[1] L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 18 juillet 2013 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Carole Hallée), qui a rejeté sa demande d’autorisation d’exercer un recours collectif, avec dépens.
[2] Pour les motifs de la juge Bélanger, auxquels souscrivent les juges Morin et Giroux;
LA COUR :
[3] ACCUEILLE l’appel, avec dépens;
[4] INFIRME le jugement de première instance;
[5] AUTORISE l’exercice du recours collectif, frais à suivre;
[6] ATTRIBUE à Raymond Lévesque le statut de représentant aux fins d'exercer le recours collectif pour le compte du groupe formé des personnes physiques suivantes :
Toutes les personnes physiques qui sont ou étaient abonnées aux services de télédistribution numérique offerts par Vidéotron et qui, entre le 1er février 2009 et le 13 juin 2011, ont utilisé le service Illico sur demande (le « canal 900 ») et ont commandé au moins une fois du contenu payant sous la rubrique « Films pour adultes, Torride »;
[7] IDENTIFIE comme suit les principales questions en litige :
1. Vidéotron a-t-elle diffusé des messages publicitaires non conformes à ses services en contravention avec l'article 41 de la Loi sur la protection du consommateur?
2. Les représentations faites par Vidéotron quant à la durée de location du contenu classé sous la rubrique « Films pour adultes, Torride » sont-elles fausses ou trompeuses en contravention avec l'article 219 de la Loi sur la protection du consommateur?
3. Vidéotron a-t-elle passé sous silence un fait important en ne mentionnant pas dans ses messages publicitaires que la durée de location du contenu classé sous la rubrique « Films pour adultes, Torride » n'était pas de 24 heures et pouvait varier, le tout en contravention avec l'article 228 de la Loi sur la protection du consommateur?
4. Les agissements de Vidéotron constituent-ils du dol ayant eu pour effet de vicier le consentement du requérant et des membres du Groupe au sens des articles 1400 et 1401 du Code civil du Québec?
Dans l’affirmative à l'une ou l'autre de ces questions et en vertu de l'article 272 de la Loi sur la protection du consommateur ou de l'article 1407 du Code civil du Québec :
5. Le requérant et les membres du Groupe ont-ils droit à la résiliation de leurs commandes de contenu classé sous la rubrique « Films pour adultes, Torride » ou, subsidiairement, à une réduction de leurs obligations pour le contenu commandé sous cette rubrique? Dans l'affirmative, de quelle façon ces dommages doivent-ils être calculés?
6. Le requérant et les membres du Groupe ont-ils droit à des dommages moraux et, dans l'affirmative, de quelle façon ces dommages doivent-ils être calculés?
7. Le requérant et les membres du Groupe ont-ils droit à des dommages punitifs et, dans l'affirmative, quel montant doit-il leur être octroyé à ce titre?
[8] IDENTIFIE comme suit les conclusions recherchées qui s'y rattachent :
ACCUEILLIR l'action en recours collectif du requérant et des membres du Groupe contre Vidéotron;
RÉSILIER les commandes de contenu classé sous la rubrique « Films pour adultes, Torride » effectuées par le requérant entre le 1er février 2009 et le 13 juin 2011;
CONDAMNER Vidéotron à payer au requérant la somme de 313,07 $, taxes incluses, en remboursement de ce qu'il a payé pour les commandes résiliées, le tout avec l'intérêt légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, à compter de l'assignation;
SUBSIDIAIREMENT, CONDAMNER Vidéotron à payer au requérant la somme de 195,83 $, taxes incluses, en réduction de ses obligations à la suite des commandes de contenu effectuées sous la rubrique « Films pour adultes, Torride » entre le 1er février 2009 et le 13 juin 2011, le tout avec l'intérêt légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, à compter de l'assignation;
RÉSILIER les commandes de contenu classé sous la rubrique « Films pour adultes, Torride » effectuées par les membres entre le 1er février 2009 et le 13 juin 2011;
CONDAMNER Vidéotron à rembourser à chacun des membres ce qu'il a payé à Vidéotron pour les commandes résiliées, le tout avec l'intérêt légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, à compter de l'assignation;
SUBSIDIAIREMENT à la résiliation des commandes, CONDAMNER Vidéotron à payer à chacun des membres du Groupe les sommes qui seront établies en fonction des paramètres décidés par la Cour en réduction de leurs obligations, le tout avec l'intérêt légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, à compter de l'assignation;
CONDAMNER Vidéotron à payer au requérant et aux membres du Groupe la somme de 5 000 000 $ à titre de dommages punitifs, le tout avec l'intérêt légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, à compter de l'assignation;
ORDONNER le recouvrement collectif de ces réclamations;
LE TOUT avec dépens, y compris les frais d'avis.
[9] DÉFÈRE le dossier au juge en chef de la Cour supérieure pour détermination du district dans lequel le recours collectif devra être exercé et la désignation de la juge ou du juge qui sera chargé de la gestion du dossier;
[10] DÉFÈRE les autres demandes de l’appelant, y compris la question de la publication de l’avis aux membres et du délai d’exclusion, à la juge ou au juge qui sera chargé de la gestion du dossier.
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MOTIFS DE LA JUGE BÉLANGER |
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[11] Le pourvoi soulève la question de l’application du critère du paragraphe 1003 d) du Code de procédure civile et de la démonstration de compétence qu’un requérant doit faire pour se voir octroyer le statut de représentant. Le refus d’autoriser un recours collectif, fondé sur le pouvoir discrétionnaire du juge d’appliquer la règle de la proportionnalité, est aussi abordé.
[12] Quoique les intimées remettent en cause l’appréciation de la juge concernant les paragraphes 1003 b) et 1003 c) C.p.c., il n’y a pas lieu de revoir les déterminations de la juge sur ces aspects, car elles sont exemptes d’erreur. La juge a bien apprécié le droit et c’est à l’étape du fond que l’on doit vérifier si les faits soutiennent le droit réclamé.
[13] L’appelant requiert l’autorisation d’exercer un recours collectif et l’attribution du statut de représentant pour le compte des personnes faisant partie du groupe suivant :
Toutes les personnes physiques qui sont ou étaient abonnées aux services de télédistribution numérique offerts par les intimées et :
§ qui utilisent ou utilisaient le service Illico sur demande (ci-après appelé le « canal 900 ») et qui ont commandé au moins une fois du contenu payant sous la rubrique « Films pour adultes, Torride » depuis le 1er février 2009 ou depuis la date effective à laquelle il y a eu diminution de la durée de location de vingt-quatre (24) heures, si postérieure au 1er février 2009;
[14] Pour l’essentiel, l’appelant allègue que les intimées Vidéotron contreviennent aux articles 41, 219 et 228 de la Loi sur la protection du consommateur[1] parce que le message diffusé sur le service Illico sur demande (« au canal 900 ») et ailleurs dans les documents informatifs indique que la durée de location des films commandés est de 24 heures, ce qui serait erroné en ce qui concerne les « Films pour adultes - Torride ». Pour ceux-ci, la durée de location varierait entre 9 et 18 heures, information que le consommateur ne peut obtenir qu’en utilisant certains chemins de navigation sur l’interface du « canal 900 ».
[15] L’appelant allègue que la durée de location est importante pour lui, car il peut choisir de louer ce type de contenu à une heure qui lui permettra de le visionner de nouveau à l’intérieur de la période de 24 heures, sans frais supplémentaires. Il réclame donc la résiliation des contrats de location intervenus et le remboursement des sommes payées ou, subsidiairement, une diminution du prix payé. Il réclame également des dommages punitifs.
[16] Le recours qu’il propose est également fondé sur le fait que son consentement a été vicié par le dol, au sens des articles 1400 et 1401 du Code civil du Québec, et que l’erreur qui en a résulté donne ouverture à l’application de l’article 1407 C.c.Q.
[17] L’appelant n’est toutefois pas en mesure de spécifier quand Vidéotron a modifié la durée de location des « Films pour adultes - Torride ». L’appelant a cessé de louer ce type de contenu de Vidéotron, à une date indéterminée.
[18] La juge s’est dit d’avis que les critères des paragraphes 1003 a), b) et c) C.p.c. sont remplis.
[19] Elle refuse cependant l’autorisation d’exercer un recours collectif pour les motifs suivants :
[94] Avant d’être reconnu comme représentant du groupe, le Tribunal souligne que le membre désigné doit démontrer qu’il a effectué une enquête raisonnable sur l’objet du recours, qu’il peut fournir une estimation des personnes visées par le groupe, et qu’il est en mesure de diriger les démarches requises pour son exercice24.
[95] Lévesque n’a pas mené d’enquête et n’a pas cherché à trouver d’autres abonnés ayant une situation similaire à la sienne. Lévesque se contente de dire qu’il ne connaît pas et ne peut connaître l’identité des personnes qui pourraient être membres du Groupe.
[96] Lévesque n’a pas non plus fourni une estimation des personnes lésées. Le fait qu’il y ait un nombre élevé d’abonnés au service de Vidéotron, dispersés sur le territoire du Québec, ne peut constituer une justification à toute absence de démarche25.
[97] Le Tribunal estime que Lévesque n’a pas fait la démonstration qu’il peut être un représentant adéquat du Groupe.
5. Conclusion
[98] Les conditions énoncées à l’article 1003 C.p.c. étant cumulatives, le défaut de satisfaire à une seule d’entre elles entraîne le rejet de la requête. Bien que le Tribunal ait conclu que Lévesque avait rencontré les conditions de l’article 1003 b), a) et c) C.p.c., il n’a pas satisfait la condition de l’article 1003 d).
[99] Par ailleurs, le Tribunal fait siens les propos de la Cour d’appel dans l’affaire Lallier26 et conclut qu’en présence d’un recours envisagé périlleux, le Tribunal doit exercer son pouvoir discrétionnaire en tenant compte du principe de la proportionnalité :
« (…)
[42] L’exercice d’un recours collectif entraîne des coûts importants et ne doit pas être intenté à la légère. Son autorisation doit satisfaire le critère de proportionnalité que le législateur a maintenant codifié à l’article 4.2 C.p.c. :
4.2. Dans toute instance, les parties doivent s'assurer que les actes de procédure choisis sont, eu égard aux coûts et au temps exigés, proportionnés à la nature et à la finalité de la demande et à la complexité du litige; le juge doit faire de même à l'égard des actes de procédure qu'il autorise ou ordonne.
[43] Celui que cherche à entreprendre le requérant est périlleux à sa face même en raison des sérieuses lacunes qui affectent le syllogisme développé dans la requête. À mon avis, autoriser son exercice contreviendrait à l’exigence de l’article 4.2 C.p.c. appréciée en conjonction avec celle du paragraphe b) de l’article 1003 C.p.c. (…) »
[100] Enfin, en matière de recours collectif, la Cour suprême27 invite le Tribunal à ne pas faire abstraction du principe de la proportionnalité énoncé par l’article 4.2 C.p.c.
[101] Le Tribunal n’ajoute pas une cinquième condition à l’article 1003 C.p.c. Il est cependant d’opinion qu’autoriser ce recours contreviendrait à l’article 4.2 C.p.c., apprécié en conjonction avec l’exigence du paragraphe d) de l’article 1003 C.p.c.
[102] Dans les circonstances, le recours sera rejeté.
24 Perreault c. McNeil PDI inc. 2012 QCCA 713, paragr. 34, 83-86; Del Guidice c. Honda Canada inc. préc., note 26, paragr. 38
25 D’amours c. Bell Mobilité inc., 2010 QCCS 206.
26 Lallier c. Volkswagen Canada inc., 2007 QCCA 920.
27 Marcotte c. Longueuil (Ville), préc., note 4.
[20] L’appel soulève deux questions : 1) dans les circonstances du présent dossier, la juge pouvait-elle déterminer que l’appelant n’a pas démontré qu’il pouvait être un représentant adéquat? et 2) était-elle bien fondée de refuser l’autorisation d’exercer le recours collectif en vertu de l’article 4.2 C.p.c.?
[21] La juge a estimé que l’appelant n’a pas fait la démonstration qu’il pouvait être un représentant adéquat, parce qu’il n’a pas fait une enquête raisonnable qui lui aurait permis d’établir une estimation du nombre de personnes lésées et qu’il n’a pas cherché à identifier d’autres abonnés dans la même situation que la sienne.
[22] À mon avis, dans le contexte particulier du présent dossier et avec le plus grand respect pour la juge de première instance, il s’agit d’une erreur. À sa décharge, la juge n’a pu bénéficier de l’arrêt rendu postérieurement par la Cour suprême dans l’affaire Infineon Technologies[2].
[23] Dans cette affaire, la Cour suprême reprend d’abord les enseignements du professeur Lafond[3] et réitère les trois facteurs à considérer pour évaluer la représentation adéquate : 1) l’intérêt à poursuivre; 2) la compétence du représentant, et 3) l’absence de conflit avec les membres du groupe. La Cour suprême ajoute toutefois que « [A]ucun représentant proposé ne devrait être exclu, à moins que ses intérêts ou sa compétence ne soient tels qu’il serait impossible que l’affaire survive équitablement ». Ce faisant, la Cour suprême envoie un message plutôt clair quant au niveau de compétence requis pour être nommé représentant. Le critère est devenu minimaliste.
[24] Dans notre affaire, seule la compétence de l’appelant est remise en cause. Son intérêt à poursuivre est clair, tout comme le fait qu’il ne semble pas en conflit d’intérêts avec les autres membres du groupe. On lui reproche toutefois de ne pas avoir tenté de rechercher d’autres membres et de ne pas avoir tenté d’indiquer leur nombre potentiel.
[25] Quoique non requis par le Code de procédure civile, il est vrai qu’il est habituel au Québec qu’un représentant ou un bureau d’avocats agissant pour lui crée une page Internet qui permet aux éventuels membres de manifester leur intérêt pour le recours envisagé par l’inscription de leurs noms sur une liste prévue à cet égard. Cette façon de procéder a l’avantage de permettre la démonstration qu’un certain nombre de personnes estiment pouvoir faire partie du groupe proposé et même d’identifier certaines de leurs caractéristiques.
[26] Il est exact de dire que, généralement, une personne qui veut se voir reconnaître le statut de représentant d’un groupe ne peut se contenter de présenter son seul dossier pour obtenir l’autorisation d’exercer un recours collectif. Elle doit effectuer certaines démarches qui lui permettront de démontrer qu’elle n’est pas seule dans sa situation et que plusieurs autres personnes démontrent un intérêt à poursuivre. En bref, elle doit démontrer l’existence d’un véritable groupe. En effet, le juge saisi de la demande d’autorisation a besoin d’un minimum d’informations sur la taille et les caractéristiques essentielles du groupe visé pour évaluer le respect du paragraphe 1003 c) C.p.c.[4]. De plus, il a souvent besoin de précisions pour évaluer l’insatisfaction des membres du groupe et la pertinence de recourir à l’action collective[5].
[27] Toutefois, le niveau de recherche que doit effectuer un requérant dépend essentiellement de la nature du recours qu’il entend entreprendre et de ses caractéristiques. Si, de toute évidence, il y a un nombre important de consommateurs qui se retrouvent dans une situation identique, il devient moins utile de tenter de les identifier. Il est alors permis de tirer certaines inférences de la situation.
[28] Le recours proposé ici a ceci de particulier que l’on peut présumer que les intimées possèdent toutes les données nécessaires à l’estimation du nombre d’abonnés concernés par le recours, ainsi que le nombre de locations de « Films pour adultes - Torride » effectuées par ces derniers. En effet, les relevés mensuels produits par l’appelant indiquent, de façon précise, la journée et l’heure de la location de chacun de ces films. Le tarif de 10,99 $ correspondant, à ce que j’en comprends, au montant facturé pour cette catégorie de films.
[29] De plus, nous pouvons raisonnablement présumer qu’un certain pourcentage des quelque 1,8 million d’abonnés des intimées, quoique, inconnu à ce moment, loue des « Films pour adultes - Torride ». C’est le constat qu’a fait la juge et elle a eu raison de le faire. Dans ce contexte très précis, l’identification d’autres membres potentiels ou encore d’une approximation quant à leur nombre devient secondaire. Par ailleurs, les intimées possèdent ces informations et elles étaient en mesure d’apporter des précisions quant à leur nombre au moment de la demande d’autorisation, si elles estimaient que ces données pouvaient être pertinentes au rejet de la demande.
[30] L’argument des intimées est que si la durée de location des « Films pour adultes - Torride » est importante pour l’appelant, il n’a pas fait la démonstration qu’il en est de même pour tous les abonnés qui louent de type de contenu.
[31] L’une des questions soulevées par le recours proposé, sinon la question principale, est celle de savoir si les représentations ou omissions concernant la durée de location constituent une pratique interdite au sens de la L.p.c. La réponse à cette question concerne l’ensemble des membres. La contravention à la loi s’évalue de façon objective et non par rapport à un consommateur en particulier. Dans ce contexte, une enquête plus élaborée pour connaître le niveau de satisfaction ou d’insatisfaction des autres abonnés, quant à une pratique qui contreviendrait à la loi, n’est pas utile à ce stade-ci.
[32] Ce n’est que dans un deuxième temps, une fois la contravention à la loi reconnue, qu’il faudra déterminer si cette pratique interdite entraîne l’application de la présomption absolue de l’article 272 L.p.c., s’il existe un lien rationnel entre la pratique interdite et la relation contractuelle et si les quatre conditions élaborées par l’arrêt Time[6] sont satisfaites.
[33] Nous ne sommes pas dans un contexte où il était essentiel que le requérant démontre qu’il n’est pas le seul consommateur à être insatisfait de la situation, que plusieurs personnes sont exactement dans la même situation que lui et que la durée de location est aussi importante pour tous les autres éventuels membres du groupe. Aux fins de la requête en autorisation, la juge pouvait l’inférer.
[34] L’appelant a établi sa compétence en faisant la démonstration que sur l’interface du « canal 900 », différents chemins peuvent être empruntés pour commander du contenu sous la rubrique « Films pour adultes - Torride », que la durée de la location annoncée est généralement de 24 heures et que certains de ces chemins n’indiquent pas que la durée de location est moindre.
[35] La juge a estimé que le recours de l’appelant est périlleux, faisant en sorte qu’en conjonction avec le paragraphe 1003 d) C.p.c., permettre à l’appelant d’obtenir le statut de représentant contreviendrait à l’article 4.2. C.p.c.
[36] La juge ne commet pas d’erreur en droit en conjuguant le critère de la proportionnalité avec la faiblesse du recours envisagé. Les motifs du juge Pelletier dans l’affaire Lallier c. Volkswagen[7] sont, plus que jamais, très pertinents : « L’exercice d’un recours collectif entraîne des coûts importants et ne doit pas être intenté à la légère. Son autorisation doit satisfaire le critère de la proportionnalité […] ».
[37] Très récemment, la Cour suprême, dans l’affaire Vivendi Canada[8], rappelait que l’article 1003 C.p.c. confère un large pouvoir d’appréciation au juge saisi d’une requête en autorisation. Compte tenu de ce pouvoir discrétionnaire, la Cour d’appel ne détient qu’un pouvoir d’intervention limité et doit faire preuve de déférence envers la décision du juge. Dans cette même affaire, la Cour suprême a aussi mis fin à la controverse qui persistait depuis l’affaire Marcotte c. Longueuil (Ville de)[9] en établissant, de façon claire, que le principe de la proportionnalité doit être considéré en appréciant chacun des critères établis et qu’il ne constitue pas un cinquième critère indépendant[10].
[38] J’ajouterais à ceci que si un juge utilise son pouvoir discrétionnaire en conjonction avec l’un des critères de l’article 1003 C.p.c., il doit le faire clairement. Dans le présent cas, et encore une fois avec bien des égards, il est difficile de comprendre le raisonnement de la juge qui affirme utiliser son pouvoir discrétionnaire en conjonction avec l’alinéa d) de cet article, soit la qualité du représentant, parce que le recours de l’appelant est périlleux. Ce raisonnement semble plutôt indiquer qu’elle réfère à l’alinéa b), soit le critère de l’apparence de droit.
[39] J’estime qu’avant de refuser l’autorisation d’exercer un recours collectif en raison de son caractère périlleux, une démonstration convaincante de la fragilité du recours doit être faite et que, en conséquence, le juge doit motiver sa détermination de façon à ce que la Cour puisse bien la comprendre.
[40] Or, la juge ne précise pas en quoi le recours personnel de l’appelant est périlleux. Elle réfère aux propos du juge Pelletier dans l’affaire Lallier c. Volkswagen dans lesquels l’article 4.2 C.p.c. a été appliqué en conjonction avec le critère de l’apparence de droit.
[41] Cependant, à la lecture du paragraphe 62 de son jugement, on comprend qu’elle considère que les moyens de défense des intimées sont « non négligeables », tout en ajoutant qu’elles pourront les faire valoir à l’étape du fond.
[42] On comprend aussi du jugement que ces moyens de défense sont variés. Les intimées allèguent que la durée de location n’est peut-être pas une considération importante pour tous les consommateurs, que l’appelant savait que la durée de location était affichée sur l’interface du « canal 900 » et qu’il ne spécifie pas le moment où il aurait découvert que la durée de location avait diminué.
[43] Je ne retrouve pas, dans les motifs de la juge, une assise suffisante pour lui permettre d’affirmer que le recours de l’appelant est périlleux quant à l’apparence de droit.
[44] Par ailleurs, la juge affirme qu’elle applique l’article 4.2 C.p.c. en conjonction avec l’alinéa d) de 1003 C.p.c. Pour pouvoir déterminer que le recours collectif est périlleux en conjonction avec l’exigence de l’alinéa d), il faudrait, comme vient de l’établir la Cour suprême dans Infineon, que la compétence du représentant soit telle qu’il serait impossible que l’affaire survive équitablement.
[45] À mon avis, un juge pourrait arriver à cette conclusion si, après avoir entendu un requérant, il se rendait compte que ce dernier ne comprend pas les tenants et aboutissants du recours proposé, qu’il agit comme une marionnette pour le compte d’un tiers et que cela peut avoir une conséquence dans la conduite du dossier.
[46] Étant donné que la juge n’explique pas en quoi le recours de l’appelant serait périlleux et compte tenu du contexte particulier du présent dossier, j’estime qu’il y a lieu d’intervenir et d’autoriser l’exercice du recours collectif proposé.
[47] Je propose donc d’accueillir l’appel, avec dépens, d’autoriser l’exercice du recours collectif, frais à suivre, et d’attribuer à l’appelant le statut de représentant.
[48] Toutefois, je propose de définir le groupe de façon à mieux le circonscrire dans le temps. La juge a souligné avec raison que les intimées n’ont pas révélé la date à laquelle elles auraient modifié la durée de la location du contenu, pas plus qu’elles n’ont indiqué si la situation est toujours la même. Le recours sera donc autorisé pour la période qui correspond aux locations effectuées par l’appelant. Les questions à être traitées collectivement et les conclusions recherchées seront celles proposées, vu l’absence d’argumentation sur ce sujet. Au besoin, le jugement pourra être révisé en vertu de l’article 1022 C.p.c. par le juge qui prendra à sa charge le recours collectif.
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DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A. |
[1] Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, c. P-40.1 (« L.p.c. »).
[2] Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, [2013] 3 R.C.S. 600, 2013 CSC 59, paragr. 149.
[3] Pierre-Claude Lafond, Le recours collectif comme voie d’accès à la justice pour les consommateurs, Montréal, Les Éditions Thémis, Montréal, 1996, p. 419.
[4] Del Guidice c. Honda Canada inc., 2007 QCCA 922, paragr. 33 et 34.
[5] Bouchard c. Agropur Coopérative, 2006 QCCA 1342, paragr. 98.
[6] Richard c. Time inc., [2012] 1 R.C.S. 265, 2012 CSC 8, paragr. 124.
[7] Lallier c. Volkswagen Canada inc., 2007 QCCS 920, paragr. 42 à 44.
[8] Vivendi Canada inc. c. Dell’Aniello, [2014] 1 R.C.S. 3, 2014 CSC 1, paragr. 33 et s.
[9] Marcotte c. Longueuil (Ville de), [2009] 3 R.C.S. 65, 2009 CSC 43.
[10] Ibid., paragr. 66.
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