Ganotec inc. |
2016 QCTAT 1299 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 13 février 2015, l’employeur, Ganotec inc., dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision ou révocation d’une décision rendue par celle-ci le 14 janvier 2015.
[2] Cette décision modifie celle qu’a prononcée la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 3 octobre 2013 à la suite d’une révision administrative et déclare que l’employeur doit être imputé dans une proportion de 7,81 % du coût des prestations dues au travailleur en raison de sa maladie professionnelle reconnue du 11 avril 2013.
[3] L’employeur est représenté à l’audience qui s’est tenue à Salaberry-de-Valleyfield le 3 septembre 2015. L’affaire a été mise en délibéré à cette date.
[4] Le 1er janvier 2016, la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[1] (la LITAT) est entrée en vigueur. Cette loi crée le Tribunal administratif du travail qui assume les compétences de la Commission des relations du travail et de la Commission des lésions professionnelles. En vertu de l’article 261 de cette loi, toute affaire pendante devant la Commission des relations du travail ou devant la Commission des lésions professionnelles, comme c’est le cas en l’espèce, est continuée devant la division compétente du Tribunal administratif du travail, en l’occurrence, ici, la division de la santé et de la sécurité du travail.
[5] La présente décision est donc rendue par le soussigné en sa qualité de membre du Tribunal administratif du travail.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[6] L’employeur demande de réviser la décision rendue le 14 janvier 2015 et de déclarer qu’aucun coût relatif à la maladie professionnelle du travailleur ne doit être imputé à son dossier financier.
LES MOTIFS
[7] Le Tribunal administratif du travail doit décider en l’instance s’il y a matière à réviser ou révoquer la décision du 14 janvier 2015.
[8] Le pouvoir de réviser ou révoquer une décision, auparavant établi par l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi), est désormais prévu à l’article 49 de la LITAT qui se lit comme suit :
49. Le Tribunal peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'il a rendu:
1° lorsque est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie intéressée n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, présenter ses observations ou se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à l'invalider.
Dans le cas visé au paragraphe 3° du premier alinéa, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le membre qui l'a rendu.
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2015, c. 15, a. 49.
[9] Par ailleurs, l’article 51 de la LITAT, lequel remplace l’article 429.49 de la loi, prévoit que la décision du Tribunal est sans appel et réaffirme le caractère exécutoire de la décision rendue. L’extrait pertinent de ce nouvel article se lit comme suit :
51. La décision du Tribunal est sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
[…]
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2015, c. 15, a. 51.
[10] L’article 51 de la LITAT énonce donc clairement le caractère final, exécutoire et sans appel des décisions que le Tribunal prononce. Par cet article, le législateur a voulu assurer la stabilité et la sécurité juridique des décisions rendues par le Tribunal.
[11] L’employeur n’invoque pas en l’espèce la découverte d’un fait nouveau existant lors de l’audition mais qu’il aurait été dans l’impossibilité de fournir et qui serait de nature à modifier la décision rendue. Il ne soulève pas non plus le fait de ne pas avoir été entendu, pour des raisons jugées suffisantes. Il allègue plutôt que la décision est entachée d’erreurs manifestes de fait et de droit équivalant à un vice de fond au sens du 3e paragraphe de l’article 49 de la LITAT.
[12] Vu la très grande similitude entre le texte de l’ancien article 429.56 de la loi et celui de l’actuel article 49 de la LITAT, la jurisprudence que la Commission des lésions professionnelles et les tribunaux supérieurs ont développée à ce sujet continue de s’appliquer.
[13] À ce sujet, l’orientation depuis plusieurs années de la jurisprudence est en ce qu’il doit s’agir d’une erreur de droit ou de fait qui est manifeste et qui a un effet déterminant sur l’objet de la contestation[3].
[14] Dans l’affaire Bourassa[4], la Cour d’appel du Québec énonce la règle applicable en ces termes :
[21] La notion [de vice de fond] est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d’une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.
[22] Sous prétexte d’un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments(4).
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(4) Yves Ouellette. Les tribunaux administratifs au Canada : procédure et preuve. Montréal : Éd. Thémis, 1997. P. 506-508 ; Jean-Pierre Villagi. « La justice administrative », dans École du Barreau du Québec. Droit public et administratif. Volume. 7 (2002-2003). Cowansville : Y. Blais, 2002. P. 113, 127-129.
[15] Par la suite, la Cour d’appel du Québec, dans les arrêts CSST c. Fontaine[5] et CSST c. Touloumi[6], a réitéré qu’une décision attaquée pour le motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision.
[16] La Cour d’appel du Québec n’en est pas demeurée là. Dans l’arrêt Fontaine[7], elle insiste particulièrement sur la primauté ou l’autorité à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative. Siégeant en révision, le Tribunal administratif du travail doit donc faire preuve d’une très grande retenue à l’égard de la décision contestée.
[17] Tout récemment, la Cour supérieure du Québec a résumé à nouveau le rôle du Tribunal en révision dans l’affaire Beaupré-Gâteau c. Commission des relations du travail[8] :
[51] Dans l’arrêt précité Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador, madame la juge Abella, parlant du rôle de la Cour de justice, écrit:
[15] [...] Elle ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen, mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat.
[52] Si une Cour de justice peut « examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat », la CRT, siégeant en révision administrative, peut certes se permettre un tel examen d’autant plus que son rôle est de déterminer si la décision contestée est entachée ou non « d’un vice de fond ou de procédure de nature à l’invalider ».
[53] Comme la CRT le précise elle-même au paragraphe [23] de sa décision, elle doit déterminer si la décision contestée contient une erreur grossière, un accroc sérieux et grave à la procédure, une décision ultra vires, c’est-à-dire rendue sans que la Commission ait eu la compétence pour le faire, une décision rendue en l’absence de preuve ou en ignorant une preuve évidente. II faut aussi que soit démontrée la nécessité d’une correction à cause de ce vice sérieux.
[Notre soulignement.]
[18] En somme, le rôle du Tribunal siégeant en révision et révocation n’est pas de déterminer si le premier juge administratif aurait pu apprécier autrement la preuve[9], mais plutôt si sa décision comporte un vice de fond qui est de nature à l’invalider.
[19] Cela étant dit, qu’en est-il dans le cas sous étude?
[20] Il convient tout d’abord de résumer les faits et les motifs de la décision rendue le 14 janvier 2015 qui sont de nature à expliquer le contexte dans lequel l’employeur en demande la révision et révocation.
[21] La CSST reconnaît le 31 juillet 2013 l’existence d’une surdité professionnelle chez le travailleur, décision que l’employeur contestera jusqu’à la Commission des lésions professionnelles pour finalement se désister de son recours.
[22] Selon des informations fournies par la Commission de la construction du Québec, le travailleur a exercé principalement les métiers de mécanicien de chantier ou de machineries lourdes dans l’industrie de la construction de 1965 à 2006, pour un total de 33 960,70 heures. Plus précisément, chez l’employeur, il a exercé son métier à différentes périodes discontinues, pour un total de 2 516,50 heures.
[23] Le 31 juillet 2013, la CSST impute à l’employeur 8,62 % du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par le travailleur. L’employeur demande la révision administrative de cette décision qui est maintenue, d’où sa requête à la Commission des lésions professionnelles. Il demande qu’aucun coût relatif à la maladie professionnelle du travailleur ne soit imputé à son dossier financier.
[24] L’employeur renonce à la tenue d’une audience et dépose une argumentation écrite, laquelle est appuyée de la politique d’équipements de protection individuelle chez l’employeur datée du 19 août 2011, d’un affidavit signé par le travailleur le 26 août 2014 dans lequel il déclare avoir toujours utilisé des protecteurs auditifs lorsqu’il travaillait pour l’employeur et ajoute qu’il était protégé adéquatement, les fiches techniques des protecteurs auditifs fournis par l’employeur, une fiche résumée publiée par le Worker’s Compensation Board of British Columbia relative aux divers niveaux d’exposition aux bruits, selon différentes catégories d’emplois dans les usines de pâtes et papiers (Pulp Mills) et des données tirées d’Internet provenant de la Stewarth Hearing Health concernant les niveaux de bruit pour des mécaniciens de chantier dans les usines de pâtes et papiers.
[25] La décision du 14 janvier 2015 décide comme suit des prétentions de l’employeur :
[22] L’article 328 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles2 (la loi) établit les règles en matière d’imputation des prestations reliées à une maladie professionnelle. Cet article stipule ce qui suit :
328. Dans le cas d'une maladie professionnelle, la Commission impute le coût des prestations à l'employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer cette maladie.
Si le travailleur a exercé un tel travail pour plus d'un employeur, la Commission impute le coût des prestations à tous les employeurs pour qui le travailleur a exercé ce travail, proportionnellement à la durée de ce travail pour chacun de ces employeurs et à l'importance du danger que présentait ce travail chez chacun de ces employeurs par rapport à la maladie professionnelle du travailleur.
Lorsque l'imputation à un employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle n'est pas possible en raison de la disparition de cet employeur ou lorsque cette imputation aurait pour effet d'obérer injustement cet employeur, la Commission impute le coût des prestations imputable à cet employeur aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités ou à la réserve prévue par le paragraphe 2° de l'article 312.
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1985, c. 6, a. 328.
[23] Le procureur de l’employeur allègue qu’en tenant compte du fait que les protections auditives fournies par l’employeur et utilisées adéquatement par le travailleur réduisent l’exposition au bruit de 24 dB à 33 dB et en tenant compte des données voulant qu’un mécanicien de chantier soit exposé en moyenne à des niveaux de bruit variant de 86 dBA à 98 dBA, le travailleur a été exposé à des niveaux de bruits en dessous de la norme règlementaire prévue au Code de Sécurité pour les travaux de construction3, fixée à 90 dB pour une période de huit heures par jour. Ainsi, le travail exercé par le travailleur chez l’employeur ne peut avoir contribué à sa surdité professionnelle et ce dernier n’a pas à être imputé dans ce dossier.
[24] Au soutien de ses prétentions, le procureur de l’employeur réfère à plusieurs décisions du tribunal, dont certaines concernent le même employeur, qui retiennent que le port de protecteurs auditifs adéquats réduit le niveau d’exposition au bruit et se traduit par l’absence d’exposition à un risque de nature à occasionner un problème de surdité4.
[25] Ces décisions reflètent un certain courant jurisprudentiel. Toutefois, comme le rappelait la soussignée dans l’affaire Montupet5, un autre courant jurisprudentiel, toujours actuel, existe6. Ce courant veut qu’on ne puisse inférer automatiquement du port de protecteurs auditifs la preuve d’une réduction significative d’exposition à un niveau de nature à soustraire un travailleur de tout danger de développer une surdité professionnelle. Ce fait doit être prouvé de manière prépondérante, à la lumière de la preuve administrée dans chaque cas.
[26] La soussignée s’était alors ralliée à cette position qu’elle maintient.
[27] En l’instance, le tribunal constate qu’aucune preuve du niveau de bruit ambiant auquel était exposé le travailleur lorsqu’il œuvrait pour l’employeur n’a été faite.
[28] Le procureur de l’employeur a soumis certaines données concernant le degré d’exposition au bruit à titre de mécanicien de chantier dans des usines de pâtes et papiers, mais il n’y a aucune preuve qui démontre que le travailleur a travaillé dans ce secteur alors qu’il était à l’emploi de l’employeur. Ces données sont donc peu pertinentes.
[29] De plus, des données générales quant au niveau d’exposition au bruit de divers métiers œuvrant dans le domaine de la construction ne constituent pas une preuve suffisante et prépondérante du niveau de bruit réel auquel le travailleur était exposé chez l’employeur.
[30] Le tribunal retient de la preuve que le port de protecteurs auditifs chez l’employeur était obligatoire sur les chantiers. Or, comme le souligne la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Kamtec Service et Ganotec inc.7, « l’obligation de porter des protecteurs auditifs implique nécessairement que le niveau de bruit auquel sont exposés les travailleurs est important ».
[31] Les faits allégués dans l’affidavit du travailleur quant à l’utilisation adéquate des protecteurs auditifs fournis et les fiches signalétiques de ceux-ci indiquant le niveau de réduction du bruit ne constituent également pas une preuve prépondérante pour établir que le travailleur n’était pas exposé à un bruit de nature à causer sa surdité.
[32] À cet égard, la soussignée partage les propos émis par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Ganotec inc.8:
[35] La soussignée souscrit à cette école et estime que l’employeur doit prouver de façon prépondérante que le travailleur n’était pas exposé à un bruit de nature à causer sa surdité alors qu’il était à son service. La seule allégation du port de protecteurs auditifs par le travailleur, ainsi que le dépôt de la fiche signalétique de ceux-ci indiquant qu’ils réduisent le niveau de bruit de 24 à 33 décibels, ne sont pas suffisants pour établir que le travailleur n’était pas exposé à un bruit de nature à causer sa surdité, en l’absence de toutes données sur le bruit réel auquel le travailleur était exposé chez l’employeur.
[36] Finalement, l’affidavit déposé par l’employeur, où le travailleur déclare avoir été adéquatement protégé contre le bruit chez l’employeur, n’est pas suffisant pour écarter l’imputation du dossier de l’employeur.
[37] De même, l’allégation du travailleur selon laquelle le niveau de bruit chez l’employeur était significativement moins élevé que chez les autres employeurs ne peut être retenue. En effet, il ne s’agit pas d’une donnée objective et de plus, le fait que le bruit chez l’employeur était moins important que chez des employeurs précédents ne permet pas de conclure que le bruit auquel le travailleur était tout de même exposé, n’était pas suffisant pour causer une surdité.
[Nos soulignements]
[33] Mais il y a plus.
[34] L’affidavit du travailleur en l’instance présente de fortes similitudes avec des affidavits déposés en preuve dans le cadre d’autres litiges impliquant l’employeur et portant sur l’imputation en matière de surdité professionnelle.
[35] En effet, dans les trois plus récentes décisions déposées par le procureur de l’employeur où l’employeur a eu gain de cause, la Commission des lésions professionnelles rapporte la teneur d’affidavits quasi identiques à celui soumis en l’instance.
[36] Dans la décision Ganotec inc.9 rendue le 8 juillet 2013, il est rapporté ce qui suit :
[21] L'employeur produit également un affidavit signé par le travailleur, dans lequel il affirme qu’il a été à l’emploi de Ganotec Inc. en 1990 et de 2003 à 2009, pour un total de 2970 heures2. Il ajoute qu’au cours de cette période, il a toujours utilisé efficacement et en tout temps les protecteurs auditifs fournis par l'employeur et obligatoires sur ses chantiers. Il affirme que cette protection diminuait significativement le niveau de bruit ambiant auquel il était exposé. Il estime qu’au cours de sa période d’emploi chez Ganotec Inc., il a été protégé adéquatement contre une exposition au bruit de nature à lui occasionner un problème de surdité. Le travailleur affirme enfin que le niveau de bruit chez Ganotec Inc. était significativement moins élevé que chez les autres employeurs pour lesquels il a travaillé, notamment en raison des moyens de protection fournis.
[37] Dans une autre décision rendue à l’égard de l’employeur le 20 juin 201410, la Commission des lésions professionnelles écrit :
[18] Il dépose par ailleurs un affidavit détaillé dans lequel le travailleur déclare le 9 janvier 2014 avoir toujours utilisé des protecteurs auditifs de façon efficace et adéquate. Le travailleur affirme que cette protection diminuait grandement le niveau de bruit ambiant auquel il était exposé. De plus, il confirme que le niveau de bruit perçu chez l’employeur était significativement moins élevé que chez les autres employeurs pour lesquels il a œuvré en raison des moyens de protection fournis par l’employeur.
[38] Dans la troisième décision soumise11, rendue le 29 août 2014, la Commission des lésions professionnelles résume la preuve comme suit :
[14] Le représentant de l’employeur soumet un affidavit du travailleur dans lequel il reconnait que durant toutes les périodes durant lesquelles il a travaillé chez l’employeur, celui-ci fournissait toujours des protecteurs auditifs efficaces dont le port était obligatoire sur ses chantiers.
[15] Il y affirme également avoir toujours utilisé ces protecteurs auditifs de manière efficace et adéquate, ce qui « diminuait significativement le niveau de bruit ambiant auquel j’étais exposé ». Le travailleur mentionne aussi que le niveau de bruit qu’il percevait chez l’employeur était significativement moins élevé que chez les autres employeurs pour lesquels il a travaillé compte tenu des moyens de protection.
[39] Dans la décision Ganotec inc.12, rendue le 3 mai 2013 et citée antérieurement par la soussignée, l’affidavit déposé en preuve était une fois de plus fortement similaire, alors que le Commission des lésions professionnelles rapporte :
[17] Le travailleur signe, le 21 janvier 2013, un affidavit dans lequel il est mentionné qu’il a toujours utilisé les protecteurs auditifs fournis par l’employeur de manière efficace et adéquate et que ceux-ci réduisaient le niveau du bruit ambiant. Il écrit également que le niveau de bruit chez cet employeur était moins élevé que chez les autres employeurs.
[40] Il en est de même dans une récente décision rendue le 3 octobre 201413.
[16] Au soutien de son argumentation, l'employeur produit un affidavit (E-1) signé par le travailleur dans lequel il affirme qu’il a exercé le métier de mécanicien de chantier et de contremaître pendant 32 ans, dans le domaine de la construction. Le travailleur affirme qu’entre 1981 et 1994, il a cumulé 3731 heures dans l’industrie de la construction, mais hors décret. Par ailleurs, il confirme les heures travaillées qui apparaissent à l’Historique des heures travaillées dans le domaine de la construction.
[17] Le travailleur affirme dans sa déclaration que durant toutes les périodes durant lesquelles il a travaillé pour l'employeur, ce dernier a toujours fourni des protecteurs auditifs efficaces dont le port était obligatoire. Il affirme de plus qu’il a toujours utilisé ces protecteurs de manière efficace et adéquate et que cette protection diminuait significativement le niveau de bruit ambiant auquel il était exposé. Il déclare qu’il s’estimait adéquatement protégé contre une exposition au bruit de nature à lui occasionner un problème de surdité.
[18] Enfin, le travailleur affirme que le niveau de bruit perçu chez l'employeur était significativement moins élevé que chez d’autres employeurs.
[41] La soussignée estime que l’étonnante similitude des faits mise en preuve par affidavits dans diverses causes impliquant l’employeur ne peut relever de la simple coïncidence et soulève de sérieux questionnements quant à la valeur probante à accorder à une telle preuve.
[42] D’ailleurs, très récemment la Commission des lésions professionnelles14 s’est prononcée sur la valeur probante d’un affidavit fort similaire à celui déposé en l’instance. Elle conclut que l’affidavit semble, de toute évidence, avoir été préparé par les représentants des employeurs et qu’il ne s’agissait pas d’un témoignage franc, direct et spontané du travailleur. Plus particulièrement, elle écrit :
[21] Au soutien de sa requête, l’employeur dépose un affidavit assermenté du travailleur. Voici ce qu’en retient le tribunal :
• Le travailleur a exercé pendant 40 ans chez plusieurs employeurs différents le métier de grutier et de mécanicien de machinerie lourde pour un total de 60 085,10 heures;
• Tableau à l’appui, le travailleur déclare avoir travaillé 9123,70 heures chez l’employeur Kiewit. Le même tableau avec les mêmes chiffres est reproduit pour l’employeur Parsons. Le représentant des employeurs déclare à ses représentations écrites qu’une erreur s’est glissée à l’affidavit du travailleur. Chez l’employeur Parsons, on devrait plutôt lire 4829,60 heures comme l’indique la CCQ;
• Selon le travailleur, les employeurs Kiewit et Parsons fournissaient toujours des protecteurs auditifs sous forme de bouchons ou coquilles. Il ajoute avoir toujours utilisé de manière efficace et adéquate ces protecteurs. Enfin, il déclare que les protecteurs diminuaient de façon significative le bruit ambiant et que le bruit qu’il « percevait » chez les employeurs en l’instance était « significativement moins élevé » que chez les autres employeurs.
[22] Ce que ne dit pas le travailleur, c’est le type d’emploi qu’il occupait précisément chez les employeurs au présent dossier ni le type d’équipement utilisé. Il ne dit pas non plus la différence entre le type de protection utilisé chez les employeurs au dossier par rapport à ceux utilisés chez les autres employeurs. Enfin, il ne dit pas si chez les employeurs en l’instance il portait seulement les protecteurs « dans les moments les plus bruyants » comme le rapporte la docteure Gauthier.
[23] L’employeur a décidé de procéder par écrit et de déposer un affidavit pour valoir de témoignage pour le travailleur. C’est son choix. Par ailleurs, cet affidavit a, de toute évidence, été préparé par les représentants de l’employeur puisque la même information et les mêmes tableaux qu’à l’argumentation s’y retrouvent. De plus, le travailleur n’a pas porté une grande attention à son contenu puisqu’il ne constate pas l’erreur flagrante aux heures qu’il affirme avoir exécutées pour l’employeur Parsons. Il ne s’agit donc pas d’un témoignage spontané, franc et direct.
[24] L’information contenue à l’affidavit est également parcellaire. Le travailleur déclare simplement que l’information contenue à l’affidavit est vraie. Il ne déclare aucunement qu’il s’agit d’un juste reflet de sa réalité par rapport à son exposition au bruit depuis 1971, le seul élément qui intéresse pourtant le tribunal. Pour l’ensemble de ces motifs, le tribunal accorde peu de force probante au témoignage du travailleur contenu à son affidavit.
[...]
[26] De façon globale, le tribunal ne voit aucune distinction entre le bruit auquel aurait été exposé le travailleur depuis 1971 par rapport à celui présent depuis 2007 chez les employeurs au présent dossier. Le seul fait d’affirmer que les protecteurs diminuaient de façon significative le bruit ambiant et de façon significativement plus efficace est insuffisant. Il s’agit d’une affirmation du travailleur hautement suggestive qui décrit une réalité partielle et dirigée, donc sans valeur probante.
[Nos soulignements]
[43] La soussignée abonde dans le même sens.
[44] L’affidavit du travailleur en l’instance, qui réfère en annexe aux fiches signalétiques des protecteurs auditifs utilisés, a vraisemblablement été préparé par les représentants de l’employeur.
[45] Certaines affirmations contenues dans cet affidavit, qui vaut témoignage, sont ni plus ni moins un calque d’affirmations se retrouvant dans des affidavits produits dans d’autres dossiers de la Commission des lésions professionnelles impliquant le même employeur dans le cadre de mêmes litiges.
[46] Considérant l’ensemble de ces éléments, la Commission des lésions professionnelles conclut qu’il ne s’agit pas d’un témoignage franc, direct et spontané de la part du travailleur, mais plutôt d’un témoignage partiel et dirigé dans le but précis de permettre à l’employeur d’obtenir gain de cause. Ainsi, le tribunal accorde très peu de valeur probante à cette preuve.
[47] Pour ces motifs, la Commission des lésions professionnelles estime que l’employeur n’a pas démontré, par une preuve prépondérante, que l’exposition au danger était différente chez lui que chez les autres employeurs pour qui le travailleur a exercé le métier de mécanicien de chantier. La règle de la proportionnalité du temps travaillé chez chacun des employeurs sans égard au danger doit donc être privilégiée pour procéder au partage de l’imputation du coût des prestations reliées à la réclamation du travailleur.
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2 RLRQ, c. A-3.001.
3 RLRQ, c. S-2.1, r. 4.
4 Ganotec inc., C.L.P. 384847-63-0907, 14 octobre 2010, L. Morissette; Entretien Paramex inc. C.L.P. 423815-62A-1011, 12 juillet 2011, C. Burdett; Ganotec inc. et Grégoire, C.L.P. 427158 - 04B-1012, 25 octobre 2011, M. Auclair; Ganotec inc., 2013 QCCLP 90; Ganotec inc., 2014 QCCLP 3620; Ganotec inc., 2014 QCCLP 4911.
5 2012 QCCLP 7428.
6 Voir notamment Ganotec inc., 2013 QCCLP 2547; Bonduelle Canada inc., 2014 QCCLP 3917; Groupe Hexagone, 2014 QCCLP 4854; Gastier M.P. inc., 2014 QCCLP 4848; Ganotec inc., 2014 QCCLP 5546; Grue PG-Kiewit, 2014 QCCLP 6733.
7 2012 QCCLP 5564.
8 2013 QCCLP 2547.
9 2013 QCCLP 90.
10 2014 QCCLP 3620.
11 2014 QCCLP 4911.
12 2013 QCCLP 2547.
13 2014 QCCLP 5546.
14 Grue PG-Kiewit, 2014 QCCLP 6733.
[26] Ceci étant dit, qu’en est-il des motifs de révision soulevés par l’employeur?
[27] L’employeur reproche tout d’abord à la première juge administrative de lui imposer un fardeau de preuve supérieur à celui de la « balance des probabilités » lorsqu’elle déclare au paragraphe 27 de sa décision « que le tribunal constate qu’aucune preuve du niveau de bruit ambiant auquel était exposé le travailleur lorsqu’il oeuvrait pour l’employeur n’a été faite ».
[28] L’employeur soulève ici que cette conclusion lui impose un fardeau de preuve supérieur à celui de la « balance des probabilités » voire un fardeau de preuve impossible à surmonter puisque faire cette preuve impliquerait que l’employeur fournisse des études de bruit au sujet de chantiers qui sont terminés depuis longtemps. Il serait injuste de lui exiger une telle preuve de niveaux de bruit sur ses chantiers alors que les travailleurs n’ont pas l’obligation de produire de telles études de bruit spécifiques pour se voir reconnaître l’existence d’une surdité professionnelle, n’ayant qu’à « faire une démonstration raisonnable par une preuve de reconnaissance générale du milieu de travail, autant que cette preuve soit appuyée sur des données indépendantes reconnues et non seulement sur de simples allégations »[10].
[29] Selon l’employeur, l’imposition dans le cas présent d’un fardeau de preuve plus exigeant que la « balance des probabilités » constitue une erreur manifeste et déterminante assimilable à un vice de fond.
[30] Le Tribunal siégeant en révision et révocation convient avec l’employeur que le fait par un décideur d’imposer à une partie un fardeau de preuve supérieur à celui qu’il doit satisfaire peut constituer une erreur de droit manifeste et déterminante et donc révisable[11].
[31] Ce n’est toutefois pas le cas en l’instance.
[32] La première juge administrative déclare au paragraphe 27 de sa décision qu’il y a absence de preuve à l’égard du niveau de bruit ambiant auquel était exposé le travailleur lorsqu’il travaillait chez l’employeur. Ce n’est pas là exiger un fardeau de preuve impossible à surmonter; la jurisprudence[12] reconnaît l’utilité, voire la nécessité pour un employeur qui veut se voir exonéré de toute imputation d’établir, par une preuve prépondérante, l’impact de l’exposition à des bruits excessifs ou élevés chez lui et chez les autres employeurs du travailleur. C’est ce que précise l’article 328 de la loi lorsqu’il y est question de « l’importance du danger que présentait ce travail chez chacun de ces employeurs par rapport à la maladie professionnelle du travailleur » [nos soulignements].
[33] L’employeur ajoute que la première juge administrative a également tort d’affirmer qu’il y a absence totale de preuve sur les niveaux d’exposition au bruit auxquels le travailleur aurait été exposé dans le cadre de son emploi puisque deux études de bruit non contredites ont été produites pour des emplois similaires, dans des milieux de travail similaires. Même si elles ne sont pas spécifiques à chacun des chantiers sur lesquels le travail a œuvré pour l’employeur, ces études demeurent pertinentes et probantes et auraient dû être considérées.
[34] Ce reproche n’est pas fondé. Aux paragraphes 28 et 29 de sa décision, la première juge administrative discute de ces études et, pour des motifs suffisants, s’en déclare insatisfaite. Il s’agit donc ici d’une question d’appréciation de la preuve. Le Tribunal siégeant en révision et révocation ne saurait substituer son interprétation à celle retenue par la première juge administrative, au risque de commettre lui-même une erreur révisable[13].
[35] Le troisième motif de révision soulevé par l’employeur concerne deux erreurs manifestes et déterminantes que la première juge administrative aurait commises dans l’appréciation de la valeur probante de l’affidavit du travailleur.
[36] L’employeur plaide tout d’abord que l’affidavit du travailleur est non contredit. Si la première juge administrative doutait de sa valeur probante, il lui était loisible de convoquer le travailleur à une audience. À défaut de l’avoir fait, les affirmations du travailleur dans son affidavit demeurent non contredites.
[37] De l’avis du Tribunal siégeant en révision et révocation, ce reproche est sans fondement.
[38] Rappelons ici que l’employeur, de sa propre initiative, a renoncé à la tenue d’une audience et a préféré procéder sur dossier par écrit, comme le lui permettait l’ancien article 429.15 de la loi, devenu maintenant l’article 35 de la LITAT qui se lit comme suit :
35. Avant de rendre une décision, le Tribunal permet aux parties de se faire entendre par tout moyen prévu à ses règles de preuve et de procédure. Il peut toutefois procéder sur dossier s’il le juge approprié et si les parties y consentent.
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2015, c. 15, a. 35.
[39] L’employeur produit donc un affidavit du travailleur dans lequel celui-ci déclare essentiellement avoir utilisé efficacement les protecteurs auditifs obligatoires fournis par l’employeur et estimant avoir été protégé adéquatement contre une exposition au bruit de nature à lui occasionner un problème de surdité.
[40] Or, dans sa décision du 14 janvier 2015, la première juge administrative rejette cette preuve comme n’étant pas prépondérante, déclarant au paragraphe 32 de sa décision partager ici les propos tenus par la Commission des lésions professionnelles dans une affaire similaire dont elle cite des propos jugés pertinents. Le Tribunal siégeant en révision et révocation ne saurait ici substituer son interprétation à celle retenue par la première juge administrative, au risque de commettre lui-même une erreur révisable[14].
[41] L’employeur soulève toutefois que la première juge administrative devait tenir compte de cet affidavit non contredit.
[42] À ceci, il y a lieu de rappeler la décision rendue dans l’affaire Entretien Paramex inc.[15] voulant que « le fait qu’un juge administratif soit appelé à décider sur la base du dossier constitué ne l’empêche pas d’apprécier la force probante de la preuve qui lui est faite ». C’est ce qu’a fait ici la première juge administrative qui se déclare insatisfaite de la preuve par affidavit présentée. Au surplus, comme mentionné dans cette décision, « […] ce n’est pas parce qu’une preuve n’est pas contredite qu’elle est nécessairement prépondérante. L’analyse de sa force probante demeure nécessaire. D’autre part, il est difficile que la preuve soit contredite alors que les employeurs transmettent un affidavit, avisent qu’ils seront absents et demandent au Tribunal de procéder sur dossier ».
[43] Si elle était insatisfaite de la preuve par affidavit déposée par l’employeur, la première juge administrative devait-elle, comme le prétend l’employeur, rouvrir l’enquête pour y faire entendre le travailleur? Le Tribunal siégeant en révision et révocation ne le croit pas.
[44] Comme mentionné auparavant, l’employeur a préféré soumettre une preuve par affidavit plutôt que de procéder dans le cadre d’une enquête et d’audition. C’est là un choix qu’il a assumé en toute connaissance de cause, prenant le risque que cette preuve soit déclarée insatisfaisante par le juge administratif appelé à la considérer. Dans ce cadre précis, il ne revenait donc pas à la première juge administrative de bonifier ou de parfaire cette preuve en rouvrant l’enquête pour recueillir le témoignage du travailleur. La réouverture d’enquête n’a pas pour but de constituer une seconde chance pour une partie de parfaire sa preuve[16].
[45] Le Tribunal siégeant en révision et révocation aurait probablement été plus sensible à l’argument de l’employeur si sa contestation avait été rejetée pour cause d’avoir présenté ou offert une preuve sur un élément de fait dont démonstration devait être établie et qui ne l’aurait pas été. En effet, le Tribunal siégeant en révision et révocation est d’avis qu’un juge doit signaler aux parties toute lacune qu’il constate dans la preuve ou dans la procédure et permettre qu’elle soit comblée aux conditions qu’il détermine[17]. Si un élément qui doit être prouvé ne l’a pas été, il doit en aviser la partie. Libre ensuite à elle d’agir ou non.
[46] Ce n’est manifestement pas le cas en l’espèce. L’employeur a choisi un moyen de preuve, la production d’un affidavit, sur des éléments de faits qu’il devait démontrer, mais la première juge administrative s’en est déclarée insatisfaite.
[47] Comme motif sous-jacent de révision, l’employeur fait par la suite grand cas des paragraphes 34 à 46 de la décision de la première juge administrative qui se livre à une analyse comparative de la teneur d’affidavits similaires de travailleurs qui ont été produits par l’employeur dans d’autres dossiers de demandes d’imputation reliées à des cas de surdité professionnelle. Il fait valoir que la première juge administrative a ainsi importé et analysé dans le présent dossier des éléments de preuve déposés dans d’autres dossiers alors qu’elle devait rendre sa décision à partir de la seule preuve faite devant elle. Ceci constituerait une erreur révisable.
[48] Or, le Tribunal siégeant en révision et révocation est d’avis que les paragraphes 34 à 46 constituent tout au plus un obiter dictum. En effet, même si cette longue partie de la décision devait en être absente, le lecteur avisé comprendrait que la première juge administrative a déjà, aux paragraphes précédents 31 et 32 de sa décision, décidé de la valeur probante à accorder à l’affidavit. En effet, après avoir déclaré faire siens les propos tenus dans l’affaire Ganotec inc.[18] voulant que l’affidavit du travailleur soit insuffisant, la première juge administrative écrit au paragraphe 33 de sa décision : « Mais il y a plus » et procède à l’analyse des affidavits de travailleurs versés dans d’autres dossiers. C’est donc dire que les propos qui précèdent aux paragraphes 31 et 32 sont suffisants pour emporter la décision et que le reste de celle-ci, jusqu’au paragraphe 46 de la décision, constitue une longue réflexion qui n’a pas d’impact sur le ratio decidendi, la raison de la décision qui est établie aux paragraphes 31 et 32 de la décision.
[49] Or, il n’y a pas lieu de réviser une décision en raison d’un texte qui est de la nature d’un obiter dictum[19].
[50] De toute manière, la première juge administrative ne fait qu’ici le constat dans sa décision, à partir majoritairement de la jurisprudence qui a été déposée par le présent employeur, faut-il le rappeler, et dans une autre qu’elle a consultée[20], de l’existence d’affidavits similaires à celui qu’elle a sous étude et avait certes le droit de commenter cette jurisprudence et de l’analyser car c’est en fonction de cette jurisprudence faisant état d’affidavits similaires à celui qui a été produit que l’employeur l’a déposée. Il n’y avait rien d’inusité pour la première juge administrative d’agir de cette façon.
[51] En effet, la première juge administrative avait certes le droit de se livrer à cet exercice d’évaluation de la jurisprudence qui lui a été déposée, impliquant des affidavits similaires. Le rôle d’un juge administratif n’est pas de faire acte de foi sur ce qui lui est produit comme jurisprudence et de l’appliquer aveuglément aux faits mis en preuve. Il a certes le droit d’alimenter ou d’approfondir sa réflexion par ses propres recherches jurisprudentielles, de l’analyser et d’en tirer les conclusions qui lui semblent appropriées. C’est ce qu’a précisément fait la première juge administrative et nul ne saurait lui en tenir rigueur, sauf évidemment l’employeur qui lui reproche au fond d’avoir rendu une décision contraire à celle qu’il recherchait, pensant que la preuve unique qu’il offrait allait suffire à lui donner raison.
[52] Demeure finalement à décider du troisième motif de révision avancé par l’employeur selon lequel la décision attaquée va totalement à l’encontre du principe de proportionnalité mis de l’avant par le législateur et les tribunaux.
[53] En soumettant une argumentation écrite, appuyée de pièces et de jurisprudence, l’employeur dit avoir géré efficacement sa preuve ainsi que le temps du Tribunal et celui du travailleur, dans le principe de proportionnalité et avec un souci d’efficacité. Or, si la décision du 14 janvier 2015 était maintenue, son impact serait de monopoliser les ressources du Tribunal, de faire déplacer toutes les parties et leurs représentants et d’entraîner des frais plus importants pour toutes les parties, y compris le Tribunal.
[54] L’employeur renchérit que les coûts inhérents à la présentation d’une preuve dans la manière prescrite par la décision équivaudraient à le priver de l’accès à la justice. En effet, soutient-il, ils seraient démesurément supérieurs aux impacts financiers résultant d’une décision d’imputation en matière de surdité, le tout se traduisant par un déni de justice.
[55] Le Tribunal siégeant en révision et révocation ne saurait partager le point de vue de l’employeur.
[56] Le Tribunal siégeant en révision et révocation, tout comme dans l’affaire Morin et Aéroport de Montréal - Dorval[21], convient de cette préoccupation de proportionnalité « pour que la justice administrative soit plus rapide, moins chère et plus facile d’accès ».
[57] Ceci étant, la règle de la proportionnalité qui vise essentiellement à « doser l’effort en fonction de l’enjeu »[22] ne saurait en aucun temps dispenser une partie de se décharger de son fardeau de preuve. Rien dans la décision rendue n’impose à l’employeur des moyens disproportionnés dans la façon de satisfaire le fardeau de preuve qui lui incombe. Ce n’est pas parce qu’il a préféré procéder sur dossier, en produisant des documents et de la jurisprudence, plutôt que de se présenter en audience que ses prétentions n’ont pas été retenues, mais plutôt parce que la preuve prépondérante des faits qu’il avait à démontrer n’a pas été faite.
[58] À la lumière de tout ce qui précède, le Tribunal siégeant en révision et révocation estime donc qu’il n’a pas ici à intervenir dans la décision rendue par la première juge administrative. Elle n’a rien d’arbitraire, elle ne témoigne d’aucune erreur de droit ou de fait manifeste et déterminante et n’apparaît pas, pour reprendre les propos de l’honorable juge Beetz de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Blanchard c. Control Data Canada ltée[23], « clairement abusif, manifestement injuste, contraire au sens commun et sans aucun fondement dans l’ensemble de la preuve ».
[59] Le juge administratif qui siège en révision et révocation n’a pas à se demander s’il est d’accord ou non avec la décision rendue. Le rôle qui est dévolu au juge administratif réviseur est plutôt de vérifier si une erreur manifeste et déterminante a été commise dans la décision attaquée et si l’appréciation de la preuve soumise est irrationnelle et fait échec au bon sens, de nature à créer un déni de justice.
[60] Ce n’est pas le cas en l’espèce et la requête en révision et révocation ne fait donc ici aucune démonstration probante d’un vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision du 14 janvier 2015.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
REJETTE la requête en révision et révocation présentée par Ganotec inc.
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Bernard Lemay |
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Me Éric Thibaudeau |
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LANGLOIS KRONSTRÖM DESJARDINS |
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Pour la partie demanderesse |
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Date de l’audience : 3 septembre 2015 |
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[1] RLRQ, c. T-15.1.
[2] RLRQ, c. A-3.001.
[3] Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve [1998] C.L.P. 733; Franchellini et Sousa [1998] C.L.P. 783.
[4] Bourassa c. Commission des lésions professionnelles [2003] C.L.P. 601 (C.A.).
[5] [2005] C.L.P. 626 (C.A.).
[6] [2005] C.L.P. 921 (C.A.).
[7] Précitée, note 5.
[8] 2015 QCCS 1430.
[9] Plomb c. Turcotte, 2012 QCCS 2542.
[10] Formco inc. et Albert, C.A.L.P. 68668-04-9504, 9 février 1996, J.-M. Dubois.
[11] Côté et Interballast inc., [2000] C.L.P. 1125.
[12] Autobus du Village, 2013 QCCLP 308 (révision rejetée, 2013 QCCLP 4962).
[13] Couture et Les Immeubles Jenas, [2004] C.L.P. 366.
[14] Ibid.
[15] 2011 QCCLP 5462.
[16] Forage Orbit inc. et Cogesis inc., C.L.P. 214956-08-0308, 27 octobre 2014, P. Prégent (révision rejetée, 2 mars 2005, J.-M. Dubois, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Val-d'Or, 615-17-000253-053, 5 avril 2007, j. Guertin).
[17] Girard c. Gariépy, [1975] C.A. 706, 707.
[18] 2013 QCCLP 2547.
[19] Concordia Construction inc. et C.S.N. Construction Montréal, C.L.P. 224947-72-0312, 8 novembre 2004, B. Roy.
[20] Paragraphe 42 de la décision, note de bas de page 14.
[21] 2010 QCCLP 7918.
[22] Audace Technologies Inc. c. Canimex Inc., [2006] J.Q. no 33 (C.S.).
[23] [1984] 2 R.C.S. 476.
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