Décision

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Gendron et Eco-Pak enr.

2009 QCCLP 2734

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

21 avril 2009

 

Région :

Estrie

 

Dossiers:

318670-05-0705-R  321168-05-0706-R

 

Dossier CSST :

130990724

 

Commissaire :

Sophie Sénéchal, juge administratif

 

Membres :

Claude Lessard, associations d’employeurs

 

Rodrigue Chartier, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

318670-05-0705

321168-05-0706

 

 

Annie Gendron

Eco-Pak enr.

Partie requérante

Partie requérante

 

 

et

et

 

 

Eko-Pak enr.

Annie Gendron

Partie intéressée

Partie intéressée

 

 

et

et

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

Partie intervenante

Partie intervenante

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 31 octobre 2007, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose une requête en révision ou révocation à l’encontre d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 18 septembre 2007.

[2]                Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille deux requêtes, l’une soumise par madame Annie Gendron (la travailleuse) (dossier 318670-05-0705) et l’autre par Eko-Pak enr. (l’employeur) (dossier 321168-05-0706).

[3]                Dans le dossier 318670-05-0705, la première juge administratif (première juge) infirme la décision de la CSST du 17 mai 2007, rendue à la suite d’une révision administrative et déclare que la travailleuse a droit à une indemnité de retrait préventif de la travailleuse enceinte pour la période du 23 mars au 20 juillet 2007.

[4]                Dans le dossier 321168-05-0706, elle modifie la décision de la CSST du 21 juin 2007, rendue par un conciliateur-décideur, et déclare que l’employeur n’a pas l’obligation de verser un salaire à la travailleuse en application de l’article 257 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) en raison de son congédiement.

[5]                À l’audience tenue le 24 octobre 2008 à Sherbrooke, la CSST est représentée. La travailleuse est absente. L’employeur est présent et représenté.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[6]                La CSST demande au tribunal de réviser ou révoquer la décision rendue par la première juge le 18 septembre 2007. Cette décision est entachée d’une erreur de droit manifeste et déterminante équivalente à un vice de fond de nature à l’invalider.

L’AVIS DES MEMBRES

[7]                Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis d’accueillir en partie la requête en révision de la CSST dans le dossier 318670-05-0705 en raison d’une erreur de droit commise par rapport à l’application de l’article 36 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[2] (la LSST). L’employeur a l’obligation légale de verser à la travailleuse une rémunération basée sur le taux de son salaire régulier pour les cinq premiers jours ouvrables. Il y a donc lieu de corriger le dispositif de la décision sur cet aspect. Pour le reste, il rejette la requête en révision ou révocation de la CSST. L’interprétation que retient la première juge des faits et du droit est une issue possible. Il n’y a pas lieu d’intervenir.

[8]                Le membre issu des associations syndicales est d’avis d’accueillir la requête soumise par la CSST et de réviser la décision de la première juge dans les dossiers 318670-05-0705 et 321168-05-0706. Celle-ci a commis une erreur de droit manifeste. Le droit au retrait préventif ne peut avoir un effet rétroactif. L’employeur ne peut être soustrait de son obligation de verser à la travailleuse le salaire perdu depuis la date du congédiement.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[9]                Le tribunal doit déterminer s’il y a lieu de réviser ou révoquer la décision rendue par la première commissaire le 18 septembre 2007.

[10]           Le pouvoir de la Commission des lésions professionnelles de réviser ou de révoquer une décision qu’elle a rendue est prévu à l’article 429.56 de la loi, lequel se lit comme suit :

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1°         lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2°         lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3°         lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

                       

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[11]           Le recours en révision ou en révocation doit être considéré comme un recours d’exception. Ce pouvoir de réviser ou révoquer que possède la Commission des lésions professionnelles s’inscrit dans le contexte de l’article 429.49 de la loi. À cet article, le législateur indique bien qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et que toute personne visée doit s’y conformer.

[12]           Par conséquent, lorsqu’une personne soumet une requête pour demander à la Commission des lésions professionnelles de réviser ou de révoquer une décision qu’elle a rendue, cette requête doit s’appuyer sur les motifs prévus à l’article 429.56 de la loi.

[13]           Tel que préalablement indiqué, la CSST soutient que la décision rendue par la première commissaire le 18 septembre 2007 est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider. La CSST invoque le troisième paragraphe de l’article 429.56 de la loi.

[14]           Dans l’affaire Produits Forestiers Donohue inc. et Villeneuve[3], la Commission des lésions professionnelles indique que le vice de fond réfère à l’erreur manifeste de droit ou de faits ayant un effet déterminant sur l’objet de la contestation. Cette façon d’interpréter la notion de vice de fond de nature à invalider la décision a été reprise de façon constante et elle est toujours préconisée par la Commission des lésions professionnelles.

[15]           Dans sa décision CSST et Fontaine[4], la Cour d’appel du Québec se penche sur cette notion de vice de fond de nature à invalider la décision de même que sur la norme de contrôle devant être appliquée aux décisions de la Commission des lésions professionnelles à la suite d’une révision ou d’une révocation. Dans sa décision, la Cour d’appel ne remet pas en question le critère de vice de fond, tel qu’interprété par la Commission des lésions professionnelles. La Cour d’appel invite plutôt à la prudence dans son application.

[16]           Une erreur doit être grave, évidente et déterminante pour conclure à la présence d’un vice de fond de nature à invalider une décision de la Commission des lésions professionnelles :

[50]     On voit donc que la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur sont des traits distinctifs susceptibles d’en faire «un vice de fond de nature à invalider [une] décision».

 

[51]           En ce qui concerne la raison d’être de la révision pour un vice de fond de cet ordre, la jurisprudence est univoque. Il s’agit de rectifier les erreurs présentant les caractéristiques qui viennent d’être décrites. Il ne saurait s’agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première[51]. Intervenir en révision pour ce motif commande la réformation de la décision par la Cour supérieure car le tribunal administratif «commits a reviewable error when it revokes or reviews one of its earlier decisions merely because it disagrees with its findings of fact, its interpretation of a statute or regulation, its reasoning or even its conclusions»[52]L’interprétation d’un texte législatif «ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique»[53] mais, comme «il appart[ient] d’abord aux premiers décideurs spécialisés d’interpréter»[54] un texte, c’est leur interprétation qui, toutes choses égales d’ailleurs, doit prévaloir. Saisi d’une demande de révision pour cause de vice de fond, le tribunal administratif doit se garder de confondre cette question précise avec celle dont était saisie la première formation (en d’autres termes, il importe qu’il s’abstienne d’intervenir s’il ne peut d’abord établir l’existence d’une erreur manifeste et déterminante dans la première décision)[55].  Enfin, le recours en révision «ne doit […] pas être un appel sur la base des mêmes faits» : il s’en distingue notamment parce que seule l’erreur manifeste de fait ou de droit habilite la seconde formation à se prononcer sur le fond, et parce qu’une partie ne peut «ajouter de nouveaux arguments» au stade de la révision[56].

 

(nos soulignements)

 

[17]           La Cour d’appel insiste sur le fait que le recours en révision, pour vice de fond de nature à invalider une décision, ne doit pas être l’occasion de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve afin de substituer son opinion à celle du premier juge. Seule une erreur grave, évidente et déterminante peut amener une intervention à l’égard de la décision du premier juge[5].

[18]           C’est donc en ayant à l’esprit ces principes de droit que le tribunal entend procéder à l’analyse des motifs mis de l’avant par la CSST pour faire réviser la décision de la première juge du 18 septembre 2007. Et pour comprendre le contexte dans lequel s’inscrit cette requête, il convient de rappeler certains faits.

[19]           À l’époque pertinente, la travailleuse occupe un poste de sableuse et de préposée à l’emballage et l’assemblage à l’établissement de l’employeur.

[20]           Le 7 février 2007, la travailleuse cesse de travailler. Son médecin de famille produit un billet médical en conséquence.

[21]           Le 22 février 2007, elle formule une demande de retrait préventif, laquelle est référée à la direction de la santé publique. La travailleuse est alors enceinte depuis 20 semaines et son accouchement est prévu pour le 8 juillet 2007. On identifie plusieurs contraintes ergonomiques pouvant constituer des dangers physiques pour la travailleuse ou pour son enfant à naître.

[22]           Le 27 février 2007, le médecin désigné du CLSC - CHSLD du Haut-St-François, agissant pour la direction de la santé publique, émet les commentaires suivants :

«  Un retrait préventif est justifié aux périodes de grossesse suivantes à moins que la travailleuse puisse être réaffectée (*) en tenant compte des modifications mentionnées :

 

1.   Immédiatement   :

 

      .     Éliminer le mode de rémunération basé sur le rendement à la pièce, les bonus ou quotas.

 

      .     Tout en maintenant les pauses régulières, limiter à moins de 6 heures/jour la position debout. À la 24e semaine, limiter à moins de 4 heures/jour la position debout.

 

      .     Éliminer le soulèvement des poids de 15 kg et plus.

 

      .     Pour les poids de 10 à 15 kg, limiter les soulèvements à un maximum de 225 kg/jour ou 15 soulèvements par jour.

 

 

2.   À la 24e semaine :

 

      .     Limiter à un maximum de 50 fois par jour les flexions du tronc de 45° et plus.

 

3.   À la 25e semaine   :

 

      .     Affecter à une zone de travail où le niveau de bruit est inférieur à :

 

            87,5 dB (A) pour 4 heures

            85,7 dB (A) pour 6 heures

            84,5 dB (A) pour 8 heures

 

(*)        les conditions de réaffectation doivent être mises en place par l’employeur dès la présentation du certificat. Si un délai est nécessaire et à la condition que le médecin traitant soit d’accord, il ne doit pas dépasser 7 jours.

 

[…]  »

 

 

[23]           Le 2 mars 2007, le médecin de famille de la travailleuse signe un certificat visant le retrait préventif et l’affectation de la travailleuse enceinte ou qui allaite en regard des commentaires émis par le médecin de la direction de la santé publique.

[24]           Le 9 mars 2007, la travailleuse est congédiée. La lettre de congédiement est reçue le 16 mars 2007.

[25]           Le 23 mars 2007, l’employeur rédige une lettre par laquelle il accuse réception de deux documents envoyés par la travailleuse, soit le certificat visant le retrait préventif et l’affectation de la travailleuse enceinte ou qui allaite signé le 2 mars 2007 et un rapport médical du 15 mars 2007.

[26]           Le 27 mars 2007, la travailleuse dépose une plainte en vertu de l’article 227 de la LSST. La travailleuse allègue avoir été congédiée en raison de l’exercice de son droit de demander un retrait préventif de la travailleuse enceinte.

[27]           Le 28 mars 2007, la CSST rend une décision par laquelle elle avise la travailleuse qu’elle n’est pas admissible au retrait préventif de la travailleuse enceinte prévu à la LSST, étant donné son congédiement le 9 mars 2007. La travailleuse n’a pas droit aux versements d’une indemnité de remplacement du revenu. La travailleuse demande la révision de cette décision.

[28]           Le 17 mai 2007, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative. Elle confirme sa décision initiale du 28 mars 2007 et déclare que la travailleuse n’est pas admissible au programme « Pour une maternité sans danger » et qu’elle n’a pas droit au versement d’une indemnité de remplacement du revenu puisque les dangers attestés au certificat n’existent plus compte tenu du congédiement.

[29]           La travailleuse dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre de cette décision de la CSST (dossier 318670-05-0705).

[30]           Entre-temps, la plainte de la travailleuse formulée en vertu de l’article 227 de la LSST est acheminée à un conciliateur-décideur. Les parties sont convoquées à une audience. Cette audience a lieu le 13 juin 2007.

[31]           Le 21 juin 2007, le conciliateur-décideur rend sa décision. Il conclut que l’employeur n’a pas démontré de cause juste et suffisante pour congédier la travailleuse. Par conséquent, il accueille la plainte formulée par la travailleuse le 27 mars 2007 et annule son congédiement du 9 mars 2007.

[32]           Son dispositif se lit comme suit:

«

·         Accueille la plainte formulée par madame Annie Gendron le 27 mars 2007;

 

·         Annule le congédiement de la travailleuse madame Annie Gendron survenu le 9 mars 2007;

 

 

Article 257 LATMP

           

« Lorsque la Commission dispose d’une plainte soumise en vertu de l’article 32, elle peut ordonner à l’employeur de réintégrer le travailleur dans son emploi avec tous ses droits et privilèges, d’annuler une sanction ou de cesser d’exercer des mesures discriminatoires ou de représailles à l’endroit du travailleur et de verser à celui-ci l’équivalent du salaire et des avantages dont il a été privé. »

 

·         Ordonne à l’employeur Éco-Pak, en vertu de l’article 257 de la LATMP, de réintégrer madame Annie Gendron dans son emploi de journalière avec tous ses droits et privilèges.

 

·         Ordonne à l’employeur, en vertu de l’article 257 de la LATMP, de verser à la travailleuse, madame Annie Gendron, le salaire qu’elle a perdu depuis son congédiement, le 9 mars 2007, jusqu’à sa réintégration au travail ou au moment où elle deviendra éligible aux prestations de la CSST à la suite de sa demande pour une maternité sans danger. Les sommes versées tiendront compte du contrat de travail qu’avait madame Gendron soit 39 heures de travail par semaine réparti comme suit : 8 heures par jour du lundi au jeudi et 7 heures trente le vendredi à 9.10 $ de l’heure.  »

 

 

[33]           L’employeur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre de cette décision du conciliateur-décideur (dossier 321168-05-0706).

[34]           L’employeur et la travailleuse sont convoqués à une audience afin que la Commission des lésions professionnelles dispose des requêtes 318670-05-0705 et 321168-05-0706.

[35]           À l’audience du 12 septembre 2007, l’employeur et la travailleuse sont présents et représentés. La CSST n’est pas intervenue au dossier. La première juge prend acte d’admissions de faits, lesquelles sont consignées au procès-verbal d’audience :

«

·                    Madame Annie Gendron est journalière-sableuse pour l’employeur et une travailleuse au sens de la loi;

 

·                     Le 7 février 2007, le docteur Berthelot, médecin de la travailleuse, signe un certificat médical prescrivant un arrêt de travail. La travailleuse le remet à l’employeur et cesse de travailler à cette date;

 

·                     Le 22 février 2007, elle présente une demande au programme de retrait préventif de la travailleuse enceinte, c'est-à-dire qu’elle remplit la section pertinente du certificat médical prévu à la loi à la suite de quoi son médecin consulte le directeur de la santé publique qui communique avec l’employeur pour obtenir des informations sur les exigences du poste de la travailleuse;

 

·                     Le 27 février 2007, le médecin de la travailleuse signe le certificat médical en y attestant que les conditions de travail de sa patiente comportent des dangers pour elle-même, à cause de son état de grossesse (21 semaines) ou pour l’enfant à naître, qui justifient un retrait préventif immédiat;

 

·                    La travailleuse fournit ce certificat à l’employeur le 23 mars 2007;

 

·                    La travailleuse était disponible pour une réaffectation chez l’employeur, du 23 mars 2007 et ce, jusqu’à son accouchement le 20 juillet suivant;

 

·                     La travailleuse est en congé parental depuis son accouchement et n’a pas droit à son salaire de la part de son employeur.  »

 

 

[36]           Le 18 septembre 2007, sur la foi de ces admissions et tenant compte du droit applicable, la première juge rend sa décision. Elle accueille la requête de la travailleuse (dossier 318670-05-0705), infirme la décision de la CSST et déclare que la travailleuse a droit à une indemnité de retrait préventif de la travailleuse enceinte pour la période du 23 mars au 20 juillet 2007.

[37]           La première juge accueille en partie la requête de l’employeur (dossier 321168-05-0706), modifie la décision du conciliateur-décideur et déclare que l’employeur n’a pas l’obligation de verser un salaire à la travailleuse en application de l’article 257 de la loi, en raison de son congédiement.

[38]           Le 31 octobre 2007, la CSST dépose une requête en révision ou révocation à l’encontre de cette décision. Elle soumet que la décision de la première juge est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider.

[39]           Plus spécifiquement, elle reproche à la première juge d’avoir excédé sa compétence en utilisant ses pouvoirs à des fins autres que celles prévues par le législateur en regard de l’objet des contestations portées devant elle :

«  […]

 

7.         Il est manifeste que la détermination du lien d’emploi de la travailleuse était au cœur de ce litige aux fins de décider du droit de la travailleuse aux indemnités prévues par la LSST;

 

8.         D’ailleurs, au paragraphe [13] de sa décision, la CLP reconnaît que pour avoir droit aux indemnités, la travailleuse enceinte «doit donc détenir un lien d’emploi avec son employeur et être disponible pour exercer le travail auquel elle pourrait être affectée»;

 

9.         En l’espèce, il ressort clairement que lorsque la travailleuse présente à son employeur le certificat visant un retrait préventif de la travailleuse enceinte, le 23 mars 2007, celle-ci n’a aucun lien d’emploi puisque son employeur l’a congédiée le 9 mars;

 

10.       L’annulation du congédiement doit donc nécessairement précéder la détermination du droit à une réaffectation et c’est en raison de la portée rétroactive de l’annulation du congédiement que l’article 257 LATMP permet d’ordonner à l’employeur de verser le salaire qui aurait dû être versé à compter du congédiement;

 

11.       Bien que l’annulation du congédiement ait une telle portée rétroactive aux fins d’obliger l’employeur à verser le salaire dû jusqu’à la date de réintégration, cette décision ne peut avoir pour effet de faire revivre le droit à une réaffectation pour la travailleuse en vertu de la LSST;

 

12.       De toute façon, le fait de constater que la travailleuse aurait eu droit à une telle réaffectation n’autorise pas la CLP à relever l’employeur de son obligation de verser le salaire dû pour la période en cause pour le remplacer par une indemnité de remplacement du revenu à être payée par la CSST;

 

13.       En procédant comme elle l’a fait, la CLP excède sa compétence puisqu’elle se trouve à exercer ses pouvoirs à des fins autres que celles prévues par le législateur;

 

14.       Lorsqu’elle rend une décision en regard d’une plainte portée en vertu de l’article 227 LSST, la CLP dispose alors uniquement et exclusivement des pouvoirs prévus à l’article 257 LATMP ce qui comprend une ordonnance de réintégration, l’annulation de la sanction et le versement du salaire dont un travailleur a été privé, tel qu’il appert de cette disposition :

 

257.  Lorsque la Commission dispose d'une plainte soumise en vertu de l'article 32, elle peut ordonner à l'employeur de réintégrer le travailleur dans son emploi avec tous ses droits et privilèges, d'annuler une sanction ou de cesser d'exercer des mesures discriminatoires ou de représailles à l'endroit du travailleur et de verser à celui-ci l'équivalent du salaire et des avantages dont il a été privé.

__________

1985, c. 6, a. 257.

15.       Il n’est aucunement prévu à l’article 257 LATMP que la CLP, à la suite de l’annulation d’un congédiement illégal, peut ordonner à la CSST de verser une indemnité de remplacement du revenu au lieu et place du salaire dû par l’employeur à un travailleur;

 

16.       En outrepassant les pouvoirs qui lui sont conférés par le législateur en vertu de l’article 257 LATMP, la CLP commet un excès de compétence équivalant à un vice de fond au sens de l’article 429.56 LATMP justifiant la révision pour cause de cette décision;

 

17.       Non seulement la décision de la CLP a-t-elle été rendue en excès de sa compétence, mais elle produit un résultat absurde et irrationnel en ce qu’elle octroie à la travailleuse des indemnités de retrait préventif pour une période où elle n’a été exposée à aucun danger, le lien d’emploi avec son employeur ayant été rompu entre le 9 mars et le 21 juin 2007;

 

18.       De plus, cette décision est particulièrement inéquitable en ce qu’elle a pour effet de faire supporter par l’ensemble des employeurs le geste illégal de l’employeur qui a eu pour effet de priver la travailleuse de son droit de demander une réaffectation à compter du 23 mars 2007;

 

[…]  » 

 

 

[40]           À l’audience de la présente requête, le procureur de la CSST reprend essentiellement les arguments de sa requête[6]. Il insiste sur le fait que les remèdes prévus à l’article 257 de la loi sont indissociables. On ne peut les fractionner comme l’a fait la première juge pour soustraire l’employeur à son obligation de verser à la travailleuse son salaire perdu depuis la date de son congédiement.

[41]           Quant au procureur de l’employeur, il soumet qu’il n’y a pas lieu de réviser ou révoquer la décision rendue par la première commissaire. Celle-ci avait la compétence et les pouvoirs nécessaires pour statuer sur les litiges soumis[7].

[42]           Le débat de fond que soulève la CSST au stade de la révision ou révocation concerne plus particulièrement les effets du rétablissement rétroactif du lien d’emploi d’une travailleuse à la suite d’une décision d’un conciliateur-décideur dans un contexte où le droit au retrait préventif de la travailleuse enceinte fait également l’objet d’un litige entre les parties.

[43]           La CSST est d’avis qu’il y a certaines limites à l’effet rétroactif du lien d’emploi. En effet, bien que l’annulation du congédiement par un conciliateur-décideur ait une portée rétroactive aux fins d’obliger l’employeur à verser le salaire dû jusqu’à la date de réintégration, cette ordonnance du conciliateur-décideur ne peut avoir pour effet de faire revivre le droit à une affectation pour la travailleuse en vertu de la LSST.

[44]           Dans sa décision du 18 septembre 2007, la première juge n’adopte pas cette interprétation des effets du rétablissement rétroactif du lien d’emploi.  Aux paragraphes 13 à 22 de sa décision, elle indique:

«  […]

 

[13]      Il ressort des articles 40 et 41 de la loi que le droit d’une travailleuse enceinte est d’abord et avant tout celui de demander d’être affectée à des tâches exemptes de danger pour elle-même, à cause de son état de grossesse, ou pour son enfant à naître. La travailleuse doit donc détenir un lien d’emploi avec son employeur et être disponible pour exercer le travail auquel elle pourrait être affectée. Ce n’est que si l’affectation n’est pas effectuée, que la travailleuse pourra cesser de travailler et recevoir les indemnités mentionnées à l’article 36 de la loi.

 

[14]      La demande d’affectation s’effectue par la présentation à l’employeur d’un certificat médical conforme à la loi. Ce certificat doit attester que le travail comporte des dangers physiques pour la travailleuse, à cause de son état de grossesse, ou pour son enfant à naître et identifier ces dangers. Le médecin qui émet le certificat doit au préalable consulter le directeur de la santé publique sur les dangers reliés au travail de sa patiente.

 

[15]      La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la travailleuse a droit aux indemnités prévues à l’article 36 de la loi à compter du 23 mars 2007.

 

[16]     D’entrée de jeu, le tribunal tient à préciser que la travailleuse n'a pas droit au retrait préventif à partir de sa cessation de travail du 7 février 2007 puisque le certificat émis à cette date n’est pas conforme à la loi. En effet, il n’identifie pas de danger permettant à l’employeur de réaffecter la travailleuse de sorte qu’il ne répond pas aux conditions prescrites par la loi.

 

[17]      Ce n’est que le 23 mars 2007 que la travailleuse a fourni à l’employeur un certificat médical conforme à la loi. Le docteur Berthelot y atteste de la présence de dangers pour la travailleuse alors enceinte de 21 semaines ou pour son enfant à naître, à savoir ceux identifiés dans le rapport du directeur de la santé publique et justifiant un retrait préventif immédiat. Ces dangers concernent le soulèvement de poids, la position debout et la rémunération au rendement.

 

[18]      D’autre part, la travailleuse était, en date du 23 mars 2007 et jusqu’à son accouchement, disponible pour une réaffectation. Il convient de signaler qu’au certificat médical du 27 février 2007 conforme à la loi, le docteur Berthelot répond par l’affirmative à la question de savoir si la travailleuse était médicalement apte à travailler.

 

[19]      Enfin, il existait, le 23 mars 2007, un lien d’emploi entre la travailleuse et l’employeur. Ce lien a en effet été rétabli par la décision rendue par la CSST le 21 juin 2007 ayant annulé le congédiement du 9 mars 2007 et ordonné la réintégration de la travailleuse à partir de cette date.

[20]      L’employeur n’ayant pas réaffecté la travailleuse le 23 mars 2007, cette dernière a droit aux indemnités prévues à l’article 36 de la loi à compter de cette date et jusqu’à son accouchement le 20 juillet 2007.

 

[21]      Quant à l’ordonnance faite à l’employeur de verser à la travailleuse le salaire dont elle aurait été privée à partir du 9 mars 2007, elle doit être infirmée.

 

[22]      En effet, l’absence de travail pour la période écoulée du 9 au 23 mars 2007 est attribuable au choix de la travailleuse de cesser de travailler le 7 février 2007, selon la recommandation de son médecin et le délai mis par cette dernière pour obtenir puis présenter à l’employeur le certificat médical conforme à la loi.

 

[…]  »

 

(nos soulignements)

 

[45]           Pour la première juge, le rétablissement du lien d’emploi de la travailleuse avec son employeur au 9 mars 2007 remet les parties dans l’état où elles étaient à ce moment. Et ce rétablissement du lien d’emploi à compter du 9 mars 2007 fait en sorte que le 23 mars 2007, il y a nécessairement un lien d’emploi entre la travailleuse et l’employeur. C’est ce qui ressort de son paragraphe 19. Surtout que le conciliateur-décideur annule non seulement le congédiement du 9 mars 2007, mais il ordonne la réintégration de la travailleuse dans son emploi, avec tous ses droits et privilèges.

[46]           Et tenant compte de la preuve soumise par les parties au moment de l’audience, la première juge doit tenir pour avéré que la travailleuse était disponible pour une affectation chez l’employeur du 23 mars jusqu’à la date de son accouchement. Il s’agit d’une admission de faits des parties. Le tribunal rappelle que l’admission de faits par les parties s’avère un moyen de preuve valable, au même titre que l’écrit ou le témoignage.

[47]           Il s’agit donc de l’interprétation de la première juge du droit, de la preuve et des effets de l’ordonnance du conciliateur-décideur visant l’annulation du congédiement du 9 mars 2007 et surtout, la réintégration de la travailleuse dans son emploi de journalière à compter du 9 mars 2007, avec tous ses droits et privilèges.

[48]           Le tribunal ne peut souscrire à l’argument de la CSST voulant que la première juge ait ainsi excédé sa compétence puisqu’elle aurait exercé ses pouvoirs à d’autres fins que ceux prévues par le législateur.

[49]           Le tribunal rappelle d’abord qu’à la section II du chapitre XII de la loi, le législateur précise la compétence exclusive de la Commission des lésions professionnelles.

 

[50]           De façon plus spécifique, l’article 369 de la loi prévoit ce qui suit :

369.  La Commission des lésions professionnelles statue, à l'exclusion de tout autre tribunal :

 

1° sur les recours formés en vertu des articles 359 , 359.1 , 450 et 451 ;

 

2° sur les recours formés en vertu des articles 37.3 et 193 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1).

__________

1985, c. 6, a. 369; 1997, c. 27, a. 24.

 

 

[51]           Afin qu’elle puisse exercer pleinement sa compétence exclusive, le législateur accorde à la Commission des lésions professionnelles des pouvoirs, lesquels sont prévus aux articles 377 et suivants de la loi.

[52]           L’article 377 se lit comme suit :

377.  La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.

 

Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.

__________

1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.

 

 

[53]           La Commission des lésions professionnelles a donc le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l’exercice de sa compétence. De plus, elle peut intervenir pour confirmer, modifier ou infirmer la décision, l’ordre ou l’ordonnance contestée et, s’il y a lieu, rendre la décision, l’ordre ou l’ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.

[54]           Ce sont donc de larges pouvoirs d’intervention qui lui sont attribués afin qu’elle puisse statuer, à l’exclusion de tout autre tribunal, sur les recours formés en vertu des articles 359, 359.1, 450 ou 451 de la loi et des articles 37.3 et 193 de la LSST.

[55]           Dans la cause sous étude, la première juge doit statuer sur deux recours. Celui de la travailleuse est formé en vertu de l’article 37.3 de la LSST et celui de l’employeur est formé en vertu de l’article 359.1 de la loi. De tels recours se retrouvent donc au cœur de sa compétence exclusive.

[56]           Aux paragraphes 6 et 7 de sa décision, la première juge précise l’objet de chacun des recours formés :

Dossier 318670-05-0705

 

[6] La travailleuse demande de déclarer qu’elle a droit à des indemnités de retrait préventif de la travailleuse enceinte à compter du 23 mars 2007, soit la date à laquelle elle a présenté à l’employeur le certificat médical recommandant un retrait préventif en application de la loi.

 

Dossier 321168-05-0706

 

[7] L’employeur demande d’infirmer la portion de la décision du 21 juin 2007 lui ordonnant de verser à la travailleuse le salaire dont elle aurait été privée depuis le 9 mars 2007 en vertu de l’article 257 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles2.

 

________________

2           L.R.Q., c. A-3.001.

 

[57]           Le recours de la travailleuse formé en vertu de l’article 37.3 de la LSST vise donc à faire infirmer la décision de la CSST du 17 mai 2007, alors que le recours de l’employeur formé en vertu de l’article 359.1 vise à faire modifier la décision du conciliateur-décideur du 21 juin 2007.

[58]           Par conséquent, que ce soit la décision de la CSST du 17 mai 2007 ou celle du conciliateur-décideur du 21 juin 2007, la première juge a le pouvoir d’intervenir pour confirmer, modifier ou infirmer la décision contestée et, s’il y a lieu, rendre la décision qui, à son avis, aurait dû être rendue en premier lieu.

[59]           Quant à l’article 257 de la loi, auquel réfère le procureur de la CSST, il prévoit les pouvoirs d’ordonnance de la CSST, et éventuellement de la Commission des lésions professionnelles:

257.  Lorsque la Commission dispose d'une plainte soumise en vertu de l'article 32, elle peut ordonner à l'employeur de réintégrer le travailleur dans son emploi avec tous ses droits et privilèges, d'annuler une sanction ou de cesser d'exercer des mesures discriminatoires ou de représailles à l'endroit du travailleur et de verser à celui-ci l'équivalent du salaire et des avantages dont il a été privé.

__________

1985, c. 6, a. 257.

      

 

[60]           Selon l’article 257, la CSST peut donc ordonner à l’employeur de réintégrer la travailleuse dans son emploi avec tous ses droits et privilèges, ordonner d’annuler une sanction ou ordonner de cesser d’exercer des mesures discriminatoires ou de représailles à l’endroit de la travailleuse et ordonner de verser à celle-ci l’équivalent du salaire et des avantages dont elle a été privés.

[61]           Avec respect pour l’opinion contraire, rien ne permet de conclure que de tels remèdes forment un tout indissociable. Le législateur précise la nature des ordonnances qui peuvent être émises sans toutefois mentionner que de telles ordonnances sont indissociables.

[62]           Par son recours, l’employeur demandait de faire modifier la décision du conciliateur-décideur du 21 juin 2007. Par cette décision, le conciliateur-décideur ordonnait l’annulation du congédiement de la travailleuse du 9 mars 2007, ordonnait la réintégration de la travailleuse dans son emploi de journalière avec tous ses droits et privilèges et ordonnait à l’employeur de verser le salaire perdu depuis le congédiement du 9 mars 2007.

[63]           On ne peut donc reprocher à la première juge d’avoir modifié les conclusions du conciliateur-décideur pour ne maintenir que celles concernant l’annulation du congédiement de la travailleuse du 9 mars 2007 et l’ordonnance de réintégration de la travailleuse dans son emploi avec tous ses droits et privilèges.

[64]           La première juge avait le pouvoir d’intervenir pour modifier la décision ou les ordonnances du conciliateur-décideur. Elle pouvait ainsi rendre la décision ou l’ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendue en premier lieu. Ce serait rajouter au texte de l’article 257 de la loi de soumettre que les remèdes qui y sont prévus, et que la première juge peut utiliser, sont des remèdes indissociables.

[65]           Et par son recours, la travailleuse demandait d’infirmer la décision de la CSST du 17 mai 2007. Par cette décision, la CSST déclarait que la travailleuse n’était pas admissible au programme « Pour une maternité sans danger » et qu’elle n’avait pas droit au versement d’une indemnité de remplacement du revenu. Les dangers attestés au certificat n’existaient plus, compte tenu du congédiement.

[66]           La première juge avait donc le pouvoir d’intervenir pour infirmer la décision de la CSST du 17 mai 2007. Elle pouvait ainsi rendre la décision qui, à son avis, aurait dû être rendue en premier lieu.

[67]           L’exercice de tels pouvoirs par la première juge quant à ces recours (articles 37.3 de la LSST ou 359.1 de la loi) ne pouvait se faire en vase clos. La première juge était saisie de ces deux recours en même temps et elle se devait d’en disposer à la suite d’une seule et même audience.

[68]           Or, tenant compte des litiges qui lui étaient soumis, les conclusions retenues par la première juge, notamment dans le dossier 321168-05-0706, sont possibles dans les circonstances et respectent ses pouvoirs. On ne peut certes lui reprocher un excès de compétence du fait qu’elle aurait exercé ses pouvoirs d’intervention ou ses pouvoirs de remédier, à d’autres fins que celles prévues par le législateur.

[69]           De l’avis du tribunal, tel que préalablement mentionné, tout repose sur l’interprétation que l’on donne au fait d’annuler le congédiement de la travailleuse du 9 mars 2007 et de la réintégrer dans son emploi avec tous ses droits et privilèges.

[70]           L’interprétation que retient la première juge n’est pas celle que lui aurait présentée la CSST à l’audience du 12 septembre 2007 et n’est peut-être pas celle qu’aurait retenue le tribunal à la suite de sa propre analyse du droit et de la preuve soumise. Il n’en demeure pas moins que c’est à la première juge que revenait la tâche d’analyser le droit et la preuve. La position qu’elle adopte à la suite de cette analyse est une issue possible.

[71]           Pour paraphraser le juge Morissette dans l’affaire Fontaine, le tribunal rappelle que l’interprétation d’un texte législatif ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique. Il appartient d’abord à la première juge d’interpréter la loi et la preuve. C’est son interprétation qui, toutes choses étant par ailleurs égales, doit prévaloir. Il ne saurait s’agir pour le tribunal agissant au stade du recours en révision ou en révocation de substituer à l’opinion ou interprétation des faits ou du droit de la première juge une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première. Le rôle du tribunal au stade de la révision ou de la révocation d’une décision pour vice de fond consiste plutôt à rectifier une erreur pouvant être qualifiée de grave, évidente et déterminante.

[72]           Par conséquent, il n’y a pas lieu de réviser ou révoquer la décision de la première juge en ce qui a trait à l’interprétation qu’elle retient de l’effet du rétablissement rétroactif du lien d’emploi de la travailleuse au 9 mars 2007 et particulièrement quant à la fiction juridique que ce rétablissement rétroactif opère par rapport aux droits et privilèges de la travailleuse et plus spécifiquement, quant à l’exercice du droit au retrait préventif de la travailleuse enceinte à compter du 23 mars 2007.

[73]           Ceci étant, le tribunal constate que dans son dispositif concernant le dossier 318670-05-0705, la première juge «déclare que la travailleuse a droit à des indemnités de retrait préventif de la travailleuse enceinte pour la période du 23 mars au 20 juillet 2007».

[74]           Tenant compte de la preuve dont elle dispose, le 23 mars 2007 correspond au moment où la travailleuse fournit à l’employeur le certificat médical conforme à la LSST. À cette date, la travailleuse est disponible pour une affectation chez l’employeur et ce, jusqu’au 20 juillet 2007. Cette dernière date correspond à la date de son accouchement.

 

[75]           Les articles 36 et 42.1 de la LSST se lisent comme suit :

36.  Le travailleur a droit, pendant les cinq premiers jours ouvrables de cessation de travail, d'être rémunéré à son taux de salaire régulier et de recevoir également de son employeur, lorsque le travailleur est visé à l'un des articles 42.11 et 1019.4 de la Loi sur les impôts ( chapitre I-3), une rémunération égale à l'ensemble des pourboires qui pourraient raisonnablement être considérés comme attribuables à ces jours et que le travailleur aurait déclarés à son employeur en vertu de cet article 1019.4 ou que son employeur lui aurait attribués en vertu de cet article 42.11.

 

Indemnité de remplacement du revenu.

 

À la fin de cette période, il a droit à l'indemnité de remplacement du revenu à laquelle il aurait droit en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (chapitre A-3.001) comme s'il devenait alors incapable d'exercer son emploi en raison d'une lésion professionnelle au sens de cette loi.

 

Loi applicable.

 

Pour disposer d'un tel cas, la Commission applique la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles dans la mesure où elle est compatible avec la présente loi et sa décision peut faire l'objet d'une demande de révision et d'une contestation devant la Commission des lésions professionnelles conformément à cette loi.

____________

1979, c. 63, a. 36; 1985, c. 6, a. 524; 1997, c. 85, a. 412; 1997, c. 27, a. 36

(…)

Restriction

42.1 Une travailleuse n’est pas indemnisée en vertu des articles 40 à 42 à compter de la quatrième semaine précédant celle de la date prévue pour l’accouchement, telle qu’inscrite dans le certificat visé à l’article 40, si elle est admissible aux prestations payables en vertu de la Loi sur l’assurance parentale (chapitre A-29.011). La travailleuse est présumée y être admissible dès ce moment.

Modification de la date

Toutefois, la date prévue pour l’accouchement peut être modifiée lorsque la Commission est informée par le médecin traitant de la travailleuse, au plus tard quatre semaines avant la date prévue au certificat mentionné au premier alinéa, d’une nouvelle date prévue pour l’accouchement.

[76]           Lorsque la travailleuse est disponible à l’affectation mais que cette affectation ne peut avoir lieu, elle peut cesser de travailler. La travailleuse a droit, pendant les cinq premiers jours ouvrables de cessation de travail, d'être rémunérée à son taux de salaire régulier. C’est l’employeur qui verse la rémunération à la travailleuse pour cette période. À la fin de cette période, la travailleuse a droit à l'indemnité de remplacement du revenu à laquelle elle aurait droit en vertu de la loi, comme si elle devenait alors incapable d'exercer son emploi en raison d'une lésion professionnelle au sens de cette loi.

[77]           Quant à l’article 42.1 de la LSST, il vise l’harmonisation des régimes d’indemnisation. Dans l’éventualité où une travailleuse a droit de recevoir une indemnité pour retrait préventif de la travailleuse enceinte et qu’elle est admissible au régime d’assurance parentale, le législateur veut éviter la double indemnisation tout en s’assurant d’une bonne transition entre les deux régimes d’indemnisation, sans période de carence de revenus pour la travailleuse.

[78]           Or, tel que mentionné, dans le dossier 318670-05-0705, la première juge déclare que la travailleuse a droit à des indemnités de retrait préventif de la travailleuse enceinte pour la période du 23 mars au 20 juillet 2007. Cette conclusion est annoncée par le paragraphe 15 de la décision de la première juge, préalablement cité.

[79]           De l’avis du tribunal, le paragraphe 15 de même que cette partie du dispositif de la première juge dans le dossier 318670-05-0705 ne respectent pas l’article 36 de la LSST puisqu’ils font en sorte de transférer à la CSST, et par le fait même à l’ensemble des employeurs, l’obligation légale de l’employeur de verser à la travailleuse la rémunération au taux de salaire régulier auquel la travailleuse a droit pendant les cinq premiers jours ouvrables de sa cessation d’emploi, soit pour les 23, 26, 27, 28 et 29 mars 2007.

[80]           À l’article 36 de la LSST, le législateur indique clairement que la travailleuse a droit, pendant les cinq premiers jours ouvrables de cessation de travail, d’être rémunérée à son taux de salaire régulier et qu’elle reçoit une telle rémunération de son employeur. Cette rémunération des cinq premiers jours ouvrables n’est pas une indemnité de retrait préventif de la travailleuse enceinte, mais une rémunération basée sur son taux de salaire régulier.

[81]           Dans la cause sous étude, ce n’est donc qu’à compter du 30 mars 2007 que la travailleuse a droit à l'indemnité de remplacement du revenu à laquelle elle aurait droit en vertu de la loi, comme si elle devenait alors incapable d'exercer son emploi en raison d'une lésion professionnelle au sens de cette loi. Cette période d’indemnité doit s’harmoniser avec celle prévue à la Loi sur l’assurance parentale[8]. L’harmonisation des régimes doit être préservée.

 

[82]           De l’avis du tribunal, il y a donc lieu de réviser le dispositif de la décision de la première juge dans le dossier 318670-05-0705 pour rappeler l’obligation légale de l’employeur de rémunérer la travailleuse au taux de son salaire régulier pour les cinq premiers jours ouvrables de sa cessation de travail et de déclarer que la travailleuse a droit à une indemnité de retrait préventif de la travailleuse enceinte à compter du 30 mars 2007. Il y a lieu également de rappeler la limite à cette période d’indemnité précisée par l’article 42.1 de la LSST.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 318670-05-0705

ACCUEILLE EN PARTIE la requête en révision déposée le 31 octobre 2007 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail;

RÉVISE EN PARTIE la décision de la Commission des lésions professionnelles du 18 septembre 2007;

ACCUEILLE la requête déposée le 24 mai 2007 par madame Annie Gendron, la travailleuse;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail du 17 mai 2007, rendue à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que madame Annie Gendron a droit au retrait préventif de la travailleuse enceinte;

DÉCLARE que Eco-Pak enr., l’employeur, doit verser à madame Annie Gendron une somme correspondant à sa rémunération au taux de son salaire régulier pour les cinq premiers jours ouvrables de sa cessation de travail (23, 26, 27, 28 et 29 mars 2007);

ET

DÉCLARE que madame Annie Gendron a droit à une indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse enceinte à compter du 30 mars 2007 et ce, jusqu’à la date permettant l’harmonisation entre les régimes d’indemnités comme le prévoit l’article 42.1 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail. Cette date ne peut excéder le 20 juillet 2007, date de l’accouchement.

Dossier 321168-05-0706

REJETTE la requête en révision ou révocation déposée le 31 octobre 2007 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

 

 

 

__________________________________

 

 

SOPHIE SÉNÉCHAL

 

 

 

 

 

 

 

Me Michel Larouche

GROUPE AST INC.

Représentant de Eco-Pak enr.

 

 

Me Jean-Marie Robert

PANNETON LESSARD

Représentant de la partie intéressée

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           L.R.Q., c. S-2.1.

[3]           [1998] C.L.P. 733 ; voir aussi Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .

[4]           [2005] C.L.P. 626 (C.A.)

[5]           CSST c. Touloumi, [2005] C.L.P. 921 (C.A.).

[6]           Dufour et Ferblanterie Yvon Lepire inc., C.L.P. 281245-32-0601, 19 mai 2006, C. Lessard; Allard et Spilak Technologies inc., C.L.P. 172514-03B-0111, 4 avril 2002, P. Brazeau; Dubois et Commission scolaire des Navigateurs, C.L.P. 187254-03B-0207, 25 novembre 2002, J.-F. Clément; Desjardins et Commission scolaire des Draveurs et CSST, [2006] C.L.P. 1057 ; Maltais et Atelier de meubles et CSST, C.L.P. 315527-02-0704, 20 mai 2008, J.-F. Clément; Simard et Compagnie minière Québec Cartier et CSST, C.L.P. 174545-090112, 18 mai 2005, P. Simard.

[7]           Karchesky et Énergie Cardio, C.L.P. 231818-63-0403, 27 octobre 2004, J.-P. Arsenault.

[8]           L.R.Q., c. A-29.011.

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