il, et advenant une acceptation du médecin à charge, il demandera une désimputation.
[37] Le tribunal croit que c’est l’intervention du représentant de l’employeur qui a suscité cette nouvelle orientation du dossier vers une demande d’assignation temporaire alors que l’employeur savait pertinemment qu’une telle assignation ne pourrait avoir lieu parce que le travailleur était déménagé. Il s’agissait donc strictement d’une stratégie qui lui permettrait, éventuellement, d’obtenir le retrait de certains coûts de son dossier.
[38] Cette impression est confirmée par la teneur même du certificat d’assignation temporaire remis au docteur Berry et signé par lui, le 13 avril 2012, lequel ne contient de la part de l’employeur aucun travail proposé, aucune description des positions et mouvements, objets à manipuler, conditions environnantes, horaires de travail et autres détails, ni la durée prévue de l’assignation. Ceci confirme que l’employeur savait très bien que le travailleur ne pourrait être affecté vu qu’il était déménagé dans l’Outaouais, de sorte qu’il devenait inutile de fournir tous ces détails.
[39] L’employeur ne voulait probablement pas vraiment assigner le travailleur mais seulement réduire ses coûts.
[40] Or, l'assignation temporaire est avant tout une mesure facilitant la réadaptation d'un travailleur. Elle ne relève pas principalement du droit de gérance de l'employeur et n'est pas un moyen ne visant qu’à lui éviter l'imputation des coûts[3].
[41] De toute façon, l’employeur ne peut convaincre le tribunal qu’il est obéré injustement par le fait qu’il a été empêché d’assigner temporairement le travailleur en raison de son déménagement dans l’Outaouais puisqu’aucune assignation temporaire n’a jamais été autorisée et, au contraire, on peut conclure que le seul formulaire d’assignation temporaire présenté au docteur Berry indique un refus de cette assignation.
[42] En effet, le docteur Berry n’a aucunement coché les cases 1, 2 et 3 de la section D de ce formulaire, faisant ainsi défaut de donner l’opinion requise par l’article 179 de la loi :
179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que :
1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;
2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et
3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.
Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.
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1985, c. 6, a. 179.
[43] Le formulaire ne contient donc aucune autorisation implicite ou explicite d’assignation temporaire de travail et il aurait été difficile au docteur Berry de le faire devant l’absence totale d’emploi et de tâches à analyser.
[44] Devant un formulaire d’assignation temporaire vierge quant à la description des tâches et de l’emploi, comment le médecin qui a charge pouvait-il donner un avis éclairé sur les trois points prévus à l’article 179 de la loi, soit que le travailleur est capable d’effectuer ces tâches, qu’elles ne comportent pas de danger pour lui et que ce travail est favorable à sa réadaptation. Il ne s’agit pas ici d’une question de procédure ou de formalisme mais bien de fond.
[45] Dans l’affaire Étalex inc.,[4] le tribunal s’exprime comme suit :
[41] Quoi qu’il en soit et avec respect pour l’opinion contraire, le tribunal considère que l’employeur n’est pas confronté à une situation d’injustice quand, comme en l’espèce, aucune assignation temporaire à une tâche déterminée n’est encore autorisée par le médecin qui a charge du travailleur.
[42] En effet, au-delà des formalités prescrites,21 il est de l’essence même de l’assignation temporaire conforme à la loi que, de l’avis du médecin ayant charge du travailleur, le travailleur soit « raisonnablement en mesure d’accomplir ce travail », que celui-ci « ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion » et qu’il soit « favorable à la réadaptation du travailleur ».
[43] Ainsi, pour qu’une assignation temporaire conforme à l’article 179 de la loi existe véritablement, une proposition de travail concrète et suffisamment articulée doit être soumise par l’employeur au médecin traitant afin de lui permettre d’exercer son jugement professionnel de façon éclairée et d’être satisfait que telle proposition respecte pleinement chacune des trois exigences de fond mentionnées au paragraphe précédent.
[44] La simple possibilité ou éventualité d’une assignation temporaire indéterminée ne rencontre pas l’objectif que le législateur s’est fixé en édictant l’article 179 de la loi.
[45] Certes, dans les cas où une assignation temporaire conforme à la loi existait réellement, la Commission des lésions professionnelles a considéré que son interruption ou même l’empêchement à ce qu’elle débute, pour une cause étrangère à la lésion professionnelle (par exemple, un départ à la retraite anticipée, un congédiement pour cause, l’incarcération du travailleur, la maladie personnelle), entraîne une situation d’injustice, au sens du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi22.
[46] Mais, lorsqu’en raison de la preuve offerte, les travaux légers que l’employeur propose ou envisage de proposer ne peuvent être assimilés à l’assignation temporaire prévue à l’article 179 de la loi23 ou lorsque le recours à l’assignation temporaire n’est qu’une « possibilité » non encore concrétisée24, alors la Commission des lésions professionnelles a décidé que l’employeur concerné ne faisait pas face à une situation d’injustice donnant ouverture à l’application du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi.
[47] De plus, la simple application d’une disposition législative ne peut être interprétée ou considérée comme obérant injustement un employeur.25
[48] Il a même été décidé que « la cessation d’une assignation temporaire, peu importe le motif, bien qu’elle engendre de coûts additionnels au dossier financier d’un employeur vu la reprise des versements de l’IRR, ne constitue pas une injustice » dans le cas de mise à pied pour raisons économiques, car une telle circonstance « ne constitue pas une situation étrangère aux risques que l’employeur doit assumer »26.
[49] Par ailleurs, il a été reconnu que « le choix de prendre sa retraite est un droit légitime et indéniable du travailleur » et qu’il s’agit là d’une circonstance normale, une conjoncture prévisible »27. De l’avis du soussigné, il en va de même du choix d’un travailleur de poursuivre sa carrière professionnelle dans un autre domaine ou pour le compte d’un autre employeur, comme c’est le cas en l’espèce. Si aucune assignation temporaire conforme à l’article 179 de la loi n’est encore établie au moment où ce choix est exercé, le fait que l’employeur ne puisse plus par la suite assigner temporairement le travailleur démissionnaire ne crée pas une situation d’injustice au sens du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi.
[50] À cet égard, il convient de rappeler les propos de la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Industries Canatex28 :
[32] À cet égard, se référant aux décisions déposées par l'employeur au soutien de ses arguments, la Commission des lésions professionnelles reconnaît d'emblée que, dans le contexte où une période de consolidation est prolongée et où des coûts additionnels étrangers à la lésion professionnelle dûment reconnue à ce titre sont occasionnés par une lésion personnelle intercurrente, il peut être injuste de faire supporter à l'employeur de tels coûts.
[33] Cependant et avec respect pour l'opinion contraire, elle ne saurait considérer que l'imputation de coûts générés par une lésion professionnelle puisse constituer une « injustice » du seul fait qu'une mesure de réadaptation, en l'occurrence une « assignation temporaire », est devenue inapplicable ou autrement inopportune en raison de circonstances étrangères à la lésion professionnelle.
[34] La Commission des lésions professionnelles est d'avis que le seul caractère plus ou moins avantageux pour l'employeur au plan financier, de divers facteurs ou circonstances, y incluant des mesures de réadaptation, inhérents au processus de réparation précisément décrit à l'article 1 de la loi, ne saurait suffire pour retenir, comme le demande l'employeur en l'espèce, que le coût additionnel d'une mesure par rapport à une autre, en l'occurrence le versement des indemnités de remplacement du revenu au lieu du paiement du salaire en assignation temporaire, génère une injustice pour l'employeur qui se voit imputer ce coût à son dossier financier.
[35] Bref, la Commission des lésions professionnelles considère que, dans la mesure où les coûts en cause font normalement partie des coûts générés par la lésion professionnelle du 12 avril 1999, leur imputation au dossier financier de l'employeur ne saurait être assimilée à une « injustice » ou à une « iniquité» au sens du 1er alinéa de l'article 351 de la loi, du seul fait qu'elle est financièrement désavantageuse pour ce dernier, ce qui est également le cas en ce qui a trait à l'exception prévue au second alinéa de l'article 326 de la loi.
(Je souligne)
[51] Dans le présent cas, les prestations versées à compter du 1er décembre 2009 jusqu’à la date de consolidation de la lésion représentent un coût généré par la lésion professionnelle résultant de l’accident survenu le 11 novembre 2009. Pour qu’elles échappent à la règle générale d’imputation édictée au premier alinéa de l’article 326 de la loi, il faut davantage que la simple allégation de la privation d’une éventuelle possibilité d’assigner temporairement le travailleur concerné.
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21 Voir : C.S.S.S. Québec -Nord et CSST, [2009] C.L.P. 249.
22 Voir à cet effet, entre autres : Desbois et Agence de placement Bel-Aire, C.L.P. 311987-64-0702, 13 mars 2009, D. Armand, (08LP-260) ; Provigo (Division Montréal Détail), C.L.P. 281311-03B-0602, 20 septembre 2007, R. Savard, (07LP-183) ; Duchesne & fils ltée, C.L.P. 283437-04-0602, 3 novembre 2006, J.-F. Clément, (06LP-170) ; Les Industries Maibec inc., C.L.P. 257704-03B-0503, 6 janvier 2006, M. Cusson ; Dumas & Voyer ltée, C.L.P. 261664-04-0505, 22 septembre 2005, G. Tardif ; C.S.H.L.D. René-Lévesque, C.L.P. 174844-62-0112, 2 juillet 2002, L. Vallières, (02LP-58) ; Hôpital de la Providence, C.L.P. 158140-05-0104, 12 novembre 2001, L. Boudreault, (01LP-113).
23 Thomson Tremblay inc., 2011 QCCLP 5219 ; Aramak Québec inc. et CSST, C.L.P. 376515-71-0904, 14 janvier 2010, C. Lessard
24 Voir : Ville de Montréal, C.L.P. 249567-04B-0411, 27 juillet 2006, L. Nadeau, (06LP-75) ; C.H. régional Trois-Rivières, 272045-04-0509, 23 novembre 2005, S. Sénéchal, (05LP-185).
25 Fernand Harvey & fils inc., C.L.P. 382751-31-0907, 17 décembre 2009, R. Hudon, (09LP-174) ; Centre hospitalier Royal Victoria, [2003] C.L.P. 1543 ; Manoir St-Patrice inc., [2002] C.L.P. 258.
26 Bombardier inc. aéronautique et CSST, déjà citée à la note 12.
27 Ville de Montréal, précitée à la note 24.
28 C.LP. 217347-03B-0310, 7 juillet 2004, P. Brazeau. Voir au même effet : Trans-Aide 2000 inc., C.L.P. 281990-61-0602, 25 septembre 2006, S. Di Pasquale.
[46] Comme le tribunal l’a déjà mentionné, la référence au retour à un travail de paysagiste concerne un nouvel emploi complètement différent de celui qu’occupait le travailleur chez l’employeur, et qui pourrait être disponible chez un de ses amis. Cela n’a rien à voir avec une assignation chez l’employeur qui n’opère pas une entreprise de paysagement.
[47] De plus, l’assignation temporaire inter-employeurs n’existe pas[5].
[48] Dans les faits, le travailleur a tenté d’effectuer ce travail à compter du 18 juillet 2012, à raison de 20 heures par semaine mais il a dû cesser dès le 26 juillet parce qu’il s’agissait d’un travail trop difficile.
[49] Il est vrai qu’en certaines occasions, la Commission des lésions professionnelles a conclu à la présence d’une assignation temporaire malgré l’absence d’un formulaire d’assignation temporaire dûment complété.[6]
[50] En effet, bien que la jurisprudence indique qu’il faille se garder d’exiger un formalisme à outrance concernant la procédure d’assignation temporaire lorsqu’il est temps de se demander si celle-ci a été interrompue et si cette situation a constitué une injustice,[7] il n’en reste pas moins qu’une assignation temporaire doit avoir été autorisée dans les faits ou avoir existé, ou à tout le moins, son existence future doit faire l’objet d’une preuve prépondérante.
[51] Ainsi, il était possible en ces cas de déterminer que le médecin qui a charge avait autorisé pareille assignation soit par une mention dans un rapport médical ou autres documents. Notamment, lorsque dans les faits une assignation temporaire ou l’affectation à des travaux légers a existé, il s’agit d’un indice qu’il y a eu autorisation préalable.
[52] Cependant, tel n’est pas le cas dans le présent dossier. Aucun document et aucune preuve ne permettent de conclure qu’un médecin a autorisé une assignation temporaire ni qu’une autorisation était, selon toute probabilité, imminente.
[53] Au contraire, le seul formulaire d’assignation temporaire remis au médecin qui a charge n’a pas fait l’objet d’une autorisation.
[54] Il n’est pas suffisant pour un employeur d’alléguer que son droit à l’assignation temporaire est brimé, encore faut-il que cette assignation temporaire ait été autorisée ou sur le point de l’être selon toute probabilité. Cette preuve n’est pas devant le présent tribunal.
[55] Dans l’affaire Terpac Plastics International inc. et C.S.S.T.,[8] la Commission des lésions professionnelles constate que la demande d’assignation temporaire que l’employeur a fait parvenir au médecin de la travailleuse est trop générale pour équivaloir réellement à pareille demande. Ce document ne mentionne pas les tâches que l’on destinait à la travailleuse. Le tribunal rappelle qu’une assignation temporaire n’existe réellement que si l’autorisation du médecin qui a charge vise des tâches suffisamment détaillées pour soutenir l’opinion qu’il n’y a pas de danger pour la travailleuse. Le tribunal décide par conséquent que l’employeur ne peut prétendre être obéré injustement parce que la travailleuse n’a pas effectué une assignation temporaire. Ces principes s’appliquent en l’espèce.
[56] Pour avoir gain de cause dans son recours, l’employeur devait démontrer, par une preuve prépondérante, qu’il y aurait eu assignation temporaire n’eut été du déménagement du travailleur.
[57] Or, cette preuve doit révéler, ou bien qu’une telle autorisation avait déjà été obtenue, ou bien qu’une telle assignation avait débuté dans les faits, ou encore qu’une autorisation allait, selon toute probabilité, être accordée.
[58] La preuve au dossier, et notamment le refus du docteur Berry, fait en sorte qu’il est impossible de conclure que l’employeur s’est déchargé de ce fardeau.
[59] Il y a eu refus du docteur Berry. Quant au reste, la simple possibilité d’une autorisation virtuelle d’assignation temporaire ne suffit pas à permettre de conclure au bien-fondé d’une demande en vertu du deuxième paragraphe de l’article 326 de la loi.
[60] À ce sujet, la Commission des lésions professionnelles s’exprimait comme suit, dans l’affaire Centre hospitalier régional de Trois-Rivières :[9]
[37] Sur le fond, l’employeur estime être obéré injustement au sens du second alinéa de l’article 326 puisqu’il n’a pu assigner temporairement un travail à monsieur Bellemare, en raison de sa retraite. L’employeur réfère donc aux notions d’assignation temporaire, d’obérer injustement et aux situations permettant de faire un lien entre ces deux notions.
[38] Quant à la notion d’assignation temporaire, le tribunal réfère à l’article 179 de la Loi, lequel se lit comme suit :
179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que:
1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;
2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et
3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.
Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.
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1985, c. 6, a. 179.
[39] L’employeur d’un travailleur peut donc lui assigner temporairement un travail en attendant qu’il redevienne capable d’exercer son emploi ou un emploi convenable. Cette assignation peut se faire alors que la lésion professionnelle n’est pas encore consolidée. Il importe toutefois que cette assignation soit autorisée par le médecin qui a charge, en regard des modalités prévues aux paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 179. Le travailleur qui est en désaccord avec le médecin qui a charge, peut contester l’assignation temporaire selon la procédure prévue.
[40] L’assignation temporaire fait partie du chapitre de la réadaptation. Tenant compte de l’article 1 de la Loi, on doit comprendre que la réadaptation constitue l’une des pierres d’assises du processus de réparation de la Loi. Si les conditions de mise en œuvre d’une assignation temporaire sont rencontrées et que cette assignation n’est pas contestée, le travailleur se doit de la respecter. Le but premier de cette mesure est bien entendu de réadapter le travailleur mais pour l’employeur, cette mesure lui permet d’une part de bénéficier d’une prestation de travail et d’autre part, d’exercer un contrôle sur le coût d’une lésion professionnelle3.
[41] Ce faisant, on comprend davantage que l’impossibilité d’occuper une assignation temporaire pour des raisons étrangères à la lésion professionnelle peut entraîner une situation d’injustice pour l’employeur. Comme par exemple, le cas d’une maladie personnelle qui empêche le travailleur d’occuper le travail assigné temporairement. Ce peut être aussi le cas d’un travailleur qui abandonne son assignation temporaire pour prendre sa retraite. Il faut toutefois que l’assignation soit conforme aux prescriptions de l’article 179.
[…]
[44] Tenant compte de cette interprétation plutôt libérale de la notion d’obérer injustement, le tribunal est d’avis, comme préalablement mentionné, que l’impossibilité d’occuper une assignation temporaire pour des raisons étrangères à la lésion professionnelle peut entraîner une situation d’injustice pour l’employeur, donc l’obérer injustement. Mais encore faut-il que cette assignation temporaire soit bien réelle plutôt qu’une simple hypothèse.
[45] Or, le tribunal est d’avis qu’en l’espèce, l’assignation temporaire à laquelle réfère l’employeur ne demeure qu’une simple hypothèse.
[46] Dans le cadre de sa preuve, l’employeur s’affaire à expliquer la procédure très structurée d’assignation temporaire en place à son établissement. Il démontre également que systématiquement les employés, victimes d’une lésion professionnelle entraînant un arrêt de travail, peuvent être assignés. Il soumet aussi des documents démontrant que par le passé, le travailleur fut assigné temporairement. Toutefois, pour la lésion professionnelle qui nous intéresse, il ne soumet aucun formulaire d’assignation dûment complété ou signé par un médecin qui a charge. Il ne fait qu’affirmer, tenant compte de sa procédure d’assignation, qu’il aurait pu assigner temporairement un travail à monsieur Bellemare.
[47] L’intention d’un employeur, aussi sincère soit-elle, d’assigner temporairement un travail ne peut constituer une preuve prépondérante d’assignation temporaire au sens de l’article 179 de la Loi. Pour parler d’assignation temporaire, les prescriptions de l’article 179 doivent être respectées. Le législateur précise bien que l’employeur peut assigner temporairement un travail si le médecin qui a charge croit que le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail, que ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion et que ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur. L’intention de l’employeur ne peut donc pallier le fait que le médecin qui a charge doit préalablement donner son autorisation.
[48] Le tribunal croit donc qu’une portion importante de l’article 179 ne serait pas respectée si, comme en l’espèce, on pouvait s’en tenir à l’intention et à la certitude de l’employeur qu’une assignation temporaire aurait été offerte. Surtout qu’en vertu de l’article 179, non seulement le médecin qui a charge doit donner son autorisation mais le travailleur a la possibilité, selon la procédure prévue, de contester l’assignation temporaire.
[49] L’employeur fait témoigner la docteure Paquin pour confirmer que sur le plan médical, le travailleur aurait pu bénéficier d’une assignation temporaire notamment du 19 mars 2004 au 13 juin 2005 et à compter du 9 août 2005. L’avis de la docteure Paquin n’est pas dénué d’intérêt mais il ne peut pallier l’absence d’une autorisation du médecin qui a charge. De plus, non seulement la docteure Paquin n’est pas le médecin qui a charge mais tenant compte de la preuve, le tribunal comprend qu’elle n’a pas examiné le travailleur.
[50] À l’article 179 de la Loi, le législateur réfère au médecin qui a charge du travailleur. C’est à ce dernier que le législateur confie la tâche d’évaluer si le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir le travail proposé, que ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion et que ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur. Il est compréhensible que cette tâche soit confiée au médecin qui a charge puisque c’est lui qui suit le travailleur et qui connaît la condition médicale de ce dernier. Il est donc bien placé pour juger des critères énumérés à l’article 179.
[51] Le tribunal convient qu’un employeur peut se voir obéré injustement dans un cas d’assignation temporaire lorsque le travailleur n’est pas en mesure d’occuper une telle assignation pour des raisons étrangères à sa lésion professionnelle. Comme par exemple dans le cas d’un travailleur qui quitte son emploi pour sa retraite. Cependant, pour en arriver à une telle conclusion, nous devons être en présence d’une assignation temporaire au sens de l’article 179, c’est-à-dire que les modalités permettant d’assigner temporairement un travail à un travailleur soient respectées. L’intention de l’employeur d’assigner temporairement un travailleur ne peut constituer une telle preuve. Surtout comme en l’espèce, lorsque le médecin qui a charge n’a pu prendre connaissance du travail proposé et indiquer s’il croit que le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail, que ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion et que ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur. Le témoignage du médecin expert de l’employeur ne peut remplacer cet avis du médecin qui a charge. Et ce, d’autant plus lorsque ce médecin n’a pas examiné le travailleur.
[52] Pour que l’employeur soit obéré injustement par le fait qu’une assignation temporaire n’est pas respectée en raison de facteurs étrangers à la lésion professionnelle, l’assignation ne doit pas être une simple possibilité. Elle doit être bien réelle et valide pour conclure que le travailleur ne peut la respecter en raison d’un facteur étranger à sa lésion professionnelle.
[53] Par conséquent, le tribunal est d’avis que l’employeur n’a pas droit à un transfert de l’imputation en regard du second alinéa de l’article 326 de la Loi.
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3 Bacon International inc., C.L.P. 210440-04B-0306, 17 décembre 2003, S. Sénéchal.
[61] Dans l’affaire Coop forestière de Petit Paris,[10] la Commission des lésions professionnelles indique que pour justifier un transfert de coûts, au sens de l’article 326 de la loi, il fallait pouvoir conclure à une injustice, ce qui implique nécessairement que l’assignation temporaire ne doit pas être une simple possibilité mais avoir existé dans les faits.
[62] Dans une autre affaire,[11] la Commission des lésions professionnelles indique qu’un transfert du coût des prestations peut être accordé dans un cas d’impossibilité d’assignation temporaire à cause d’une condition personnelle étrangère à la lésion professionnelle en autant qu’il soit démontré qu’un travail en assignation temporaire était disponible et dûment autorisé.
[63] Dans Construction Supérieure S.M.,[12] la Commission des lésions professionnelles s’exprime comme suit :
[42] Cette situation s’apparente somme toute à celle touchant l’assignation temporaire pour laquelle la Commission des lésions professionnelles octroie les bénéfices du second alinéa de l’article 326 de la loi, s’il est démontré que le travailleur n’a pu effectuer cette assignation temporaire en raison d’une condition personnelle médicale17ou encore dans le cas d’une travailleuse enceinte17 Toutefois, encore faut-il démontrer que l’assignation temporaire soit offerte18.
[43] Dans le présent dossier, il est démontré que le travailleur a été incarcéré à compter du mois de mai 2003. Il appert d’ailleurs qu’au moment de l’audience, telle était encore la situation. Bien qu’il s’agisse d’une réalité déterminant la capacité du travailleur d’être disponible à occuper tout emploi, la Commission des lésions professionnelles ne dispose pas toutefois d’une preuve que cette situation a empêché le travailleur de suivre ses traitements d’ergothérapie (jusqu’en décembre 2003), de consulter le médecin qui a charge, soit la docteure Lessard, et de subir deux interventions chirurgicales réalisées par ce médecin. Le travailleur a été examiné par le docteur Bensimon, malgré cette situation et par le docteur Bérubé, membre du Bureau d’évaluation médicale, et ce, à l’intérieur de deux mois de la convocation initiale.
[44] Bref, le tribunal ne dispose d’aucune preuve que la situation particulière du travailleur a entraîné des conséquences sur la date de consolidation de la lésion professionnelle en la prolongeant indûment.
[45] Il en est de même pour l’assignation temporaire. L’employeur indique à la CSST et à l’audience qu’il « avait des travaux légers de disponibles en mai 2003, mais aucun à compter de septembre 2003 », considérant le volume de travail de son entreprise, à cette période.
[46] Cette affirmation de l’employeur fait en sorte qu’à compter de septembre 2003, le travailleur aurait, de toute façon, bénéficier de l’indemnité de remplacement du revenu. L’employeur ne peut ainsi prétendre à une situation d’injustice.
[47] Pour la période de mai 2003 à septembre 2003, les rapports médicaux de la docteure Lessard font état de l’incapacité du travailleur à occuper son emploi. Il avait ainsi droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu prévue à l’article 44 de la loi.
[48] Pour diminuer les coûts de l’indemnisation, la loi prévoit que l’employeur peut assigner le travailleur à des travaux selon les dispositions de l’article 179, c’est-à-dire en exigeant de la part du médecin qui a charge qu’il signe un formulaire attestant de la capacité du travailleur à effectuer les travaux décrits. L’article 179 de la loi s’énonce ainsi :
179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que:
1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;
2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et
3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.
Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.
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1985, c. 6, a. 179.
[49] Or, au dossier, le tribunal constate qu’aucun formulaire n’a été soumis au médecin qui a charge. L’employeur peut prétendre et le tribunal n’a pas à en douter, que le travailleur aurait pu effectuer de tels travaux puisqu’ils étaient alors disponibles, mais encore faut-il que l’employeur ait engagé cette procédure et que le médecin qui a charge l’ait certifié pour juger que le travailleur, en raison uniquement son incarcération, ne pouvait occuper l’assignation temporaire conforme à la loi. Il n’y a rien de tel au dossier, bien que la CSST ait dûment mentionné cette possibilité à l’employeur dans une note évolutive datée du mois d’octobre 2003.
[50] Somme toute, il ne suffit pas pour l’employeur de souligner que le travailleur n’était pas disponible pour une assignation temporaire, pour suivre ses traitements ou subir des examens, encore faut-il le démontrer en conformité avec les dispositions de la loi. Ainsi, bien que l’employeur plaide une augmentation injuste de ses coûts, la conclusion mentionnée dans l’affaire Industries Frigo-Fac inc. et CSST19 trouve alors toute sa signification : « Le préjudice invoqué par l’employeur ne découle pas de la situation particulière du travailleur, mais plutôt du fait qu’il (l’employeur) a tardé à poser certaines actions ».
[51] La Commission des lésions professionnelles conclut que l’employeur ne peut bénéficier du régime d’exception prévu au second alinéa de l’article 326 et que le principe général d’imputation figurant au premier alinéa doit s’appliquer.
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17 Hôpital Laval et Tremblay, C.L.P. 250766-32-0412 et 253416-32-0501, 06-07-12, M. Gauthier ; Commission scolaire de l’Or-et-des Bois et Cogesis inc., C.L.P. 264852-08-0506, 06-02-21, J.-F. Clément ; Ministère de la Sécurité publique, C.L.P. 228984-32-0402, 04-05-20, M.-A. Jobidon.
18 C. H. Royal Victoria et Centre Universitaire santé McGill, C.L.P. 209106-71-0306 et 20912-71-0306, 03-11-18, A. Suicco ; C. H. Régional Trois-Rivières, C.L.P. 272045-04-0509, 05-11-24, S. Sénéchal.
19 Précitée, note 14.
[64] Dans un autre dossier,[13] la Commission des lésions professionnelles décide qu’en l’absence de preuve factuelle et médicale démontrant qu’une assignation temporaire aurait probablement été autorisée si un médecin avait eu charge d’une travailleuse, la possibilité d’une assignation temporaire ne repose que sur une hypothèse, ce qui ne suffit pas à un transfert d’imputation, selon l’article 326 de la loi.
[65] Dans l’affaire Société des alcools du Québec,[14] le tribunal rappelle que selon la jurisprudence, une assignation temporaire ne doit pas être une simple possibilité mais plutôt une réalité pour être valide et donner droit à un transfert d’imputation au sens de l’article 326 de la loi.
[66] De toute façon, dans le présent dossier, l’assignation temporaire n’est même pas une possibilité puisqu’elle n’a pas été accordée par le médecin qui a charge malgré qu’un formulaire lui ait été remis à cette fin. Aucune autre tentative en ce sens n’est en preuve.
[67] Dans l’affaire P.D.G. Mécanique-Soudure-Atelier,[15] la Commission des lésions professionnelles indiquait que, pour pouvoir conclure à une situation d’injustice au sens de l’article 326 de la loi, il fallait être en présence d’une assignation temporaire valide au sens de cette même loi. Cette décision rappelle également que le refus du médecin qui a charge d’autoriser une assignation temporaire ne peut être considéré comme une « obération » injuste puisqu’il s’agit d’un risque que doit supporter l’employeur par simple application de la loi.[16]
[68] Il est vrai que la jurisprudence[17] du tribunal a déjà reconnu que la décision unilatérale d’un travailleur faisant en sorte qu’il n’était pas disponible pour une assignation temporaire (par exemple : la retraite, le déménagement, etc.) pouvait constituer un motif justifiant d’accorder un transfert du coût de l’indemnité du remplacement du revenu aux dossiers de tous les employeurs lorsqu’il y a interruption de l’assignation temporaire.
[69] Ici, il n’y a jamais eu d’assignation temporaire de sorte qu’on ne peut pas parler d’interruption.
[70] Dans le présent dossier, il n’y a pas eu d’assignation temporaire, dans un premier temps, parce que l’employeur a négligé d’en demander une. Lorsqu’il en a demandé une, le médecin qui a charge ne l’a pas autorisée de sorte que l’imputation de l’indemnité de remplacement du revenu au dossier de l’employeur est une simple conséquence de l’application de la loi qui n’est généralement pas source d’injustice.[18]
[71] Ce n’est donc pas une cause étrangère aux risques que doit assumer l’employeur qui est à la source de l’empêchement d’une assignation temporaire mais bien l’absence d’autorisation du médecin qui a charge et de toute autre tentative de l’employeur.
[72] Toute autre demande d’assignation temporaire ne demeure d’ailleurs qu’une possibilité et non une probabilité.
[73] Le fait que le travailleur soit déménagé n’empêchait pas l’employeur de formuler une demande d’assignation temporaire. Il l’a d’ailleurs fait.
[74] Par exemple, dans Hubert et Atelier LuckyTech inc.[19], la Commission des lésions professionnelles détermine que les trois conditions prévues à l’article 179 de la loi sont remplies en matière d’assignation temporaire. Quant au fait que la travailleuse soit déménagée dans une autre ville, il s’agit d’un choix personnel dont elle doit assumer les conséquences. Comme son lien d’emploi avec l’employeur n’est pas rompu, elle doit se rendre disponible pour travailler à l’établissement de l’employeur puisque le déménagement de la travailleuse ne constitue pas une raison pour déclarer invalide l’assignation temporaire.
[75] Cette possibilité distingue ce dossier de certaines décisions[20] de la Commission des lésions professionnelles dans lesquelles le médecin qui a charge où le travailleur s’absente ou n’est plus disponible empêchant un employeur de formuler une demande d’assignation temporaire.
[76] Ainsi, l’employeur dans le présent dossier pouvait présenter une demande d’assignation temporaire malgré le déménagement du travailleur et c’est le fait du refus ou de la non-autorisation de sa demande d’assignation temporaire qui fait en sorte que l’indemnité de remplacement du revenu a continué à être versée.
[77] L’affidavit de la représentante de l’employeur déposé à l’audience mentionne notamment ce qui suit :
9. L’Employeur souhaitait offrir à Monsieur Miner un poste en travaux légers dès que sa condition médicale le permettrait;
10. En quittant la région de Montréal pour l’Outaouais Monsieur Miner a rendu impossible pour l’Employeur toute tentative d’affectation du travailleur en travaux légers;
[78] Le souhait d’offrir une assignation temporaire n’est pas suffisant. De plus, la représentante de l’employeur se trompe lorsqu’elle dit qu’en quittant la région de Montréal, le travailleur a rendu impossible toute tentative d’affectation du travailleur puisque c’est plutôt le refus d’autoriser l’assignation par le médecin qui a charge qui est ici en cause et l’absence de toute autre tentative sérieuse de l’employeur.
[79] L’employeur soumet au soutien de ses prétentions la décision rendue dans l’affaire Aliments Asta inc.[21] Il s’agit d’un cas où le travailleur avait démissionné, n’étant alors plus disponible pour effectuer une assignation temporaire.
[80] Dans le présent dossier, le travailleur n’a pas démissionné. Pour preuve, l’offre faite au travailleur par l’employeur de réintégrer son travail, en octobre 2012.
[81] Au surplus, dans cette affaire, une assignation temporaire en bonne et due forme avait été autorisée et avait débuté dans les faits, ce qui est bien différent du présent dossier.
[82] L’employeur n’a donc pas démontré l’existence d’une assignation temporaire ni l’accord du médecin qui a charge quant à une telle assignation et le tribunal estime qu’une assignation temporaire hypothétique ou refusée ne peut permettre de soutenir une demande de transfert d’imputation.[22]
[83] Le tribunal constate que la seule assignation temporaire avancée par l’employeur a été refusée par le médecin qui a charge.
[84] Quant aux autres possibilités d’assignation temporaire ou quant au droit lui-même à l’assignation temporaire, ils ne peuvent entraîner une reconnaissance de l’application du deuxième paragraphe de l’article 326 de la loi à défaut d’existence d’une assignation en bonne et due forme ou en voie de réalisation, notamment par l’autorisation du médecin qui a charge de l’offre de travaux à être confiés au travailleur.[23]
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de Construction JBA, l’employeur;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 24 mars 2013, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que tous les coûts inhérents à la lésion professionnelle du 28 août 2011 doivent être imputés à Construction JBA.
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Jean-François Clément |
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Me Pierre Méthot |
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LEBLANC, LAMONTAGNE & ASS. |
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Représentant de la partie requérante |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] C.L.P. 114354-32-9904, 18 octobre 2002, M.-A. Jobidon; voir aussi Emballages Consumer inc., C.L.P. 176974-64-0201, 27 janvier 2003, R. Daniel; Gastier MP inc., C.L.P. 372876-64-0903, 10 novembre 2009, T. Demers.
[3] Pièces d'auto Kenny inc. et CSST, [1998] C.L.P. 259; C.U.S.E. et Boislard, C.L.P. 124038-05-9909, 11 avril 2000, F. Ranger.
[4] 2011 QCCLP 5398.
[5] Usines Giant inc. et Lévesque, 2011 QCCLP 6726.
[6] CSSS Québec-Nord et C.S.S.T., [2009] C.L.P. 249.
[7] COGECO Câbles Québec, senc et C.S.S.T., 2013 QCCLP 2944.
[8] 2012 QCCLP 5847.
[9] C.L.P. 272045-04-0509, 23 novembre 2005, S. Sénéchal.
[10] C.L.P. 319588-02-0706, 27 novembre 2007, H. Thériault.
[11] Difco Tissus de Performance inc. C.L.P. 308219-05-0701, 25 avril 2007, M. Allard.
[12] C.L.P. 287830-64-0604, 30 août 2006, R. Daniel.
[13] Grands travaux Soter inc., 2012 QCCLP 1221.
[14] 2011 QCCLP 4383.
[15] 2011 QCCLP 2530.
[16] Voir aussi : Ligne Québec inc., 2011 ACCLP 2715.
[17] Voir notamment Commission scolaire des Samares, C.L.P. 304660-63-0612, 17 décembre 2008, M. Juteau; Ville de Dolbeau-Mistassini, C.L.P. 390302-02-0910, 19 février 2010, J. Grégoire.
[18] Les rôtisseries St-Hubert ltée, et C.S.S.T., C.L.P. 153024-62C-0012, 25 février 2002, J. Landry.
[19] [2003] C.L.P. 1550.
[20] Voir notamment : Marmen inc., 2012 QCCLP 7509.
[21] 2011 QCCLP 873.
[22] COGECO Câbles Québec, senc et C.S.S.T., 2013 QCCLP 2944.
[23] Construction Euler, 2013 QCCLP 3300.
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