Décision

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CBC/Radio-Canada c. Commission des lésions professionnelles

2014 QCCS 3093

JM2455

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-074612-121

 

 

DATE :

 20 JUIN 2014

 

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE Gary D.D. Morrison, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

CBC/RADIO-CANADA

Requérante

 

c.

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

Intimée

 

et

 

C... B...

            Mise en cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           L’employeur, CBC/Radio-Canada, demande à la Cour d’annuler la décision rendue par la juge administrative de la Commission des lésions professionnelles le 11 octobre 2012, laquelle siégeait en révision d’une décision rendue par la CLP le 20 janvier 2011.

[2]           La décision CLP-1 de 2011 portait sur un moyen préliminaire soulevé par Radio-Canada, à savoir si la réclamation de la travailleuse auprès de la CSST[1] a été déposée hors délai.  Selon la décision CLP-1, la réclamation a été déposée hors du délai de six (6) mois imparti à l’article 270 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP)[2] et donc, n’est pas recevable.

[3]           Dans sa décision en révision (CLP-2 de 2012), la deuxième juge conclut que la première juge a commis une erreur grave, manifeste et déterminante justifiant la révision.  Selon la juge CLP-2, la réclamation de la travailleuse en date du 10 mars 2010, concernant une lésion professionnelle qui serait survenue le 15 septembre 2009, n’a pas été déposée hors délai et donc, elle est recevable.

1-           CONTEXTE FACTUEL

[4]           La travailleuse occupe un poste de maquilleuse, sur appel, à Radio-Canada.

[5]           Entre 2007, l’année de son arrivée en poste, et 2009, la travailleuse a vécu deux (2) arrêts de travail prescrits à la suite d’un diagnostic d’anxiété généralisée et pour un trouble d’adaptation et humeur anxieuse.

[6]           Le 15 septembre 2009, elle avait été convoquée à une rencontre aux bureaux de son employeur à laquelle assistaient son supérieur, deux représentants de son employeur, son représentant syndical et elle-même.

[7]           Pendant la rencontre qui a duré deux (2) heures, des reproches d’ordre disciplinaire auraient été adressés à la travailleuse.

[8]           Quelques jours plus tard, soit le 22 septembre 2009, un médecin pose un diagnostic d’anxiété situationnelle.

[9]           Moins de six (6) mois plus tard, soit le 10 mars 2010, la travailleuse dépose sa réclamation auprès de la CSST, alléguant être victime d’une lésion professionnelle.  La CSST refuse sa réclamation, au motif qu’il ne s’agit pas d’un accident de travail.

[10]        Le 15 juillet 2010, la révision administrative conduite par la CSST maintient la décision initiale.  Le 4 août 2010, la travailleuse dépose à la CLP sa requête par laquelle elle conteste cette décision.

[11]        Le 24 novembre 2010 a lieu une audience devant la CLP portant uniquement sur la question de savoir si la réclamation de la travailleuse a été déposée dans le délai imparti.  Il n’y a pas de témoin, les parties s’en remettant à la preuve documentaire.

[12]        Le 20 janvier 2011, la CLP rend sa décision, CLP-1, laquelle est révisée par la décision CLP-2.

2-           LA POSITION DES PARTIES

[13]        Selon Radio-Canada, par sa décision CLP-2, la CLP a violé la règle audi alteram partem en réécoutant, de sa propre initiative, l’audience tenue devant la juge CLP-1 sans que les parties soient consultées afin de leur permettre de commenter soit la substance, soit le contexte des arguments soulevés lors de l’audition.

[14]        Cette nouvelle appréciation de la preuve, dit l’employeur, équivaut à un appel déguisé et donc, la CLP a excédé sa juridiction.

[15]        Quant au fond de la décision interlocutoire, Radio-Canada plaide que la CLP a erré de façon déraisonnable en concluant à un vice de fond de nature à invalider la décision CLP-1.  Elle a également, selon la requérante, erré de façon déraisonnable en se servant de la date du 15 septembre 2009 comme point de départ pour le calcul du délai et, de plus, en refusant de reconnaître le continuum factuel depuis 2007 établi par la décision CLP-1 afin de déclarer la réclamation de la travailleuse hors délai et donc, non recevable.

[16]        Quant à l’intimée, la CLP, et la mise en cause, la travailleuse, elles contestent la position de l’employeur.

3-           LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[17]        Le Tribunal doit d’abord procéder à l’analyse relative à la norme de contrôle[3].

[18]        En prenant en considération les quatre (4) critères établis par la Cour suprême du Canada au paragraphe 64 de l’arrêt Dunsmuir[4] et, de plus, la jurisprudence québécoise[5] à cet égard, le Tribunal conclut, quant au vice de fond, qu’il s’agit de la norme de contrôle de la décision raisonnable qui s’applique aux décisions de la CLP-2.  Ceci implique que la Cour supérieure doit faire preuve de retenue[6].

[19]        Par contre, en ce qui concerne les règles de l’équité procédurale et de la justice naturelle, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique.

[20]        Cela dit, avant de procéder avec la révision proprement dite, le Tribunal doit décider si, dans le présent cas, une révision judiciaire est appropriée.

4-           L’ANALYSE

[21]        Le point de départ de l’analyse, dans le présent cas, est de rappeler qu’il s’agit de la révision d’une décision interlocutoire sur un moyen préliminaire.

[22]        La Cour d’appel a rappelé, à maintes reprises, la règle selon laquelle les décisions interlocutoires ne peuvent normalement faire l’objet d’une révision judiciaire[7].

[23]        Dans des circonstances exceptionnelles, par contre, la Cour supérieure pourrait intervenir quant à une décision interlocutoire, par exemple quand il s’agit d’un excès de compétence[8], une violation de la règle audi alteram partem[9], et lorsque ce qui est ordonné ne pourra être corrigé au fond[10].

[24]        Radio-Canada plaide que ces exceptions s’appliquent au présent cas.  En conséquence, examinons ces exceptions.

4.1       La violation de la règle audi alteram partem et l’appel déguisé

[25]        La juge, au paragraphe 12 de la décision CLP-2, reconnaît, avec raison, que le recours en révision ne s’apparente pas à un appel et ne doit pas constituer un appel déguisé.

[26]        Au paragraphe 16 de sa décision, la juge dit ce qui suit :

Le Tribunal précise d’emblée avoir procédé à l’écoute de l’audience, plus particulièrement afin de bien identifier ce qui était demandé par la travailleuse et les arguments de chaque partie eu égard au moyen préalable.

[27]        Selon Radio-Canada, la juge aurait dû donner aux parties l’opportunité de faire des représentations.

[28]        Mais des représentations sur quoi précisément?

[29]        La juge, en écoutant l’audience devant la CLP-1, n’a pas entendu de témoignage.  Il n’y en avait pas.

[30]        Elle n’a entendu que les arguments des procureurs, notamment les références à la preuve documentaire.

[31]        Est-ce que la juge CLP-2 a entendu quoi que ce soit par rapport à la preuve qui n’a pas été mentionné dans la décision CLP-1?  Radio-Canada ne nous éclaire pas à ce sujet.

[32]        De plus, quelles représentations auraient faites les parties devant la juge CLP-2 après qu’elle ait écouté l’audition antérieure et qu’elles n’ont pas déjà faites?  Encore une fois, Radio-Canada ne nous éclaire pas.

[33]        Si Radio-Canada croit que la juge CLP-2 a entendu soit de la preuve, soit des arguments qu’elle n’aurait pas dû entendre, c’est à elle, en tant que requérante, d’en faire la démonstration, ce qu’elle n’a pas fait.

[34]        De toute façon, le processus de révision interne de la CLP est prévu à l’article 429.56 LATMP, et telle révision implique que « la Commission révisera au complet le dossier et rendra une décision basée sur le dossier tel que constitué.  Il s’agit d’une révision et non pas d’un appel »[11].

[35]        Le Tribunal est d’avis que, dans les circonstances, l’écoute par la juge CLP-2 de l’audition devant le CLP-1 portant sur un moyen préliminaire ne constitue pas un accroc à la règle audi alteram partem.  Donc, il n’y a pas eu excès de compétence.

4.2       S’agit-il d’une décision qui ne pourra être corrigé au fond?

[36]        La conclusion dont se plaint Radio-Canada porte sur la recevabilité, par la Commission, de la réclamation de l’employée.  La conclusion se lit comme suit :

DÉCLARE recevable la réclamation de la travailleuse pour une lésion psychique alléguée être survenue le 15 septembre 2009 par le fait ou à l’occasion d’un accident du travail et diagnostiquée le 22 septembre 2009.

[37]        Le mot-clé de ladite conclusion est « alléguée ».  Essentiellement, la CLP-2 ne décide pas qu’il y avait une lésion psychique le 15 septembre 2009 mais qu’une telle lésion à cette date, le cas échéant, est recevable.

[38]        Ce sera au juge administratif au fond de décider s’il y a eu une telle lésion à cette date ou non.

[39]        La juge CLP-2 a reconnu que la décision à cet égard appartient au juge administratif saisi du fond du litige.  Elle le dit au paragraphe 84 de sa décision :

(…).  C’est au juge administratif saisi du fond du litige, qu’il reviendra, après avoir pris connaissance de l’ensemble de la preuve, de déterminer si ce n’est toujours qu’une condition préexistante de la travailleuse qui a continué à se manifester à ce moment ou si une lésion, fût-ce une aggravation d’une condition préexistante, est survenue à ce moment, par le fait ou à l’occasion, le cas échéant, d’un accident de travail.

[40]        Autrement dit, s’il ne s’agit pas d’une lésion professionnelle qui est survenue le 15 septembre 2009, le juge administratif assigné au fond du litige pourra décider que la réclamation n’est pas recevable.

[41]        Dans telles circonstances, le Tribunal est d’avis qu’il ne s’agit pas d’une décision interlocutoire qui ne pourra être corrigée au fond.

[42]        Ayant décidé ainsi, le Tribunal n’a pas à intervenir en révision de ladite décision interlocutoire.

            POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[43]        REJETTE la requête introductive d’instance en révision judiciaire de CBC/Radio-Canada;

[44]        LE TOUT, avec dépens.

 

 

__________________________________

Gary D.D. Morrison, J.C.S.

 

 

Me Marie Pedneault

Société Radio-Canada

Procureurs de la Requérante

 

Me Virginie Brisebois

Commission des lésions professionnelles

Procureurs de l’Intimée

 

Me Bruno Boucher

Aide Juridique de Montréal

Procureurs de la Mise en cause

 

 

Date d’audience :

6 septembre 2013

 



[1]     Commission de la santé et de la sécurité du travail.

[2]     RLRQ, c. A-3.001.

[3]     Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190.

[4]     Id.

[5]     Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Fontaine, 2005 QCCA 775; Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Commission des lésions professionnelles, 2013 QCCS 1289.

[6]     Ambellidis c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [2003] C.L.P. 976.

[7]     Cégep de Valleyfield c. Gauthier-Cashman, (1984) C.A. 633; Centre universitaire de santé McGill (CUSM) c. Association des résidents de McGill (ARM), 2010 QCCA 385; Cascades Conversion inc. c. Yergeau, 2006 QCCA 464.

[8]     Cégep de Valleyfield, préc., note 7.

[9]     Syndicat des salariés de Béton St-Hubert - CSN c. Béton St-Hubert inc., 2010 QCCA 2270.

[10]    Id.

[11]    Roberge c. Commission des lésions professionnelles, [2006] C.L.P. 286, par. 10 (C.S.).

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