Chicoine c. Vessia | 2023 QCCA 582 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(500-17-098503-173) | |||||
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DATE : | 27 avril 2023 | ||||
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ÉLISABETH CHICOINE | |||||
APPELANTE – défenderesse/demanderesse reconventionnelle | |||||
c. | |||||
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EMILIANO VESSIA | |||||
CAROLINE DI IORIO, en sa qualité personnelle et en sa qualité de tutrice aux enfants mineurs X et Y | |||||
DANIELLE POITRAS | |||||
INTIMÉS – demandeurs/défendeurs reconventionnels | |||||
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CENTRE D’INSPECTION ACCRÉDITÉ DU QUÉBEC INC. | |||||
MARC VERRET | |||||
MIS EN CAUSE – défendeurs | |||||
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[1] L’appelante porte en appel un jugement de la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable André Prévost), accueillant en partie l’action pour vices cachés que les intimés ont intentée contre elle.
Sur le fond du pourvoi
[2] Pour les motifs du juge Bachand, auxquels souscrivent les juges Schrager et Lavallée, LA COUR :
[3] REJETTE l’appel, avec les frais de justice;
Sur la demande des intimés en déclaration d’abus et en remboursement de leurs frais d’avocat
[4] Pour les motifs du juge Schrager, auxquels souscrit la juge Lavallée, LA COUR :
[5] REJETTE la demande, sans frais de justice;
[6] Pour sa part, le juge Bachand aurait accueilli la demande et condamné l’appelante à rembourser aux intimés la somme de 25 000 $.
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| MARK SCHRAGER, J.C.A. | |
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| SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A. | |
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| FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A. | |
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Me Mélanie Archambault | ||
LANE, AVOCATS ET CONSEILLERS D’AFFAIRES INC. | ||
Pour l’appelante | ||
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Me Angèle Di Giovanni | ||
Me Michèle Frenière | ||
DS AVOCATS CANADA | ||
Pour les intimés | ||
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Me Guillaume Phaneuf | ||
MALOUIN PHANEUF | ||
Pour les mis en cause | ||
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Date d’audience : | 6 février 2023 | |
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MOTIFS DU JUGE BACHAND |
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[7] L’appelante se pourvoit à l’encontre d’un jugement de la Cour supérieure, accueillant en partie l’action pour vices cachés que les intimés ont intentée contre elle[1].
[8] Dans ce jugement, qui présente en détail les faits de l’affaire, le juge de première instance a constaté que l’appelante avait eu un comportement dolosif lors de la vente de l’immeuble au cœur du litige, en induisant en erreur l’acheteur — l’intimé Emiliano Vessia — quant à la nature des travaux qu’elle avait fait faire et en omettant de lui dévoiler l’existence de nombreux vices cachés[2]. Au final, l’appelante a été condamnée à payer à M. Vessia plus de 108 000 $ à titre de réduction du prix de vente. Elle a également été condamnée à payer à M. Vessia, ainsi qu’à la conjointe et à la belle-mère de ce dernier, 63 000 $ à titre de dommages-intérêts et près de 98 000 $ en remboursement d’une part importante — soit 85 % — de leurs frais d’avocat.
[9] Le litige en appel comporte trois volets. L’appelante s’attaque d’abord à la conclusion du juge lui ordonnant de rembourser aux intimés 85 % de leurs frais d’avocat. Ensuite, elle remet en question certains des montants que le juge a retenus à titre de dommages-intérêts. Enfin, estimant que le pourvoi est abusif, les intimés demandent à la Cour de condamner l’appelante à leur rembourser les frais d’avocat qu’ils ont engagés en appel.
[10] S’agissant d’abord de la question des frais d’avocat engagés par les intimés en première instance, le juge a conclu que le comportement répréhensible de l’appelante lors de la vente de l’immeuble s’était poursuivi non seulement après que les intimés l’eurent avisée de l’existence de vices cachés[3], mais également durant le déroulement de l’instance. Sur ce dernier point, ses constats clés sont exposés aux paragraphes suivants de son jugement :
[301] Dans le cadre du déroulement de l’instance, bien que requise de s’exécuter à plusieurs reprises, Mme Chicoine omet ou refuse de transmettre l’identité et les coordonnées des ouvriers qui ont procédé aux travaux de rénovation privant ainsi les demandeurs de l’opportunité de les interroger sur la condition de l’Immeuble à cette époque et sur les instructions reçues d’elle ou de ses parents au moment des travaux.
[302] Au procès, M. Chicoine évite de répondre aux questions, Mme Bélanger en dit le moins possible et s’égare dans certaines de ses explications et Mme Chicoine a peu à dire puisque ce sont les deux premiers qui ont participé le plus à l’achat de l’Immeuble, aux travaux de rénovation, à sa revente et à la gestion des problèmes lorsqu’ils sont apparus.
[303] Somme toute, non seulement les demandeurs ont été victimes d’un dol mais Mme Chicoine et ses parents ont persisté avec un comportement similaire pour rendre l’exercice du recours le plus difficile possible. Mme Chicoine doit en supporter les conséquences.
[11] À la lumière de cet extrait, on comprend qu’aux yeux du juge, l’appelante s’est notamment comportée de manière contraire aux principes directeurs de la procédure civile, plus particulièrement celui exigeant des parties qu’elles limitent l’affaire à ce qui est nécessaire pour résoudre le litige (article
[12] Le juge a toutefois refusé d’ordonner le remboursement de la totalité des frais d’avocat engagés par les intimés, car il a estimé que ces derniers avaient eux aussi commis certains manquements importants durant le déroulement de l’instance :
[304] Cependant, le Tribunal considère justifié de réduire le montant des honoraires extrajudiciaires réclamés par les demandeurs dans une proportion de 15 % pour tenir compte des éléments suivants :
a. la nécessité d’entreprendre un deuxième recours, les demandeurs n’ayant pas respecté les règles concernant le déroulement de l’instance et le délai pour la mise en état du dossier dans la Première Demande;
b. le nombre élevé de modifications à la demande introductive d’instance, tout en étant conscient que certaines d’entre elles résultaient du manque de collaboration de Mme Chicoine;
c. le retard à mettre en ordre, de manière compréhensible, les factures et reçus reflétant la réduction de prix demandée.
[13] L’appelante plaide dans un premier temps qu’elle n’a commis aucun manquement important durant le déroulement de l’instance. Elle aurait tout au plus agi de manière répréhensible sur le fond du litige, ce qui, aux termes du principe établi dans l’arrêt Viel[4], ne saurait suffire pour la condamner au remboursement des frais d’avocat engagés par les intimés.
[14] Je ne peux me ranger à cet argument.
[15] D’abord, l’appelante ne peut remettre en question les constats de fait ayant conduit le juge à conclure à l’existence de manquements importants, car ils s’appuient à tout le moins en partie sur des témoignages dont elle n’a pas inclus la transcription en annexe à son mémoire. Conformément aux enseignements de l’arrêt Pateras[5], et vu la présomption de validité des jugements, ses prétentions d’ordre strictement factuel doivent donc être rejetées.
[16] Ensuite, quant à savoir si les faits constatés par le juge lui permettaient de conclure à l’existence de manquements importants justifiant une ordonnance de remboursement des frais d’avocat, l’appelante n’a présenté aucun argument tendant à démontrer que la Cour devrait intervenir malgré la grande retenue qui s’impose à cet égard — retenue dont l’importance a été réitérée dans l’arrêt Biron[6] :
La conclusion d’un juge tant sur la question d’un manquement important aux obligations d’une partie dans le déroulement d’une instance civile, que sur celle de l’abus de procédure commande une grande déférence, et elle ne devrait être révisée qu’en présence d’une erreur de droit ou d’une erreur manifeste et déterminante quant aux questions factuelles ou mixtes.
[Renvois omis]
[17] L’appelante plaide également, à titre subsidiaire, qu’il est nettement exagéré — et donc déraisonnable — de lui faire assumer une somme correspondant à 85 % des frais d’avocat engagés par les intimés en première instance. Elle ajoute que les quelques manquements ponctuels qu’elle a pu commettre durant le déroulement de l’instance ne sauraient justifier qu’elle soit condamnée à rembourser aux intimés la quasi-totalité de leurs frais d’avocat. Le juge aurait dû s’en tenir, poursuit-elle, à une somme correspondant aux frais d’avocat que les intimés ont dû engager en raison de ces quelques manquements. Elle invoque aussi le fait que le juge lui a donné gain de cause en partie, ce dernier ayant conclu que les sommes réclamées par les intimés à titre de réduction du prix de vente et de dommages-intérêts, tout comme celles réclamées en remboursement de leurs frais d’avocats, étaient trop élevées.
[18] Je suis d’avis que ce moyen subsidiaire est lui aussi mal fondé, et ce, pour trois raisons.
[19] La première tient au fait qu’il est fondé sur une prémisse — soit que le juge n’a reproché à l’appelante que quelques manquements ponctuels — qui est inexacte. La conclusion du juge est d’une portée beaucoup plus large : à ses yeux, il est clair que l’appelante, de concert avec ses parents, a continué d’agir de manière dolosive tout au long de l’instance, et ce, dans le but de « rendre l’exercice du recours [des intimés] le plus difficile possible »[7]. Il ne s’agit donc pas d’un cas où les fautes de la partie condamnée étaient isolées et assimilables à de simples incidents de parcours qui, bien que méritant sanction, ne reflétaient pas un comportement répréhensible généralisé.
[20] Deuxièmement, les prétentions de l’appelante ignorent le fait qu’une ordonnance fondée sur l’article
[21] Enfin, les arguments peu étoffés que l’appelante avance au soutien de son moyen subsidiaire se heurtent à la grande retenue qui s’impose lorsque la Cour est appelée à revoir la somme accordée en remboursement de frais d’avocat en vertu de l’article
[22] Le juge de première instance a considéré que les manquements commis par l’appelante durant le déroulement de l’instance étaient graves et méritaient l’imposition d’une sanction sévère, et je suis d’avis que ces constats sont amplement justifiés. Adopter, dans le cadre d’une instance civile, un comportement dolosif dans le but de rendre l’exercice du recours de la partie adverse le plus difficile possible revient à porter délibérément atteinte à son droit fondamental d’accès à la justice. Il s’agit d’une faute dont la gravité s’apprécie notamment au regard du fait que, « [d]e nos jours, garantir l’accès à la justice constitue le plus grand défi à relever pour assurer la primauté du droit au Canada »[11]. Mais s’il s’agit d’une faute particulièrement grave, c’est aussi en raison des conséquences très concrètes qu’elle est susceptible d’avoir sur la partie adverse, surtout lorsque, comme en l’espèce, il s’agit d’individus pour qui le fait d’être impliqués dans des procédures judiciaires durant plusieurs années est susceptible d’être non seulement très coûteux, mais également très angoissant. D’ailleurs, il n’est pas sans pertinence de souligner que M. Vessia et sa conjointe étaient parents de très jeunes enfants au moment où l’affaire s’est judiciarisée.
[23] Bref, dans les circonstances, j’estime que la sanction que le juge a imposée à l’appelante n’était pas manifestement disproportionnée au regard de la gravité des manquements qu’il a constatés. Le fait que l’appelante a eu partiellement gain de cause au niveau des quantums n’y change rien : le juge en était manifestement bien conscient, mais, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire dont il disposait, il pouvait raisonnablement décider de n’accorder que peu de poids à ce facteur dans les circonstances particulières du présent dossier.
[24] S’agissant maintenant des moyens relatifs aux montants que le juge a retenus à titre de dommages-intérêts, ils m’apparaissent mal fondés.
[25] L’appelante a tenté tant bien que mal de convaincre la Cour que ses moyens soulevaient des questions de droit, mais il n’en est rien. Les conclusions auxquelles elle s’attaque se rapportent manifestement à des questions de fait ou mixtes de fait et de droit, et il est tout aussi manifeste qu’il s’agit de conclusions que le juge a tirées en s’appuyant notamment sur des témoignages dont l’appelante n’a pas inclus la transcription en annexe à son mémoire. La Cour n’a donc pas en main les éléments nécessaires à une appréciation adéquate du bien-fondé de ces moyens. Ici aussi, les enseignements de l’arrêt Pateras[12] et la présomption de validité des jugements ne nous donnent d’autre choix que de rejeter les prétentions de l’appelante.
[26] Par ailleurs, cette dernière a tort de prétendre qu’il y a eu double indemnisation en raison de la décision du juge d’accorder aux intimés à la fois des dommages-intérêts non pécuniaires et des dommages-intérêts visant à les indemniser pour le temps consacré à certains travaux correctifs. Le juge a clairement expliqué, aux paragraphes [268] à [290] de son jugement, que le préjudice non pécuniaire se rapportait aux problèmes de santé qu’ont eus les intimés, ainsi qu’aux inconvénients, inquiétudes et perte de la jouissance de la vie qu’ils ont subis. Il n’y a aucune double indemnisation.
[27] Enfin, l’argument de l’appelante selon lequel le juge a insuffisamment motivé sa décision n’a aucun mérite. Le jugement entrepris est clair, fouillé et soigneusement rédigé. De toute évidence, le juge de première instance s’est acquitté de son obligation de motivation.
[28] Le dernier volet du pourvoi concerne la demande des intimés en déclaration d’abus et en remboursement des frais d’avocat qu’ils ont engagés en appel. Ils estiment que l’appel est essentiellement dilatoire et qu’il a principalement comme objectif de faire perdurer un comportement dolosif ayant pris naissance lors de la vente de l’immeuble et s’étant perpétué, quoique sous une autre forme, durant l’instance en Cour supérieure.
[29] Comme la Cour l’a rappelé dans l’arrêt Biron, en matière d’abus de procédure, « la barre est haut placée et elle doit le demeurer au risque de banaliser ce qu’est une procédure abusive et de constituer un frein à l’accès à la justice »[13]. Cela étant, il ressort également de cet arrêt que lorsqu’une partie utilise la procédure d’appel de manière excessive ou déraisonnable, ou encore de manière à nuire à la partie intimée, son comportement doit être sanctionné[14].
[30] Il y a lieu d’insister sur le fait qu’une telle conclusion ne doit pas être tirée à la légère. Elle doit s’appuyer sur des éléments du dossier démontrant de manière suffisamment claire et probante l’existence d’un comportement répréhensible.
[31] Ainsi, lorsqu’il est reproché à la partie déboutée en première instance d’avoir institué un appel voué à l’échec, il ne suffira pas de démontrer que ses moyens d’appel n’ont aucune chance raisonnable de succès[15]. Il faudra démontrer « qu’une personne raisonnable et prudente, placée dans la situation de la partie appelante, ne se serait pas pourvue contre le jugement [entrepris] et aurait compris que ses moyens d’appel n’avaient aucune chance de succès »[16].
[32] Lorsque la partie intimée plaide plutôt que la procédure d’appel a été utilisée dans le but de lui nuire, elle devra prouver que le pourvoi visait principalement à lui causer un préjudice. Cette démonstration pourra notamment être faite en établissant que la partie appelante était motivée par le désir de porter atteinte à son droit fondamental d’accès à la justice, ce qui sera le cas, par exemple, si elle a surtout cherché à priver la partie intimée du bénéfice immédiat d’un jugement de première instance manifestement bien fondé[17], ou encore si elle s’est servie de la procédure d’appel principalement afin de forcer un adversaire économiquement vulnérable à conclure un règlement amiable désavantageux. Il convient aussi de souligner que la partie intimée n’a pas à démontrer que l’intention de la partie appelante de porter atteinte à son droit d’accès à la justice — une question de fait — est manifeste ou évidente. Comme en toute matière civile, l’intention de nuire n’a qu’à être prouvée selon la prépondérance des probabilités[18], et elle peut l’être par tout moyen de preuve, y compris la présomption de fait[19].
[33] Par ailleurs, lorsqu’une partie se pourvoit à l’encontre d’un jugement ayant constaté qu’elle a commis un abus de procédure en première instance, ou encore certains manquements importants durant le déroulement de cette instance, il faut se garder de conclure que son appel est forcément abusif et sa démarche contraire aux principes directeurs de la procédure. Un tel constat sera néanmoins pertinent dans l’analyse de son comportement dans le cadre de la procédure d’appel, et ce, en raison du risque que l’abus constaté en première instance se perpétue en appel. Le fait que ce risque soit bien réel en pratique explique d’ailleurs pourquoi le législateur a jugé souhaitable d’assujettir à une permission préalable l’appel d’un jugement rejetant une demande en justice en raison de son caractère abusif[20].
[34] Ces précisions étant faites, qu’en est-il en l’espèce?
[35] L’examen des éléments au dossier d’appel m’amène à conclure, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelante s’est servie de la procédure d’appel dans le but de nuire aux intimés et que ce comportement répréhensible doit être sanctionné. Comme je l’explique plus loin, aucun de ces éléments ne suffit à lui seul pour conclure à un abus de procédure. Toutefois, considérés dans leur ensemble, j’estime qu’ils donnent lieu à une présomption de fait d’un usage malveillant de la procédure d’appel.
[36] Le premier élément qui retient mon attention est la stratégie que l’appelante a adoptée en tentant de réfuter l’argument des intimés invoquant le fait qu’elle n’avait pas produit la transcription des témoignages, alors que la plupart de ses moyens s’attaquent à des conclusions de fait reposant à tout le moins en partie sur la preuve testimoniale administrée lors de l’instruction au fond. En réponse à cet argument, l’appelante s’est essentiellement contentée d’affirmer, de manière péremptoire, que ses moyens soulevaient des questions de droit que la Cour pouvait trancher sans avoir à consulter la transcription des témoignages. Cette prétention est non seulement dénuée de tout mérite, mais elle semble fallacieuse dans le contexte de la présente affaire[21] : l’appelante, qui a été représentée à toutes les étapes de ce litige, ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que la Cour puisse trancher son moyen principal relatif aux frais d’avocat engagés par les intimés en première instance ni ses moyens relatifs au quantum des dommages-intérêts compensatoires sans le bénéfice de la transcription des témoignages.
[37] Le deuxième élément qui retient mon attention est le fait qu’au niveau des conclusions recherchées, l’appelante se contente d’exposer une position qui, à bien des égards, est empreinte d’incohérence et d’imprécision. Par exemple, s’agissant des frais d’avocat engagés par les intimés en première instance, sa demande subsidiaire de réduire le montant de la condamnation ne précise pas la somme que la Cour devrait retenir. Il en va de même des conclusions subsidiaires qu’elle recherche quant aux dommages-intérêts compensatoires : bien qu’elle soutienne que le juge s’est manifestement trompé, elle ne précise pas les montants que la Cour devrait accorder. Autre élément qui fait sourciller — et c’est ici que surgit le problème d’incohérence —, l’appelante demande à titre principal que la Cour infirme les conclusions du jugement de première instance accordant aux intimés des dommages-intérêts compensatoires, alors que les arguments qu’elle présente se limitent à la question du quantum.
[38] Troisièmement, l’appelante n’a pas hésité à avancer de nombreux arguments qu’elle devait savoir être manifestement mal fondés. Par exemple, elle s’est entêtée à plaider que le juge avait méconnu les enseignements de l’arrêt Viel[22] en confondant abus sur le fond et comportement répréhensible dans le cadre d’une instance judiciaire, alors qu’il est évident, à la lecture des paragraphes [301] à [303] du jugement de première instance, qu’il n’en est rien. Comment ne pas y voir un autre indice d’une intention d’induire ses interlocuteurs en erreur? Autre exemple : l’appelante a plaidé que le juge avait commis une erreur de droit en accordant des dommages-intérêts dans le but de la punir, alors qu’il ressort manifestement des paragraphes [267] à [292] du jugement qu’ils ont plutôt été accordés à des fins strictement compensatoires. On peut également citer en exemple son argument reprochant au juge d’avoir accordé des dommages-intérêts pour le temps que les intimés ont consacré aux travaux malgré le fait qu’il aurait par ailleurs constaté l’inexistence de toute preuve soutenant cette réclamation : cet argument repose sur une lecture manifestement insoutenable des paragraphes [268] à [270] du jugement, où le juge a constaté que la preuve était non pas inexistante, mais plutôt imprécise. Comme dernier exemple, on peut mentionner son argument reprochant au juge d’avoir accordé des dommages-intérêts ne se situant pas dans les fourchettes généralement reconnues en jurisprudence, ainsi que celui selon lequel la multiplicité des condamnations auxquelles elle fait face conduit à un résultat global qui s’avère disproportionné eu égard à la valeur de l’immeuble au cœur du litige — deux arguments qui semblent faire appel à des concepts propres au droit de la détermination de la peine qui ne sont d’aucune pertinence en droit privé.
[39] Enfin, il convient de souligner qu’au tout début de l’audience d’appel, sans avoir donné le moindre préavis aux intimés ni à la Cour, l’appelante a annoncé — sans s’expliquer davantage — qu’elle renonçait finalement à contester la conclusion du jugement de première instance la condamnant à payer à M. Vessia plus de 108 000 $ à titre de réduction du prix de vente, ainsi que celle la condamnant à payer à M. Vessia, sa conjointe et sa belle-mère 15 000 $ chacun à titre de dommages-intérêts pour troubles et inconvénients. Il s’agit d’éléments clés du débat qui était engagé en appel, notamment eu égard à la valeur de l’objet du litige en appel, qui est soudainement passée d’environ 254 000 $ à environ 101 000 $ — une réduction de plus de 60 %[23].
[40] Je tiens à insister sur le fait qu’aucun de ces éléments ne suffit à lui seul pour conclure au caractère abusif de l’appel. Toutefois, lorsqu’ils sont considérés ensemble, et, surtout, lorsqu’on les replace dans le contexte du constat très clair du juge de première instance selon lequel l’appelante a cherché — tout au long des procédures en Cour supérieure — à rendre l’exercice du recours des intimés le plus difficile possible, j’estime qu’ils font pencher la prépondérance des probabilités en faveur des intimés : selon toute vraisemblance, l’appelante a, dans le cadre du présent appel, continué de se servir de la procédure de manière à nuire aux intimés au sens où l’entend le législateur à l’article
[41] Les intimés ont déposé les comptes d’honoraires détaillés et non caviardés de leurs avocats, ce qu’ils devaient faire afin que la Cour puisse évaluer la justesse et le caractère raisonnable des services fournis et des montants facturés et réclamés[24]. En effectuant cet exercice, il convient de tenir compte de certains facteurs que la Cour a identifiés dans l’arrêt Van Houtte, sous la plume de notre collègue la juge Bich[25] :
[124] […] Les facteurs suivants peuvent notamment être considérés pour évaluer le caractère raisonnable de la réclamation : importance et difficulté du litige, temps qu’il était nécessaire d’y consacrer, mais aussi façon dont l’instance a été menée par la partie qui réclame le remboursement de ses honoraires extrajudiciaires (y compris en rapport avec l’utilité ou la pertinence des procédures), ainsi que raisonnabilité intrinsèque du taux horaire de l’avocat de cette partie ou du montant facturé, selon la formule convenue avec le client, pour assurer sa représentation dans l’instance. Il faut aussi, bien sûr, examiner la proportionnalité des honoraires réclamés au regard de la condamnation prononcée et l’ensemble du contexte.
[125] Ce contrôle judiciaire doit être exercé de façon rigoureuse, il va sans dire, pour éviter la surenchère de services juridiques ou de procédures ou l’exagération dans la fixation du taux ou du montant de la facturation, surenchère ou exagération qui pourraient résulter de la perspective que les honoraires d’avocat d’une partie soit payée par l’autre. Il va sans dire également que la partie qui réclame le remboursement de ses honoraires extrajudiciaires doit s’attendre et consent implicitement à lever une partie du secret professionnel qui l’unit à son avocat, dans la mesure nécessaire à la vérification du caractère raisonnable des honoraires en question.
[42] Mon analyse de ces comptes, des enjeux soulevés par cet appel et de l’importance d’éviter la surenchère des services juridiques me conduit à la conclusion qu’il serait excessif de faire supporter par l’appelante les quelque 55 000 $ réclamés. De plus, le fait que les intimés n’ont présenté aucun argument visant à défendre le caractère raisonnable des honoraires réclamés doit jouer à leur encontre. Voilà pourquoi je propose que le montant de la condamnation soit fixé à 25 000 $.
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FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A. |
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MOTIFS DU JUGE SCHRAGER |
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[43] Je suis d’accord avec mon collègue le juge Bachand pour rejeter l’appel. Par contre, je ne suis pas d’accord pour le déclarer abusif et condamner l’appelante à rembourser une partie des honoraires d’avocats encourus par l’intimé.
[44] Je suis d’accord avec les principes applicables énoncés par mon collègue, mais je ne crois pas que la « ligne » soit dépassée[26], bien que la manière de poursuivre et de présenter cet appel ne soit pas un modèle à suivre.
[45] Le jugement de première instance est sévère quant à la condamnation à des dommages compensatoires en sus de l’annulation du prix de vente et quant à la condamnation au paiement des honoraires d’avocats. Il n’est pas abusif d’avoir cherché à éliminer ou à réduire ces condamnations. Une personne raisonnable aurait essayé de faire la même chose. Selon le test applicable[27], la décision de l’appelante de se pourvoir en appel n’est pas, en soi, constitutive d’un abus.
[46] Quant au fait, pour l’appelante, d’avoir annoncé au début de l’audience qu’elle renonçait à un moyen d’appel, soit celui portant sur le quantum de la réduction du prix de vente et des dommages compensatoires, j’estime qu’il n’est pas exceptionnel que les plaideurs abandonnent des arguments, et ce, au dernier moment. Il est fréquent qu’en révisant le dossier avant l’audience et en relisant les mémoires, une appelante décide qu’il serait préférable d’abandonner un moyen d’appel. Certes, la courtoisie envers l’autre partie et la Cour exige qu’une telle décision soit prise et communiquée bien avant l’audition, mais la décision d’abandonner un argument, même pendant l’audition, n’est pas en soi abusive. En l’espèce, l’avocat de l’appelante a également déclaré au début de l’audience qu’une somme de 150 000 $ a été envoyée aux intimés en conséquence de l’abandon de ce moyen et en satisfaction partielle du jugement, ainsi que pour interrompre le calcul des intérêts sur cette somme. En soi, je ne constate pas un abus ici.
[47] Le fait de ne pas avoir produit les transcriptions et d’avoir plaidé à tort que les erreurs invoquées étaient des erreurs de droit et non des erreurs de fait me semble indicatif d’un manque de connaissances sur la manière de présenter un dossier d’appel plutôt qu’un abus. Ce n’est pas la première fois que la Cour doit évoquer l’arrêt Pateras[28] sans pour autant que l’appel soit déclaré abusif. En l’espèce, une grande partie de la preuve testimoniale ainsi que des pièces en demande ont été produites dans le mémoire des intimés pour lesquelles l’appelante est responsable du paiement compte tenu de la condamnation aux frais de justice.
[48] Même si le juge a constaté un comportement abusif dans la conduite du dossier en première instance, on ne peut pas faire la même remarque en appel. La requête en rejet d’appel présentée par les intimés a été rejetée sans audience. Par la suite, l’appelante a déposé son mémoire dans les délais. La faiblesse de ses moyens d’appel ne devrait pas être confondue avec un abus en appel.
[49] En conséquence, même si le cumul des éléments soulignés par mon collègue est important et n’est pas un modèle à suivre en appel, je ne peux être d’accord pour conclure à un abus en appel. Chacun des éléments n’est pas constitutif d’abus et j’estime que leur effet combiné ne l’est pas non plus.
[50] Je propose que l’appel soit rejeté avec les frais de justice et que la demande en déclaration d’abus soit rejetée sans frais.
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MARK SCHRAGER, J.C.A. |
[1] Vessia c. Chicoine,
[2] Id., paragr. 7, 78, 96, 144 et 296.
[3] Id., paragr. 297-300.
[4] Viel c. Entreprises immobilières du terroir Ltée, 2002 CanLII 41120,
[5] Pateras c. M.B.,
[6] Biron c. 150 Marchand Holdings inc.,
[7] Jugement entrepris, paragr. 303.
[8] Voir également : Gagnon c. Audi Canada inc.,
[9] Lavoie c. Latouche,
[10] Voir par ex. Construction Dompat inc. c. Société des vétérans polonais de guerre du Maréchal J. Pilsudski inc.,
[11] Hryniak c. Mauldin,
[12] Pateras c. M.B.,
[13] Biron c. 150 Marchand Holdings inc.,
[14] Biron c. 150 Marchand Holdings inc.,
[15] Voilà pourquoi le rejet sommaire d’un appel n’implique pas ipso facto que la partie intimée a droit au remboursement, en tout ou en partie, de ses frais d’avocat. Voir par ex., en ce sens, Noble Âge inc. c. Constructions Berchard inc.,
[16] Procureur général du Québec c. Fiset,
[17] Les manœuvres de cette nature étant facilitées par le fait que, en règle générale, l’appel suspend l’exécution du jugement entrepris (article
[18] Article
[19] Article
[20] Article 30 al. 2(3°) C.p.c.; Beauregard c. Boulanger (Succession de Boulanger),
[21] J’insiste sur cette nuance, car le seul fait pour une partie appelante de méconnaître les enseignements de l’arrêt Pateras ne saurait constituer un indice d’un comportement abusif. Tout est question de contexte. Dans la présente affaire, le problème ne tient pas au fait que l’appelante ne s’est pas conformée à ces enseignements, mais plutôt à la justification qu’elle a avancée afin d’expliquer sa décision de ne pas produire les transcriptions. À mon avis, son affirmation selon laquelle ses moyens d’appel ne soulèvent que des questions de droit est non seulement erronée, mais elle est également déraisonnable au point où il est permis d’y voir un indice d’une intention d’induire ses interlocuteurs en erreur.
[22] Viel c. Entreprises immobilières du terroir Ltée, 2002 CanLII 41120,
[23] Par souci de clarté, je tiens à préciser que le fait qu’une partie renonce à certains moyens au début d’une audience d’appel ne démontre pas ipso facto un comportement répréhensible. Là encore, tout est question de circonstances, et les circonstances pertinentes comprennent les motifs pour lesquels la partie concernée a attendu à la dernière minute avant de faire des concessions. Par ailleurs, il y a lieu de garder à l’esprit les principes directeurs de la procédure — y compris celui imposant aux parties un devoir de coopération (article
[24] Voir Golzarian c. Association des policières et policiers provinciaux du Québec,
[25] Groupe Van Houtte inc. (A.L. Van Houtte ltée) c. Développements industriels et commerciaux de Montréal inc.,
[26] Biron c. 150 Marchand Holdings inc.,
[27] Voir Procureur général du Québec c. Fiset,
[28] Pateras c. M.B.,
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appel; la consultation
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