Airmédic inc. c. Rivard |
2015 QCCS 5836 |
COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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N° : |
200-17-022625-156 |
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DATE : |
27 novembre 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE BERNARD GODBOUT, j.c.s. (JG 1744) |
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AIRMÉDIC INC., 9160, boulevard Leduc, bureau 310 Brossard (Québec) J4Y 0E3
Demanderesse / défenderesse reconventionnelle |
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c. |
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FRANÇOIS RIVARD […] Saguenay (Québec) […]
et
9258-8755 QUÉBEC INC. 4252, chemin Bouchard Saguenay (Québec) G7X 7V6
et
AIR RIVAC ASSISTANCE INC. 4252, chemin Bouchard Saguenay (Québec) G7X 7V6
et
AIR RIVAC TRANSPORT D’URGENCE AÉRIEN ET HÉLIPORTÉ INC. 4252, chemin Bouchard Saguenay (Québec) G7X 7V6
Défendeurs solidaires / demandeurs reconventionnels
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JUGEMENT SUR UNE REQUÊTE POUR L’ÉMISSION EX PARTE ET IN CAMERA D’UNE ORDONNANCE D’INJONCTION DE TYPE ANTON PILLER |
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Le contexte
[1] La demanderesse, Airmédic inc., présente une requête pour l’émission ex parte et in camera d’une ordonnance d’injonction de type Anton Piller afin qu’il soit ordonné aux défendeurs de permettre l’accès complet et immédiat au contenu de tout meuble, élément ou unité de rangement et appareil informatique se trouvant au 4252 chemin Bouchard, Saguenay, province de Québec et au 812 boulevard Ste-Geneviève, Saguenay, province de Québec.
[2] Plus particulièrement, Airmédic inc. précise au paragraphe 104 de la requête que sa demande d’émission d’une ordonnance de type Anton Piller vise à extraire l’information confidentielle qu’elle prétend lui appartenir, soit :
« a) Des ordinateurs des défendeurs ainsi que de leurs lecteurs Flash, clés USB, cartes mémoires, CD-Rom, disques durs externes et de tout autre support similaire, le tout avec les noms d’utilisateurs et les mots de passe requis;
b) et toutes autres informations contenues sur quelque support que ce soit permettant d’évaluer l’étendue des fausses représentations de M. Rivard et la violation de ses obligations incluant des représentations spécifiques qui s’avèreraient fausses, de même que les violations de 9258 à son obligation de non-sollicitation; »
[3] Bref, ce que Airmédic inc. recherche plus particulièrement, c’est le contenu des systèmes informatiques des défendeurs qui lui permettra de vérifier l’ampleur de la sollicitation qu’ils effectuent présentement auprès de sa clientèle.
[4] Le présent litige s’inscrit dans le contexte d’un recours en injonction permanente visant à faire respecter des engagements de non-sollicitation et de non-concurrence basés sur l’obligation de loyauté prévue à la loi, une convention d’actionnaires (pièce P-9) et une clause de non-sollicitation contenue dans un contrat de vente d’actions (pièce P-12).
[5] Aux fins de la demande de l’ordonnance d’injonction de type Anton Piller seules l’obligation de loyauté et la clause de non-sollicitation rédigée à l’article 5.4 de la pièce P-12 sont alléguées.
L’ordonnance Anton Piller
[6] L’ordonnance Anton Piller est essentiellement un ordre de la Cour - obtenu ex parte et à huis clos - aux défendeurs de « se laisser saisir » ou de « se laisser perquisitionner » afin que les biens ainsi saisis soient mis sous la garde de la justice dans le but de les préserver d’une éventuelle destruction ou disparition.
[7] Selon le juge Clément Gascon de la Cour d’appel :
« L’ordonnance vise, au premier chef, à protéger des éléments de preuve et le droit de propriété d’une partie sur des biens ou documents qui, en définitive, lui appartiennent. De ce point de vue, elle vise la conservation d’une preuve qui, sans cela, pourrait disparaître. Elle n’est pas ni ne devrait devenir un moyen de communication de la preuve ou même de recherche d’une preuve. […] »[1]
[Citations omises]
[8] L’ordonnance Anton Piller ne peut donc se traduire ou simplement viser à effectuer une fouille « à l’aveuglette » ou une saisie avant jugement pour obtenir des informations permettant de constituer ou de bâtir la preuve d’une réclamation. Cette ordonnance a strictement pour but de conserver et de protéger des éléments de preuve de la destruction ou de la disparition.
[9] Étant donné son caractère « inquisitoire » et « agressif », ce n’est que dans les cas véritablement exceptionnels que le Tribunal doit prononcer une telle ordonnance.
[10] Dans Celanese Canada inc. c. Murray Demolition Corp., arrêt de principe de la Cour suprême sur la question, le juge Binnie, au nom de la Cour, identifie quatre conditions préalables à l’émission d’une telle ordonnance :
« Quatre conditions doivent être remplies pour donner ouverture à une ordonnance Anton Piller.
§ Premièrement, le demandeur doit présenter une preuve prima facie solide.
§ Deuxièmement, le préjudice causé ou risquant d’être causé au demandeur par l’inconduite présumée du défendeur doit être très grave.
§ Troisièmement, il doit y avoir une preuve convaincante que le défendeur a en sa possession des documents ou des objets incriminants, et
§ quatrièmement, il faut démontrer qu’il est réellement possible que le défendeur détruise ces pièces avant que le processus de communication préalable puisse être amorcé. » [2]
[11] Tenant pour avérées les allégations de la requête et considérant les affidavits et les pièces déposées, la demanderesse doit donc faire la preuve d’un droit prima facie forts ou convaincants […] « extremely strong prima facie case » […] selon les termes utilisés par le juge Ormrod dans le jugement de la Court of Appeal d’Angleterre Anton Piller K.G.[3]
Application au présent cas
[12] La demanderesse, Airmédic inc., soutient, au paragraphe 40 de sa requête, que « l’interrogatoire du défendeur Rivard qui a eu lieu le 18 novembre 2015 a révélé l’existence de nouveaux faits qui justifient l’émission de l’ordonnance recherchée ».
[13] Quels sont ces faits?
[14] Premièrement, Airmédic inc. réfère aux pièces P-15 et P-17 de sa requête introductive d’instance. Elle soutient que les raisons pour lesquelles M. Rivard prétend avoir transféré ces pièces sur son ordinateur personnel ne sont pas les véritables raisons qu’il invoque.
[15] Deuxièmement, l’interrogatoire de M. Rivard aurait également permis de découvrir qu’il s’est aussi transféré d’autres informations sur une clé USB qu’il a en sa possession, dont la demande de communication fait présentement l’objet d’une objection (Requête, par. 57).
[16] Troisièmement, il est aussi question d’une charte de vol de nuit IFR d’ambulance aérienne que M. Rivard admet ne pas avoir donnée à Airmédic inc. dans le cadre d’une vente d’actifs en 2012 (par. 65 qui réfère à la pièce R-1).
[17] Toutefois, M. Rivard a pris l’engagement de transmettre à Airmédic inc. cette « charte IFR d’Ambulance aérienne » (par. 67).
[18] Quatrièmement, l’interrogatoire de M. Rivard aurait aussi permis de découvrir qu’avant de quitter Airmédic inc. il aurait pris, à l’insu de celle-ci, d’autres « documents d’Ambulance aérienne (propriété d’Airmédic) » qu’il aurait mis sur une clé USB (par. 71).
[19] Monsieur Rivard a également pris l’engagement de transmettre à Airmédic inc. l’original de cette clé USB (par. 75).
[20] Enfin, l’interrogatoire de M. Rivard aurait aussi permis de découvrir qu’il sollicite la clientèle d’Airmédic inc. en violation de la clause de non-sollicitation contenue à la pièce P-12, ce qui essentiellement fait l’objet du litige et que l’audition au fond disposera.
[21] Airmédic inc. plaide que, bien que M. Rivard ait pris l’engagement lors de son interrogatoire de lui remettre la clé USB sur laquelle il aurait copié « les documents d’ambulance aérienne (propriété d’Airmédic) », il n’existe aucun moyen pour elle, autre que l’ordonnance recherchée, de s’assurer que M. Rivard dit la vérité et que ce sont les seules informations qui auraient été « subtilisées », ce qui en soit est suffisant pour justifier l’émission de l’ordonnance recherchée.
[22] Même si à la suite d’une première lecture des textes, on semble démontrer qu’il pourrait y avoir manquement à un engagement de non-sollicitation et de non-concurrence, faisant ainsi la démonstration d’une preuve prima facie d’un droit, il sera disposé de cette question au terme d’une audience sur la requête introductive d’instance en injonction permanente.
[23] L’ordonnance Anton Piller ne doit donc pas viser à régler cette question à ce moment-ci et ne doit surtout pas avoir pour effet de trancher ou de disposer du litige.
[24] L’apparence d’un droit sérieux est et doit demeurer uniquement à ce stade-ci un critère de l’analyse.
[25] Les deuxième et troisième critères relatifs au préjudice grave et à la possession des documents ne semblent pas ici poser de problème dans les circonstances relatées.
[26] Toutefois, le quatrième critère pose un réel problème.
[27] En effet, « il faut démontrer qu’il est réellement possible que le défendeur détruise ces pièces avant que le processus de communication préalable puisse être amorcé ».
[28] Dans le présent cas, Airmédic inc. a déjà en sa possession les documents qu’elle revendique et qu’elle-même a produits en pièce P-17 avec sa requête introductive d’instance.
[29] Quant aux deux clés USB dont il est question, une objection sera incessamment débattue quant à la communication de la première (par. 57) et M. Rivard s’est engagé à communiquer à Airmédic inc. l’original de la deuxième (par. 75).
[30] Monsieur Rivard a également pris l’engagement de transmettre à Airmédic la charte IFR d’Ambulance aérienne (par. 67).
[31] Bref, ce que recherche ici la demanderesse Airmédic inc. n’est certes pas la conservation de documents pouvant servir de preuve, ni contrer la crainte de leur destruction. Elle a déjà en sa possession ces documents que M. Rivard admet sans réserve s’être transféré une copie sur son ordinateur personnel ou avoir copié sur une clé USB.
[32] Par ailleurs, rappelons-le, les défendeurs et plus particulièrement M. Rivard, qui sont représentés par procureurs, se sont engagés à communiquer certains des documents demandés. Seule la communication de la première clé USB fait l’objet d’une objection qui devra éventuellement être tranchée (par. 57).
[33] À cette étape-ci des procédures, il n’y a aucune indication qui permet de croire que les défendeurs, représentés par avocats, pourraient s’adonner à altérer ou détruire un élément qui pourrait constituer une preuve et qui est présentement l’objet d’un processus de communication préalable.
[34] Vu ce qui précède, l’ordonnance Anton Piller, si elle est émise, risquerait de se transformer en une « recherche à l’aveuglette ».
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[35] REJETTE la requête pour l’émission ex parte et in camera d’une ordonnance d’injonction de type Anton Piller présentée par la demanderesse, Airmédic inc.;
[36] Frais à suivre.
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__________________________________ BERNARD GODBOUT, j.c.s. |
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Me Cynthia St-Louis Me Stéphan Charles-Grenon BCF Avocats Procureurs de la demanderesse Casier 12 |
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Date d’audience : |
24 novembre 2015 |
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AVIS :
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