Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Badamshin c. Option Consommateurs

2017 QCCA 95

 COUR D'APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE MONTRÉAL

 

N:

500-09-025854-167

 

(500-06-000703-146)

 

 

PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE

 

 

DATE :

Le 27 janvier 2017

 

CORAM : LES HONORABLES

JACQUES J. LEVESQUE, J.C.A.

JEAN-FRANÇOIS ÉMOND, J.C.A.

ANDRÉ PRÉVOST, J.C.A. (ad hoc)

 

APPELANTE

AVOCATS

 

YANA BADAMSHIN

 

 

me JEFFREY ORENSTEIN

Me ANDREA GRASS

 (Groupe de droit des consommateurs inc.)

 

INTIMÉS

AVOCATS

 

OPTION CONSOMMATEURS

 

LOUIS-ALEXANDRE LECLAIRE

 

 

Me MAXIME NASR

Me VIOLETTE LEBLANC

Me DANIEL BELLEAU

(Belleau Lapointe)

 

MISES EN CAUSE

AVOCATS

 

PANASONIC CORPORATION OF NORTH AMERICA

PANASONIC CANADA INC

PANASONIC CORPORATION

SANYO NORTH AMERICA CORPORATION

SANYO ELECTRIC CO., LTD.

 

 

Me VINCENT DE L’ÉTOILE

(Langlois avocats)

 

 

KEMET CORPORATION

KEMET ELECTRONICS CORPORATION

 

 

Me KARINE CHÊNEVERT

(Borden Ladner Gervais)

 

 

ELNA CO., LTD.,

ELNA AMERICA INC.,

 

 

Me JENNIFER STEWART

(DLA Piper (Canada))

 

NIPPON CHEMI-CON CORPORATION

UNITED CHEMI-CON CORPORATION

 

 

Me JEAN-MICHEL BOUDREAU

(Irving Mitchell Kalichman)

 

 

TAIYO YUDEN CO., LTD

TAIYO YUDEN (U.S.A.) INC.

 

 

Me BERNARD AMYOT

(LCM avocats inc.)

 

AVX CORPORATION

 

 

Me FADI AMINE

(Miller Thomson)

 

 

TDK CORPORATION

TDK-EPC CORPORATION

TDK-EPC CORPORATION OF CANADA

TDK U.S.A. CORPORATION

 

 

Me NICHOLAS RODRIGO

(Davies Ward Phillips & Vineberg)

 

ROHM CO. LTD

ROHM SEMICONDUCTOR U.S.A., LLC

 

 

Me NOAH MICHAEL BOUDREAU

Me PIERRE Y. LEFEBVRE

(Fasken Martineau DuMoulin)

 

 

HITACHI CHEMICAL CO., LTD

HITACHI AIC INCORPORATED

HITACHI CHEMICAL COMPANY AMERICA, LTD

 

 

Me YVES MARTINEAU

(Stikeman Elliott)

 

NICHICON CORPORATION

NICHICON (AMERICA) CORPORATION

 

 

Me SIDNEY ELBAZ

(McMillan)

 

NEC TOKIN CORPORATION

NEC TOKIN AMERICA INC.

 

 

Me MYRIEM DAOUD-BRIXI

(Lavery de Billy)

 

 

MATSUO ELECTRIC CO., LTD

MATSUO ELECTRONICS OF AMERICA, INC.

 

 

Me LAURENT NAHMIASH

(Dentons Canada LLP)

 

 

RUBYCON CORPORATION

RUBYCON AMERICA INC.

 

 

Me PASCALE DIONNE-BOURASSA

(d3b Avocats)

 

VISHAY INTERTECHNOLOGY, INC

 

 

Me MADELEINE RENAUD

(McCarthy Tétrault)

 

 

NEC CORPORATION

NEC CANADA INC

 

 

Me ALEXANDRE FALLON

(Osler Hoskin & Harcourt)

 

SAMSUNG ELECTRO-MECHANICS

SAMSUNG ELECTRO-MECHANICS AMERICA, INC.

 

 

Me ILIA KRAVTSOV

(Blake, Cassels & Graydon)

INTERVENANT

AVOCAT

 

MATHIEU HÉRARD

 

 

Me GUY PAQUETTE

(Paquette Gadler inc)

 

 

 

En appel d'un jugement rendu le 22 décembre 2015 par l'honorable Michel Déziel de la Cour supérieure, district de Montréal.

Requête pour preuve nouvelle (Article 380 C.p.c.)

 

 

NATURE DE L'APPEL :

Action collective - demande de suspension des procédures - dépôt de recours identiques
 

 

Greffière d’audience : Marcelle Desmarais

Salle : Antonio-Lamer

 

 


 

 

AUDITION

 

 

9 h 30

Suite de l’audition du 23 janvier 2017

 

Arrêt déposé ce jour - voir page 5

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Marcelle Desmarais

Greffière d’audience

 


 

 

PAR LA COUR

 

 

ARRÊT

 

1.            L’appel

[1]          L’appelante Yana Badamshin (« B ») se pourvoit contre un jugement rendu le 22 décembre 2015 par la Cour supérieure du district de Montréal (l’honorable Michel Déziel) qui, appliquant les principes énoncés par la Cour dans les arrêts Hotte c. Servier[1] et Schimdt c. Johnson & Johnson[2], ordonne la suspension de sa demande d’autorisation d’exercer une action collective jusqu’à ce qu’un jugement final soit rendu sur celle de l’intimé Option consommateurs « OC ».

[2]          Le dispositif de ce jugement se lit ainsi :

[57]   Sur l’avis de gestion d’Option Consommateurs et sur la requête en suspension de Yana Badamshin :

[58]   REJETTE la requête pour suspendre les procédures présentée par Yana Badamshin;

[59]   ORDONNE la suspension des procédures judiciaires dans les dossiers de la Cour supérieure portant les numéros 500-06-000703-146, 500-06-000705-141 et 500-06-000712-147, jusqu’à ce que jugement final intervienne sur la requête amendée pour autorisation d’exercer un recours collectif dans le dossier 500-06-000704-144;

[60]   LE TOUT sans frais, compte tenu que les parties requérantes ont le même intérêt.

2.         Les arrêts Servier et Schmidt 

[3]          Le présent appel s’inscrivant dans la foulée des arrêts de la Cour Servier[3] et Schmidt[4], il convient de revoir les principes qui y ont été dégagés et ce, avant même d’identifier le contexte du litige et les enjeux que soulève l’appel.

[4]          Dans l’arrêt Servier, la Cour énonce pour la première fois la règle voulant qu’en matière d’action collective, en présence de plusieurs demandes d’autorisation visant à représenter le même groupe ou un groupe faisant partie de celui-ci, la première à être déposée au greffe devait avoir préséance sur celles déposées postérieurement.

[5]          Une dizaine d’années plus tard, dans l’arrêt Schimdt, la Cour est appelée à revoir le bien-fondé de la règle énoncée dans l’arrêt Servier et cela, dans le contexte où l’application stricte de celle-ci a donné lieu, en certaines occasions, à une pratique répréhensible qui seyait mal au meilleur intérêt des membres putatifs, à savoir  une course du type « qui déposera le premier ». Aussi, pour éviter la perversion de la règle Servier, la Cour a décidé : « qu’il y avait lieu de continuer à l’appliquer, mais avec souplesse ». Voici comment le juge Dalphond, au nom de la Cour, parvient à ce résultat.

[6]          Relativement aux effets indésirables ou pervers que peut entraîner une application stricte de la règle Servier, il mentionne :

[35]        Une application servile de l'arrêt Servier peut, occasionnellement, entraîner des effets préjudiciables pour les membres du groupe représenté. En obiter, dans l'affaire Sirois c. Menu Food Income Fund, 2007 QCCS 5808 (CanLII), le juge Prévost de la Cour supérieure, ex-responsable de la chambre des recours collectifs, écrit :

[69] La règle énoncée dans l'arrêt Servier voulant qu'en cas de litispendance, le premier recours déposé au greffe doit procéder et les autres être suspendus, entraîne malheureusement des effets pernicieux. On assiste souvent à une course du type «qui déposera le premier recours?». La qualité des requêtes pour autorisation d'exercer un recours collectif s'en trouve parfois affectée dans un contexte où, depuis la réforme de la procédure civile de 2003, la rédaction de cette procédure a pris une importance capitale en raison des limites imposées au débat s'effectuant au stade de l'autorisation.

[Renvois omis dans l’original]

 [36]        Daniel Belleau et Maxime Nasr, « Les recours collectifs concurrents en droit interne - Mais qui donc se souciera des membres? », dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, Développements récents sur les recours collectifs (2007), vol. 278, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, 169, écrivent aux p. 187-188 :

La solution québécoise à la problématique des recours collectifs concurrents dégagée par la Cour d'appel dans son arrêt Servier comporte certains avantages non négligeables. En outre, elle permet d'éviter des batailles souvent inutiles et stériles entre requérants et de résoudre rapidement et facilement ce type de conflit.

Par contre, elle emporte également son lot d'inconvénients. En effet, une application rigide et sans nuance de la règle du « premier qui dépose » ne peut que nuire à un requérant minutieux qui souhaiterait avoir la possibilité de procéder à une analyse poussée d'un dossier avant d'entreprendre des procédures en recours collectif avec toutes les conséquences qui s'en suivent. Aussi faut-il éviter à tout prix que cette règle ne crée une véritable course au « premier qui dépose », qui ne pourrait que nuire à une réflexion et à une recherche plus complète sur le dossier et ainsi favoriser une rapidité inutile au détriment d'un travail de qualité.

En outre, si elle devait ne comporter aucune exception, cette règle aurait invariablement pour effet de nuire à d'éventuelles alliances entre les cabinets en demande. Pourtant, pareilles alliances se sont souvent révélées être dans le meilleur intérêt des membres du groupe.

Aussi, qu'adviendrait-il d'une première requête en autorisation déposée sans véritable objectif de poursuivre activement le dossier et dans l'unique but de cristalliser un groupe dans l'attente de participer à d'éventuels règlements conclus dans d'autres juridictions, face à une seconde requête plus étoffée et dont le requérant manifeste la ferme intention de faire avancer le dossier au bénéfice des membres qu'il entend représenter? En pareil cas et ceci dit avec beaucoup de respect, suivre à la lettre l'enseignement de la Cour d'appel dans Servier serait manifestement contraire aux intérêts des membres du groupe.

[Renvoi omis dans l’original]

[7]          Puis, en vue de déterminer si la règle Servier doit être maintenue dans sa forme originale, le juge Dalphond examine la solution retenue par les tribunaux dans les provinces de common law pour contrer les effets pernicieux de la course du type « qui déposera le premier », soit l’audition appelée Carriage Hearing. Il rappelle que dans le cadre d’une telle audition, le tribunal détermine laquelle des procédures intentées servira le mieux les intérêts des membres putatifs  et devra aller de l’avant.   

[8]          Fort de cette analyse comparative, il opte pour une approche intermédiaire. Celle-ci se situe entre le carriage motion qui prévaut dans les provinces de common law et l’application stricte de la règle Servier :

[44]        La Cour est appelée par le présent recours à reconsidérer la politique judiciaire adoptée en 1999. Trois options sont disponibles : le maintien de la règle Servier, un ajustement à cette règle ou l'adoption d'une procédure assimilable à la Carriage Motion.

[45]        L'avocat de l'appelant, David Assor, dans un texte publié l'an dernier, « Commentaire sur la décision Melley c. Toyota Canada inc. - Les recours collectifs intentés dans plusieurs provinces canadiennes à la fois », dans Repères, mai 2011, EYB2011REP1046, défend la première option, thèse qu’il reprend devant nous.

[46]        Par contre, Belleau et Nasr, supra, p. 188-189, s'inquiètent d'une application automatique de la règle du « premier qui dépose », tout en ne préconisant pas l'approche retenue ailleurs au Canada de la Carriage Motion :

En effet, le débat qui se fait au stade d'une Carriage Motion entraîne généralement une preuve relativement lourde et les parties (les deux demandeurs) se voient littéralement contraintes d'exposer publiquement leur stratégie et de faire ressortir les lacunes qui pourraient affliger l'autre demandeur. On aura rapidement compris que pareil débat risque fort de favoriser en bout de piste nul autre que les défendeurs, en plus de faire dépenser temps et argent à l'ensemble des membres du groupe.

[47]        Comme plusieurs autres auteurs, ils soulignent que, dans le cadre d'un recours collectif, le juge a un rôle de protection des intérêts des membres absents et  ils proposent l'adoption d'une approche intermédiaire.

[48]        À mon avis, c'est l'approche que cette Cour doit désormais favoriser, soit la deuxième des options décrites précédemment. Aller plus loin et retenir l'option de la Carriage Motion constitueraient un virage trop important, dont on ne me démontre pas à ce jour les avantages. D'ailleurs, aucune des parties devant nous ne le propose.

[Renvoi omis]

[9]           D’un point de vue pratique, il propose un examen en quatre étapes :

[50]        À mon avis, les effets pervers décriés plus haut tiennent d'un détournement de la finalité de la règle Servier. Cependant, ceux-ci pourraient possiblement être contrés par une application souple de la règle Servier se traduisant comme suit :

- la première requête déposée au greffe est, en principe, celle qui sera entendue en priorité;

- les requêtes subséquentes sont, entre-temps, suspendues et ne seront entendues, dans l'ordre de dépôt, que si la précédente est rejetée;

- la préséance dont jouit la première requête peut faire l'objet d'une remise en question par les avocats responsables des requêtes subséquentes; et

- celui qui conteste la préséance a le fardeau d'établir que la requête qui en bénéficie n'est pas mue dans le meilleur intérêt des membres putatifs, mais constitue plutôt un abus de la règle Servier.

[10]       Il poursuit en fournissant quelques exemples d’éléments à considérer en vue de déterminer si la première requête déposée est mue dans le meilleur intérêt des membres putatifs, ceux-ci étant bien entendus non exhaustifs :

[51]        La démonstration que la première requête n'est pas mue dans le meilleur intérêt des membres putatifs doit être faite à partir d'éléments propres à la requête contestée et non par une démonstration de la supériorité de la qualité de la requête concurrente, du représentant proposé ou des avocats qui la mettent de l'avant. Il ne s'agit pas d'une joute entre deux cabinets d'avocats à la recherche d'honoraires ou entre deux organisations à la recherche de publicité.

[52]        Ainsi, est admissible la démonstration que la première requête déposée au greffe souffre de graves lacunes, que les avocats qui en sont les responsables ne s'empressent pas de la faire progresser, qu'ils ont déposé des procédures similaires ailleurs au Canada, et ce, pour les mêmes membres putatifs, etc., c'est-à-dire des indices que les avocats derrière la première procédure tentent uniquement d'occuper le terrain et ne sont pas mus par le meilleur intérêt des membres putatifs québécois.

[53]        Lorsque la première requête est de qualité acceptable et que les avocats qui la mettent de l'avant démontrent leur volonté de faire progresser le dossier dans les meilleurs délais, la règle du premier qui dépose devrait prévaloir pour éviter un débat long et coûteux comme il peut y en avoir dans le reste du Canada sur la meilleure des procédures, avec tout l'aspect subjectif, voire aléatoire, que cela peut représenter.

[11]       Il conclut son analyse par une judicieuse observation :

[63]        Finalement, il importe de souligner que la décision de première instance ne cause aucun préjudice aux membres québécois du groupe proposé et que les membres putatifs ailleurs au pays sont couverts par au moins deux autres recours. De plus, le jugement attaqué ne met fin à aucun recours; il ne fait que suspendre celui de l'appelant qui sera repris, advenant rejet d'autorisation du recours du mis en cause Dick.

3.         Les faits de l’espèce

[12]       Au mois d’août 2014, B est celle qui, la première au Québec, dépose une demande d’autorisation d’exercer une action collective contre les intimées, sociétés à qui il est reproché d’avoir ourdi un complot en vue de fixer le prix de vente de condensateurs électrolytiques.

[13]       Postérieurement au dépôt de cette demande d’autorisation, trois autres personnes déposent des demandes semblables visant le même groupe ou un groupe faisant partie de celui-ci. Il s’agit, dans l’ordre, des intimés OC (à l’origine l’intimé Louis-Alexandre Leclaire), de l’intervenant Mathieu Hérard « H » et enfin, d’Archie Martin, lequel n’est pas partie aux procédures en appel.

[14]       En novembre 2015, soit un peu plus d’un an après le dépôt de la demande d’autorisation de B, le demandeur dans la deuxième demande, OC se prévaut de la règle énoncée dans l’arrêt Schmitd. Il demande au juge qui assume la gestion particulière de l’instance de suspendre la demande d’autorisation de B. Il fait valoir que celle-ci s’est prêtée, au Québec et dans d’autres provinces canadiennes, à une course du type « celui qui dépose le premier », et cela, dans le but d’occuper tout le terrain dans l’attente qu’un règlement intervienne dans les actions collectives intentées devant d’autres juridictions, nommément celles exercées aux États-Unis. Selon lui, cette manœuvre cause un préjudice aux membres putatifs québécois en ce qu’elle retarde indûment le déroulement des procédures entreprises au Québec.

[15]       Voici, pour l’essentiel, les faits sur lesquels il se fonde pour justifier sa position : (i) la demande d’autorisation de B n’est qu’un copier-coller des demandes déposées aux États-Unis, laissant ainsi entendre qu’elle n’a effectué aucune enquête sérieuse avant de la déposer, (ii) les pièces alléguées au soutien de sa demande sont celles qui ont été déposées sous scellés dans les actions entreprises aux États-Unis, ce qui signifie qu’elle n’en a pas pris connaissance et qu’elle ne sait quand elle pourra le faire ni les produire, (iii) pendant plus d’un an, elle n’a pratiquement rien fait pour faire avancer sa demande.

[16]       L’audition relative à ces demandes se tient le 9 décembre 2015 et le 22 décembre suivant, jugement est rendu.

[17]        Au vu du déroulement des procédures et de la preuve qui lui a été soumise, le juge retient que B s’est effectivement prêtée à une course du type « celui qui dépose le premier » dans le but d’occuper tout le terrain, dans l’attente qu’un règlement intervienne dans les actions collectives intentées aux États-Unis. En raison du comportement qu’elle et ses avocats ont adopté depuis le dépôt de la demande, il infère qu’elle n’a pas l’intention de faire avancer sa demande au Québec. Pour ces motifs, il accueille la demande d’OC et suspend la demande d’autorisation de B de même que celles de H et d’Archie Martin, ces derniers ayant consenti à le faire.

4.         Les moyens d’appel

[18]       En appel de ce jugement, B fait valoir que le juge a mal exercé sa discrétion au sens de l’arrêt Schmidt. Elle plaide qu’il ne pouvait écarter la règle voulant qu’en matière d’action collective, la première requête en autorisation déposée au greffe avait préséance sur celles déposées postérieurement. Selon elle, les éléments invoqués par OC au soutien de la demande de suspension ne démontrent pas que sa demande d’autorisation « n’est pas mue dans le meilleur intérêt des membres putatifs ».

[19]       Toutefois, elle n’identifie aucune erreur manifeste et déterminante, si ce n’est le fait qu’elle reproche au juge d’avoir procédé à un examen à sens unique, sans porter attention à la demande d’OC. En clair, elle avance que le juge aurait dû examiner la demande d’autorisation d’OC afin de s’assurer qu’elle ne souffrait pas, elle aussi, de graves lacunes. Un tel examen lui aurait permis, dit-elle, de constater que la demande d’autorisation d’OC est affectée des mêmes faiblesses que la sienne.

[20]       Signalons dès à présent que le juge ne semble pas avoir été invité à faire une telle analyse comparative. Au contraire, le dossier d’appel tel que constitué tend plutôt à démontrer que B l’a incité à ne pas faire un tel exercice comparatif. Nous y reviendrons.

5.         L’analyse et décision

[21]       B a raison d’affirmer que le juge appelé à se prononcer sur une demande de suspension d’une première demande d’autorisation d’exercer une action collective au sens de l’arrêt Schmidt exerce une discrétion. Cela s’infère de la règle communément désignée par l’expression « application souple de la règle Servier », au terme de laquelle le juge doit déterminer si la preuve démontre que la première demande d’autorisation n’est pas mue dans le meilleur intérêt des membres putatifs, c’est-à-dire que le requérant-représentant tente uniquement d'occuper le terrain.

[22]       Cela signifie qu’en appel d’un jugement prononçant la suspension de la première demande d’autorisation, la Cour ne peut intervenir que si le juge n’a pas accordé suffisamment d'importance à toutes les considérations pertinentes, ou s’il a commis une erreur de fait manifeste et déterminante[5].

[23]       À ce sujet, Me Sylvain Lussier écrit [6] :

2-99. La Cour d'appel n'intervient à l'égard de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire par la cour de première instance que dans les cas d'erreur manifeste et dominante, à moins que la discrétion n'ait pas été exercée de façon judiciaire, c'est-à-dire suivant les normes juridiques applicables à celle-ci. Dans Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, la Cour suprême ajoute :

 Une cour d'appel peut et doit intervenir lorsqu'elle estime que le juge de première instance s'est fondé sur des considérations erronées en ce qui concerne le droit applicable ou a commis une erreur manifeste dans son appréciation des faits. [...] les conditions d'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge constituent des critères juridiques et leur définition, tout comme leur non-application ou leur mauvaise application, pose des questions de droit susceptibles de révision en appel.

De sorte que le critère en matière de contrôle par une cour d'appel de l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un juge est de savoir si le juge a accordé suffisamment d'importance à toutes les considérations pertinentes.

[24]       Qu’en est-il en l’espèce?

[25]       Aux paragraphes [6] à [12] de son jugement, le juge énonce d’abord le droit applicable en se référant aux passages pertinents de l’arrêt Schmidt, à savoir qu’OC a le fardeau d'établir que la demande de B « n'est pas mue dans le meilleur intérêt des membres putatifs, mais constitue plutôt un abus de la règle Servier ». Il rappelle que pour ce faire, OC doit démontrer que « la première requête déposée au greffe souffre de graves lacunes, que les avocats qui en sont les responsables ne s'empressent pas de la faire progresser, qu'ils ont déposé des procédures similaires ailleurs au Canada, et ce, pour les mêmes membres putatifs, etc., c'est-à-dire des indices que les avocats derrière la première procédure tentent uniquement d'occuper le terrain et ne sont pas mus par le meilleur intérêt des membres putatifs québécois »[7].

[26]       En ce faisant, il ne commet aucune erreur.

[27]       Puis, fort de ces énoncés de principe, il examine la demande d’autorisation de B ainsi que son comportement et celui de ses avocats depuis son dépôt, soit les principaux éléments devant lui permettre de déterminer si sa demande a été déposée dans l’unique but d'occuper le terrain et donc, d’abuser de la règle Servier.

[28]       Au terme de son analyse de la preuve, il conclut par l’affirmative.

[29]       À notre avis, le juge ne commet là encore aucune erreur révisable. Il n’appartient pas à la Cour de substituer son opinion à celle du juge en l’absence d’erreur manifeste et déterminante clairement identifiées ou, pour reprendre l’expression consacrée, montrées du doigt.

[30]       Reste donc la question de l’examen comparatif des procédures de B et d’OC.

[31]       Tel que nous l’avons précédemment signalé, dans son mémoire et à l’audience devant nous, les avocats de B ont reproché au juge d’avoir procédé à un examen à sens unique, en omettant de considérer les lacunes que pouvait renfermer la demande d’OC.

[32]       La Cour est d’avis  que B est mal fondé de lui adresser ce reproche.

[33]       En première instance, B a expressément fait valoir le contraire, en indiquant au juge « qu’il n’y avait pas lieu de faire une étude comparative des requêtes au niveau d’une requête en suspension ». D’ailleurs, le juge le signale lorsqu’il a prend soin de préciser la position des parties :

POSITION DES PARTIES

a)            Badamshin

1.   La règle du premier qui dépose ou " first to file " doit s'appliquer;

2.   Elle a la capacité légale de représenter les membres;

3.   Sa requête en autorisation est complète, bien structurée et énonce clairement la théorie de la cause;

4.   Il n'y a pas lieu de faire une étude comparative des requêtes au niveau d'une requête pour suspension;

5.   Elle veut procéder avec diligence au Québec.

[34]       Cette thèse n’exposait en pratique rien de nouveau puisqu’elle était conforme aux enseignements de la Cour dans l’arrêt Schmidt.

[35]       Toujours à l’audience devant nous, l’avocat de B a prétendu que le juge n’avait pas correctement énoncé sa position. Pour appuyer ses dires, il nous a référé au plan d’argumentation qu’il avait remis au juge.

[36]       Or, une lecture attentive de ce plan de plaidoirie nous permet de conclure que le juge n’a pas été invité à faire une pareille analyse. Ce plan nous incite plutôt à croire le contraire, c’est-à-dire à ne pas faire une analyse comparative.

 

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[37]       REJETTE l’appel, avec les frais de justice

 

 

 

 

JACQUES J. LEVESQUE,     J.C.A.

 

 

 

JEAN-FRANÇOIS ÉMOND,     J.C.A.

 

 

 

ANDRÉ PRÉVOST,     J.C.A. (ad hoc)

 



[1]     Hotte c. Servier Canada Inc., [1999] R.J.Q. 259.

[2]     Schmidt c. Johnson & Johnson inc., 2012 QCCA 2132.

[3]     Hotte c. Servier Canada Inc., [1999] R.J.Q. 259.

[4]     Schmidt c. Johnson & Johnson inc., 2012 QCCA 2132.

[5]     Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, 2003 CSC 71, paragr. 43.

[6]     Sylvain Lussier, « Normes d’intervention », dans Recours et procédure en appel, Montréal, LexisNexis, 2011, 43 p. 69.

[7]     Schmidt c. Johnson & Johnson inc., 2012 QCCA 2132, paragr. 52.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.