Décision

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Bérard c

Bérard c. Québec (Procureur général)

JB 2671

 

 

2006 QCCQ 12351

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

BEDFORD

LOCALITÉ DE

GRANBY

« Chambre civile »

N° :

460-32-003553-046

 

 

 

DATE :

14 novembre 2006

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

DONALD BISSONNETTE, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

Jean-Pierre Bérard

502, rue du Rubis

Granby (Québec)

J2H 2S4

 

Partie demanderesse

c.

 

Procureur général du Québec

3, Complexe Desjardins

Secteur D - 186 LC

Montréal (Québec)
H5B 1A7

 

Partie défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]                Le demandeur allègue que la partie demanderesse a abusé de son droit d'ester en justice par des cotisations injustement imposées suite à la faillite de la compagnie R. Viens Équipement Inc. en 1999.

[2]                Le demandeur était actionnaire et président de R. Viens Équipement Inc. "VIENS"

[3]                Le 16 mars 1999 VIENS a vendu à Agrivision 2000 Inc. une division de l'entreprise connue sous le nom d'emprunt «Harvestore du Québec». Il a été convenu que toute somme payable par l'acquéreur serait remise en fidéicommis détenue par Me Louis Normandin pour effectuer les paiements convenus entre les parties et la banque détentrice d'hypothèque sur les biens nantis par VIENS.

[4]                Le 15 avril 1999 VIENS a fait cession de ses biens.

[5]                Le 13 septembre 2000, le demandeur a reçu une cotisation en vertu de l'article 24.01 de la Loi sur le ministère du Revenu du Québec au montant de 37,896.01$. Le fisc réclame de son administrateur les taxes de vente impayées par la compagnie en relation de la vente de «Harverstore du Québec».

[6]                Suite aux demandes de révision des déductions d'impôt en vue de réclamer les pertes de revenus pour les années d'imposition 1996, 1997, 1998, le ministère du Revenu du Québec "MRQ" a émis une nouvelle cotisation le 22 janvier 2001 remboursant le demandeur de la somme de 26,865.97$, mais a conservé la totalité en compensation de la cotisation du 13 septembre 2000.

[7]                Le 3 juillet le demandeur a déposé un avis d'opposition à la cotisation du 13 septembre 2000. Ce n'est qu'au 5 avril 2002 que le ministère du Revenu du Québec a annulé cette première cotisation de 37,896.01$.

[8]                Le 15 janvier 2002, le ministère du Revenu du Québec avait émis une autre cotisation pour la somme de 157,320.63$ cette fois en vertu de l'article 12.1 de la Loi sur le ministère du Revenu du Québec.

[9]                La cotisation du 15 janvier 2002 est basée sur la prétention que le demandeur a agi à titre de liquidateur des biens de R. Viens Équipement Inc. lors de la vente de la division «Harvestore du Québec» mentionnée au deuxième paragraphe.

[10]            Cette deuxième cotisation a eu pour effet de bloquer tout remboursement prévu par les cotisations antérieures.

[11]            Le 24 janvier 2003, le demandeur a déposé sa requête en appel demandant l'annulation de la cotisation du 15 janvier 2002.

[12]            L'appel a été fixé pour audition le 26 février 2004. La question est de savoir si le demandeur a agi à titre de liquidateur des biens de VIENS lors de la vente de la division «Harvestore du Québec». Cette question n'a jamais été débattue car le ministère du Revenu du Québec a annulé l'avis de cotisation la veille de l'audition le 25 février 2004.

[13]            Le demandeur a payé son avocate 4,916.62$ en frais extrajudiciaires qu'il réclame par la présente demande à titre de dommages.

[14]            La question des «dépens avocat-client» réclamés contre la partie perdante est, au Québec, limitée par les règles de la responsabilité civile.[1]

[15]            Dans le jugement de Viel, le tribunal a cité le juge Baudouin dans l'affaire Sigma Construction [2]:

"lorsqu'il s'agit de procédures civiles, est a l'effet qu'il faut, pour justifier cet octroi, rapporter la preuve d'un véritable abus de procédure pouvant consister par exemple, en la défense d'un droit non-existant, en la multiplication des procédures dilatoires_ ou futiles ou encore en une prolifération des recours visant à faire encourir des frais inutiles à l'adversaire" [3]

[16]            Et plus loin, la cour cite les auteurs Baudouin et Deslauriers:

"La première hypothèse est cette où l'argent, de mauvaise foi, et conscient du fait qu'il n'a aucun droit à faire valoir, se sert de la justice comme s'il possédait véritablement un tel droit. Il n'agit pas alors dans le cadre de l'exercice ou la défense de son droit, mais totalement en dehors de celui-ci…" [4]

et dans la même décision aux paragraphes 83 et 84 on peut lire:

"Lorsque la conduite d'une partie d'une partie sur le fond du litige est répréhensible, scandaleuse, outrageante, abusive, de mauvaise foi, le juge des faits sera porté plus facilement à conclure que cette conduite s'est poursuivie lors du débat judiciaire. Je suis d'avis qu'il faut se méfier des automatismes en cette matière. L'abus sur le fond ne conduit pas nécessairement à l'abus du droit d'ester en justice. Règle générale et sauf circonstances exceptionnelles, seul ce dernier est susceptible d'être sanctionné par l'octroi de dommages (honoraires extrajudiciaires)…"

"J'ajoute que l'abus du droit d'ester en justice peut naître également au cours des procédures. L'abuseur qui réalise son erreur et s'enferme dans sa malice pour poursuivre inutilement le débat judiciaire sera responsable du coût des honoraires extrajudiciaires encourus à compter de l'abus. [5]

[17]            Dans la présente affaire, la cotisation par le ministère du Revenu du Québec en date du 15 janvier 2002 en vertu de l'article 12.1 de la Loi avait été portée en appel parce que le responsable du dossier a refusé de traiter l'opposition car l'avocat du demandeur l'a menacé d'intenter appel. [6] À toutes fins pratiques, l'opposition du demandeur de la cotisation du 15 janvier 2002 n'a pas été traitée en opposition.

[18]            Le demandeur a aussi souscrit à certains passages des décisions dans les arrêts Société Radio-Canada c. Gilles Néron et als [7] et Construction Val-d'Or ltée c. Gestion L.R.O. (1997) inc et als [8]. Ces deux jugements n'ont rient changé quant à l'état du droit. Il est par contre intéressant de constater dans Société Radio-Canada c. Gilles Néron et als, le passage suivant:

"En l'espèce, que cet abus de droit ait été commis à l'extérieur du forum judiciaire ne change rien au litige. La C.N.Q., par son comportement excessif et déraisonnable, a forcé Gilles E. Néron à recourir à la justice pour y mettre fin de la seule manière qui  ne compromette pas la paix sociale. En pareil cas, il existe un lien de causalité direct entre la faute commise par la C.N.Q. et la perte économique encourue par les intimés."

[19]            Cette pensée a son application dans le dossier sous étude. Il appert des faits soumis par le demandeur que lorsque l'agent du ministère du Revenu du Québec responsable de la première cotisation a réalisé que l'opposition intentée par le demandeur était bien fondée, il a par le biais de l'article 20.1 de la Loi, essayé de maintenir et persévéré au droit du ministère du Revenu du Québec les remboursements légitimes du demandeur pour des pertes de revenus pour les années d'imposition 1996,1998, 1999. L'agent a donc émis la cotisation du 15 janvier 2002 ayant allégué que le demandeur, administrateur de R. Viens Équipement Inc., avait agi comme liquidateur des biens de la compagnie.

[20]            La liquidation est un droit associé à la dissolution de personnes morales (art. 355 C.c.Q. et suivants) et l'administration des successions (art.628 C.c.Q. et suivants).

[21]            L'article 14 de la Loi du ministère du Revenu du Québec se lit dans son premier paragraphe ainsi:

"Avant de distribuer des biens sous contrôle, tout cessionnaire ou toute personne, à l'exception d'un syndic de faillite, qui, pour une personne ou un créancier de cette autre personne, liquide, administre ou contrôle les biens, les affaires, la succession, le revenu ou les activités commerciales d'une telle personne, doit informer le ministre, par avis donné au moyen d'un formulaire prescrit, de son intention de procéder à la distribution prévue."

Et au quatrième paragraphe:

"Toute distribution de biens faite sans l'obtention du certificat du ministre rend le contrevenant personnellement responsable des montants mentionnés dans le deuxième alinéa jusqu'à concurrence de la valeur des biens qu'il a distribués.

[22]            C'est justement en vertu de cet énoncé de responsabilité que la cotisation du 15 janvier 2002 a été émis. Le demandeur plaide que l'émission de cet avis de cotisation n'est pas et n'a jamais été fondée en droit.

[23]            Il faut rappeler que le ministère du Revenu du Québec a reconnu le bien fondé de l'opposition déposée par le demandeur et a corrigé en sa faveur des déclarations de revenus pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998 en reconnaissance des dettes accumulées. À ce moment, le ministère du Revenu du Québec a reconnu son endettement envers le demandeur pour la somme de 26,865.97$.

[24]            Dans l'unique but de se faire rembourser cette somme, le demandeur a dû prendre les devants et inscrire en appel son opposition à la cotisation du 15 janvier 2002 car l'agent de recouvrement a négligé ou refusé de traiter le dossier.

[25]            L'avis d'appel a été déposé par les procureurs du demandeur le 24 janvier 2003 dix (10) mois après le dépôt de l'opposition.

[26]            Aucune explication pour ce délai n'a été offerte malgré les demandes respectives par l'avocat du demandeur.

[27]            Suivant les procédures administratives tout dossier sujet à un avis d'appel est transféré au contentieux du ministère du Revenu du Québec et doit être évalué à nouveau. Apparemment, les dossiers sont traités selon leur date d'entrée au contentieux. Le dossier a été fixé pour audition le 26 février 2004, soit un (1) an après le dépôt de l'avis d'appel.

[28]            En tout, 25 mois se sont écoulés entre l'avis de cotisation et le règlement du dossier. Il s'est écoulé un autre deux (2) mois avant le ministère du Revenu du Québec émette un avis de cotisation pour annuler la cotisation du 15 janvier 2002.

[29]            Les minutes de règlement hors cour en plus de faire état de l'intention du ministère du Revenu du Québec d'annuler la cotisation en date du 15 janvier 2002 incluent deux (2) autres paragraphes.

Paragraphe 3:

"Les parties, par leurs procureurs soussignés, conviennent que le présent règlement est fait sans préjudice aux droits des parties, ne peut constituer une admission tant pour le passé que pour l'avenir et ne saurait servir de précédent;"

Paragraphe 4:

"Les parties, par leurs procureurs soussignés, conviennent que les présentes minutes de règlement hors Cour constituent une transaction au sens des dispositions des articles 2631 et suivant du Code civil du Québec."

[30]            Ces deux paragraphes sont uniquement à l'avantage du ministère du Revenu du Québec.

[31]            Je dois me poser la question à savoir pourquoi le ministère voulait se protéger contre précédent dans la présente affaire. Il est fort possible que l'article 14 de la Loi n'a jamais été interprété par les cours. Il est aussi possible qu'après analyse, les procureurs du M.R.Q. en sont venus à la conclusion que les prétentions de leur client étaient vouées à l'échec. À mon avis, l'administrateur d'entreprise qui vent un bien dans les activités courantes de l'entreprise n'agit pas comme liquidateur au sens de la Loi. De prétendre autrement, expose le M.R.Q. à lui rembourser les frais extrajudiciairses.

[32]            Mais le demandeur est aussi co-contractant de la transaction prévue dans les minutes de règlement hors cour.

[33]            L'article 2631 du Code civil du Québec se résume ainsi:

"La transaction est le contrat par lequel les parties préviennent une contestation à naître, terminent un procès ou règlent les difficultés qui surviennent lors de l'exécution d'un jugement, au moyen de concessions ou de réserves réciproques.

Elle est indivisible quant à son objet."

[34]            Une des concessions faite par le ministère du Revenu du Québec dans les minutes de règlements hors cour était que le règlement «est fait sans préjudice aux droits des parties, ne peut constituer une admission tant pour le passé que pour l'avenir et ne saurait servir de précédent.»

[35]            À mon avis, cette concession permet au demandeur d'intenter son recours pour le préjudice causé par le ministère du Revenu du Québec, malgré la transaction.

[36]            Je suis d'avis que l'interprétation la plus large n'aurait jamais permis à un tribunal après avoir entendu la preuve soumise, d'en venir à la conclusion que le demandeur avait agi à titre de liquidateur À mon avis, l'agent de recouvrement chargé d'administrer le dossier du demandeur a agi d'une façon téméraire et sans droit en émettant la cotisation du 22 janvier 2002 et causant ainsi un préjudice au demandeur. Le préjudice doit se limiter aux frais extrajudiciaires que le demandeur a dépensé pour obtenir remboursement des sommes qui ont été retenues par le ministère du Revenu du Québec.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[37]            MAINTIENT la demande;

[38]            CONDAMNE la défenderesse à payer au demandeur la somme de QUATRE MILLE NEUF CENT SEIZE DOLLARS ET SOIXANTE-DEUX CENTS (4,916.62$) avec intérêts au taux de 5% l'an, et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, à compter de l'assignation;

[39]            CONDAMNE la défenderesse à payer à la demanderesse les frais judiciaires de 116$;

 

 

 

___________________________

DONALD BISSONNETTE, J.C.Q.

 

 

 

 

 

 

Date d’audience :

28 août 2006

 



[1] Viel c. Entreprises immobilières du terroir ltée, par. 72

[2] Viel, par. 73

[3] Viel, par. 73

[4] Viel, par. 75

[5] Viel, paragraphes 83 et 84

[6] Facturation du 28 janvier 2003. Me Chabot n'avait pas traité le dossier puisqu'elle considérait que le

  demandeur voulait aller en appel

[7] REJB 2002-34710

[8] EYB 2006-99819

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