Décision

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Gabarit EDJ

Laforest c. Collins

2012 QCCS 3078

JD1929

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE ROBERVAL

 

N° :

155-17-000063-103

 

 

 

DATE :

Le 28 juin 2012

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

GRATIEN DUCHESNE, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

LUC LAFOREST

[…], Lac Brome (Québec)  […]

Demandeur

 

c.

 

DENNIS VIVIAN COLLINS

[…], Roberval (Québec)  […]

et

GAUTHIER COLLINS INC.

568, rue Scott, Roberval (Québec)  G8H 2E9

et

NICOLE GAUTHIER

[…], Roberval (Québec)  […]

Défendeurs

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Le demandeur Luc Laforest réclame du couple Dennis Vivian Collins et Nicole Gauthier de même que de leur compagnie Gauthier Collins inc. un montant de 99 999 $ et recherche contre eux des conclusions en injonction permanente pour, notamment, les forcer à retirer du Web[1] le contenu diffamatoire des propos qu'ils auraient véhiculés sur leurs blogues[2] à son sujet.

[2]           La défenderesse Nicole Gauthier riposte par une demande reconventionnelle en dommages et intérêts d'un montant de 35 000 $ pour dommages généraux, moraux et punitifs.

[3]           D'entrée de jeu, le Tribunal tient à préciser que le couple Collins-Gauthier n'a pas été représenté par avocat, pas plus que la compagnie Gauthier Collins inc., laquelle est devenue inopérante et sans actif. De plus, pour une meilleure compréhension de la trame factuelle, il y a lieu d'ajouter que la poursuite contre la codéfenderesse Nicole Gauthier sera rejetée sans frais.

[4]           Enfin, le défendeur Collins est mieux connu sous le nom de Viv tant dans la vie quotidienne que sur le Web.

[5]           M. Collins a quitté l'Angleterre pour le Canada en 2004 et ne parle pas le français. Il n'a pas exigé d'interprète. Cependant, l'audition a eu lieu principalement en langue anglaise et la partie française était traduite à sa demande par son épouse, la codéfenderesse Nicole Gauthier.

 

I.          LES FAITS

[6]           Le demandeur et le défendeur se sont connus en 2003 sur la blogosphère[3] par l'intermédiaire du forum de discussion sur le site « pulse-jets.com », un site sur le Web dédié à l'échange d'informations sur, notamment, les moteurs à propulsion et visité régulièrement à l'époque par plus de 1 000 adeptes à travers le monde.

[7]           En 2004, le demandeur quitte son emploi à St-Jean-sur-Richelieu pour venir s'établir au Lac-Saint-Jean. Il épouse Mme Diane Gauthier, la sœur de la codéfenderesse Nicole Gauthier. Le 18 juin, le défendeur arrive au Canada pour fonder avec le demandeur, en août 2004, la compagnie Conception GLC inc. (ci-après appelée « GLC »).

[8]           GLC était une entreprise en recherche et développement qui a breveté un moteur à propulsion.

[9]           En 2006, le défendeur dépose en Cour supérieure une requête introductive d'instance en liquidation de GLC[4].

[10]        En mai 2008, un règlement intervient hors cour, à l'occasion duquel une convention, signée par la demanderesse, le défendeur et les avocats de l'époque, est assujettie à une clause de stricte confidentialité[5].

[11]        Le 10 décembre 2010, le demandeur prend inopinément connaissance d'un courriel sur le site « pulse-jets.com », adressé à un certain Mike et signé par le défendeur[6]. En cliquant sur le lien « A brick ! Twice as long as it is wide but only half as high », il voit apparaître à l'écran de son ordinateur un courriel émanant du blogue du défendeur et portant l'adresse courriel « … abrick … » abrité par le site « Wordpress » [7]. Ce courriel daté d'octobre 2009 porte le sous-titre « Time ! I now have some, ». Le défendeur y explique les raisons pour lesquelles il n'a pas pu réaliser les objectifs qu'il s'était donné trois ans auparavant lors de la conception de son blogue.

[12]        Au troisième paragraphe de ce courriel, il écrit :

« One of the things that took a lot of my spare time for a year or so was a legal case we had to bring against an ex business partner Luc Laforest, he turned out not to be an honest or truthful person as we found out, and he was even less honest or truthful about were he got the assets from that he used to pay his way in to the old project company, we found some extremely serious financial irregularities due to software that he copied from his ex employer's with out [sic] their autherisation [sic] and then added to the inventory of the project company at its full market value of $38500 cad. »

(Soulignements du Tribunal)

[13]        Le lendemain, le 11 décembre, le demandeur écrit sur le site « pulse-jets.com » un texte de 9 pages[8] par lequel il prétend vouloir rétablir les faits mentionnés dans le courriel du défendeur. Il serait fastidieux de reprendre ici ce texte d'autant plus que le Tribunal n'y décèle aucun élément de diffamation de la part du demandeur. D'ailleurs, ce dernier termine son courriel ainsi :

« … I hold no grudges against the guy. »[9]

[14]        Le 13 janvier, le défendeur écrit sur le site « pulse-jets.com » un courriel de remerciement général aux récents visiteurs de son blogue « abrick » et coiffé du titre « Thank you visiters to Viv's Abrick blog »[10].

[15]        En janvier 2010, le demandeur ferme la compagnie GLC. De toute façon, elle est devenue insolvable. Il se dit « écœuré » des attaques qu'il subit depuis 2006 et il se dit épuisé totalement; il se sépare de sa conjointe. En mars 2010, il s'en va demeurer en Estrie chez David Haines, un actionnaire de GLC. Il y séjournera plusieurs mois.

[16]        Pendant l'été 2010, il découvre d'autres courriels le concernant. Il n'a eu qu'à rechercher le nom Luc Laforest ou Viv Collins pour accéder à ces courriels dont celui qui fut consulté le 10 janvier précédant, à savoir la pièce P-5[11]. Il se rend compte que des photos de lui, de ses amis et de sa famille ont été publiées sur le Web sans son autorisation.

[17]        Dans les faits, ce sont des photos prises par le défendeur qui les a placées sur son blogue et qui, par le biais d'hyperliens, se sont retrouvées sur d'autres sites. C'est du moins ce que prétend le défendeur[12].

[18]        Le demandeur se rend compte que le texte de P-5 se retrouve intégralement sur le site « pulse-jets.com ». Sur le site « yasni », le défendeur est identifié comme Viv Collins (Québec, Gauthier Collins inc. VIP rank 1 B 1). La recherche du demandeur fait apparaître plusieurs blogues. L'un d'eux, soit la pièce P-9, concerne un texte relié à l'achat d'un « pressure jet » et deux hyperliens terminent la page, soit « A brick ! Twice as long as it is wide but only half as high » et « http://monsieurlecommentaire. blogspot.com/ ».

[19]        Le demandeur clique sur le deuxième lien. L'écran de l'ordinateur fait voir un courriel de deux pages écrit par le défendeur. On y retrouve le texte de P-5 et un autre daté cette fois du 14 mars 2010[13] :

« Well that was a surprise to see, while doing an unrelated search for some thing [sic] else this little nugget of fun popped up ;-)

By Faads45 on mar 12, 2009 ׀ Reply

Très belle video vertegenwoordiger de ce site de rencontre Ainsi que le site lui-même qui est de très haute qualite. Aller voir.

You can see the rest in context at clubderencontres

Not at all sure whats going on with that story but I should add that faads45 seems an awful lot like faads45@hotmail.com the email address of Luc Laforest. »

[20]        D'autres blogues sont retrouvés dont celui de la pièce P-5 et pour la première fois le même blogue est précédé du mot « Con Man ». À la droite de la page, on lit la phrase : « Conception GLC inc., what a waste of time and money, it turned out to be nothing but a ponzie scheme run by a con man »[14].

[21]        Sur le site « pulse-jets.com », le demandeur redécouvre le titre du texte et la photo qui apparaissaient sur P-5 et les liens « www.gauthiercollinsinc » et « www.monsieurlecommentaire »[15]. Le courriel a été « posted on october 15, 2007 by Viv Collins ».

[22]        À la page 2 de P-12, les mots-clés suivant apparaissent sur la colonne de droite :

« Tags

art Conception
GLC inc.
Con man
creativity engineers Industries B Rainville Louis Morin Luc Laforest Patents Serg Benjamin Stéphane Veronneau Tramac »

[23]        Sur le site « abrick »[16] du défendeur, la même photo et le même texte que celui envoyé le 14 mars 2010 apparaissent et il y est indiqué que le contenu a été « posted on may 23, 2010 by Viv Collins ». En page 2, les hyperliens sont les mêmes mais des mots s'y sont ajoutés : « Dave Haines, Louis Morin et Skeett ». Haines est l'actionnaire chez qui le demandeur a séjourné plusieurs mois.

[24]        Le demandeur découvre des photos sur le site « Plaxo »[17]. Elles émanent du défendeur. La deuxième page indique que le défendeur a ajouté deux photos du demandeur. Cette fois, le nom de ce dernier au bas des photos est précédé des mots : « conman ». La quatrième page contient cinq autres photos du demandeur ajoutées par le défendeur. Le mot « conman » y apparaît deux fois.

[25]        Le 22 juillet 2010, le demandeur découvre sur le site du défendeur « abrick.wordpress » la version complète du blogue « Well what a surprise » publié le 23 mai 2010[18].

[26]        Dans le blogue découvert le 22 juillet, sont publiés le nom du demandeur et son adresse électronique, soit faads45@hotmail.com. Le défendeur ajoute le lien « club de rencontres ».

[27]        En cherchant sur Google, le demandeur découvre la pièce P-18, soit un blogue de deux pages sur le site « wordpress » et à son propre nom : « Blogs about : Luc Laforest ». Il n'en est pas l'auteur et ne sait pas comment créer un blogue; les hyperliens sont les mêmes que dans la pièce P-14 et l'hyperlien « A brick ! Twice as long as it is wide but only half as high » s'y est ajouté. En cliquant sur l'hyperlien, le demandeur se retrouve sur le site « monsieurlecommentaire » et le texte de P-5 y apparaît.

[28]        Sur le site « pulse-jets.com », le défendeur y écrit un courriel en date du 27 mai 2010 au bas duquel apparaît l'hyperlien « A brick ! Twice as long as it is wide but only half as high », soit le titre du texte de P-5[19].

[29]        Le demandeur découvre, toujours pendant l'été 2010, un autre courriel daté cette fois du 28 juillet 2010[20] sur le site « pulse-jets.com » sur lequel le défendeur répond à un certain Doug. Les deux hyperliens précédemment cités, soit « monsieurlecommentaire » et « A brick ! Twice as long as it is wide but only half as high » y apparaissent.

[30]        Toujours par le biais de Google, le demandeur se retrouve sur le site « Picasa »[21] qui montre sa photo avec son adresse personnelle en bas de la photo et un texte à côté de la photo du défendeur au bas de laquelle est écrit :

« Viv Collins

Photos Profil

25 juin 2010 22 : 16 »

Le texte se lit ainsi :

« Must have put a lot of effort in to taking this photo as Luc Laforest use it on a number of dating web sites and chat groups, sadly he was still married when he started doing that!

Doit avoir mis beaucoup d'effort pour prendre cette photo comme Luc Laforest a utilisé sur un certain nombre de sites de rencontre Internet et des groupes de discussion, malheureusement, il était encore marié quand il a commencé à faire ça!

Powered by Google Traduction »

(Soulignements du Tribunal)

[31]        Les hyperliens à droite sont : « Conman, Luc Laforest, Dating agency Profile ». La photo provient de la « Galerie de Viv Collins ».

[32]        En cherchant sur Google le nom Luc Laforest, le demandeur se retrouve sur le site « wordpress »[22] et l'inscription suivante apparaît à l'écran :

« Tag Archives : Luc Laforest

Conception GLC inc Bankrupt.

Posted on August 5, 2010 by Viv Collins

Conception GLC inc bankrupt. President Luc Laforest blamed by share holders for mismanagement Continue reading

Posted in A brick Conception GLC inc ׀ Tagged Conception GLC Dave Haines Louis Morin Luc Luc Laforest Luc Laforest GLC Serg Benjamin Stéphane Veronneau ׀  Leave a comment

Well that was a surprise!

Posted on May 23, 2010 by Viv Collins

Well that was a surprise to see, while doing an unrelated search for some thing [sic] else this little nugget of fun popped up By Faads45 on mar 12, 2009 ׀ Reply Très belle video vertegenwoordiger de ce site de rencontre … Continue reading  »

[33]        Sur la colonne de droite les mots-clés ci-devant cités apparaissent à nouveau.

[34]        Le 31 décembre 2010, le défendeur adresse ses voeux de Noël par le biais du site « pulse-jets.com ». L'hyperlien « monsieurlecommentaire » est présent au bas de la page[23].

[35]        En naviguant sur Google, le demandeur découvre d'autres photos prises par le défendeur et à côté de certaines, des courts commentaires y apparaissent :

« Luc Laforest, picture taken in the old office in the back bedroom of […] Saint Hedwidge just as we were starting the company (before the audit discovered the software copy) »[24]

(Soulignement du Tribunal)

[36]        À la page 6 de P-43, on peut lire à la droite un texte qui émane du défendeur :

« Luc's wedding day, obviously happy days before we found out what he had done to us financially. »

[37]        En janvier 2010, à la demande de la conjointe du demandeur Diane Gauthier, la défenderesse Nicole Gauthier a requis du défendeur d'interdire l'accès public aux photos qu'il avait regroupées sur le site « Picasa ». La défenderesse Gauthier précise cependant[25] :

« Nicole Gauthier

… Bien que certaine d'entre elles peuvent apparaître lors de recherche spécifique d'image sur Google en raison des fichiers «cache», le lien pour l'album Picassa demeure inaccessible. »

[38]        À l'audience, des dizaines d'autres courriels ont été déposés tant en demande qu'en défense.

[39]        Le 21 février 2012, le défendeur a interdit l'accès public à ses blogues[26].

 

II.         LES PRÉTENTIONS

            1)         Le demandeur

[40]        Selon le demandeur, la pièce P-5 publiée sur le Web contient des affirmations fausses, diffamantes et calomnieuses. Les hyperliens, les mots-clés et l'utilisation de plusieurs blogues sur le Web reprennent les propos rapportés dans la pièce P-5 et en ajoutent, faisant en sorte d'alimenter et de propager la diffamation à l'égard du demandeur.

[41]        De plus, toujours selon le demandeur, la publication des photos de ce dernier et de sa famille sur le Web par le défendeur sans autorisation, constitue une intrusion illégale dans sa vie et celle de sa famille.

 

2)         Le défendeur

[42]        Le défendeur prétend ne pas avoir écrit de faussetés au sujet du demandeur et ne pas avoir commis de faute. Le demandeur serait l'artisan de son propre malheur et n'aurait subi aucun dommage.

[43]        De plus, l'essentiel de la défense du défendeur porte sur la narration de faits survenus avant le règlement hors cour du 12 mai 2008 et illustre le climat d'animosité qui régnait entre le demandeur, le défendeur et la défenderesse Mme Gauthier.

[44]        Enfin, le défendeur admet avoir été l'auteur des messages ci-devant repris par le Tribunal mais nie avoir quelque responsabilité à l'égard des hyperliens et des mots-clés qui permettent à d'autres sites d'avoir accès à ces messages et au blogue du défendeur de se retrouver sur ces sites. À titre d'exemple, il réfère au site « yasni » qui reprend le texte de la pièce P-5[27] et ajoute à l'audience : « C'est yasni qui l'a rendu public et le texte a paru sans ma connaissance et mon autorisation ».

 

III.        LES QUESTIONS EN LITIGE

[45]        À l'audience, le défendeur a corroboré le témoignage de Mme Gauthier selon lequel les textes sous-jacents à la poursuite émanent du défendeur. D'ailleurs, la défenderesse Gauthier n'a appris l'existence de ces textes et des photos que lors de la lecture de la requête introductive d'instance qui lui a été signifiée. De plus, la compagnie Gauthier Collins inc. dont il était actionnaire n'a jamais participé à la diffusion de ces mêmes textes et photos et n'a été que réceptrice de ceux-ci par le biais des hyperliens ou mots-clés dont le défendeur s'est servi.

[46]        Par conséquent, les questions en litige peuvent être ainsi énoncées :

1e        Les textes publiés sur le Web par le défendeur au sujet du demandeur sont-ils diffamatoires ?

2e        La publication sans consentement des photos du demandeur et de sa famille sur le Web constitue-t-elle une atteinte au droit à leur vie privée ?

3e        Si la réponse aux deux questions précédentes est affirmative, le demandeur a-t-il subi un préjudice et si oui, quelle en est l'étendue ?

[47]        Avant de répondre à ces questions, il est nécessaire d'exposer le droit applicable.


 

IV.        LE DROIT

[48]        Le demandeur reproche essentiellement au défendeur 1) d'avoir fait circuler sur le Web des propos diffamatoires à son sujet et 2) d'avoir porté atteinte à son droit à la vie privée en faisant circuler des photographies de lui et de sa famille sur le Web sans son consentement.

[49]        Que ce soit par internet ou tout autre média, les règles en matière de diffamation sont les mêmes.

[50]        L'arrêt Radio-Canada  c. Radio-Canada Sept-Îles[28], offre une bonne définition de ce que constitue de la diffamation :

« Génériquement, la diffamation consiste dans la communication de propos ou d'écrits qui font perdre l'estime ou la considération de quelqu'un ou qui, encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables. Elle implique une atteinte injuste à la réputation d'une personne par le mal que l'on dit d'elle ou la haine, le mépris ou le ridicule auxquels on l'expose. »

[51]        Dans un texte intitulé « Les droits de la personnalité »[29], Richard Lacharité Jr reprenant les propos d'autres auteurs définit ainsi le droit à la vie privée :

« La vie privée d'une personne peut se décrire comme la part de sa vie qu'elle désire conserver pour elle-même ou ne veut partager qu'avec un entourage restreint. Dans un contexte plus large, elle se rapporte aussi aux notions de liberté, de dignité, d'autonomie morale et physique de la personne dans l'exercice de ses droits dans un contexte démocratique. »

[52]        Avant d'approfondir ces deux formes d'atteinte aux droits d'une personne, il convient de reproduire ci-après les dispositions légales pertinentes :

« Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. c. C-12 :

3. Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d'opinion, la liberté d'expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d'association.

4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.

44. Toute personne a droit à l'information, dans la mesure prévue par la loi.

49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.

Code civil du Québec :

3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l'inviolabilité et à l'intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.

7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi.

35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.

Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l'autorise.

36. Peuvent être notamment considérés comme des atteintes à la vie privée d'une personne les actes suivants:

1°Pénétrer chez elle ou y prendre quoi que ce soit;

2°Intercepter ou utiliser volontairement une communication privée;

3°Capter ou utiliser son image ou sa voix lorsqu'elle se trouve dans des lieux privés;

4°Surveiller sa vie privée par quelque moyen que ce soit;

5°Utiliser son nom, son image, sa ressemblance ou sa voix à toute autre fin que l'information légitime du public;

6°Utiliser sa correspondance, ses manuscrits ou ses autres documents personnels.

1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.

Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde. »

[53]        À la lecture de ces dispositions, notamment celles de la Charte, le point de rupture entre deux droits fondamentaux est constamment présent dans une poursuite pour diffamation et atteinte à la vie privée. Il s'agit du droit de sauvegarder sa réputation, sa dignité et sa vie privée confronté au droit à la libre expression[30].

[54]        Ces quelques dispositions légales reproduites, il y a maintenant lieu de circonscrire les notions de diffamation et d'atteinte à la vie privée à la lumière de la doctrine et de la jurisprudence. La question des hyperliens et des conclusions recherchées sera l'objet d'une analyse séparée.

1)         La diffamation

[55]        Quand des propos deviennent-ils diffamatoires ? Lorsqu'un citoyen ordinaire estime que les propos tenus, pris dans leur ensemble, déconsidèrent la réputation de quelqu'un, que ces propos soient directs ou insinuants[31].

[56]        Le droit civil québécois ne prévoit pas de recours particulier en matière de diffamation et d'atteinte à la vie privée. La partie demanderesse doit avoir recours à l'article 1457 C.c.Q. et, par conséquent, prouver la faute, le préjudice et le lien de causalité.

[57]        Pour que la diffamation donne ouverture à la demande en justice, Baudouin et Deslauriers ajoutent que :

« … son auteur doit avoir commis une faute. Cette faute peut résulter de deux genres de conduite. La première est celle où le défendeur, sciemment, de mauvaise foi, avec intention de nuire, s'attaque à la réputation de la victime et cherche à la ridiculiser, à l'humilier, à l'exposer à la haine ou au mépris du public ou d'un groupe. La seconde résulte d'un comportement dont la volonté de nuire est absente, mais où le défendeur a, malgré tout, porté atteinte à la réputation de la victime par sa témérité, sa négligence, son impertinence ou son incurie. Les deux conduites constituent une faute civile, donnent droit à réparation, sans qu'il existe de différence entre elles sur le plan du droit. » [32]

2)         Le droit au respect de la vie privée

[58]        Le droit au respect de la vie privée comprend le droit de s'opposer à toute intrusion dans sa vie privée et celui de s'opposer à la diffusion d'information reliée à sa vie privée. Ce droit au respect de la vie privée peut englober le droit à son nom et à son image.

[59]        Le professeur Lacharité[33] explique ainsi la méthode d'analyse permettant au Tribunal de conclure à une atteinte ou non à la vie privée d'un individu :

« Ainsi, les droits à l'image, à l'honneur, à la réputation peuvent, suivant leur objet et les circonstances particulières de leur usage, bénéficier à la fois du régime de protection du droit au respect de la vie privée et de celui qui se rattache à l'un ou l'autre de ces droits. Afin de circonscrire la protection en cause, c'est à la finalité de la protection qu'il faut s'en remettre.

[…]

L'analyse de la portée de cette dichotomie se rattache souvent de manière très étroite à celle de l'intérêt légitime du public à l'information qui joue un rôle important dans l'établissement des limites de la vie privée comme élément de structuration du domaine de protection du droit, ainsi que dans la légitimation des atteintes à la vie privée dans l'exercice de la liberté d'opinion et d'expression. Tout comme les droits à l'honneur et à la réputation, la protection du droit au respect de la vie privée face à l'exercice des libertés de presse, d'opinion et d'expression devra s'évaluer en fonction d'un critère de proportionnalité de l'atteinte, d'une pesée des intérêts en jeu. »

[60]        Tout comme le droit à la sauvegarde de sa réputation, ce droit se heurte également à l'exercice de la liberté d'opinion et d'expression. L'article 36 C.c.Q. prévoit quelques illustrations de situations qui pourraient être qualifiées d'atteinte au droit au respect de la vie privée.

[61]        Le défendeur a soumis au Tribunal l'argument juridique selon lequel il ne pouvait être responsable des propos diffamatoires qui sont retrouvés sur le Web par le biais des hyperliens. La jurisprudence à cet égard est très récente comme indiqué ci-après.

3)         Les hyperliens

[62]        Le défendeur réfère le Tribunal à l'arrêt de la Cour suprême rendu en novembre 2011[34]. Dans cet arrêt, six des neuf juges ont conclu que l'utilisation d'un hyperlien « ne peut, en soi, équivaloir à de la diffusion, et ce même si on le suit en vue de consulter le contenu diffamatoire auquel il mène, … »[35], à moins que l'auteur de l'hyperlien soit lui-même l'auteur de la page au contenu diffamatoire auquel l'hyperlien le renvoie.

[63]        C'est ce qui se dégage du passage suivant de l'arrêt de la Cour suprême[36] :

« [41]  Empêcher que des poursuites ne soient intentées contre des personnes qui ont simplement renvoyé leurs lecteurs à d’autres sources pouvant contenir des propos diffamatoires et qui n’ont pas elles-mêmes tenu de propos dont le sens était diffamatoire à l’égard des personnes qui se disent lésées ne prive pas ces dernières de la possibilité de défendre leur réputation.  Comme je l’ai déjà dit, celui qui crée un hyperlien n’obtient aucun contrôle sur le contenu auquel il renvoie.  Le meilleur moyen de faire cesser la diffusion d’un contenu diffamatoire est d’intenter une poursuite contre la personne qui en est l’auteur et en a le contrôle. »

[64]        Par conséquent, le Tribunal, lié par la règle du stare decisis[37], devra conclure à l'absence de diffusion de textes diffamatoires ou de photos du demandeur et de sa famille sans consentement, si cette diffusion s'est faite par le biais d'hyperliens sans que le défendeur soit l'auteur des textes diffamatoires auxquels ils renvoient.

[65]        Le Tribunal tient cependant à citer le paragraphe 43 du même arrêt pour souligner la volonté de la Cour de ne pas vider la question des conséquences juridiques de divers types de liens présents et à venir :

« [43] Je suis bien consciente du fait qu’il est possible d’établir des distinctions entre les hyperliens — tels les hyperliens profonds et les hyperliens simples comme ceux qui nous occupent en l’espèce — et les liens qui affichent automatiquement un autre contenu.  La réalité de l’Internet a pour conséquence que nous sommes confrontés à la fluidité inhérente et inexorable de technologies en pleine évolution.  Par conséquent, j’estime qu’il serait mal avisé, dans les présents motifs, de tenter d’anticiper, et à plus forte raison de vider complètement, la question des conséquences juridiques des divers types de liens qui existent déjà ou qui feront leur apparition.  Les liens intégrés ou automatiques, par exemple, peuvent fort bien porter à conséquence dans des affaires à venir, mais ces différences n’ont fait l’objet d’aucun débat dans le cadre de la présente affaire et n’ont pas été analysées devant les tribunaux inférieurs; il n’est donc pas nécessaire d’en tenir compte pour les fins qui nous occupent. »[38]

[66]        Cet arrêt a été rendu en common law de la diffamation[39]. La conclusion de cet arrêt selon laquelle l'utilisation d'un hyperlien ne peut, en soi, équivaloir à de la diffusion, peut vraisemblablement servir de défense en l'instance puisqu'en droit civil québécois, le fardeau de prouver la diffusion du message est obligatoire et la diffusion constitue le lien de causalité entre la faute et le dommage (1457 C.c.Q.). C'est ce que plaide le défendeur.

[67]        Avant de clore cet exposé sur le droit applicable, il convient de s'arrêter à deux conclusions recherchées par le demandeur dans la mesure où le Tribunal conclurait à l'existence de propos diffamatoires sur le Web et à l'atteinte à son droit au respect de sa vie privée.

4)         Deux conclusions en injonction

[68]        Le demandeur recherche en premier lieu une ordonnance de retrait du Web de tout matériel, tous documents et liens internet le concernant.

[69]        En second lieu, il demande au Tribunal d'ordonner au défendeur de signer une lettre de rétractation dont pourrait se servir le demandeur en réponse à tout texte diffamatoire le concernant et à toutes photos de lui et de sa famille qui se seraient échappées des blogues du défendeur pour se retrouver dans le cyberespace sans qu'on ait pu les récupérer.

[70]        La première conclusion paraît rencontrer l'opinion favorable de M. le juge André Rochon de la Cour d'appel dans Prud'homme c. Rawdon[40] aux paragraphes 69 et 70 :

« [69]  Par ailleurs, je conviens qu'il aurait été approprié en l'espèce d'exiger le retrait de certains propos du forum de discussion.  Il s'agit des propos que j'ai identifiés plus tôt, propos prononcés sous le couvert de l'anonymat par certains appelants qui ne contiennent que des insultes, des propos dégradants et pour lesquels les auteurs n'ont soumis aucune preuve susceptible d'étayer un tant soit peu une justification quelconque.  Ces propos dépassaient les bornes d'un débat d'affaires publiques.

[70]    L'utilisation de l'Internet aurait rendu nécessaire cette dernière ordonnance puisque la diffusion des propos diffamatoires ou injurieux en cause se poursuivait dans le cyberespace et les propos étaient accessibles à tous les internautes. »

[71]        La deuxième conclusion recherchée paraît être de la nature d'une demande de publication d'une rétractation ou d'excuses visant à réparer un tant soit peu les dommages causés. Cette conclusion vise un deuxième objectif, celui de tenter de protéger le demandeur contre des dommages futurs, probablement inévitables quand le Web est l'outil de diffusion lui-même efficace, gigantesque, en constante évolution, parfois incontrôlable et dangereux.

5)         La conclusion en réclamation d'une somme d'argent

[72]        La conclusion en réclamation pour dommages est non particularisée. Elle se lit comme suit : « Condamner les défendeurs solidairement à payer au demandeur la somme de 99 999,00 $ ».

[73]        Le demandeur ne précise pas la nature des dommages pour lesquels il réclame un montant avoisinant les 100 000 $. Cette conclusion donne ouverture à une condamnation pour dommages compensatoires et, dans le cas où les conditions d'application seraient rencontrées, à une condamnation pour dommages et intérêts punitifs.

[74]        Évidemment, le total des dommages attribués ne pourrait dépasser 99 999 $ puisqu'autrement, les conclusions du jugement seraient ultra petita.

[75]        Le Tribunal a décidé que la condamnation aux dommages et intérêts compensatoires était inévitable. Il reste à décider si le demandeur a droit à des dommages et intérêts punitifs.

[76]        L'article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne permet au Tribunal de condamner toute personne à des dommages et intérêts punitifs si elle atteint, de façon illicite et intentionnelle, au droit à la dignité et à la réputation d'une autre personne.

[77]        L'attribution des dommages et intérêts punitifs obéit donc à deux conditions :

«-   Il faut une atteinte à un droit reconnu par la Charte québécoise.

-       Cette atteinte doit être illicite et intentionnelle. »[41]

[78]        La Cour suprême a reconnu en 2010 le caractère autonome des dommages exemplaires. Ils nécessitent néanmoins la preuve d'une faute d'un dommage et d'un lien de causalité[42].

[79]        La Cour suprême a interprété l'article 49 de la Charte dans le sens où l'auteur de l'atteinte intentionnelle « a un état d'esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s'il agit en toute connaissance des conséquences immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables que cette conduite engendrera. …»[43].

[80]        Dans Construction Val d'Or[44], la Cour d'appel précise :

« Le caractère intentionnel de la mauvaise conduite est donc essentiel et doit ressortir de la preuve. Le fait d'avoir agi d'une manière insouciante, excessive et déraisonnable n'est pas suffisant pour justifier une condamnation à des dommages punitifs. Cette analyse comporte deux volets. Le premier, subjectif, consiste à déterminer si l'auteur de la violation souhaitait la conséquence de son acte et le second, objectif, vise à évaluer si une personne raisonnable, dans la même situation que l'auteur, aurait pu prévoir les conséquences subies par la victime. »

[81]        Le Tribunal doit maintenant trancher le litige à la lumière des faits pertinents et du droit applicable.

 

V.         ANALYSE ET DÉCISION

[82]        Le défendeur Collins et la défenderesse Gauthier haïssent profondément le demandeur pour les dommages que ce dernier leur aurait causés entre 2004 et 2008. Ils ne se sont d'ailleurs pas gênés de le réitérer à l'audience à quelques reprises. Non représentés par avocat, il a été difficile pour le Tribunal de les convaincre de la non-pertinence de la preuve d'événements survenus avant le règlement hors cour de la poursuite contre GLC en 2006 par le défendeur Collins. Les défendeurs ont, à plusieurs reprises, insisté sur la pertinence de cette preuve dans le cadre de l'action en diffamation intentée par le demandeur. Le Tribunal réitère la non-pertinence d'un grand pan de la preuve des défendeurs, soit celle du conflit ayant existé entre les parties, et ce, avant la découverte de certains textes sur le Web en janvier 2010 par le demandeur.

[83]        Il n'est donc pas ici question de revenir sur le passé non pertinent sans lien avec les questions en litige que le Tribunal doit maintenant reprendre ci-après.

1)           Les textes publiés sur le Web par le défendeur Collins au sujet du demandeur sont-ils diffamatoires ?

[84]        Le Tribunal a déjà traité des hyperliens à la lumière de l'arrêt de la Cour suprême Crookes c. Newton précité. Que le défendeur soit l'auteur ou non d'hyperliens, ceux-ci ne sont pas considérés comme ayant servi à diffuser un contenu diffamatoire à moins que l'auteur de l'hyperlien soit également l'auteur de la page Web au contenu diffamatoire auquel il renvoie.

[85]        En l'espèce, la preuve irréfutable veut que l'un des blogues du défendeur, soit celui dont l'adresse internet est « http://abrick.wordpress.com », abrite un texte dont l'auteur est l'utilisateur de ce blogue. Il n'est plus ici question d'hyperlien. Ce texte se retrouve également sur un autre blogue du défendeur : « http://monsieurlecommentaire. blogspot.com ».

[86]        Toujours sur le blogue « abrick » le 23 mai 2010, le défendeur a écrit :

« Tag Archives: Con man

Well that was a surprise!

Posted on May 23, 2010, by Viv Collins

Well that was a surprise to see, while doing an unrelated search for some thing else this little nugget of fun popped up By Faads45 on mar 12, 2009 ׀ Reply Très belle video vertegenwoordiger de ce site de rencontre … Continue reading

Posted in A Brick ׀ Tagged Con man, Conception GLC inc., Luc Laforest, Skeett ׀ Leave a comment »[45]

[87]        Évidemment, ces propos, en tout ou en partie, ont été repris ailleurs par le biais d'hyperliens ou de mots-clés. Ces textes contiennent-ils des propos diffamatoires ? Pour répondre à cette question, il y a lieu de décortiquer d'abord le troisième paragraphe du texte écrit par le défendeur et publié sur son blogue « abrick » et reproduit à la pièce P-5 :

1.    « One of the things that took a lot of my spare time for a year or so was a legal case we had bring against an ex business partner Luc Laforest … ».

2.    « … he turned out not to be a honest or thruthful [sic] person … » (traduction libre: « ne pas être une personne honnête et franche »).

3.    « …he was even less honest or thruthful [sic] … » (traduction libre : « il fut encore moins honnête et franc »).

4.    « …we found some extremely serious financial irregularities … » (traduction libre : « nous avons trouvé quelques irrégularités financières extrêmement sérieuses »).

5.    « …software that he copied … » (traduction libre : « logiciel qu'il a copié »).

6.    « …he ended up destroying a very promising company … » (traduction libre : « il a fini par détruire une compagnie très prometteuse »).

7.    « …through his dishonest actions … » (traduction libre : « par ses actions malhonnêtes »).

8.    « …we launched the law suit against the scum bag … » (traduction libre: « nous avons lancé la poursuite contre le sac d'écume »).

[88]        La première strophe contient une affirmation fausse puisque l'action fut portée contre GLC dans laquelle le défendeur était lui-même actionnaire.

[89]        Par le biais des phrases ou parties de phrase 2, 3, 7 et 8, le défendeur atteint directement la dignité et la réputation du demandeur. Ces propos seraient inévitablement considérés comme étant diffamatoires par tout citoyen ordinaire qui en serait victime.

[90]        Le demandeur est un simple citoyen qui navigue sur le Web dans des sites à caractère scientifique, tel « pulse-jets.com ».

[91]        La liberté d'expression à laquelle a droit le défendeur ne saurait lui permettre d'aller aussi loin que de traiter le demandeur de fraudeur, et ce, même si c'était vrai.

[92]        Le Tribunal rappelle ici que l'un des moyens de défense est précisément de ne pas avoir dit de fausseté : l'adage « toute vérité n'est pas bonne à dire » revêt en l'espèce tout son sens. Le Tribunal rappelle aussi l'enseignement des professeurs Baudouin et Deslauriers[46] selon lequel, même en l'absence d'une volonté de nuire, la négligence ou l'impertinence de l'auteur peut lui être reprochée au titre de faute civile donnant ouverture à réparation.

[93]        En l'espèce, que la croyance à la véracité des propos diffamatoires constitue la défense du défendeur, cette croyance n'altère en rien sa responsabilité d'avoir diffusé volontairement et en toute connaissance des conséquences nuisibles de tels propos.

[94]        Lorsque le défendeur a décidé de confier ainsi au Web des perceptions qu'il avait du demandeur, la libre expression dont il disposait a perdu son statut de droit.

[95]        À l'audience, la défenderesse Gauthier s'est dite elle-même en désaccord avec les propos ci-devant écrits par le défendeur Collins.

[96]        Si les hyperliens et les mots-clés contenus dans les blogues du défendeur sont eux-mêmes diffamatoires, il n'est plus question de la diffusion d'un texte diffamatoire par le biais d'un lien, mais de la diffusion de propos diffamatoires contenus dans le lien lui-même engendrant ainsi la responsabilité de l'auteur du lien.

[97]        Par exemple, la pièce P-14 déjà citée, contient le lien « Tag archives : con man ». Ce lien émane du défendeur et se retrouve sur son blogue. Plus bas sur un autre lien, le terme « con man »[47] est associé à Conception GLC, Luc Laforest, Skeett[48].

[98]        Ces deux liens sont diffamatoires parce qu'ils associent le terme « fraudeur » à Luc Laforest, tout comme le défendeur l'avait fait auparavant sur le même blogue.

[99]        Dans le site « pulse-jets.com », il est souvent fait référence par le biais d'un hyperlien contenu dans des courriels émanant du défendeur, à des textes diffamatoires dont il est lui-même l'auteur. Il en est ainsi de P-9 sur le site « pulse-jets.com » dont les hyperliens sont « A brick ! Twice as long as it is wide but only half as high » et « http://monsieurlecommentaire.blogspot.com/ ».

[100]     Les hyperliens se retrouvent sur d'autres pages sur le site «pulse-jets.com », soit les pièces P-20 à P-24.

[101]     Sur le site « wordpress », le blogue « abrick » du défendeur présente des hyperliens tels « Conception GLC, Con man, Luc Laforest » qui débouchent sur des propos diffamatoires et des photos du demandeur de même nature que ceux ci-devant rapportés[49].

[102]     Dans le blogue découvert le 22 juillet 2010 par le demandeur[50], le défendeur a publié le nom du demandeur, son adresse électronique et l'associe à un lien « club de rencontres » dans le but d'entacher sa réputation. Le défendeur avait déjà identifié le demandeur sur le blogue P-38 comme quelqu'un qui voyage sur les sites de rencontre alors « qu'il était encore marié quand il a commencé à faire ça ».

[103]     En septembre 2010, le défendeur ajoute une page sur son blogue « abrick.wordpress » dans laquelle il se prétend le seul inventeur dans « combustor » et d'être le seul propriétaire du brevet d'invention[51], alors que la preuve révèle que le demandeur est également l'inventeur dûment enregistré au brevet WO/2007/003031[52].

[104]     Dans la pièce P-43, page 5, le défendeur accuse le demandeur d'avoir copié un logiciel. Or, selon la preuve, le demandeur a obtenu l'autorisation d'utiliser le logiciel d'une autre société.

[105]     En recherchant le profil du défendeur, la page de l'écran qui s'ouvre contient notamment des liens qui renvoient à son blogue « abrick » et son blogue « monsieurlecommentaire », aux propos diffamatoires et aux photos du demandeur.

2)           La publication sans consentement des photos du demandeur et de sa famille sur le Web constitue-t-elle une atteinte à leur vie privée ?

[106]     Le site Web « Picasa » héberge l'album de photos du défendeur. C'est ce dernier qui est l'auteur des photos et des informations contenues dans ce qu'il appelle la « Galerie de Viv Collins ». La pièce P-38 montre la photo du demandeur et son adresse. Plus bas, on peut lire :

« Must have put a lot of effort in to taking this photo as Luc Laforest use it on a number of dating web sites and chat groups, sadly he was still married when he started doing that!

Doit avoir mis beaucoup d'effort pour prendre cette photo comme Luc Laforest a utilisé sur un certain nombre de sites de rencontre Internet et des groupes de discussion, malheureusement, il était encore marié quand il a commencé à faire ça!

Powered by Google Traduction »

[107]     Ces propos sont également diffamatoires.

[108]     Les mots-clés sur la colonne de droite constituent également de la diffamation. On y lit :

« Conman

Luc

Laforest

Dating

Agency

Profile »

[109]     La troisième page de la pièce P-39 est également une page du site « Picasa » qui contient l'hyperlien diffamatoire suivant : « Viv Collins conman file, Luc Laforest ».

[110]     La quatrième page de la pièce P-39 présente la photo du demandeur en bas de laquelle le défendeur écrit : « Conman file, Luc Laforest ».

[111]     La cinquième page de la pièce P-39 montre une autre photo du demandeur. Les mots « Conman file, Luc Laforest » identifient la photographie. Les pages 6 et 7 de la même pièce illustrent d'autres photos avec les mêmes inscriptions.

[112]     Dans la page 8 de la pièce P-39 sur la colonne de droite, sous la photo et le nom du défendeur, toujours sur le site de « Picasa », le défendeur présente une photo avec le commentaire suivant : « Random stuff about Conception GLC Inc. and Luc Laforest who ran it in to [sic] bankcruptcy ».

[113]     La publication de ces photos du demandeur sur le Web par le défendeur porte atteinte au droit à la vie privée du demandeur et les commentaires et les hyperliens qui les accompagnent sont carrément diffamatoires.

[114]     Il y a maintenant lieu de répondre à la troisième question en litige : La faute du défendeur a-t-elle causé préjudice au demandeur et dans l'affirmative, quelle en est l'étendue ?

3)           Les dommages[53]

[115]     Le 10 janvier 2010, le demandeur découvre le courriel P-5. Il y répond poliment. Il n'en tient pas rigueur au défendeur. La découverte subséquente de centaines de pages diffamatoires et indignes à l'été 2010, le bouleverse. Il ne s'attendait jamais à avoir autant d'écrits et de photos sur autant de blogues et de sites sur le Web.

[116]     Le Tribunal est d'avis qu'un individu le moindrement sensé souffrirait grandement d'attaques répétées à sa réputation, à son image, si fort soit-il. La gravité des propos et le fait que le Web se soit emparé de sa personne et de sa réputation invitent le Tribunal à mesurer l'ampleur du préjudice subi par le demandeur.

[117]     Le Web est devenu l'outil de communication le plus puissant et le plus utilisé sur terre. Il permet de stopper des guerres rapidement, de retrouver des criminels où ils se cachent dans de courts délais. L'enseignement n'a plus de limite. La communication peut être tant personnelle qu'impersonnelle. Le Web peut rendre quelqu'un célèbre en quelques minutes. Il peut ternir et détruire une réputation en un seul clique. L'utilisation du Web, de ses sites et de ses blogues varie selon les catégories d'usagers, les âges, les sexes, les religions, etc.

[118]     Lorsque vient le moment d'évaluer la quotité des dommages subis par une « victime du Web », le Tribunal doit tenir compte des critères au nombre de huit proposés par la doctrine et la jurisprudence, à savoir :

« 1.  la gravité intrinsèque de l'acte diffamatoire;

2.       sa portée particulière relativement à celui qui en a été la victime;

3.       l'importance de la diffusion publique dont le libelle a été l'objet;

4.       le genre de personnes qui, présumément, en ont pris connaissance, et les conséquences que la diffamation a pu avoir sur leur esprit et sur leur opinion à l'égard de la victime;

5.       le degré de la déchéance plus ou moins considérable à laquelle cette diffamation a réduit la victime par comparaison avec son statut antérieur;

6.       la durée éventuelle et raisonnablement prévisible du dommage causé et de la déchéance subie;

7.       la contribution possible de la victime, par sa propre attitude ou sa conduite particulière, à la survenance du préjudice dont elle se plaint;

8.       les circonstances extérieures qui auraient, de toutes façons et indépendamment de l'acte fautif des défendeurs, constitué des causes probables du préjudice allégué ou, au moins, d'une partie de ce préjudice. »[54]

[119]     Nul doute que les propos diffamatoires sont intrinsèquement graves. Non seulement le demandeur s'est fait traité de fraudeur, mais le site Picasa[55] affiche à l'écran une page émanant du défendeur affirmant que le demandeur a voyagé sur des sites de rencontre alors qu'il était encore marié.

[120]     Plus les propos diffamatoires sont graves, plus grande sera la compensation pour le préjudice subi.

[121]     Le critère numéro 3, soit le degré de diffusion des propos, revêt une importance considérable lorsque les propos diffamatoires sont diffusés sur le Web.

[122]     Le texte le plus diffamatoire « Twice as long as it is wide… »[56] a été diffusé 1 820 fois entre janvier 2010 et mai 2012 (dont des dizaines de reprises par le demandeur qui s'était mis à vérifier hebdomadairement l'ampleur de la diffamation).

[123]     Dans l'ensemble, la preuve non contredite du défendeur établit à environ 5 000 le nombre d'apparitions sur la blogosphère de textes et de photos reliés au demandeur entre 2010 et 2012. Le texte de P-5 a été introduit sur le Web en 2007. Il n'y a pas de preuve de fréquence d'utilisation de ce texte entre 2007 et 2010.

[124]     L'importance du nombre de présence de ces textes et photos dépend de la portée que ces présences ont eue sur le demandeur lui-même (2e critère).

[125]     Le Tribunal ne croit pas que le départ du demandeur en mars 2010, sa séparation, la fermeture de GLC et, par conséquent, sa perte d'emploi en janvier 2010 aient été causés directement par la diffamation dont il a été victime.

[126]     Lorsqu'il a répondu le 11 janvier par le courriel D-4 de neuf pages à celui découvert la veille[57], le demandeur affirme à la toute fin de son texte : « Je ne lui porte aucune rancune ».

[127]     Il n'y a pas de preuve établissant que GLC n'a pas pu vendre un brevet ni réaliser un financement par la faute du défendeur, comme le prétend le demandeur.

[128]     Cependant, lorsqu'il découvre l'ampleur de l'attaque à l'été 2010, le demandeur se dit sidéré. Il se cherche un emploi, mais en vain. Il se dit constamment envahi de messages électroniques sans en connaître la provenance.

[129]     En août 2010, le demandeur expédie au défendeur une lettre par courrier recommandé et par courriel lui demandant de cesser et de retirer les publications diffamatoires.

[130]     Le défendeur a refusé de recevoir la lettre postale. Selon la preuve prépondérante, il aurait cependant reçu le courriel.

[131]     Le comportement du défendeur demeure malgré tout le même. Ce n'est que le 21 février 2012 que le défendeur interdit l'accès public à ses blogues[58].

[132]     Entre-temps, le demandeur a postulé sur plusieurs emplois.

[133]     À l'été 2010, il se voit offrir un poste. L'employeur prend sa photo et lui dit qu'il commencera à travailler le mardi suivant. Il n'a pas été appelé, n'a pas travaillé et il comprendra plus tard ce qui aurait pu se passer.

[134]     En juillet 2010, un ancien client lui propose un emploi intéressant. Le demandeur accepte. Le début de son emploi est reporté une première fois. Puis, le 8 juillet, cet employeur l'informe par courriel qu'il va commencer « l'autre lundi, le 19 si ça te dérange pas… »[59].

[135]     L'employeur se montre inquiet pour la réputation du demandeur[60]. Ce dernier tente de le rassurer en lui proposant un contrat de « loyauté et de confidentialité »[61].

[136]     Finalement, cet employeur refuse de donner suite à sa proposition d'embauche.

[137]     Des discussions amorcées en juin avec un autre employeur aboutissent finalement en octobre 2010. Le demandeur est engagé à la condition qu'il « clear your name ». Depuis octobre 2010, le demandeur doit travailler « low profile » en raison du contenu diffamatoire à son sujet, à la portée de tous et, bien sûr, à la portée des clients de son nouvel employeur. Il lui sera notamment défendu d'être photographié avec l'ex-astronaute Neil Armstrong; seul son patron aura ce privilège. Le demandeur est passé à côté de l'un de ses rêves.

[138]     Le demandeur a pourtant un poste de premier plan au sein de cette entreprise.  Depuis l'été 2010, le demandeur vit avec la hantise d'être interpellé sur sa réputation. Il a versé quelques larmes à l'audience en fin de témoignage, au moment où il explique à quel point il est atteint dans sa vie privée et professionnelle. Le Tribunal est d'avis que la crédibilité, la réputation et la dignité du demandeur ont été gravement atteintes par les propos diffamatoires et les photos parus sur le Web.

[139]     Parmi les personnes qui ont pris connaissance de ces textes et des photos (4e critère), certains voyageaient et voyagent encore sur les mêmes sites que ceux empruntés par le demandeur, notamment le site « pulse-jets.com », soit le même outil de communication qui a permis aux parties de se connaître à distance à la fin de 2003.

[140]     À l'audience, le demandeur a paru dans l'ensemble assez articulé. Il est instruit, parfaitement bilingue et s'exprime aisément sur tous les sujets qui ont été abordés.

[141]     La pièce D-4 de neuf pages écrites le 11 janvier 2010 illustre sa qualité de batailleur. Cette qualité s'est traduite par la présentation de sa requête introductive d'instance qui lui permet de revendiquer, à juste titre, son droit à réparation.

[142]     Dans la mesure où le défendeur retirerait du Web tout le matériel diffamatoire et toutes les photos en cause, le demandeur pourrait rapidement refaire surface et grandement performer. Il faudra aussi qu'il bénéfice d'un droit de contrer tout contenu diffamatoire présent et futur sur le Web incluant toutes les photos confiées par le défendeur.

[143]     Ce n'est pas parce que le défendeur a interdit l'accès public à ses blogues que la saga est désormais obsolète. Le Web est formé de milliards de tentacules qui pourraient faire ressurgir tantôt un texte diffamatoire au sujet du demandeur, tantôt une photo de lui en bas de laquelle son nom et son adresse seraient précédés du vocable peu flatteur « con man ».

[144]     À la gravité des propos, s'ajoute le délai pendant lequel le contenu diffamatoire est demeuré sur le Web, c'est-à-dire depuis 5 ans[62].

[145]     Le Tribunal arbitre à 30 000 $ le montant auquel le demandeur aurait droit pour dommages et intérêts compensatoires.

[146]     En l'espèce, le droit à la réputation et à la dignité est reconnu par la Charte à son article 4. De plus, la preuve est nettement prépondérante quant au caractère illicite et intentionnel de l'atteinte au droit du demandeur par le défendeur.

[147]     Le comportement du défendeur à compter de mars 2010, soit après la réponse du demandeur du 11 janvier précédent, illustre l'état d'esprit qui l'animait. Il a continué de dénigrer le demandeur par une mise à jour de ses blogues en y ajoutant du contenu diffamatoire.

[148]     Il a refusé de prendre livraison de la mise en demeure du demandeur et n'a pas tenu compte positivement du courriel reçu en même temps. Il savait pertinemment que les hyperliens renvoyaient l'usager sur ses blogues au contenu diffamatoire.

[149]     Pire, à l'audience, il a continué de s'attaquer à la réputation du demandeur, refusant obstinément de reconnaître quelque faute de sa part et réfutant toute atteinte illicite à la réputation du demandeur au motif qu'il a écrit des vérités.

[150]     Il faut aussi souligner que le défendeur a violé la clause de stricte confidentialité prévue à la transaction D-1, et ce, en toute connaissance.

[151]     Le comportement du défendeur témoigne de sa volonté de nuire au demandeur en toute connaissance des conséquences immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables que sa conduite fautive engendrerait.

[152]     Le défendeur sera condamné à payer au demandeur la somme de 15 000 $ à titre de compensation pour dommages et intérêts punitifs.

[153]     Une simple condamnation monétaire est insuffisante parce qu'elle ne servira pas à elle seule les intérêts du demandeur et de la justice.

[154]     D'ailleurs, le risque que le demandeur ait de la difficulté à exécuter le jugement avec succès relativement à la condamnation monétaire est relativement grand, compte tenu du témoignage du défendeur rendu à l'audience au sujet de l'absence de revenu et de l'inexistence d'actif. Quoi qu'il en soit, selon ce qu'il a déclaré à la fin de son examen en chef, le premier objectif du demandeur n'était pas d'obtenir une condamnation monétaire pour réparer les dommages subis.

[155]     Il faut aussi ordonner au défendeur de retirer du Web tout matériel qu'il y a placé relié au demandeur et à sa famille.

[156]     Même cette conclusion ne peut garantir que des textes diffamatoires émanant du défendeur et les photos et commentaires les accompagnant ne reviendraient pas hanter le demandeur et sa famille sans qu'il puisse se défendre autrement que par le biais d'une dénégation générale : une défense souvent plus délétère qu'efficace.

[157]     Pour que les fins de la justice soient atteintes, les conclusions du présent jugement doivent permettre au demandeur de lutter commodément avec le Web pour le futur.

[158]     Le défendeur a commis des fautes graves. Il doit lui-même contribuer à les réparer. Il devra donc rédiger une lettre de rétractation, la signer de sa main et la remettre au demandeur et dans laquelle il devra écrire :

« Tel qu'ordonné par la Cour supérieure, je, Dennis Vivian Collins (Viv Collins), déclare que :

·         M. Luc Laforest n'a pas mené Conception GLC inc. à la faillite;

·         La poursuite judiciaire intentée par moi personnellement l'a été contre la compagnie Conception GLC inc.

·         Cette poursuite s'est soldée par une entente hors cour confidentielle;

·         Conception GLC inc. n'a pas survécu à la poursuite judiciaire;

·         M. Luc Laforest est un homme honnête et franc;

·         M. Luc Laforest a de bonnes capacités techniques;

En outre, je m'engage à ne pas discréditer, commenter ou autrement fournir quelque information que ce soit au public sur M. Luc Laforest et les membres de sa famille, les personnes de son entourage, ses partenaires d'affaires passés ou présents.

Ainsi, advenant que je contrevienne à cette obligation, j'autorise à l'avance M. Luc Laforest à publier la présente lettre ou une traduction de celle-ci en utilisant le même moyen de communication ou un semblable et cela, pour permettre de rejoindre un nombre équivalent de personnes.

Signé : Dennis Vivian Collins »

 

VI.          LA DÉFENSE DE NICOLE GAUTHIER ET DE GAUTHIER COLLINS INC. ET LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE DE NICOLE GAUTHIER

[159]     Le Tribunal a déjà décidé que la requête introductive d'instance dirigée contre Nicole Gauthier et Gauthier Collins inc. serait rejetée. Le demandeur n'a cependant pas été téméraire en les poursuivant. Ces textes et photos, le nom de Mme Gauthier et de Gauthier Collins inc. ont apparu sur la blogosphère par le biais des courriels et des blogues du défendeur.

[160]     Or, il faut ici rappeler que Mme Gauthier est la conjointe du défendeur et que cette dernière était également actionnaire de Gauthier Collins inc.

[161]     D'autre part, le demandeur ne s'est pas attaqué à la réputation de Mme Gauthier si ce n'est qu'à une reprise, soit le 6 février 2006, en privé, et ce, en réponse à une lettre adressée par Mme Gauthier à M. Stéphane Véronneau, vice-président aux finances de GLC.

[162]     Le Tribunal n'a pas à qualifier les propos que ces personnes ont échangés en 2006, parce que la demande reconventionnelle de Mme Gauthier est prescrite depuis fort longtemps.

[163]     Ainsi, la demande contre Mme Gauthier et Gauthier Collins inc. sera rejetée sans frais et la demande reconventionnelle de Mme Gauthier le sera sans frais également.

[164]     PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[165]     ACCUEILLE la requête introductive d'instance contre le défendeur Dennis Vivian Collins (Viv Collins);

[166]     REJETTE la requête introductive d'instance contre les défenderesses Nicole Gauthier et Gauthier Collins inc., sans frais;

[167]     REJETTE la demande reconventionnelle de la défenderesse Nicole Gauthier, sans frais;

[168]     CONDAMNE le défendeur Dennis Vivian Collins à payer au demandeur une somme de 30 000 $ à titre de dommages et intérêts compensatoires et une somme de 15 000 $ à titre de dommages et intérêts punitifs;

[169]     ORDONNE au défendeur Dennis Vivian Collins de retirer dans les trente (30) jours du présent jugement, tout matériel, tous documents et liens internet concernant le demandeur et qui apparaissent sur le Web;

[170]     ORDONNE au défendeur de rédiger une lettre de rétractation, la signer de sa main et la remettre au demandeur et dans laquelle il devra écrire :

« Tel qu'ordonné par la Cour supérieure, je, Dennis Vivian Collins (Viv Collins), déclare que :

·         M. Luc Laforest n'a pas mené Conception GLC inc. à la faillite;

·         La poursuite judiciaire intentée par moi personnellement l'a été contre la compagnie Conception GLC inc.

·         Cette poursuite s'est soldée par une entente hors cour confidentielle;

·         Conception GLC inc. n'a pas survécu à la poursuite judiciaire;

·         M. Luc Laforest est un homme honnête et franc;

·         M. Luc Laforest a de bonnes capacités techniques;

En outre, je m'engage à ne pas discréditer, commenter ou autrement fournir quelque information que ce soit au public sur M. Luc Laforest et les membres de sa famille, les personnes de son entourage, ses partenaires d'affaires passés ou présents.

Ainsi, advenant que je contrevienne à cette obligation, j'autorise à l'avance M. Luc Laforest à publier la présente lettre ou une traduction de celle-ci en utilisant le même moyen de communication ou un semblable et cela, pour permettre de rejoindre un nombre équivalent de personnes.

Signé : Dennis Vivian Collins »


 

[171]     LE TOUT, avec dépens et l'intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure par courriel le 17 août 2010.

 

 

 

 

 

__________________________________

GRATIEN DUCHESNE, J.C.S.

 

 

Me Yan Lapierre

SIMARD BOIVIN LEMIEUX

Procureurs du demandeur

 

M. Dennis Vivian Collins

568, rue Scott, Roberval (Québec)  G8H 2E9

 

Mme Nicole Gauthier

568, rue Scott, Roberval (Québec)  G8H 2E9

Défendeurs

 

Date d’audience :

24 et 25 mai 2012

 


 

TABLE DES MATIÈRES

 

 

PAGE

 

I.          LES FAITS.................................................................................................................... 2

 

II.         LES PRÉTENTIONS................................................................................................... 8

 

            1)         Le demandeur................................................................................................. 8

 

            2)         Le défendeur.................................................................................................... 9

 

III.        LES QUESTIONS EN LITIGE.................................................................................... 9

 

IV.       LE DROIT.................................................................................................................... 10

 

            1)         La diffamation................................................................................................ 12

 

            2)         Le droit au respect de la vie privée.......................................................... 12

 

            3)         Les hyperliens............................................................................................... 13

 

            4)         Deux conclusions en injonction.............................................................. 15

 

            5)         La conclusion en réclamation d'une somme d'argent....................... 15

 

V.        ANALYSE ET DÉCISION......................................................................................... 17

 

            1)         Les textes publiés sur le Web par le défendeur Collins au sujet du demandeur sont-ils diffamatoires ?......................................................... 17

 

            2)         La publication sans consentement des photos du demandeur et de sa famille sur le Web constitue-t-elle une atteinte à leur vie privée ?... 20

 

            3)         Les dommages............................................................................................. 21

 

VI.       LA DÉFENSE DE NICOLE GAUTHIER ET DE GAUTHIER COLLINS INC. ET LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE DE NICOLE GAUTHIER...................... 27

 



[1]     Les termes suivants sont également utilisés aux lieu et place de Web, mots employés par la Cour suprême du Canada dans Cookes c. Newton, 2011 CSC 47 , soit les mots toile, site Web, Website, page Web et la périphrase Web 2.0. Le professeur Frédéric Letendre définit comme suit cette expression Web 2.0 : « Dans ce contexte, le Web 2.0 est plutôt un outil technologique, un environnement numérique nécessitant une nouvelle approche et permettant plus d'interaction que la «version» précédente. Un site, un portail ou toute autre utilisation du Web devra donc, pour être étiqueté «Web 2.0», comporter des composantes importantes en matière de collaboration et de participation des internautes dans le développement et l'évolution du contenu diffusé par l'instigateur dudit site ou portail. » Voir Frédéric LETENDRE, « De Gutenberg à Twitter : supports différents, même combat - La diffamation et les médias sociaux » dans Développements récents en propriété intellectuelle 2010, Service de la formation continue, Barreau du Québec, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, EYB2010 DEV1725.

[2]     Le Grand Dictionnaire terminologique définit comme suit le terme blogue : « Site Web personnel tenu par un ou plusieurs blogueurs qui s'expriment librement et selon une certaine périodicité, sous la forme de billets ou d'articles, informatifs ou intimistes, datés, à la manière d'un journal de bord, signés et classés par ordre antéchronologique, parfois enrichis d'hyperliens, d'images ou de sons, et pouvant faire l'objet de commentaires laissés par les lecteurs ». On retrouve ce dictionnaire à l'adresse suivante : granddictionnaire.com.

[3]     La blogosphère est une communauté interactive formée par les blogueurs et les blogues qu'ils animent (voir le dictionnaire Le Petit Larousse). L'expression « l'ensemble des sites » peut aussi avoir le même sens. Le terme « weblog » est utilisé au même effet.

[4]     Cause # 155-17-000076-063.

[5]     D-1, p. 3, paragr. C.

[6]     P-4.

[7]     P-5.

[8]     D-4.

[9]     Traduction libre : « Je ne lui porte aucune rancune ».

[10]    P-6.

[11]    Voir la pièce P-7 « Recherche Google ».

[12]    P-8.

[13]    P-11.

[14]    P-13. Traduction libre : « punzie scheme » : une fraude, « con man » : un fraudeur. À noter que selon le défendeur, les mots « con man » n'ont pas la même signification en Angleterre. Ils proviendraient du latin « contra » qui signifierait « man against me ». Voir également les 14 pages de la pièce P-40 pour les définitions de ces termes.

[15]    P-12.

[16]    P-14.

[17]    P-15.

[18]    P-14.

[19]    P-21.

[20]    P-24.

[21]    P-38.

[22]    P-39.

[23]    P-39, p. 14.

[24]    P-43, p. 5.

[25]    D-25.

[26]    D-34 à D-37.

[27]    P-13.

[28]    J.E. 94-1287 (C.A.).

[29]    EYB2011CDD107, p. 19.

[30]    En matière d'organe d'information, la Charte fait référence à la liberté de presse.

[31]    Prud'homme c. Prud'homme, [2002] 4 R.C.S. 663 .

[32]    Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile, Volume I - Principes généraux, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, p. 262.

[33]    Précité, note 29.

[34]    Cookes c. Newton, 2011 CSC 47 .

[35]    Id., paragr. 44.

[36]    Id., paragr. 41.

[37]    Stare decisis signifie : s'en tenir aux règles établies par les Tribunaux. Voir le dictionnaire d'Albert Mayrand.

[38]    Cookes c. Newton, précité, note 34, paragr. 43.

[39]    Id., paragr. 54.

[40]    Prud'homme c. Rawdon (Municipalité de), 2010 QCCA 584 .

[41]    Voir Corriveau c. Canoë inc., EYB 2010-177323.

[42]    Montigny c. Brassard (Succession), [2010] 3 R.C.S. 64 , paragr. 38-46.

[43]    Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211 , paragr. 121.

[44]    Construction Val d'Or c. Gestion L.R.Q. (1990) inc., EYB 2006-99819 (C.A.) paragr. 23.

[45]    P-14.

[46]    Voir note 32.

[47]    « Con man » parfois utilisé en deux mots, parfois en un mot.

[48]    Traduction libre de Skeett : Tir aux pigeons d'argile, sport préféré du demandeur.

[49]    P-39, p. 9.

[50]    P-17.

[51]    P-31.

[52]    P-32.

[53]    Les honoraires extrajudiciaires, l'intérêt légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q. n'ont pas été demandés. L'intérêt est néanmoins accordé automatiquement sans avoir besoin de le demander. Voir : 9148-8064 Québec inc. c. Mecka Nutraceutical inc., 2011 QCCA 33 , paragr. 13.

[54]    Corriveau c. Canoë inc., précité, note 41, paragr. 110; Fabien c. Dimanche-Matin, [1979] C.S. 928 , p. 944; F. LETENDRE, op. cit., note 1.

[55]    P-38.

[56]    P-5.

[57]    P-5.

[58]    Voir pièces D-34 à D-37.

[59]    P-27.

[60]    P-25.

[61]    P-26.

[62]    La pièce P-7 a été « posted in 2007 by Viv ».

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.