Décision

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Christodoulou c. Noël

2018 QCCS 1409

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

laval

 

 

 

N° :

540-17-004841-119

 

 

 

DATE :

10 avril 2018

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

peter kalichman, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

HELLEN CHRISTODOULOU

Et

 

ELIE EL-CHAKIEH

 

Demandeurs/défendeurs reconventionnels

c.

 

DANIEL NOËL

 

Défendeur/demandeur reconventionnel

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

A.           L’APERÇU

[1]           Le présent dossier concerne une dispute entre voisins qui va au-delà de simples troubles de voisinage. Les demandeurs, Hellen Christodoulou et Elie El-Chakieh,  prétendent être victimes d’une campagne de harcèlement d’une intensité et d’une virulence choquantes, menée par le défendeur Daniel Noël à leur égard.  Ce dernier admet avoir tenu des propos « déplacés et inappropriés » envers eux mais invoque la défense de provocation.  Le défendeur formule une demande reconventionnelle fondée principalement sur de la nuisance causée par des gestes posés par les demandeurs.

B.           LE CONTEXTE

[2]           Les demandeurs sont mariés et habitent à Laval-sur-le-Lac. M. El-Chakieh obtient son doctorat en génie en 1982 et travaille dans ce domaine pendant de nombreuses années. Mme Christodoulou détient aussi un diplôme en génie ainsi qu’un baccalauréat en droit et une maîtrise en administration; elle travaille dans le domaine de l’acier.

[3]           Les demandeurs habitaient déjà à Laval-sur-le-Lac depuis de nombreuses années lorsque M. Noël et son épouse emménagent dans une maison avoisinante en 2000. Le défendeur, qui était propriétaire d’une entreprise de fabrication industrielle, est à la retraite depuis plus de vingt ans.

[4]           Au début, les parties ont une relation cordiale et respectueuse qui se détériore  à partir de 2002.

[5]           De 2002 à 2006, les parties ont porté plainte l’une contre l’autre auprès de la municipalité de Laval, et ce, pour avoir enfreint des règlements municipaux, principalement pour du bruit excessif. Les parties ont même déposé des plaintes au Service de police de la Ville de Laval. M. El-Chakieh a accusé M. Noël d’avoir proféré des menaces de mort contre lui et de l’avoir harcelé, et M. Noël a accusé M. El-Chakieh d’intimidation et de provocation.

[6]           En 2006, les parties ont participé à une séance de médiation communautaire au poste de police afin de régler leurs problèmes de voisinage.  Entre 2006 et 2010, la situation semble être moins turbulente.

[7]           Malheureusement, les hostilités reprennent en 2010 alors que les demandeurs entreprennent des travaux de rénovation.  Le projet dure plus d’un an.  M. Noël devient de plus en plus agacé par le bruit causé par la construction, les travaux effectués par M. El-Chakieh dans sa cour, et la présence des matériaux qui se trouvent sur le terrain des demanderesses. Il est surtout furieux que M. El-Chakieh travaille le samedi et le dimanche. Il se plaint amèrement à M. El-Chakieh quand il le voit sur son terrain ou dans la rue.

[8]           Lors des échanges avec M. El-Chakieh, M. Noël réagit face à cette situation mais s’attaque également à la personne de M. El-Chakieh et à Mme Christodoulou. De plus, M. Noël entreprend des démarches afin d’enquêter sur les qualifications professionnelles et académiques des demandeurs et leur statut en tant que citoyens.

[9]           Les demandeurs se croient victimes de dénigrement incessant et en août 2011, ils intentent la présente demande afin d’y mettre fin et de réclamer des dommages-intérêts.

[10]        Cette demande ne calmera aucunement la relation qu’entretiennent les parties : les altercations se poursuivront jusqu’à l’audition de la présente cause en novembre 2017.

(i)    La position des demandeurs

[11]        Bien que leur relation avec le défendeur ait toujours été tendue, elle s’est détériorée lorsque les demandeurs ont entrepris des travaux de rénovation en 2010.  Depuis, M. El-Chakieh et, à un degré moindre, Mme Christodoulou, subissent les insultes blessantes de M. Noël chaque fois qu’ils sortent de leur maison. 

[12]        À partir de 2010, M. El-Chakieh prend l’habitude d’utiliser son téléphone cellulaire pour enregistrer les propos de M. Noël. Plusieurs desdits enregistrements sont produits en preuve[1]. Le demandeur prenait toujours la peine d’aviser le défendeur qu’il l’enregistrait.

[13]        En plus d’avoir asséné les demandeurs d’injures, M. Noël les a discrédités vis-à-vis leurs voisins, les élus municipaux de Laval, leurs ordres professionnels, les universités qu’ils ont fréquentées, ainsi que face à un journaliste.  De plus, pour une raison qu’ils ignorent, M. Noël a également contacté le Ministère de l’immigration et la GRC à leur sujet.

[14]        Par rapport au harcèlement de M. Noël, M. El-Chakieh réclame 30 000$  en dommages moraux et 15 000$ en dommages exemplaires et punitifs.  En raison des commentaires diffamatoires que M. Noël a divulgués à des tiers, M. El-Chakieh réclame 5 000$ en dommages moraux et 3 000$ en dommages exemplaires et punitifs.

[15]        Mme Christodoulou réclame 15 000$ en dommages moraux et 5 000$ en dommages exemplaires liés au harcèlement de M. Noël ainsi que 3 000$ en dommages moraux et 1 000$ en dommages exemplaires et punitifs en raison de ses commentaires diffamatoires.

[16]        Les demandeurs réclament 20 000$ chacun pour la perte de jouissance de leur propriété et une injonction pour faire cesser les attaques de M. Noël.

(ii)   La position du défendeur

[17]        Selon M. Noël, M. El-Chakieh  effectue des travaux bruyants le samedi et le dimanche, tels la tonte du gazon, la taille des haies et des travaux de construction. Ce faisant, M. El-Chakieh contrevient au code de courtoisie adopté par l’Association des citoyens de Laval-sur-le-Lac, lequel prohibe « les travaux bruyants et tous autres bruits dérangeants et nuisibles à l’entourage »[2] pendant les fins de semaine.  

[18]        M. Noël reconnait que les demandeurs ne sont pas membres de l’Association des citoyens de Laval-sur-le-Lac mais prétend que le code de courtoisie s’applique à tous les résidents du quartier, qu’ils en soient membres ou non.

[19]        Bien que M. Noël reconnaisse avoir tenu des propos qu’il décrit comme étant «déplacés et inappropriés » à l’endroit des demandeurs, il prétend que M. El-Chakieh déclenchait sa colère, et ce, de façon intentionnelle.  Il soutient que les enregistrements audios produits en preuve par les demandeurs font partie d’un stratagème selon lequel M. El Chakieh le narguait au moyen de paroles ou de gestes obscènes pour ensuite enregistrer sa réaction. De plus, M. Noël prétend que les enregistrements ont été entrecoupés afin d’enlever les extraits défavorables aux demandeurs. 

[20]        Se portant demandeur reconventionnel, M. Noël soutient être victime de harcèlement. En particulier, il allègue que les demandeurs ont installé des caméras de surveillance afin de les épier, lui et son épouse. M. Noël allègue aussi devoir endurer de la provocation, des insultes et du bruit excessif provenant des demandeurs. Finalement, M. Noël soutient que M. El-Chakieh a formulé quatre plaintes contre lui auprès de la municipalité, lesquelles sont fausses.  Il réclame 30 000$ pour ses troubles, ennuis et inconvénients de même que 10 000$ en dommages exemplaires.

[21]        M. Noël avance de plus que la procédure judiciaire instituée par les demandeurs n’est qu’une autre tentative de provocation et qu’elle est par conséquent abusive. Il réclame à cet égard le remboursement de ses frais juridiques, soit 54 062,32$.

C.           PRINCIPES DE DROITS APPLICABLES

[22]        Les articles suivants du Code civil du Québec trouvent application :

Art. 3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l’inviolabilité et à l’intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.

Art. 6. Toute personne est tenue d'exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.

Art. 7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi.

Art. 947. La propriété est le droit d'user, de jouir et de disposer librement et complètement d'un bien, sous réserve des limites et des conditions d'exercice fixées par la loi.

Elle est susceptible de modalités et de démembrements.

Art. 976. Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux.

Art. 1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.

Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde.

 

[23]        Dans un passage souvent cité de l’arrêt Grilo c. Hachey[3], le juge Delorme résume les principes applicables en matière de réclamations pour dommages compensatoires dans le cadre d’un litige entre voisins :

[45] L'article 976 du Code civil du Québec (C.c.Q.) stipule que «[l]es voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux».

[46] Le harcèlement, les injures, les menaces, les agressions et plus généralement tous les gestes intentionnels posés dans le dessein de nuire ne constituent pas des inconvénients normaux au sens de cette disposition (C.L. c. P.T., AZ-50326917 (C.S. 2005-07-22)).

[47] Les auteurs de ces gestes engagent donc leur responsabilité extracontractuelle (article 1457 C.c.Q.) et ne peuvent invoquer l'article 976 C.c.Q. pour se disculper.

[48] Les victimes, quant à elles, peuvent d'une part exiger la cessation de ces gestes et d'autre part obtenir compensation pour le préjudice qu'ils leur ont fait subir.

[24]        En ce qui concerne les réclamations pour dommages punitifs, l’article 49 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne[4] prévoit que le Tribunal peut en accorder en cas d’atteinte illicite et intentionnelle à un droit ou une liberté reconnue par la Charte.

[25]        Les droits et libertés reconnus par la Charte québécoise qui sont invoqués en l’espèce sont reproduits ci-après :

4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.

5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

6. Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi.

7. La demeure est inviolable.

10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier à ce handicap. Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit

10.1. Nul ne doit harceler une personne en raison de l'un des motifs visés dans l'article.

D.           ANALYSE

[26]        Le Tribunal doit trancher les questions suivantes : 

Ø  Le défendeur a-t-il commis une faute donnant ouverture aux dommages compensatoires réclamés par les demandeurs?

Ø  Le défendeur a-t-il porté atteinte de façon illicite et intentionnelle aux droits des  demandeurs donnant ouverture aux dommages punitifs réclamés?

Ø  Les demandeurs ont-ils droit aux ordonnances d’injonctions permanentes recherchées?

Ø  Les demandeurs ont-ils commis une faute donnant ouverture aux dommages compensatoires réclamés par le défendeur?

(1)          La réclamation des demandeurs pour dommages compensatoires

(i)      Les gestes du défendeur

[27]        La preuve révèle que M. El-Chakieh et, à un degré moindre, Mme Christodoulou, ont été victimes d’une campagne de harcèlement sans merci de la part de M. Noël et dont le but était de leur nuire.

[28]        La liste des propos insultants de M. Noël est extrêmement longue. Par contre, la quantité des insultes ne choque pas autant que leur caractère vil, odieux et répugnant.  

[29]        La vaste majorité des insultes proférées par M. Noël n’ont rien à voir avec les problèmes de voisinage - tel le bruit et les caméras -  dont il se plaint.  Il s’attaque plutôt aux demandeurs eux-mêmes.

[30]        À titre d’exemple, le Tribunal reproduira ici quelques-uns des propos de M. Noël que M. El-Chakieh a enregistrés entre 2010 et 2013[5].

[31]        Plusieurs des attaques de M. Noël sont de nature raciste.  M. Noël traite M. El-Chakieh, qui est d’origine libanaise, de « fucking immigrant » et de « stupid immigrant ».  Il lui dit « Je peux pas croire que le gouvernement canadien, il a toléré un immigré de même »[6] , « retourne dans ton pays, là[7] » et « T’es pas un Québecois, toi…You came here in a container »[8]. M. Noël traite M. El-Chakieh de « singe ». Il demande si la mère de M. El-Chakieh est un singe et, en référant à sa maison, lui demande « Doesn’t it remind you of the zoo where you were born… »[9].

[32]        M. Noël tire un lien direct entre les racines libanaises de M. El-Chakieh et le terrorisme. Il demande à M. El-Chakieh «…t’es-tu dans Al Qaeda, toi? Oui, hein? T’est dans Al Qaeda, toi.  T’as l’air d’un terroriste »[10].

[33]        N. Noël lance également des attaques de nature sexuelle, traitant M. El-Chakieh de pédophile[11], de pervers[12] et de violeur[13].

[34]        Il insulte l’intelligence de M. El-Chakieh, le traitant de malade mental[14], « sick in the head »[15], idiot, fou furieux, « maudite tapette de manqué de crisse de mental », « fucked up in the head », débile, et une série d’autres termes semblables.

[35]        M. Noël traite M. El-Chakieh de « wife-beater »[16], et ce, à de nombreuses reprises.

[36]        M. Noël attaque l’intégrité de M. El-Chakieh, le traitant de menteur, d’imposteur, de « phony », de « pathological liar », de « cheater » et de « crook ». Le défendeur utilise les mêmes propos à l’égard de la demanderesse, Mme Christodoulou.

[37]        Aucune insulte n’est trop vile ou méprisable pour M. Noël, tel qu’il appert de l’extrait suivant :« Hey, you smell shit. I smell you from here.  You smell shit, eh.  Always the same sweater on, eh.  …You don’t have any clothes, eh? You should put a potato bag on you.  That’s all you can afford. [17]».  

[38]        Un thème qui revient fréquemment dans les attaques de M. Noël est que les demandeurs n’ont pas leur place à Laval-sur-Lac ou, comme il le dit lui-même, les demandeurs « don’t fit in the picture ».

[39]        M. Noël reproche à M. El-Chakieh de vivre dans une soue à cochon, un shack, une maison « cheap », un « piece of shit », un bordel.  Il dit à M. El-Chakieh qu’il a le « cheapest, ugliest house in Laval-sur-le-Lac….when I  look at that, it makes me vomit, Christ». « What’s in your wrist » M. Noël demande à M. El-Chekieh, « a cheap watch? Must be, eh. It goes with you, eh. Cheap, cheap watch, cheap house, cheap everything. » Il fait même remarquer que les voitures des demandeurs sont louées[18].

[40]        M. Noël veut aussi que les demandeurs comprennent qu’ils ne sont pas les bienvenus dans le quartier.  En se référant aux voisins, M. Noël dit à M. El-Chakieh « Luc in the back, they hate you.  En face, he hates you.  The guy au coin, il t’aime pas[19]; Pierre Clermont là, he hates you like hell…Massimo Papalia, he hates you like hell[20]».  M. Noël poursuit en disant « t’essaies d’être accepté dans ce milieu-là, ça pogne pas[21] » et « You’re the laughing stock of the town [22]». « What are you doing in this world, in this neighborhood? You’re not accepted. The people, they don’t like you.[23]»

[41]        Un des buts visés par M. Noël est clair: rendre la vie des demandeurs tellement intolérable qu’ils décideront de déménager. M. Noël ne cache pas cet objectif.  Il confirme à M. El-Chakieh «...I want you out.» Il ajoute: «You don’t deserve to be here»[24].

[42]        En plus d’avoir insulté directement M. El-Chakieh, la preuve révèle que M. Noël a tenté d’obtenir des renseignements sur les demandeurs ou de ternir leur réputation en communiquant avec de nombreuses personnes ou organismes. M. Noël a notamment contacté les ordres professionnels dont ils font partie ainsi que les universités dont ils sont diplômés. M. Noël a aussi communiqué avec la GRC et le Ministère de l’immigration concernant les demandeurs, vraisemblablement pour soulever des doutes quant à leur statut de citoyens canadiens.

[43]        M. Noël a également contacté plusieurs de ses voisins. Cependant, la preuve ne révèle pas ce qu’il leur aurait dit au sujet des demandeurs.

[44]        Finalement, M. Noël a appelé M. Martin Barry, un journaliste local qui avait écrit un article au sujet de Mme Christodoulou. M. Barry a enregistré le message que M. Noël lui a laissé et qui se lit ainsi :

This is a message for Mr. Martin Barry. Mr. Barry, I just want to… to warn you about a person, her name is Hellen Christodoulou. Uh, you have written some articles about her and stating that she’s a doctor, an engineer. Well, all these qualifications are purely fictitious. She’s a complete fake, as well as her husband, Elie El-Chakieh. They live in Laval. If you don’t believe me, just get in touch with the Order of Engineers of Quebec. These people are dangerous people, they’re… they are crooks. There’s been some… some investigation about this couple, there’s … Mr. El-Chakieh was fired from his job at Dessau. He was pretending to be a director. He was a director, but he was a fake… he’s an impostor. So, I just want to warn you because you write in your newspaper about… you’ve written an article a few years ago and you think that these people are… are reliable people, but they’re not. They’re dangerous people. They’re complete fakes. And sooner or later, I’m pretty sure they will end up in jail. So, I just… this is… this is a call for you, Mr. Barry, to take in consideration and you… as a… as a journalist, you can make an investigation, you will find a lot of unbelievable happenings about this… this couple. So, thank you for listening to me and have a nice day. Bye-bye. [25]

(ii)    Les moyens de défense soulevés par le défendeur

[45]        M. Noël conteste la fiabilité du contenu des enregistrements déposés en preuve. Il prétend que M. El-Chakieh ne produit que les répliques et les réactions qu’il a provoquées avec ses propos et ses gestes et non pas les extraits qui lui sont défavorables. Cependant, M. Noël n’indique pas quels enregistrements auraient été altérés. Quoiqu’il en soit, puisqu’il ne nie pas avoir prononcé les paroles qui lui sont reprochées, la seule question à traiter est celle de la provocation.

[46]        La défense de provocation à l’égard d’une action en responsabilité civile, quoique rare, est possible. Toutefois, comme le souligne la juge Cohen dans Bertrand c. Proulx, les critères applicables sont ceux requis en matière criminelle[26] :

[82] La défense de provocation à l'égard d'une action en responsabilité civile pour diffamation doit normalement rencontrer les même critères que ceux requis pour une telle défense en matière criminelle, soit que le défendeur a perdu contrôle sur lui-même en raison d'un incident qui est survenu immédiatement avant les injures qu'on lui reproche. C'est-à-dire, il faut que l’acte reproché suive immédiatement l’acte provocateur. [27]

[47]        En l’espèce, l’absence de spontanéité de la réaction face à un geste pouvant être qualifié de provocateur fait obstacle à cette défense.

[48]        En ce qui concerne le caractère immédiat de la réponse, ce critère est difficile à rencontrer dans le cas d’attaques répétitives. De plus, le Tribunal constate que les assauts verbaux de M. Noël durent parfois de longues minutes sans répit, malgré le silence de M. El-Chakieh[28].

[49]        De plus, même lors du procès, sans raison aucune, M. Noël continue de traiter M. El-Chakieh de maniaque, de menteur pathologique et de malade mental et il réitère que M. El-Chakieh n’est pas à sa place à Laval-sur-le-Lac. Ce témoignage démontre que M. Noël n’a pas besoin d’être poussé à bout pour insulter M. El-Chakieh.

[50]        Quant à la conduite alléguée, la preuve n’établit pas, par prépondérance des probabilités, que M. El-Chakieh ait posé des gestes obscènes ni qu’il ait tenu les propos insultants que M. Noël invoque. Le fait d’avoir défié M. Noël en enregistrant ses paroles ne constitue pas de la provocation en l’espèce.

[51]        Dans les faits, rappelons que M. El-Chakieh prend la peine d’informer M. Noël qu’il sera enregistré et il l’invite plutôt à discuter poliment : « Come and talk politely, like normal human being [29]»; « So why don’t you relax and let people live and live properly. [30]»; « Why are you talking to me like that? [31]»; “Would you mind your own business, don’t bother me anymore?[32]». « Are you going to leave me to do my work without bothering me anymore, man? Or what?[33]».

[52]        Qui plus est, pour que des gestes ou des paroles constituent de la provocation en droit, ils doivent être de nature à faire perdre la maitrise de soi à une personne raisonnable placée dans la même situation. Or, la conduite reprochée à M. El-Chakieh, même si elle était prouvée, ne rencontre pas ce critère.

[53]        En résumé, M. Noël n’a pas établi les éléments de la défense de provocation.

[54]        En ce qui a trait aux propos diffamatoires que M. Noël aurait tenus avec des tiers au sujet des demandeurs, il explique que ses démarches étaient tout à fait légitimes et qu’il a le droit sinon l’obligation en tant que citoyen de soulever des questions afin que les autorités ou les journalistes mènent les enquêtes appropriées.

[55]        À l’exception du message que M. Noël a laissé à M. Barry, le Tribunal ignore ce que M. Noël aurait dit à des tiers au sujet des demandeurs et ne peut donc pas évaluer si ses propos constituent de la diffamation.

[56]        En ce qui concerne le message laissé à M. Barry, le Tribunal estime que, dans son ensemble, il déconsidère la réputation des demandeurs. Notamment, M. Noël les traite de « crooks », de « complete fakes » et de « dangerous » et dit qu’ils seront probablement emprisonnés un jour. Ce sont des propos de nature à faire perdre de l’estime et à susciter à l’égard des demandeurs des sentiments défavorables[34].

(iii)   Les dommages subis

[57]        M. Noël est tenu de réparer le préjudice causé aux demandeurs par sa conduite répréhensible. 

[58]        M. El-Chakieh est la principale victime des attaques de M. Noël. Il décrit l’angoisse, le stress, l’humiliation et la profonde tristesse que M. Noël lui a causés, et ce, pendant des années. Sa maison n’est plus le refuge qu’il aurait toujours souhaité avoir. Il a souvent peur de sortir et ne se sent pas à l’aise d’avoir de la visite chez lui.

[59]        Mme Christodoulou se décrit prisonnière dans sa propre maison. Malgré qu’elle ait eu moins de contacts avec M. Noël, la situation lui cause beaucoup d’angoisse. Elle se sent blessée, insultée et dégradée.

[60]        M. Noël n’exprime aucun remords. Au contraire, durant l’audition, il a continué à adresser des propos injurieux à M. El-Chakieh. Il a également proféré des menaces telles que: « ça finira pas là » et qu’il a des « amis » à Ottawa et à Québec. De plus, M. Noël se croit justifié d’avoir contacté la GRC et le Ministère de l’immigration au sujet des demandeurs. Il croit que c’est son devoir en tant que citoyen de signaler leur comportement. Questionné à ce sujet, M. Noël évoque toujours la possibilité que M. El-Chakieh soit un terroriste.

[61]        M. El-Chakieh réclame 35 000$ en dommages moraux dont 5 000$ en compensation des propos diffamatoires dirigés à des tiers et 20 000$ pour la perte de jouissance de sa maison.

[62]        Dans Malhab c. Métromedia C.M.R. Montréal inc., la Cour d’appel reconnait que le préjudice moral est difficile à évaluer :

(63) Que le préjudice moral soit plus difficile à cerner ne diminue en rien la blessure qu'il constitue. J'irais même jusqu'à dire que parce qu'il est non apparent, le préjudice moral est d'autant plus pernicieux. Il affecte l'être humain dans son for intérieur, dans les ramifications de sa nature intime et détruit la sérénité à laquelle il aspire, il s'attaque à sa dignité et laisse l'individu ébranlé, seul à combattre les effets d'un mal qu'il porte en lui plutôt que sur sa personne ou sur ses biens. [35]

[63]        Le Tribunal estime que la vie de M. El-Chakieh a été affectée par le harcèlement de M. Noël. L’intensité, la virulence, la cruauté et le caractère vil et odieux des attaques sont extrêmes. L’absence totale de remords doit également être prise en considération.

[64]        Dans les circonstances, il y a lieu de condamner M. Noël à payer 25 000$ à M. El-Chakieh pour les dommages moraux qu’il a subis et 10 000$ pour la perte de jouissance de sa maison.[36]

[65]        En ce qui a trait aux dommages liés aux propos diffamatoires à des tiers, il est clair que M. El-Chakieh est angoissé par le fait que M. Noël ait communiqué avec ses voisins, les élus municipaux, son ordre professionnel, la GRC, le Ministère de l’immigration et l’université Concordia à son égard. Même si aucun tiers ne fut entendu, le Tribunal comprend que M. El-Chakieh craint que M. Noël ait tenu des propos désobligeants à son égard lors desdites conversations, comme il l’a fait lors du message laissé à M. Barry.  Cependant, faute de preuve, sauf en ce qui a trait au message laissé à M. Barry, le Tribunal ne peut présumer que ce dernier a tenu des propos diffamatoires. En conséquence, le Tribunal accorde à M. El-Chakieh un montant de  500$ en dommages compensatoires liés à la diffamation dont il est victime.

[66]        Bien que Mme Christodoulou n’ait pas souffert des attaques de M. Noël autant que M. El-Chakieh, elle est également victime de sa conduite répréhensible. Le Tribunal lui accorde 5 000$ en dommages moraux, 5 000$ pour perte de jouissance de sa maison et  500$ liés aux propos diffamatoires de M. Noël en lien avec le message que ce dernier a laissé à M. Barry.

(2)        La réclamation des demandeurs pour dommages punitifs

[67]        L’article 49 de la Charte québécoise prévoit qu’en cas d’atteinte illicite et intentionnelle d’un droit ou liberté reconnue par la Charte, le Tribunal peut condamner l’auteur à des dommages punitifs :

49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnue par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte. En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages exemplaires.

[68]        Comme la Cour d’appel l’a rappelé dans l’affaire Genex :

[91] L’octroi de dommages punitifs en vertu de la Charte n’est pas tributaire d’un sentiment de réprobation chez le juge ou le public, mais plutôt d’une preuve d’un état d’esprit de l’auteur de la faute qui dénote une volonté de causer l’atteinte au droit protégé ou une indifférence à l’atteinte que cet auteur sait des plus probables. Dans l’arrêt St-Ferdinand, précité, la Cour suprême précise les conditions devant exister pour qu’il y ait « une atteinte illicite et intentionnelle » au sens du second alinéa de l’article 49 de la Charte :

[121]   En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l’art.49 de la Charte lorsque l’auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. Ce critère est moins strict que l’intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère. [37]

                                                                                      [soulignements ajoutés]

[69]        En l’espèce, les propos de M. Noël à l’égard des demandeurs dénotent son intention de porter atteinte à leur dignité, leur honneur, leur réputation, leur vie privée et surtout à la jouissance paisible de leurs biens, soit leur maison. Le Tribunal estime que M. Noël voulait précisément blesser les demandeurs dans l’espoir de les inciter à quitter le quartier.

[70]        La détermination du quantum des dommages punitifs doit se faire selon la liste non exhaustive des critères énoncés à l’article 1621 C.c.Q.:

1621. Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.

Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.

[71]        Le premier critère, soit la gravité de la faute, ne fait nul doute ici. Les attaques de M. Noël à l’égard des demandeurs, et principalement à l’égard de M. El-Chakieh, sont basses, viles et répugnantes. Elles visent délibérément l’identité et le sentiment d’appartenance des demandeurs. M. Noël dit que les demandeurs n’ont pas leur place à Laval-sur-le-Lac, ni peut-être même au Canada. Ses propos racistes sont remplis de haine et de mépris.

[72]        Le deuxième critère concerne la situation patrimoniale de la partie fautive. M. Noël est un retraité et le Tribunal ne bénéficie d’aucune preuve directe relativement à sa situation financière. Par ailleurs, au cours de son interrogatoire au préalable du 2 février 2012, M. Noël affirme que lui et son épouse ont « réussi financièrement ». Il mentionne à plusieurs occasions durant son interrogatoire ainsi qu’à la Cour que son épouse est multimillionnaire; c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a décidé de prendre sa retraite.

[73]        Cependant, dans l’affaire Time, la Cour suprême affirme qu’à moins d’une preuve qu’un tiers assume le paiement des dommages, c’est le patrimoine de l’auteur qu’il faut analyser:

[213] Par ailleurs, l’information obtenue au procès sur la situation patrimoniale des intimées était insuffisante pour en tirer des conclusions utiles à cet égard. L’appelant tente de contourner ce déficit de preuve en plaidant qu’il était loisible à la juge de première instance de prendre connaissance d’office du fait que les intimées avaient un patrimoine nanti. Sa position s’appuie sur le fait qu’elles appartiennent au conglomérat TimeWarner, dont le patrimoine est bien connu. Nous croyons sa position mal fondée. Les intimées et TimeWarner sont des entités distinctes et TimeWarner n’est pas une défenderesse dans la présente affaire. Or, le critère de la situation patrimoniale édicté au deuxième alinéa de l’art. 1621 C.c.Q. demande que l’on regarde le patrimoine du ou des débiteurs et non de tiers. Le patrimoine d’une partie tierce ne peut en principe être pris en compte que lorsqu’il est démontré que cette partie prendra en charge, en tout ou en partie, le paiement réparateur (art. 1621, al. 2 C.c.Q.). Cette preuve n’a nullement été faite par l’appelant. Il s’ensuit donc que l’appartenance des intimées au conglomérat TimeWarner n’était d’aucune assistance à l’appelant en l’instance. Tout cela étant dit, nous tenons à souligner que l’absence de preuve sur la situation patrimoniale des intimées n’a pas du tout pour effet de les immuniser contre la possibilité d’une condamnation à des dommages-intérêts. Au contraire, cela signifie que notre Cour peut à bon droit rendre sa décision sans devoir mesurer leur capacité financière réelle. La Cour ne peut présumer que la capacité financière des intimées ne leur permettrait pas d’acquitter une condamnation établie à un niveau par ailleurs raisonnable. De plus, il ne faut pas perdre de vue que la preuve a démontré que les pratiques interdites commises par les intimées leur avaient été financièrement très profitables. Dans le contexte de cette affaire, ce fait est un élément pertinent à prendre en considération dans la détermination du montant de dommages-intérêts punitifs à octroyer. [38]

[74]        Étant donné que la preuve concernant la situation patrimoniale de M. Noël n’est pas déterminante, il y a lieu d’être prudent dans l’octroi des dommages punitifs[39], et ce, malgré la gravité de la faute.  Pour cette raison, le Tribunal accorde des dommages punitifs de 2 500$ à M. El-Chakieh et 1 000$ à Mme Christodoulou. Le Tribunal, en accordant ces montants, a pris en considération l’étendue de la réparation à laquelle M. Noël est tenu envers les demandeurs.

(3)        La demande reconventionnelle

[75]        M. Noël allègue que lui et son épouse sont victimes de « harcèlement, de provocation, d’insultes, de bruits excessifs et de fausses accusations » de la part des demandeurs.

[76]        Il réclame 30 000$ pour la perte de jouissance de sa propriété, 30 000$ pour troubles, ennuis et inconvénients et 10 000$ en dommages punitifs. De plus, M. Noël réclame ses frais extrajudiciaires sous prétexte que la procédure des demandeurs est abusive.

[77]        En ce qui concerne la provocation et les insultes, la preuve n’appuie pas les allégations de M. Noël. M. El-Chakieh nie avoir harcelé, provoqué ou insulté M. Noël. De plus, lors des enregistrements produits en demande, c’est plutôt M. El-Chakieh qui implore M. Noël de cesser ses insultes. Par conséquent, M. Noël ne rencontre pas son fardeau de la preuve.

[78]        M. Noël soutient lors de l’audience que les caméras de surveillance installées par les demandeurs lui ont causé un préjudice parce qu’elles étaient dirigées vers sa chambre et sa piscine, permettant à M. El-Chakieh de les épier, son épouse et lui.

[79]        La preuve démontre qu’en avril 2011, les demandeurs avaient installé des caméras de surveillance sur le côté de leur maison. M. El-Chakieh explique qu’il a installé des caméras à la suite de la disparition de matériaux de construction et qu’il les a déplacées une fois le projet de rénovation complété. Il affirme n’avoir jamais épié M. Noël ou son épouse.

[80]        L’installation d’une caméra vidéo peut être fautive si elle est faite dans le but de violer l’intimité d’un voisin[40]. Or, le Tribunal ne peut conclure que les caméras des demandeurs avaient été installées à cette fin. De plus, la preuve ne permet pas de conclure qu’il était même possible de filmer la chambre de M. Noël ou sa piscine à partir de leur emplacement[41].

[81]        En ce qui concerne les bruits excessifs, la preuve démontre effectivement que les demandeurs ont effectué des travaux de construction sur leur propriété et des travaux d’entretien tels la tonte de gazon ou la coupe de haies. Toutefois, M. Noël n’a pas réussi à prouver que les bruits en question excédaient le seuil de ce qui constitue un inconvénient normal du voisinage. Le Tribunal ajoute que les demandeurs ne sont pas liés par le code de courtoisie adopté par l’Association des citoyens de Laval-sur-le-Lac[42] et la preuve ne permet pas de conclure que les règles y prévues constituent des usages locaux qui obligeaient les demandeurs à s’y conformer. Le Tribunal note que, contrairement aux affirmations de M. Noël, il n’y a aucune preuve au dossier voulant que les demandeurs aient reçu des amendes de la Ville de Laval à cause de bruits excessifs.

[82]        Finalement, en ce qui concerne les fausses accusations, la preuve démontre qu’entre 2007 et 2011, M. El-Chakieh s’est plaint à quatre reprises à la Ville de Laval de situations qu’il prétendait être non-conformes aux règlements de la Ville. À chaque fois, un inspecteur de la Ville est venu constater la situation mais n’a rien retenu contre son voisin[43].

[83]        Certes, les plaintes de M. El-Chakieh n’ont pas aidé à apaiser la situation entre lui et M. Noël. Toutefois, la preuve ne permet pas de conclure que M. El-Chakieh a commis une faute en déposant lesdites plaintes. Le dépôt d’une plainte, même si celle-ci n’est pas retenue, ne constitue pas nécessairement une faute. Il n’y a pas eu de preuve d’intention malicieuse. De toute façon, même si le Tribunal avait conclu que M. El-Chakieh avait agi fautivement, M. Noël n’a pas prouvé qu’il a subi de préjudice en raison desdites plaintes.

[84]        La réclamation de M. Noël pour dommages punitifs doit également être rejetée faute de preuve d’une atteinte illicite et intentionnelle à un droit reconnue par la Charte québécoise.

[85]        Finalement, la réclamation de M. Noël pour frais extrajudiciaires est sans fondement. Les demandeurs n’ont pas abusé de leur droit d’ester en justice au sens de l’Arrêt Viel[44] ou les articles 54 et suivants du Code de procédure civil du Québec.

(4)        Le droit à l’injonction

[86]        À l’audience, les parties ont indiqué qu’elles consentaient à l’octroi d’une ordonnance d’injonction permanente semblable à l’ordonnance d’injonction interlocutoire ratifiée par la Cour le 20 septembre 2011.

[87]        En septembre 2011, les parties avaient consenti aux ordonnances suivantes :

[5] ORDERS both parties to refrain from communicating with each other, except through their respective lawyers; for greater clarity, « communication » includes all verbal contact in person, by phone, email, mail, or otherwise, as well as non-verbal gestures, and hurling of insults across the property divide;

[6] ORDERS both parties to stay off each other’s properties at all times;

[88]        L’émission d’une ordonnance d’injonction est toujours discrétionnaire et doit répondre à un besoin réel. Dans les circonstances, malgré le consentement des parties, le Tribunal estime qu’il n’y a pas lieu d’émettre une injonction.

[89]        D’abord, en ce qui concerne la communication, l’ordonnance est trop générale et pourrait créer plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait. De plus, comme le juge Mongeon a écrit dans Moisescu c. Lecours, « l’expérience du défendeur et sa condamnation dans le présent processus judiciaire auront certainement l’effet de lui montrer la limite qu’il ne doit pas franchir ».[45]

[90]        En ce qui a trait à l’intrusion sans autorisation, une ordonnance qui ne fait que confirmer l’état du droit n’est pas nécessaire.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[91]        CONDAMNE le défendeur à payer au demandeur la somme de 35 500$ en dommages compensatoires avec intérêt au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 11 juillet 2011;

[92]        CONDAMNE le défendeur à payer à la demanderesse la somme de 10 500$ en dommages compensatoires avec intérêt au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 11 juillet 2011;

[93]        CONDAMNE le défendeur à payer au demandeur la somme de 2 500$ en dommages punitifs avec intérêt au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter  du 31 août 2011;

[94]        CONDAMNE le défendeur à payer à la demanderesse la somme de 1 000$ en dommages punitifs avec intérêt au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter  du 31 août 2011;

[95]        LE TOUT, avec frais de justice contre le défendeur.

 

 

 

__________________________________ PETER KALICHMAN, J.C.S.

 

Me Élizabeth Goodwin

Me Julius Grey

Grey & Casgrain s.e.n.c.

Avocats des demandeurs/défendeurs reconventionnels

 

Me Élysabeth Lessis

Élysabeth Lessis avocate

Avocate du défendeur-demandeur reconventionnel

 

Dates d’audience :

Les 8, 9 et 10 novembre 2017.

 



[1]     Les pièces 3a et 4a.

[2]     La pièce D-4.

[3]     [2010] QCCS 5424 (CanLII).

[4]     L.R.Q., c. C-12.

[5]     P-3b et P-4b.

[6]     P-3b, p.16.

[7]     P-3b, p. 10.

[8]     P-3b, p. 136.

[9]     P-3b, p.201.

[10]    P-3b, p.10.

[11]    P-4b, p. 64.

[12]    P-3b, pp. 144-146.

[13]    P-3b, p. 173.

[14]    P-3b, p. 11, 16, 21 et plusieurs autres pages.

[15]    P-3b, 20, 25, 29 et plusieurs autres pages.

[16]    P-3b, pp. 74, 108, 132.

[17]    P-3b, p. 207.

[18]    P-3b, p. 18.

[19]    P-3b, p.34.

[20]    P-3b, p.71

[21]    P-3b, p. 42.

[22]    P-3b, p.172.

[23]    P-3b, p. 174.

[24]    P-3b, p.137.

[25]    Pièce P-4b.

[26]    En matière criminelle, la défense de provocation ne s’applique qu’à  l’offense de meurtre, selon l’article 232 du Code criminel.  La colère peut contribuer à réduire un meurtre à un homicide involontaire coupable dans le cadre de la défense de provocation lorsque toutes les conditions d'application de ce moyen de défense sont réunies : (1) il doit y avoir eu une action injuste ou une insulte qui aurait privé une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser; (2) action ou insulte qui était soudaine et inattendue; (3) et qui a effectivement amené l'accusé à agir sous l'effet de la colère; (4) avant d'avoir retrouvé son sang-froid .

[27]    [2002] CanLII 23756 (QCSC); voir aussi Graf c. Duhaime [2003] CanLII 54143 QCCS, par. 245.

[28]    Par exemple la Pièce P-4a.

[29]    P-3b, p. 21.

[30]    P-3b, p.28.

[31]    P-3b, p.32.

[32]    P-3b, p.79.

[33]    P-3b, p.145.

[34]    Prud’homme c. Prud’homme, [2002] 4 P.C.S. 663.

[35]    (2003) R.J.Q. 1011, p. 1020 (CA).

[36]    Le Tribunal a également tenu compte des montants accordés à titre de dommage moraux dans plusieurs autres décisions, dont : Chiara c. Vigile Québec [2016] QCCS 5167; Zimmermann c. Zimmermann [2018] QCCS 655; Leduc c. Houda-Pepin [2017] QCCQ 5661; Gendreau c. Mailloux [2013] QCCQ 4106; Garderie Loulou de Marieville inc. c. Lavigne [2015] QCCS 100; Gagné c. Roy [2013] QCCS 2003; A.M. c. Jetté [2013] QCCS 2623; Claveau c. Bouchard [2014] QCCA 1241; Moisescu c. Lecours [2014] QCCS 3236; Ostiguy c. Laporte [2015] QCCS 676; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Attar et autres) c. Paradis [2016] QCTDP 17; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Rioux [2014] QCTDP 14.

[37]    Genex Communications inc. c. Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo, [2009] QCCA 2201.

[38]    Richard c. Time Inc. [2012] 1 RCS 265, par. 213.

[39]    Terrana c. Piunno, [2014] QCCS 3295; Ostiguy c. Laporte, [2015] QCCS 676.

[40]    Moisescu c. Lecours, [2014] QCCS 3236.

[41]    Pièce D-6.

[42]    Pièce D-4.

[43]    Pièce D-11.

[44]    Viel c. Entreprises immobilières du terroir ltée, [2002] CanLII 41120 (QCCA).

[45]    [2014] QCCS 3236.

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