DÉCISION
[1] Le 13 août 2001, l’entreprise Teinturie Perfection Canada inc. (l’employeur) dépose une requête auprès de la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative le 28 juin 2001.
[2] Par cette décision, la CSST infirme une décision rendue initialement le 5 mars 2001. Elle conclut que monsieur Godefroid Mbokila (le travailleur) a le droit de recevoir des indemnités de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’une nouvelle décision soit rendue sur sa capacité à refaire son emploi.
[3] Une audience a lieu à Montréal le 30 janvier 2002. L’employeur est représenté. Le travailleur est présent et non représenté.
[4] Le 23 avril 2002, le dossier est pris en délibéré, soit à la date à laquelle l’employeur informe la Commission des lésions professionnelles qu’il n’a aucun commentaire additionnel à soumettre à la suite du dépôt d’un document par le travailleur, après l’audience.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Quant au dépôt tardif de sa requête, l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer recevable sa requête puisqu’il l’a déposée dans le délai prévu à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), soit dans les 45 jours de la notification de la décision du 28 juin 2001.
[6] Quant au fond du dossier, l’employeur demande d’infirmer la décision de la CSST et de déclarer que le médecin qui a charge ne pouvait modifier son premier rapport médical final dans lequel il n’avait retenu aucune atteinte permanente ni limitations fonctionnelles en relation avec la lésion professionnelle.
L'AVIS DES MEMBRES
[7] Concernant la recevabilité de la requête de l’employeur, le membre issu des associations d'employeurs est d'avis que la requête de l’employeur est recevable puisqu’elle a été déposée dans le délai de 45 jours de la notification de la décision.
[8] Pour sa part, la membre issue des associations syndicales considère cette requête irrecevable, car l’employeur n'a pas respecté le délai prévu et ne dispose d’aucun motif raisonnable justifiant le dépôt tardif de sa requête.
[9] Concernant le fond du dossier, le membre issu des associations d'employeurs est d'avis qu’il y a lieu d’infirmer la décision de la CSST, au motif que celle-ci était liée par le premier rapport médical final émis par le médecin qui a charge du travailleur dans lequel aucune atteinte permanente ni limitations fonctionnelles n’avaient été reconnues. Il considère que le médecin qui a charge ne peut changer d’opinion et émettre un deuxième rapport médical final.
[10] La membre issue des associations syndicales estime qu’il y a lieu de maintenir la décision de la CSST, puisque cette dernière était bien fondée d'avoir retenu le deuxième rapport médical final du médecin qui a charge dans lequel le docteur Rosman venait corriger une erreur manifeste de sa part.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[11] La Commission des lésions professionnelles doit d’abord décider de la recevabilité de la requête de l’employeur.
[12] En effet, il était manifeste du dossier qu’en déposant sa requête le 13 août 2001 d'une décision de la CSST datée du 28 juin 2001, l’employeur était manifestement hors du délai de 45 jours prévu à l'article 359 de la loi :
359. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358 peut la contester devant la Commission des lésions professionnelles dans les 45 jours de sa notification.
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1985, c. 6, a. 359; 1992, c. 11, a. 32; 1997, c. 27, a. 16.
[13] La Commission des lésions professionnelles retient du témoignage de monsieur Patrick Martin, représentant de l’employeur, que ce dernier a bel et bien reçu la décision de la CSST. Comme l’entreprise était fermée au cours de deux semaines en juillet 2001, à cause des vacances estivales, à la suite d'un appel auprès de la CSST, il aurait été informé que le délai pour contester la décision commençait à courir à compter de la date de la notification de cette décision. De l'avis du tribunal, l’employeur a contesté dans les 45 jours de la notification de la décision de la CSST. Dès lors, sa requête est recevable puisque déposée dans le délai.
[14] La Commission des lésions professionnelles va maintenant déterminer si la décision de la CSST, à la suite d’une révision administrative le 28 juin 2001, est bien fondée.
[15] Le présent litige consiste à résoudre la question suivante : la CSST était-elle justifiée de retenir les conclusions émises par le médecin qui a charge, dans son deuxième rapport médical final, au lieu de celles que l’on retrouve dans son premier rapport médical?
[16] Les faits dans le présent dossier sont forts simples. Le 20 septembre 2000, le travailleur subit une fracture au cinquième orteil gauche après qu’une lourde pièce d’équipement, qu’il est en train de soulever, lui tombe sur le pied. Le 26 février 2001, son médecin qui a charge, le docteur Rosman complète un premier rapport médical final consolidant cette fracture pour la même journée sans atteinte permanente et sans limitations fonctionnelles.
[17] Le 5 mars 2001, le docteur Rosman produit un deuxième rapport médical final pour un diagnostic de fracture non jointe. Il indique que la lésion est consolidée au 5 mars 2001 cette fois avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Le 19 mars 2001, il rédige un rapport d’évaluation médicale où il précise l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles.
[18] Le travailleur témoigne qu’à la suite de l’émission du premier rapport médical final il a consulté de nouveau le docteur Rosman le 5 mars 2001. Ce dernier lui a mentionné avoir égaré, par mégarde, le protocole radiologique du 26 février 2001 et qu’il n'avait pu en tenir compte au moment où il avait rédigé son premier rapport médical final. Par conséquent, le docteur Rosman demande un nouvel examen radiologique révélant la présence d’une fracture non jointe. Il produit alors, le 5 mars 2001, un nouveau rapport médical final consolidant cette lésion pour la même journée en prévoyant des limitations fonctionnelles et une atteinte permanente qu’il va détailler davantage dans son rapport d’évaluation médicale du 19 mars 2001.
[19] La Commission des lésions professionnelles se réfère à la doctrine, notamment aux auteurs Cliche et Gravel[2], qui expose ainsi le consensus se dégageant de la jurisprudence actuelle[3] :
« Le rapport final ne peut être unilatéralement modifié par le médecin qui a charge du travailleur. En principe, seule une erreur matérielle manifeste ou une situation imprévisible peut donner lieu à un rapport subséquent de ce médecin. »
(pages 520 et 521)
(notre soulignement)
[20] En l’espèce, la Commission des lésions professionnelles considère qu'elle est en présence d’une telle situation imprévisible, inattendue et exceptionnelle lorsque le docteur Rosman n’a pas tenu compte des trouvailles radiologiques lors de l’émission de son premier rapport médical final, puisqu’il avait égaré la première radiographie. C’est dans ce contexte, que le docteur Rosman a dû procéder à une nouvelle radiographie le 5 mars 2001, ce qui l’a amené à produire un deuxième rapport médical final dans lequel il a tenu compte cette fois des trouvailles radiologiques.
[21] De l'avis de la Commission des lésions professionnelles, il s’agit d’une situation exceptionnelle justifiant le docteur Rosman à compléter un deuxième rapport médical final plus conforme aux trouvailles radiologiques.
[22] En outre, dans ce dossier le tribunal a pris en considération le court délai écoulé entre l’émission du premier rapport médical final le 26 février 2001, la demande de la nouvelle radiographie le 5 mars 2001 et la production du deuxième rapport médical final le 19 mars 2001. Le délai de quelques semaines, au cours duquel le docteur Rosman s’est amendé, amène davantage de crédibilité quant à la thèse voulant que celui-ci n'ait pas tenu compte du premier protocole radiologique, au motif qu’il l’avait égaré, lors de la rédaction de son premier rapport médical final.
[23] Enfin, dans ce dossier, la Commission des lésions professionnelles tient aussi compte du fait qu’il s’agit du même médecin qui a charge du travailleur, le docteur Rosman, qui a émis les deux rapports médicaux finaux et non d’un nouveau médecin choisi par le travailleur pour contester les conclusions de son médecin.
[24] La CSST était donc bien fondée d’accepter et de donner suite aux conclusions du docteur Rosman dans son deuxième rapport médical final et de reconnaître la présence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles.
[25] Compte tenu de la présence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles, la CSST en révision administrative était justifiée de conclure, en date du 28 juin 2001, que la capacité du travailleur à refaire son emploi devra être évaluée avant de faire l'objet d'une décision. Dans l’intervalle, le travailleur pouvait, effectivement, continuer de recevoir des indemnités de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’une nouvelle décision soit rendue sur sa capacité à refaire son emploi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
DÉCLARE RECEVABLE la requête de la Teinturie Perfection Canada inc. du 13 août 2001 puisque déposée dans le délai;
REJETTE cette même requête;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative le 28 juin 2001; et
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail était justifiée en date du 28 juin 2001 de poursuivre le versement des indemnités de remplacement du revenu de monsieur Godefroid Mbokila jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur sa capacité à refaire son emploi.
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Me Doris Lévesque |
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Commissaire |
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Me Aaron Makovka |
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Représentant de la partie requérante |
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[1] L.R.Q. c. A-3.001
[2] Bernard Cliche et Martine Gravel, Les accidents du travail et les maladies professionnelles : indemnisation et financement, Éditions Yvon Blais, Cowansville, 1997, 995 pages
[3] Au même effet Lab Chrysotile inc. et Dupont [1996] C.A.L.P. 132 ; Polaszek et Hôpital Reine Élizabeth, C.A.L.P. 69046-60-9505, le 30 juillet 1996, B. Lemay
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