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[1] Le 7 juillet 2005, monsieur Jocelyn Morin, le travailleur, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 31 mai 2005 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST maintient celle qu’elle a initialement rendue le 1er avril 2005 et déclare qu’il n’y avait pas lieu de verser des indemnités de remplacement du revenu au travailleur pour la période du 4 au 14 mars 2005. Elle déclare également que le travailleur avait droit au versement des indemnités de remplacement du revenu pour la période du 15 au 26 mars 2005.
[3] Une audience se tient à Val-d'Or le 25 octobre 2005. Les deux parties sont présentes et ne sont pas représentées. La Commission des lésions professionnelles a accordé au travailleur un délai afin qu’il dépose différents rapports médicaux. L’ensemble de ces documents a été reçu à la Commission des lésions professionnelles le 28 octobre 2005 et le dossier a été pris en délibéré à cette date.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit au versement des indemnités de remplacement du revenu pour la période du 4 au 14 mars 2005.
LES FAITS
[5] Depuis le mois de mai 2000, monsieur Jocelyn Morin travaille comme gardien de sécurité pour l’entreprise Sécurité et Investigation Optimum inc., l’employeur.
[6] Le 2 mai 2003, le travailleur subit un accident du travail. Au moment de la prise d’un échantillon, il glisse sur de la roche et subit une entorse au genou gauche et des fractures au métatarse du pied gauche.
[7] Le 27 mai 2004, le travailleur subit une arthroscopie et une méniscectomie au genou gauche.
[8] Le 31 août 2004, l’employeur propose une assignation temporaire au poste d’agent de sécurité. Il décrit que le travailleur sera assis au poste de garde, il répondra au téléphone et sortira, à l’occasion, pour vérifier les boîtes des camions. Il spécifie que cette tâche s’effectuera environ quatre fois dans un quart de travail de huit heures. Le docteur Beauregard, qui est l’orthopédiste du travailleur, est d’accord avec cette assignation temporaire. Elle ajoute que ce travail devra respecter les limitations fonctionnelles suivantes : éviter de marcher de façon prolongée, éviter de marcher sur les terrains inégaux et éviter les escaliers.
[9] À l’audience, le travailleur précise qu’il a débuté son assignation temporaire au mois de septembre 2004. Il déclare que, pendant la semaine, les restrictions émises par le docteur Beauregard étaient respectées. Cependant, de temps à autre, il devait travailler la fin de semaine. Or, la fin de semaine, il devait faire des rondes pendant 30 à 40 minutes. Il avait alors des escaliers à monter et devait marcher sur du terrain glissant.
[10] À partir du 17 décembre 2004, le travailleur reçoit trois infiltrations de Synvisc, respectivement les 17 décembre 2004, 7 et 26 janvier 2005. Lorsqu’il reçoit ces infiltrations, il est en arrêt de travail complet pour deux jours. Puis, il reprend les travaux légers.
[11] Le 3 mars 2005, le travailleur est à l’épicerie lorsqu’il se penche et ressent un craquement dans son genou gauche. Son genou enfle et il ressent une augmentation de douleurs.
[12] Le 4 mars 2005, il se rend à l’urgence du Centre hospitalier de Val-d'Or et consulte le docteur Bellazzi qui retient le diagnostic de gonalgie gauche récidivante et mentionne que le travailleur ne peut pas travailler debout ou en marchant jusqu’à ce qu’il consulte le docteur Beauregard, son orthopédiste traitant. Le docteur Bellazzi remet au travailleur une prescription afin qu’il puisse consulter le docteur Beauregard plus rapidement. Elle lui remet également une copie du rapport médical pour la CSST et le travailleur en remet une copie à son employeur.
[13] Le 14 mars 2005, le travailleur communique avec la CSST. Il l’informe qu’il a vu le docteur Bellazzi, le 4 mars 2005, et qu’elle lui a prescrit un arrêt de travail. Il se demande s’il doit compléter un document avant de voir son médecin, le docteur Beauregard, le 23 mars 2005. L’agente de la CSST lui indique qu’elle prendra connaissance du dossier et le rappellera. Elle rappelle le travailleur le même jour pour s’informer des tâches exécutées dans le cadre de son assignation temporaire. Il précise qu’il est gardien à la mine Wesdome et que, la semaine, il fait du bureau et répond au téléphone. À l’occasion, il doit accompagner des gens pour la fouille de camion. Il précise qu’il travaille rarement la fin de semaine, mais lorsque c’est le cas, le travail est plus difficile pour son genou, car il doit faire des tournées. À l’audience, le travailleur précise que ces rondes durent entre 30 et 40 minutes. L’agente de la CSST appelle l’employeur pour valider la distance que le travailleur doit effectuer entre le poste de garde et la sortie. L’employeur l’informe qu’il doit franchir une distance de 15 à 20 mètres et qu’il a trois marches à monter ou descendre.
[14] Le même jour, l’agente de la CSST communique avec le docteur Bellazzi. Elle lui demande si elle voulait prescrire un arrêt de travail complet. Le docteur Bellazzi précise qu’elle n’avait pas l’intention de l’arrêter complètement de travailler, mais que le travailleur devait éviter de travailler debout et de ne pas marcher trop longtemps. L’agente lui demande si le fait de franchir une distance de 15 à 20 mètres et de descendre ou monter trois marches est contre-indiqué pour le travailleur. Le médecin répond par la négative.
[15] L’agente de la CSST rappelle le travailleur et elle lui explique que, compte tenu que l’assignation temporaire respecte ses limitations fonctionnelles, elle est toujours en vigueur. Le travailleur l’informe alors qu’il n’a pas travaillé la semaine précédente soit entre le 4 et le 14 mars 2005. L’agente de la CSST lui demande de communiquer avec l’employeur.
[16] Le 14 mars 2005, le travailleur consulte le docteur Pelletier à l’urgence du Centre hospitalier de Val-d'Or. Celle-ci mentionne que, le 2 mars 2005, le travailleur s’est penché pour ramasser quelque chose et il a eu une augmentation de la douleur et de l’œdème au genou gauche. Elle précise que le travailleur est en assignation temporaire, mais qu’il doit faire de la marche et des rondes au travail et que les restrictions émises par le docteur Beauregard ne sont pas respectées. Le docteur Pelletier prescrit un arrêt de travail jusqu’au 23 mars 2005.
[17] Le 23 mars 2005, le travailleur consulte le docteur Beauregard. Celle-ci modifie l’assignation temporaire en précisant que le travailleur doit se limiter à des quarts de travail de huit heures. Le travailleur déclare que, de cette façon, il ne pouvait plus travailler les fins de semaine puisque les quarts de travail sont plus longs les samedis et dimanches. Ainsi, à partir de cette date, le travailleur a repris son assignation temporaire.
[18] Le 1er avril 2005, le travailleur reçoit un avis de paiement indiquant qu’il a droit à des indemnités de remplacement du revenu pour la période du 15 au 26 mars 2005, ce qui sous-entend qu’il n’y a pas droit pour la période du 4 au 14 mars 2005.
L’AVIS DES MEMBRES
[19] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont tous les deux d’avis que le travailleur a droit au versement des indemnités de remplacement du revenu pour la période du 4 au 14 mars 2005. Ils retiennent que, le 3 mars 2005, le travailleur a ressenti une exacerbation de la douleur et de l’œdème au genou gauche alors qu’il se penchait pour ramasser un objet à l’épicerie. Dès le lendemain, soit le 4 mars 2005, le travailleur consulte le docteur Bellazzi qui est d’avis que le travailleur ne peut travailler debout ou en marchant et ce, jusqu’à ce qu’il consulte le docteur Beauregard. Ils retiennent que le travailleur était incapable d’effectuer les travaux légers qui lui avaient été assignés temporairement par l’employeur. Dans ces circonstances, il recouvre son droit au versement des indemnités de remplacement du revenu. Si l’employeur voulait modifier l’assignation temporaire de manière à répondre aux nouvelles restrictions soumises par le docteur Bellazzi, il pouvait le faire, ce qu’il n’a pas fait. D’ailleurs, à l’audience, l’employeur n’a soumis aucune preuve pour contredire celle soumise par le travailleur.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[20] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a le droit au versement des indemnités de remplacement du revenu pour la période du 4 au 14 mars 2005.
[21] L’article 179 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) permet à un employeur d’assigner temporairement un travailleur à des travaux légers même si la lésion n’est pas consolidée. Cette disposition se lit comme suit :
179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que:
1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;
2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et
3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.
Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.
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1985, c. 6, a. 179.
[22] L’article 180 prévoit que l’employeur verse alors au travailleur le salaire et les avantages liés à l’emploi qu’il occupait au moment de la survenance de sa lésion.
[23] Le fait que le travailleur soit assigné temporairement à des travaux légers n’éteint pas son droit à une indemnité de remplacement du revenu. En effet, si les conditions d’application de l’article 44 de la loi sont toujours présentes, le travailleur a droit à l’indemnité de remplacement du revenu. Cependant, lorsque l’employeur assigne temporairement le travailleur, il prend la relève en lui versant un salaire en vertu de l’article 180.
[24] Par ailleurs, l’article 142 (2) (e) prévoit ce qui suit :
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité:
[…]
2° si le travailleur, sans raison valable:
[…]
e) omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180;
[…]
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1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.
[25] En vertu de cette disposition, la CSST peut suspendre le paiement d’une indemnité si le travailleur, sans raison valable, omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement.
[26] En l’espèce, la Commission des lésions professionnelles retient de la preuve non contredite que, au mois de septembre 2004, le docteur Beauregard, qui est l’orthopédiste traitant du travailleur, se dit en accord avec l’assignation temporaire proposée par l’employeur. Cependant, elle précise que ce travail ne doit pas exiger du travailleur qu’il marche de façon prolongée et qu’il utilise les escaliers.
[27] Le travailleur est d’accord avec son médecin, en regard de l’assignation temporaire qu’il débute au mois de septembre 2004. Les restrictions émises par le docteur Beauregard sont généralement respectées par l’employeur sauf lorsque le travailleur doit travailler la fin de semaine. Il doit alors faire des rondes ce qui implique pour le travailleur de marcher pour des périodes de 30 à 40 minutes et d’utiliser des escaliers. La preuve démontre que le travailleur effectue tout de même le travail lorsque requis.
[28] Puis le 3 mars 2005, la preuve non contredite démontre que le travailleur ressent une exacerbation de ses symptômes au genou après s’être penché à l’épicerie. Ne pouvant consulter immédiatement le docteur Beauregard, le travailleur consulte le docteur Bellazzi à l’urgence. Celle-ci recommande au travailleur de revoir le docteur Beauregard et elle complète un rapport médical destiné à la CSST. Elle précise que le travailleur ne peut travailler debout ou en marchant jusqu’à ce qu’il soit évalué par le docteur Beauregard. Le travailleur remet une copie de ce rapport à l’employeur. Celui-ci ne modifie pas l’assignation temporaire du travailleur. Le travailleur n’entre pas travailler.
[29] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que à partir du 4 mars 2005, le travailleur n’était pas en mesure d’effectuer l’assignation temporaire proposée par l’employeur. En effet, sur son rapport du 4 mars 2005, le docteur Bellazzi précise clairement que le travailleur ne peut travailler debout ou en marchant et ce jusqu’à ce qu’il soit évalué par le docteur Beauregard. Si l’employeur voulait réaffecté le travailleur à des tâches encore plus légères il devait soumettre un nouveau formulaire au médecin traitant pour obtenir son consentement, ce qui n’a pas été fait.
[30] Ainsi, tel qu’il a déjà été décidé par la Commission des lésions professionnelle dans la cause Maheux et Morin Isolation et Toitures ltée[2], le travailleur n’était pas tenu de faire le travail demandé puisqu’il ne respectait plus les restrictions émises par le médecin. D’une part, le travailleur n’avait pas à contester l’assignation en vertu des articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[3] puisqu’il n’est pas en désaccord avec le médecin traitant. Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que le travailleur avait une raison valable de refuser de faire le travail que son employeur lui assigne. La CSST ne pouvait rétroactivement suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu en demandant après coup au docteur Bellazzi des précisions quant aux restrictions retenues.
[31] Dans ce contexte, la lésion du travailleur n’étant toujours pas consolidée, le travailleur avait droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu pour la période du 4 au 14 mars 2005.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Jocelyn Morin, le travailleur;
MODIFIE la décision rendue le 31 mai 2005 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu pour la période du 15 au 26 mars 2005 qui a déjà été versée et également pour la période du 4 au 14 mars 2005.
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Me Monique Lamarre |
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Commissaire |
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