Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Gauthier et Saguenay (Ville de)

2013 QCCLP 6495

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saguenay

6 novembre 2013

 

Région :

Saguenay-Lac-Saint-Jean

 

Dossier :

489188-02-1212

 

Dossier CSST :

138038237

 

Commissaire :

Jean Grégoire, juge administratif

 

Membres :

Jean-Eudes Lajoie, associations d’employeurs

 

Germain Lavoie, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Martin Gauthier

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Ville de Saguenay

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 5 décembre 2012, monsieur Martin Gauthier (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 15 novembre 2012 à la suite d'une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme une décision initialement rendue le 26 septembre 2012 suspendant, à compter du 24 septembre 2012, les indemnités de remplacement du revenu du travailleur en vertu de l’article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[3]           Une audience s’est tenue le 16 septembre 2013 à Saguenay en présence du travailleur et de son procureur. Pour sa part, Ville de Saguenay (l’employeur) était représentée par monsieur Jean-François Renald qui était accompagné d’un procureur. Quant à la CSST, sa procureure avait avisé le tribunal de son absence.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il avait un motif valable pour ne pas se présenter à l’examen médical convoqué par l’employeur et que soient rétablies ses indemnités de remplacement du revenu à compter du 24 septembre 2012.

LES FAITS

[5]           De la preuve documentaire et testimoniale, le tribunal retient notamment ce qui suit.

[6]           Actuellement âgé de 42 ans, le travailleur occupe, depuis le 18 juin 2000, un emploi de policier pour le compte de l’employeur.

[7]           Le 16 juin 2011, en répondant à un appel d’urgence, le véhicule de patrouille du travailleur est impliqué dans un accident de la route. Le travailleur subit alors plusieurs blessures, dont une fracture non déplacée de la clavicule droite. Il est par la suite pris en charge par le docteur Louis-René Bélanger (chirurgien orthopédiste) qui recommande d’abord un traitement conservateur.

[8]           Au mois de septembre 2011, le docteur Bélanger pose le diagnostic de pseudarthrose de la clavicule droite et prévoit qu’une chirurgie sera nécessaire.

[9]           Le 9 décembre 2011, le médecin procède au curetage de la pseudarthrose à la clavicule droite ainsi qu’à une ostéosynthèse avec plaques et vis. À la suite de cette chirurgie, le docteur Bélanger continue d’assurer le suivi médical du travailleur.

[10]        Le 21 août 2012, le docteur Bélanger indique, sur une attestation médicale pour la CSST portant le numéro 04616, que le travailleur doit « éviter en permanence contact avec clavicule droite ». Une orthèse de protection pour la clavicule est alors recommandée par le médecin et une évaluation des séquelles permanentes est demandée en vue du retour au travail du travailleur.

[11]        Le 24 août 2012, l’agente d'indemnisation de la CSST note ce qui suit lors d’une conversation téléphonique avec le travailleur :

[…]

 

Appel au T.Il nous informe qu’il a vu le Dr.L-R Bélanger le 12.08.21 et que celui-ci lui a prescrit un orthèse de protection pour sa clavicule droite.

T dit que le Dr.Bélanger n’est pas capable de statuer sur sa capacité à refaire le même travail soit celui de patrouilleur et demande à la CSST de faire expertiser.

T dit qu’il a été porter sa prescription chez solution CM et ils lui ont demandé d’apporter son gilet pare-balles pour évaluer la mise en place de cette orthèse.

T dit qu’il n’a pas d’autre RV de prévu avec le Dr.Bélanger.

Informons le T de la procédure d’expertise jusqu’à la demande de BEM si nécessaire.

T comprend.

T dit que le retour est prévu après l’expertise ,selon les conclusions.

 

[sic]

 

[12]        Le 29 août 2012, la CSST prévoit demander au travailleur qu’il se soumette à un examen médical le 17 octobre 2012 avec le docteur Jean-François Fradet à Québec. Cette demande d’expertise a ultérieurement été annulée selon ce qu’il appert de l’étampe apposée par l’agente d'indemnisation Esther Bélanger, le 1er octobre 2012.

[13]        Le 31 août 2012, un représentant du Service des ressources humaines de l’employeur a écrit la lettre suivante au travailleur :

[…]

            La présente constitue une convocation à une expertise médicale, conformément à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP), plus précisément en vertu des articles 209 à 212 de cette loi.

 

            La raison qui nous incite à vous convoquer à cette expertise est la suivante :

 

·Réception d’un nouveau billet médical # 04616 daté du 21 août 2012.

 

Veuillez s.v.p. communiquer avec l’inspecteur adjoint administratif, monsieur Laval Brassard, avant votre rendez-vous afin de discuter des modalités de transport, d’horaire et des dépenses encourues selon l’article 18.04.

 

         Tel que prévu à la convention, le coût de cet examen sera assumé par l’employeur.  Nous vous demandons de vous présenter au rendez-vous en ayant en mains une copie de votre dossier médical.

 

         Date :               Lundi, 10 septembre 2012

         Heure :             14 h 30

         Médecin :         Dr André Gilbert, orthopédiste

         Endroit :           3165, chemin St-Louis

                                 Bureau 410

                                 Québec (Québec)  G1W 4R4

 

         Nous vous serions gré de confirmer votre présence avec le soussigné au numéro de téléphone suivant : (418) 698-3000 poste 5116.         [sic]

 

[14]        Le 14 septembre 2012, l’employeur informe la CSST que le travailleur ne s’est pas présenté à l’examen médical du 10 septembre 2012. La CSST demande alors à l’employeur de lui faire parvenir une demande écrite de suspension des indemnités de remplacement du revenu.

[15]        Le 18 septembre 2012, lors d’une conversation téléphonique avec le travailleur, une agente d'indemnisation de la CSST note ce qui suit :

T dit qu’il ne s’est pas présenté à la convocation pour expertise 209 le 10 septembre 2012 à la demande de son E.

T explique qu’il avait été informé par téléphone le 31 août 2012 de son E ,M.Raynald de leur intention de le convoquer en expertise 209. T dit avoir mentionné qu’il attendrait la convocation écrite avant d’en informer son syndicat. T dit qu’il a reçu et pris connaissance de la convocation écrite le jeudi 06 septembre 2012. T dit avoir communiquer avec son syndicat par la suite mais que la personne responsable n’était pas disponible le vendredi. T a donc pu communiquer avec son syndicat que le 10 septembre 2012 soit la journée du RV à l’expertise. T dit que son avocat et le procureur ont recommandé au T de ne pas se présenter en invoquant des raisons de non respect des délais,mauvais motif d’expdrtise ( NX DX sur dernier RM) et qu’il assumaient son refus de ne pas s’y présenter.

Rappelons au T les droits de son E de le convoquer en expertise et de ses obligations de s’y présenter.

Indiquons au T que son E a été informé de son droit de présenter une demande de suspension en vertu de l’art. 142.

Informons le T que la demande n’a pas été reçu dans son dossier actuellement mais si elle était reçue, le T pourrait voir ses IRR suspendus jusqu’à la prochaine convocation en expertise soit le 17 octobre (expertise 204) à parti de la date où je l’en informerai.

 

[…]

 

[sic]

 

 

[16]        Le 20 septembre 2012, l’employeur fait parvenir à la CSST une lettre confirmant que le travailleur ne s’est pas présenté à l’expertise médicale qui devait avoir lieu le 10 septembre 2012 et demande que les indemnités de remplacement du revenu de ce dernier soient suspendues.

[17]        Le 24 septembre 2012, la CSST informe verbalement le travailleur qu’elle suspend ses indemnités de remplacement du revenu puisqu’il a, sans motif valable, omis de se présenter à l’examen médical requis par son employeur. Lors de cette conversation téléphonique, le travailleur informe la CSST qu’il craint que le médecin évaluateur choisi par l’employeur ne soit pas neutre.

[18]        Le 26 septembre 2012, la CSST rend une décision écrite par laquelle elle suspend, à compter du 24 septembre 2012, les indemnités de remplacement du revenu du travailleur, et ce, en vertu de l’article 142 de la loi. Ce dernier demande alors la révision de cette décision.

[19]        Le 27 septembre 2012, lors d’une rencontre aux bureaux de la CSST avec le travailleur et son représentant syndical, il est noté ce qui suit :

[…]

 

Indiquons au T que l’origine de la demande d’expertise a été faite par son orthopédiste le Dr.L-R Bélanger au mois d’août (visite du 21 août 2012).

CSST a donc initié la demande sans en informer son E. T informé que l’expertise est une évaluation de sa condition par un médecin expert afin de connaître l’état de sa lésion selon les 5 sujets prévus à l’expertise.

Indiquons au T que par la suite,nous avons appris que son E avait aussi convoquer le T en expertise et le RV était fixé le 10 septembre 2012 soit avant celui de la CSST. (17 octobre 2012).Considérant que E a le droit de convoquer le T à une expertise et considérant l’obligation du T de s’y soumettre,la CSST se doit de faire respecter les droits et obligation des 2 parties. T dit avoir des doutes sur la crédibilité de l’expertise initiée par son E puisque c’est celui-ci qui la paie.Informons le T que l’expertise sert avant tout à émettre une opinion sur sa condition et sera transmise à son médecin traitant qui nous indiquera si il est d’accord avec les conclusions. T est informé que son médecin doit l’en informer avant de nous faire parvenir son rapport ,si non,nous devrons dirigé la demande au BEM.

 

[…]

 

- ASPECT LÉGAL :

 

T a été informé que sa suspension de son IRR sera prolongée jusqu’au 29 octobre puisque son E a recédulé une autre demande d’expertise et ne pouvait obtenir d’autre date plus raprochée. T informé que la CSST retire son expertise prévue le 17 octobre 2012 puisque E a priorité sur la convocation en expertise.

R et T  nous informe qu’ils contesteront la décision de la suspension de l’IRR .

 

Copie de la lettre de suspension faite et remis au T et à son R.

Copie de la lettre de convocation expertise 204 du 17 octobre 2012 faite et remis au T et à son R.

 

[sic]

 

[nos soulignements]

 

 

[20]        Le 10 octobre 2012, l’employeur fait parvenir au travailleur une nouvelle convocation pour un examen médical devant avoir lieu le 29 octobre 2012 à Québec avec le docteur André Gilbert.

[21]        Sur cette convocation, l’employeur indique que la raison motivant cette demande d’examen médical est le billet médical de la CSST # 04616 daté du 21 août 2012.

[22]        Le 11 octobre 2012, monsieur Jean-François Renald fait la déclaration assermentée suivante :

 

 

[…]

 

1.  Je suis chef de division par intérim en santé et sécurité au travail à l’emploi de Ville de Saguenay;

 

2.  Dans le cadre de mon travail, je traite tous les dossiers d’accident du travail;

 

3.  Le 31 août 2012, j’ai eu une conversation téléphonique avec monsieur Martin Gauthier;

 

4.  Lors de cette conversation téléphonique, je l’ai informé qu’il recevrait une convocation par la poste pour une expertise médicale en orthopédie à Québec, le 10 septembre 2012, avec le Dr André Gilbert;

 

5.  Toujours lors de cette conversation téléphonique, j’ai précisé à monsieur Gauthier l’heure de la visite et les raisons;

 

6.  Aussi, je lui ai mentionné que cette expertise faisait suite au nouveau billet médical du 31 août 2012 qu’il nous avait fourni;

 

7.  Je l’ai de plus informé que l’expertise avait pour but d’avoir un avis sur ses limitations permanentes;

 

8.  Je lui ai demandé sa collaboration afin qu’il se présente, le 10 septembre 2012 à 14h30 pour son rendez-vous;

 

9.  Le ou vers le 4 septembre 2012, la lettre officielle de convocation à une expertise médicale a été envoyée par la suite;

 

10.Le 7 septembre 2012, monsieur Gauthier m’a laissé un message sur ma boîte téléphonique;

 

11.Sur ce message, il m’informait qu’il ne se présenterait pas à l’expertise médicale pour laquelle il a été convoqué;

 

12.Il justifiait son refus de se soumettre à son expertise par le fait que son avocat n’avait pas eu le temps d’étudier son dossier et lui avait conseillé de ne se pas se présenter à l’expertise médicale prévue le 10 septembre 2012;

 

13.J’ai tenté de rejoindre monsieur Gauthier à la maison cette même journée entre 16h30 et 17h mais sans succès;

 

14.Le 10 septembre 2012 au matin, j’ai tenté d’entrer en contact avec monsieur  Gauthier avant d’annuler son rendez-vous;

 

15.J’ai discuté avec sa conjointe qui n’a pas voulu que je lui parle puisqu’il dormait;

 

16.Sa conjointe m’a exposé qu’il n’avait pas à se présenter puisqu’il n’avait pas eu un délai de trente (30) jours;

 

17.J’ai demandé à sa conjointe de faire le message à monsieur Gauthier de me rappeler;

 

 

 

 

 

18.Depuis nous n’avons pas été en mesure d’entrer en contact l’un avec l’autre;

 

19.Tous les faits allégués dans la présente sont vrais au meilleur de ma connaissance.

 

[…]

 

[sic]

 

 

[23]        Le 12 octobre 2012, l’employeur confirme à la CSST qu’il attend les résultats de l’examen médical du 29 octobre 2012, avant d’autoriser le travailleur a effectué un retour progressif au travail car « il y a trop d’ambiguïtés sur l’existence des séquelles permanentes ».

[24]        Le 29 octobre 2012, le travailleur se présente à Québec où il est évalué par le docteur André Gilbert. Dans son rapport déposé au dossier, le docteur Gilbert donne son opinion, notamment sur les cinq points de l’article 212 de la loi ainsi que sur la capacité du travailleur à accomplir ses fonctions de policier avec le port d’une orthèse de protection.

[25]        Par la suite, le dossier du travailleur est dirigé au docteur Jean-Maurice D’Anjou agissant à titre de membre du Bureau d'évaluation médicale qui produit également un rapport le 22 janvier 2013. Dans celui-ci, le docteur D’Anjou indique notamment que le travailleur conserve des séquelles permanentes mais pas de limitation fonctionnelle.

[26]        Le 15 novembre 2012, à la suite d'une révision administrative, la CSST confirme sa décision initiale du 26 septembre 2012 portant sur la suspension des indemnités de remplacement du revenu, d’où le présent litige devant la Commission des lésions professionnelles.

[27]         Lors de l’audience, le tribunal a entendu le témoignage du travailleur. Celui-ci confirme être à l’emploi de l’employeur depuis l’année 2000 et occuper la fonction de policier. Il précise n’avoir aucune fonction au niveau syndical.

[28]        Relativement aux événements survenus à compter de la fin du mois d’août 2012, le travailleur explique que le 31 août 2012, il a eu une conversation téléphonique avec monsieur Jean-François Renald. Lors de cette conversation, le travailleur affirme avoir été informé que l’employeur lui demandait de se soumette à un examen médical pour faire évaluer sa clavicule. Il ajoute que monsieur Renald l’a aussi informé que cet examen aurait lieu le 10 septembre prochain.

[29]        Le travailleur poursuit son témoignage en mentionnant avoir discuté avec monsieur Renald du fait que la CSST allait le convoquer à une évaluation pour ses séquelles permanentes. Il ajoute que lors de cet appel téléphonique, monsieur Renald ne pouvait lui dire qui serait le médecin rencontré ni l’adresse de la clinique où aurait lieu cette évaluation. Le travailleur précise ne pas se souvenir s’il a été question que cette évaluation concernait la présence de limitations fonctionnelles.

[30]        Au sujet de la convocation écrite de l’employeur datée du 31 août 2012 lui demandant de se présenter à une évaluation médicale devant avoir lieu le 10 septembre 2012, le travailleur confirme avoir reçu celle-ci le 6 septembre 2012 et en avoir pris connaissance. Il ajoute que le lendemain, il a contacté son représentant syndical, monsieur Serge Lamarre, pour en discuter avec lui. Selon le travailleur, monsieur Lamarre trouvait la convocation rapide et surtout qu’elle ne semblait pas justifiée. Comme lui avait conseillé monsieur Lamarre, le travailleur a donc contacté le procureur du syndicat, Me Serge Gagné. Après lui avoir expliqué sa situation, le travailleur affirme que Me Gagné lui a conseillé, pour les mêmes motifs que monsieur Lamarre, de ne pas se présenter à cette évaluation médicale.

[31]        Le travailleur explique avoir ensuite laissé un message dans la boîte vocale de monsieur Renald pour l’aviser qu’il n’irait pas à l’évaluation médicale du 10 septembre 2012 à Québec.

[32]        Il poursuit son témoignage en reconnaissant que le matin du 10 septembre 2012, monsieur Renald a appelé à son domicile, mais qu’il n’a pu lui parler car il dormait. Le travailleur déclare avoir par la suite été reconvoqué par l’employeur pour se présenter à un nouvel examen médical qui a pu avoir lieu le 29 octobre 2012. Le travailleur confirme s’être présenté à cet examen.

[33]        D’autre part, le travailleur témoigne que dans des dossiers antérieurs d’invalidité, il a eu quatre ou cinq examens médicaux demandés par l’employeur et qu’il s’y est toujours rendu. Il souligne qu’habituellement, il est convoqué quatre à cinq semaines avant la date de l’évaluation.

[34]        Au sujet de la lettre de la CSST datée du 26 septembre 2012, suspendant ses indemnités de remplacement du revenu, le travailleur affirme avoir reçu celle-ci le 27 septembre 2012, lors d’une rencontre aux bureaux de la CSST.

[35]        Par ailleurs, le travailleur explique que conformément à sa convention collective (pièce T-1), il y a eu reprise du versement par l’employeur de sa rémunération, dès qu’il a produit sa demande de révision de la décision de la CSST du 26 septembre 2012.

[36]        En contre-interrogatoire, le travailleur reconnaît que tant la CSST que l’employeur peuvent  lui demander de se soumette à un examen médical.

[37]        Il poursuit son témoignage en déclarant ne pas se souvenir si son agente d'indemnisation de la CSST lui a fait part, à la suite de l’attestation médicale du docteur Bélanger du 21 août 2012, qu’il aurait une évaluation pour ses séquelles permanentes.

[38]        Par ailleurs, le travailleur reconnaît que les contacts physiques sont courants dans le cadre de ses fonctions de policier.

[39]        Au sujet de la conversation téléphonique qu’il a eue le 31 août 2012 avec monsieur Renald, le travailleur affirme que celui-ci lui a parlé du billet médical du 21 août 2012 et que c’était en raison de ce rapport médical que l’employeur demandait une évaluation médicale.

[40]        Relativement à sa déclaration à son agente d'indemnisation de la CSST du 24 septembre 2012 à l’effet qu’il voulait une évaluation par un médecin neutre, le travailleur admet qu’il doutait que l’évaluation réalisée par un médecin mandaté par l’employeur soit neutre et crédible. Il souligne avoir déjà eu, dans le passé, de mauvaises expériences à cet égard.

[41]        Le travailleur termine son témoignage en reconnaissant qu’à la suite de son rendez-vous avec le docteur Bélanger le 21 août 2012, il savait qu’une évaluation de ses séquelles permanentes allait être faite.

[42]        Le tribunal a aussi entendu le témoignage de monsieur Serge Lamarre. Celui-ci est policier chez l’employeur depuis 18 ans. En plus de ses fonctions de policier, il occupe la fonction de vice-président en finance au sein du syndicat.

[43]        Monsieur Lamarre confirme avoir reçu, le 31 août 2012, un appel téléphonique du travailleur l’avisant que l’employeur voulait le convoquer pour une évaluation médicale. Il lui a alors conseillé d’attendre la convocation écrite de l’employeur et de le recontacter par la suite, ce qu’il a fait en date du 7 septembre 2012 suite à la réception d’une convocation à une évaluation médicale devant avoir lieu le 10 septembre 2012. Comme il trouvait que le délai de convocation était court, il lui a conseillé de contacter l’avocat du syndicat pour obtenir conseil et de le tenir au courant de la suite des choses.

[44]        Il confirme que plus tard, il a été informé que le travailleur ne s’était pas présenté à l’évaluation médicale du 10 septembre 2012 et qu’une nouvelle évaluation aurait lieu le 29 octobre 2012.

[45]        D’autre part, il explique que lors d’une évaluation médicale demandée par l’employeur, ce dernier fournit un véhicule à l’employé pour qu’il se rende à son rendez-vous.

[46]        Monsieur Lamarre termine son témoignage en reconnaissant que lors de la conversation téléphonique du 31 août 2012, il savait que le travailleur avait une évaluation avec un médecin mandaté par la CSST le 17 octobre 2012. Il ajoute cependant ne pas en avoir discuté avec le travailleur lors de cette conversation téléphonique.

[47]        Finalement, le tribunal a entendu le témoignage de monsieur Jean-François Renald. Ce dernier occupait, au mois de septembre 2012, les fonctions de chef par intérim en santé et sécurité au travail chez l’employeur. À ce titre, ses tâches comportaient notamment la gestion des dossiers de CSST et d’invalidité.

[48]        Au sujet de l’affidavit signé le 11 octobre 2012, monsieur Renald reconnaît qu’au point 6 de celui-ci, la date indiquée devrait être le 21 août 2012 et non pas celle du 31 août 2012.

[49]        En ce qui concerne l’attestation médicale du 21 août 2012 du docteur Bélanger, monsieur Renald mentionne en avoir pris connaissance le 28 août 2012. Il souligne avoir alors constaté un élément nouveau sur cette attestation médicale, soit la mention d’éviter en permanence tout contact avec la clavicule droite. Dans son esprit, cette mention équivalait à la présence d’une atteinte permanente et il voulait valider cet aspect par le biais d’un examen médical. Monsieur Renald explique avoir donc immédiatement débuté des démarches afin de trouver un médecin évaluateur qui pourrait rencontrer le travailleur. C’est dans ce contexte qu’il a retenu les services du docteur Gilbert et qu’un rendez-vous a été planifié pour le 10 septembre 2012 à Québec.

[50]        Par ailleurs, monsieur Renald confirme avoir appelé le travailleur le 31 août 2012, pour l’informer qu’il allait recevoir une convocation écrite pour une évaluation médicale. Il affirme avoir dit au travailleur que  cette évaluation aurait lieu à Québec avec le docteur Gilbert et lui avoir précisé la date et l’heure du rendez-vous. Il n’est cependant pas certain de lui avoir donné l’adresse précise de la clinique médicale du docteur Gilbert. Monsieur Renald témoigne avoir également discuté avec le travailleur des raisons qui amenaient l’employeur à demander une évaluation médicale. Appelé à préciser cet aspect, le témoin déclare avoir parlé avec le travailleur du fait qu’il y avait une mention à l’effet d’éviter en permanence tout contact avec la clavicule droite indiquée sur l’attestation médicale du 21 août 2012. Il ajoute que cette conversation téléphonique avec le travailleur a duré entre trois et quatre minutes et avoir demandé la collaboration de ce dernier, car l’employeur avait engagé des frais pour cet examen. Monsieur Renald affirme que le jour même, il a préparé et mis à la poste, la convocation écrite pour cet examen.

[51]        Le témoin poursuit son témoignage en déclarant que dans l’après-midi du 7 septembre 2012, il a reçu un message téléphonique du travailleur à l’effet qu’il avait discuté avec son représentant syndical et qu’il ne se présenterait pas à l’évaluation médicale prévue le 10 septembre 2012. Il affirme avoir alors tenté, sans succès, de rejoindre le travailleur pour en discuter avec lui.

[52]        Ce n’est que le lundi 10 septembre 2012 vers 9 h, qu’il a pu parler à la conjointe du travailleur qui lui a dit que celui-ci dormait et lui a fait part d’un délai de 30 jours qui ne serait pas respecté. Monsieur Renald explique ne pas savoir à quoi correspond ce délai de 30 jours, qui n’est pas indiqué dans la convention collective des policiers ou dans la loi.

[53]        Monsieur Renald ajoute que dans les jours suivants, il a informé la CSST de la situation et a fait parvenir à cet organisme une demande de suspension des indemnités.

[54]        En contre-interrogatoire, monsieur Renald reconnaît que chaque policier possède une adresse courriel et qu’il est déjà arrivé qu’une correspondance soit signifiée par voie électronique ou par un policier du service. Il précise cependant que ce n’est pas de cette manière qu’il procède.

[55]        Il termine son témoignage en reconnaissant savoir que le travailleur présente un problème personnel de sommeil déphasé.

L’AVIS DES MEMBRES

[56]        Le membre issu des associations d’employeurs ainsi que le membre issu des associations syndicales sont d’avis unanime que la requête du travailleur doit être partiellement accueillie.

[57]        Tout d’abord, ils estiment que le travailleur n’a pas démontré l’existence d’une raison valable pour ne pas s’être présenté à l’examen médical du 10 septembre 2012, tel que requis par son employeur. Ils sont d’avis que le délai ainsi que les motifs donnés par l’employeur pour justifier cet examen médical étaient suffisants. Ils ajoutent que les craintes de partialité formulées par le travailleur à l’endroit du médecin désigné par l’employeur ne sont pas fondées.

[58]        Cependant, ils estiment que la CSST ne pouvait mettre fin, rétroactivement au 24 septembre 2012, aux indemnités de remplacement du revenu du travailleur et que celui-ci avait droit à des indemnités jusqu’à la décision écrite de la CSST du 26 septembre 2012.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[59]        La Commission des lésions professionnelles doit décider si la CSST était justifiée de suspendre le versement des indemnités de remplacement du revenu du travailleur, et ce, à compter du 24 septembre 2012.

[60]        Afin de répondre à cette question, il est pertinent de reproduire les articles 142 paragraphe 2a), 143, 209, 210 et 211 de la loi :

 

 

142.  La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :

 

[…]

 

2° si le travailleur, sans raison valable :

 

a)  entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;

 

[…]

__________

1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.

 

 

143.  La Commission peut verser une indemnité rétroactivement à la date où elle a réduit ou suspendu le paiement lorsque le motif qui a justifié sa décision n'existe plus.

__________

1985, c. 6, a. 143.

 

 

209.  L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut exiger que celui-ci se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'il désigne, à chaque fois que le médecin qui a charge de ce travailleur fournit à la Commission un rapport qu'il doit fournir et portant sur un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.

 

L'employeur qui se prévaut des dispositions du premier alinéa peut demander au professionnel de la santé son opinion sur la relation entre la blessure ou la maladie du travailleur d'une part, et d'autre part, l'accident du travail que celui-ci a subi ou le travail qu'il exerce ou qu'il a exercé.

__________

1985, c. 6, a. 209; 1992, c. 11, a. 14.

 

 

210.  L'employeur qui requiert un examen médical de son travailleur donne à celui-ci les raisons qui l'incitent à le faire.

 

Il assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre.

__________

1985, c. 6, a. 210.

 

 

211.  Le travailleur victime d'une lésion professionnelle doit se soumettre à l'examen que son employeur requiert conformément aux articles 209 et 210.

__________

1985, c. 6, a. 211.

 

 

[61]        De ces dispositions législatives, il en découle qu’un employeur peut exiger d’un travailleur qu’il se soumette à un examen médical à chaque fois que le médecin qui a charge émet un rapport médical prévu à la loi. Bien entendu, l’employeur doit fournir au travailleur les motifs justifiant un tel examen et en assumer les coûts ainsi que les frais de déplacement du travailleur. De plus, en fonction de l’article 211 de la loi, le travailleur doit se soumettre à l’examen médical demandé par son employeur, sous peine de voir ses indemnités suspendues par la CSST en vertu de l’article 142 paragraphe 2a) de la loi. Le législateur a toutefois prévu que la CSST ne pouvait suspendre le versement des indemnités de remplacement du revenu, si le travailleur démontre l’existence d’une raison valable pour ne pas s’être présenté à l’examen demandé.

[62]        Au sujet de l’existence d’une raison valable, le travailleur invoque essentiellement le court délai où il a été convoqué par son employeur à l’examen médical, l’absence de motif suffisant pour exiger un tel examen ainsi que la crainte que le médecin désigné par l’employeur ne soit pas neutre.

[63]        Or, après analyse et considérations de l’ensemble de la preuve, le tribunal conclut que le travailleur n’a pas démontré l’existence d’une raison valable justifiant de ne pas s’être présenté à l’examen médical demandé par l’employeur.

[64]        En effet, en ce qui concerne la question du délai pour demander un tel examen médical, il y a d’abord lieu de constater que l’article 209 de la loi ne précise aucun délai minimum à respecter pour une telle convocation. Bien entendu, même si aucun délai n’est spécifié, un employeur doit néanmoins aviser un travailleur dans un délai raisonnable, selon les circonstances, et ce, surtout si le travailleur doit se déplacer à l’extérieur de sa région pour subir cet examen.

[65]        Or, dans le présent cas, le tribunal estime que le délai de convocation a été suffisant, puisque dès le 31 août 2012, le travailleur a été informé verbalement par monsieur Renald, que l’employeur exigeait qu’il se soumette à un examen médical prévu pour le 10 septembre 2012. À ce dernier propos, il y a lieu de rappeler qu’aucun article de la loi n’exige que la convocation à un examen médical requis par un employeur soit fait par écrit.

[66]        D’autre part, bien que la preuve soit contradictoire quant à savoir si monsieur Renald a mentionné au travailleur, lors de cette conversation téléphonique du 31 août 2012, certains détails tels que l’heure du rendez-vous ou le nom du médecin désigné, le tribunal estime que ces éléments ne sont pas déterminants en l’espèce, puisque le travailleur a valablement été informé de ceux-ci lorsqu’il a reçu la convocation écrite de l’employeur le 6 septembre 2012.

[67]        Par ailleurs, le tribunal constate que le travailleur n’a aucunement justifié, en quoi ce court délai de convocation, l’empêchait de se rendre à l’examen médical demandé par son employeur. Qui plus est, bien que la preuve démontre que le travailleur présente une condition personnelle de sommeil déphasé, il y a lieu de remarquer que celui-ci n’a pas fait valoir que cette condition personnelle représentait un empêchement ou rendait très difficile pour lui, son déplacement à Québec pour subir un examen. Au surplus, cet examen médical du 10 septembre 2012 devait avoir lieu en après-midi (14 h 30), ce qui normalement aurait dû faciliter les choses pour son déplacement vers Québec.

[68]        En ce qui concerne la question des motifs fournis par l’employeur au travailleur pour exiger un tel examen médical, le tribunal considère que ceux-ci sont suffisants.

[69]        En effet, le tribunal retient d’abord que tant selon le témoignage du travailleur que selon celui de monsieur Renald, il a été question, lors de la conversation téléphonique du 31 août 2012, que l’examen médical demandé avait pour but de faire évaluer sa condition à l’épaule droite.

[70]        Or, la question d’une évaluation à venir au niveau de l’existence de séquelles permanentes à l’épaule droite découlant de la fracture de la clavicule subie lors de l’événement du 16 août 2011 n’est pas nouvelle pour le travailleur, puisque cela ressort clairement du rapport médical du docteur Bélanger du 21 août 2012 ainsi que des notes de l’agente d'indemnisation de la CSST du 24 août 2012.

[71]        Compte tenu de ces éléments, il ne fait aucun doute pour le tribunal, que le travailleur comprenait, lors de cette conversation téléphonique avec monsieur Renald le 31 août 2012, que l’examen médical porterait notamment sur la nature des séquelles permanentes qu’il conservait à l’épaule droite ainsi que sur sa capacité à refaire son emploi de policier.

[72]        Qui plus est, la convocation écrite de l’employeur datée du 31 août 2012, fait clairement référence au billet médical de la CSST du 21 août 2012 numéro 04616 pour justifier l’examen médical demandé. Or, considérant que le travailleur connaissait très bien la teneur de ce rapport médical complété par le docteur Bélanger où il était indiqué, pour la première fois, une restriction permanente au niveau des contacts physiques impliquant l’épaule droite, force est de conclure que la référence à ce billet médical par l’employeur sur sa convocation écrite permet de considérer que le travailleur a valablement été informé des motifs pour lesquels son employeur demandait un examen médical.

[73]        Finalement, le tribunal ne peut retenir, à titre de raison valable, la crainte du travailleur à l’effet que le médecin désigné par l’employeur ne soit pas neutre. Non seulement cette crainte ne repose sur aucun élément de preuve objectif, mais il y a lieu de souligner qu’en vertu de la loi, le rapport produit par le médecin désigné par l’employeur doit être soumis au médecin traitant du travailleur et que si celui-ci n’est pas d’accord avec cette évaluation, le dossier sera soumis au Bureau d'évaluation médicale. Ces éléments ont d’ailleurs été rappelés au travailleur par la CSST lors de la rencontre tenue aux bureaux de cet organisme le 27 septembre 2012.

[74]        Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles conclut que la CSST était justifiée de suspendre les indemnités de remplacement du revenu du travailleur, puisque celui-ci a omis, sans raison valable, de se soumettre à l’examen médical demandé par son employeur.

[75]        Cependant, le tribunal estime que la CSST ne pouvait suspendre rétroactivement au 24 septembre 2012, les indemnités du travailleur.

[76]        En effet, comme le rappelle une abondante jurisprudence du tribunal, il est bien établi que la sanction prévue à l’article 142 de la loi ne peut être rétroactive, puisque cette disposition est une mesure incitative et que son application rétroactive aurait pour effet d’empêcher le travailleur de pouvoir remédier à la situation[2].

[77]        C’est ainsi que conformément à la jurisprudence[3] du tribunal, le soussigné estime que la suspension des indemnités de remplacement du revenu ne pouvait être antérieure à la décision écrite de la CSST du 26 septembre 2012 rendue conformément à l’article 354 de la loi.

[78]        Finalement, quant à la possibilité pour la CSST d’utiliser son pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 143 de la loi pour verser rétroactivement l’indemnité qu’elle a suspendue, le soussigné estime approprié de retourner le dossier du travailleur à la CSST pour que cet organisme se prononce sur cette question, puisque manifestement, elle a ignoré cette disposition de la loi et n’a jamais rendu de décision à cet effet. Un tel raisonnement a d’ailleurs fait l’objet de plusieurs décisions de la part du tribunal, notamment dans l’affaire Létourneau et Les Installations Mur à Mur[4], où l’on peut lire que :

[26]      Tel que le soulignait récemment la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Joseph et Levinoff-Colbex, S.E.C.2, l’article 143 de la loi confère une discrétion à cet égard à la CSST. Il y est prévu que la CSST « peut » (au lieu du mot « doit ») verser rétroactivement l’indemnité qu’elle a suspendue en vertu de l’article 142 de la loi lorsque le motif de suspension n’existe plus.

 

[27]      Comme la Commission des lésions professionnelles le souligne dans l’affaire précitée, il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire qui relève de la CSST et le tribunal n’a pas à intervenir, quant à l’opportunité de rétablir rétroactivement le versement de l’indemnité de remplacement du revenu, d’autant plus que, en l’espèce, la décision contestée ne porte que sur la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu. Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles s’exprime comme suit :

 

[23]  L’article 143 de la loi confère, à cet égard, une certaine discrétion à la CSST vu l’utilisation par le législateur du mot « peut » au lieu du mot « doit » à cet article. Ainsi, la CSST « peut » verser rétroactivement l’indemnité qu’elle avait suspendue en vertu de l’article 142 de la loi lorsque le motif de la suspension n’existe plus mais elle n’a aucune obligation de le faire.

 

 

[24] À plusieurs occasions, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles et la Commission des lésions professionnelles ont reconnu le pouvoir discrétionnaire dévolu à la CSST en vertu de l’article 143 de la loi et se sont abstenues d’intervenir pour substituer leur opinion à celle de la CSST quant à l’opportunité de rétablir rétroactivement le versement de l’indemnité de remplacement du revenu. À la lumière de cette jurisprudence, le tribunal ne croit pas qu’il lui appartient de déterminer si le rétablissement de l’indemnité de remplacement du revenu, après l’examen médical du 11 août 2008, aurait dû être fait rétroactivement.

 

[25] De plus, le tribunal tient à souligner que la décision contestée devant la Commission des lésions professionnelles ne traite aucunement de cette question. Elle ne porte que sur le bien-fondé de la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 16 juillet 2008.

 

[26]  Par ailleurs, le tribunal constate que la CSST ne semble pas avoir exercé ce pouvoir discrétionnaire qui lui est dévolu en vertu de l’article 143 de la loi lorsqu’elle a rétabli le versement de l’indemnité de remplacement du revenu après l’examen médical du 11 août 2008, auquel s’est présenté le travailleur. Les notes évolutives et autres informations provenant de la CSST ne laissent aucunement entrevoir que celle-ci s’est questionnée sur l’opportunité d’effectuer un paiement rétroactif dans le cas présent ou qu’elle a considéré une telle éventualité. Au contraire, tout indique que l’article 143 de la loi a été ignoré. Pourtant, cet exercice aurait dû être fait. C’est pourquoi le tribunal juge opportun de retourner le dossier à la CSST afin qu’elle détermine, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, si les circonstances lui permettent, dans le cas présent, de verser rétroactivement au travailleur l’indemnité qui avait été suspendue puisque le motif de cette suspension n’existe plus. La CSST doit faire cet exercice et si elle juge qu’il n’y a pas lieu de rétablir l’indemnité de remplacement du revenu rétroactivement à la date de sa suspension, le travailleur, qui soit dit en passant n’a jamais été de mauvaise foi dans cette affaire, a le droit de savoir pourquoi il en est ainsi.

 

[28]      Or, comme c’était le cas dans cette affaire, dans le présent cas, la preuve soumise démontre que la CSST ne semble pas avoir exercé ce pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 143 de la loi lorsqu’elle a rétabli le versement de l’indemnité de remplacement du revenu après que le travailleur se soit soumis à l’examen médical. La preuve documentaire et, notamment, les notes évolutives ne laissent aucunement entrevoir que la CSST se soit questionnée sur l’opportunité d’effectuer un paiement rétroactif ou qu’elle ait considéré une telle éventualité. Il ne semble pas que le travailleur ait demandé non plus à la CSST de lui verser l’indemnité de remplacement du revenu rétroactivement.

_________

2        C.L.P. 358278-71-0809, 29 juillet 2009, M. Zigby. Au même effet, voir notamment Lévesque et Transport Le Relais, C.L.P. 375194-62C-0904, 3 novembre 2010, R. Hudon.

 

[sic]

 

 

[79]        Sans vouloir s’immiscer dans le pouvoir discrétionnaire de la CSST prévu à l’article 143 de la loi, le soussigné tient néanmoins à souligner que si cet organisme n’avait pas annulé, le 1er octobre 2012, l’examen médical qu’elle avait demandé auprès du docteur Fradet et qui devait avoir lieu le 17 octobre 2012, la période de suspension des indemnités de remplacement du revenu du travailleur aurait été moins longue.

[80]        La Commission des lésions professionnelles conclut donc que la requête du travailleur doit être partiellement accueillie.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE en partie la requête de monsieur Martin Gauthier, le travailleur;

MODIFIE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 15 novembre 2012 à la suite d'une révision administrative;

DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail était justifiée de suspendre les indemnités de remplacement du revenu du travailleur à compter du 26 septembre 2012;

RETOURNE le dossier du travailleur à la Commission de la santé et de la sécurité du travail afin qu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire qui lui est dévolu en vertu de l’article 143 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et détermine, s’il y a lieu, de verser rétroactivement l’indemnité de remplacement du revenu au travailleur.

 

 

 

 

Jean Grégoire

 

 

 

 

Me Serge Gagné

TRUDEL, NADEAU AVOCATS

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Robert Pépin

PÉPIN, MORIN, CROTEAU, BOIVIN

Représentant de la partie intéressée

 

 

Me Hélène Bérubé

VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON

Représentante de la partie intervenante

 



[1]          L.R.Q., c.A-3.001.

[2]           G.P.C. Excavation inc. et Prévost, C.L.P. 257713-03B-0503, 21 septembre 2005, G. Marquis (05LP-149); Allaire et Resto-Brasserie Le Grand-Bourg, C.L.P. 153256-32-0012, 17 avril 2001, M.-A. Jobidon; Chantal et Services de gestion Quantum limitée, C.L.P. 185557-62-0206, 10 mars 2003, H. Marchand.

[3]           Richer et Ville de St-Hubert, [1990] C.A.L.P. 411; Fortin et Donohue Normick inc., [1990] C.A.L.P. 907; Westroc inc. et Beauchamp, [2001] C.L.P. 206.

[4]           2010 QCCLP 8993.

AVIS :
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