Décision

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Gabarit CMQ

 

 

 

Commission municipale du Québec

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Date :

30 mars 2012

 

 

 

 

 

Dossier :

CMQ-63969 (26243-12)

 

                                                                                           

 

 

 

Juges administratifs :

Thierry Usclat, vice-président

 

Robert Pagé, vice-président

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Personne visée par l’enquête :   ANDRÉ BOURASSA 

                                                           Conseiller municipal de Tingwick

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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ENQUÊTE EN ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE

EN MATIÈRE MUNICIPALE

 

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DÉCISION

LA DEMANDE

[1]           Le 17 juin 2011, le ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire transmettait à la Commission municipale du Québec (la Commission), conformément à l’article 22 de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale[1], une demande d’enquête en éthique et déontologie qui allègue une conduite dérogatoire de monsieur André Bourassa, conseiller municipal, à l’égard du code d’éthique et de déontologie de la Municipalité de Tingwick (la Municipalité).

[2]           Lors des audiences, monsieur André Bourassa, conseiller municipal, visé par la demande d’enquête, était présent et représenté par Me Mélanie Pelletier de l’étude Monty Coulombe.

[3]           Avec le consentement de monsieur Bourassa et de son procureur, la Commission a décidé de réunir aux fins de l’enquête, le présent dossier avec le dossier CMQ-63970 puisque la demande d’enquête dans chacun de ces dossiers vise la même personne et pour l’essentiel, se rapporte aux mêmes évènements.

[4]           Aux fins de l’enquête, la Commission a tenu des audiences le 17 octobre, les 23, 24 et 25 novembre ainsi que les 19 et 20 décembre 2011.

[5]           Selon la demande d’enquête, les actes dérogatoires reprochés à monsieur Bourassa se seraient produits lors du caucus du conseil municipal de Tingwick, le 21 mars 2011, et lors de la séance du conseil municipal de Tingwick, le 4 avril 2011.

[6]           Le 21 avril 2011, la personne qui a demandé l’enquête (le demandeur), précisait que sa demande faisait référence aux sous-paragraphes a, b, c, d, e, f et g de l’article 3 ainsi qu’à l’article 4 du code d’éthique et de déontologie de la Municipalité.

[7]           Ainsi, les allégations de manquements au code d’éthique et de déontologie de la Municipalité qui sont reprochées à monsieur Bourassa se résument ainsi :

 

 

 

Caucus du 21 mars 2011

·    Monsieur Bourassa aurait haussé la voix à plusieurs reprises et blasphémé contre le maire.

·    Monsieur Bourassa aurait manqué de respect à l’égard du maire et menacer ce dernier que s’il parlait aux journalistes, il aurait affaire à lui et que lui « il était capable de parler aux journalistes ».

·    Monsieur Bourassa a décidé de déplacer l’ordinateur contrôlant les caméras du bureau du maire  à celui de la directrice générale. Il aurait insinué que le maire pouvait avoir manipulé l’ordinateur.

Séance du conseil municipal du 4 avril 2011

·    Monsieur Bourassa n’aurait pas respecté le protocole de l’assemblée tel que défini par le président de l’assemblée au début de la séance.

·    Monsieur Bourassa aurait manqué de respect envers le maire en le ridiculisant pour sa démission, la tenue de l’élection et le coût de 8 000 $ pour la tenue de celle-ci.

·    Monsieur Bourassa aurait manqué de respect envers le président du Rodéo Mécanic, monsieur Guillaume Hinse, envers madame Rita Boutin, présidente de la fabrique ainsi qu’envers madame Antoinette Crête, fondatrice du Sentier les Pieds d’Or.

·    Malgré un premier avertissement, monsieur Bourassa aurait continué de hausser le ton envers le maire et la population. Après le deuxième avertissement qui aurait été plus sévère et l’avoir été menacé d’expulsion, il a précipité la fin de la séance en proposant la clôture de celle-ci.

LE CODE D’ÉTHIQUE ET DE DÉONTOLOGIE DE LA MUNICIPALITÉ DE TINGWICK

[8]           Les dispositions du code d’éthique et de déontologie de la Municipalité auxquelles fait référence le demandeur, sont les suivantes :

« 3 - Loyauté envers la municipalité et respect de l’intérêt public

Un membre du conseil doit être loyal et porter vraie allégeance à l’autorité constituée et à la Municipalité de Tingwick et respecter en tout temps l’intérêt public.

Il doit en conséquence :

a)   agir avec honnêteté, justice et équité envers la municipalité et les citoyens en conformité avec la loi et le présent code;

b)      respecter en tout temps les prescriptions législatives et administratives régissant les processus de prise de décision de la municipalité, de ses comités ou de ses commissions;

c)      remplir sa charge de membre du conseil aux seuls (sic) fins et dans le plein respect de l’intérêt public;

d)      faire valoir fidèlement et défendre toute décision ou toute position prise par résolution ou règlement du conseil auprès des citoyens, des comités, des commissions ou auprès d’un organisme sur lequel il siège en sa qualité de membre du conseil ou comme représentant la municipalité en adoptant une attitude de retenue et de réserve face à son opinion personnelle sur cette décision ou position de la municipalité;

e)      adopter une conduite exemplaire et se comporter de manière à préserver et à améliorer l’image et le statut de la municipalité; 

f)       éviter toute situation où son intégrité ou celle de la municipalité pourrait être mise en doute;

g)      poser des gestes ou prononcer des paroles qui doivent être défendables publiquement et qui ne doivent d’aucune façon porter atteinte à la réputation de la municipalité, d’un autre membre du conseil, d’un officier municipal ou d’un employé de la municipalité.

4 - Relation avec les citoyens

Un membre du conseil doit adopter un comportement courtois et poli à l’endroit des citoyens. Il doit traiter avec ceux-ci avec égards respect en évitant toute forme de discrimination interdite par la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12.

Il développe avec les citoyens des attitudes et des comportements favorisant des communications transparentes, franches, honnêtes, respectueuses, empreintes de politesse. Il fait montre avec eux de discrétion avec le même souci de justice et d’équité pour tous. »

[9]           Le code d’éthique et de déontologie de la Municipalité énonce, à son article 1, les valeurs éthiques qui doivent guider les membres du conseil dans l’appréciation des règles déontologiques qui leur sont applicables. Ces valeurs sont les suivantes:

« 1- Valeurs éthiques

Étant tous conscients individuellement et collectivement de leur responsabilité à l’égard du développement et du maintien d’un rapport de confiance de haut niveau entre les citoyens et ses élus, les membres du conseil s’engagent à respecter en tout temps les valeurs éthiques fixées par le présent Code.

Ils reconnaissent que ces valeurs éthiques constituent les assises sur lesquelles s’appuie l’exercice de leurs fonctions de membres du conseil et qui doivent les guider dans l’appréciation des règles déontologiques qui leur sont applicables en vertu du présent code.

Les valeurs éthiques des membres du conseil sont les suivants :

·         soutenir la vie démocratique;

·         servir l’intérêt général;

·         protéger la confiance du public;

·         la loyauté envers la municipalité;

·         l’intégrité;

·         la transparence;

·         l’impartialité;

·         la recherche de l’équité;

·         la prudence dans la poursuite de l’intérêt public;

·         la compétence;

·         la diligence;

·         le respect envers les autres membres du conseil, les officiers, les employés et les citoyens;

·         l’honneur;

·         l’objectivité. »

ORODNNANCES DE CONFIDENTIALITÉ, DE NON-DIFFUSION ET DE-NON DIVULAGATION

[10]        Au tout début de l’audience du 17 octobre 2011, la Commission a prononcé dans le présent dossier ainsi que dans le dossier CMQ-63970, des ordonnances de confidentialité, de non-divulgation et de non-diffusion pour valoir jusqu’à la décision finale de la Commission dans ces deux dossiers. Ces ordonnances seront reprises en partie dans les conclusions de la présente décision.

[11]        Chacun des témoins entendus par la Commission, le demandeur et monsieur Bourassa ont été informés que la Commission a prononcé des ordonnances de confidentialité, de non-divulgation et de non-diffusion dans le présent dossier et en ont reçu une copie.

LA PREUVE

[12]         Aux fins de son enquête, la Commission a entendu le demandeur, monsieur Bourassa et 29 témoins dont plusieurs cités en défense. La Commission a également pris connaissance des documents produits au soutien de la demande.

[13]        La Commission a de plus examiné les pièces produites par les témoins au cours des audiences, les procès-verbaux du conseil municipal pour les réunions pertinentes à l’enquête.

            Les admissions

[14]        Lors d’une conférence préparatoire tenue avant les audiences, monsieur Bourassa a admis, par l’intermédiaire de son procureur, qu’à l’époque où les actes qui lui sont reprochés auraient été commis, il était conseiller municipal de la Municipalité et qu’il était soumis au code d’éthique et de déontologie de cette Municipalité adopté antérieurement, soit le 1er mars 2011.

[15]        Durant l’enquête, monsieur André Bourassa a fait certaines admissions dans les mêmes termes suivants[2] :

·         Il a prononcé la phrase : « Change d’item hostie qu’on en finisse », lors du caucus du conseil municipal du 21 mars 2011. Cependant, il n’admet pas avoir mis le poing sur la table en prononçant ces paroles;

·         Lors de ce caucus du 21 mars 2011, il a mentionné à monsieur Paul-Émile Simoneau de ne pas parler aux journalistes des discussions du caucus, vu leur confidentialité;

·         Lors de la séance du conseil municipal du 4 avril 2011, monsieur André Bourassa a adressé les paroles suivantes à monsieur Paul-Émile Simoneau : « J’espère que vous dirigerez l’assemblée comme il se doit »;

·         Lors de cette même séance, monsieur André Bourassa a tenu les propos suivants en parlant de l’activité du Rodéo Mécanic : « On ramasse des canettes entre des seringues et des condoms », tel que cela a été rapporté dans l’article écrit par monsieur Claude Thibodeau et paru dans le journal La Nouvelle Union le 4 avril 2011;

·         Il a prononcé la phrase : « vous êtes au-dessus de vos affaires pour refuser une subvention d’une fondation du patrimoine religieux. Vous recevez plutôt de l’argent d’une activité dont l’image ne colle pas toujours avec celle des valeurs chrétiennes », tel que rapporté dans l’article de monsieur Thibodeau paru dans La Nouvelle Union du 4 avril 2011 et dont une copie a été produite comme pièce T-1 »;

·         Monsieur André Bourassa a été la personne ayant proposé la levée de l’assemblée du conseil municipal du 4 avril 2011, et ce, pendant la période de questions »;

·         Lors de la séance du conseil municipal du 9 mai 2011, monsieur André Bourassa a prononcé les paroles suivantes : « Je m’excuse très sincèrement pour avoir levé le ton et je m’engage à garder un ton plus posé pour des discussions plus productives et agréables », tel que rapporté dans un article écrit par monsieur Claude Thibodeau et paru dans le journal La Nouvelle Union le 9 mai 2011, dont une copie a été produite comme pièce P-8 ».

Les faits

[16]        Comme les actes qui sont reprochés à monsieur Bourassa se seraient produits en deux occasions distinctes, nous les traiterons en deux étapes.

a) Caucus du 21 mars 2011

[17]        Toutes les personnes présentes lors du caucus du conseil de la Municipalité du 21 mars 2011, ont témoigné devant la Commission dans le cadre de son enquête. Il s’agit du maire, des conseillers municipaux et de la directrice générale.

[18]        Tous les conseillers municipaux ainsi que la directrice générale témoignent de l’ambiance régnant lors de ce premier caucus suivant la réélection du maire.

[19]        En effet, celui-ci après avoir démissionné à l’automne 2010, s’est présenté à nouveau lorsque est venu le temps d’élire son successeur.

[20]        Unanimement, les conseillers relatent que cette réunion s’est tenue dans un climat difficile. Ils décrivent une atmosphère tendue, une situation pénible où aucun d’eux ne s’y est présenté avec une légèreté d’âme. Bref, ils ont perdu confiance dans le maire et sont déçus de la tournure des événements. Selon leurs témoignages, ils ont l’impression que le maire exige d’eux un appui sans condition, le tout dans un climat d’ingérence. Bref, selon leurs termes : « tout le monde était sur les dents ».

[21]        Selon, leurs témoignages, l’atmosphère était explosive et les discussions vives.

[22]        Tous admettent que monsieur Bourassa a, dans un moment d’exaspération demandé au maire de changer de sujet en employant les mots : « Change d’item hostie qu’on en finisse ». Ils ajoutent que monsieur Bourassa n’était pas agressif et qu’il n’a pas frappé la table avec son poing.

[23]        Toutefois et selon leurs témoignages, les paroles qu’ils ont eux-mêmes prononcées et le ton que certains d’entre eux ont employé lors de cette réunion, étaient pires que ceux utilisés par monsieur Bourassa.

[24]        Ainsi, un des conseillers déclare avoir dit au maire qu’il venait d’être élu par la peur.  Il ajoute avoir monté le ton et s’être levé debout. Pourtant, aucune plainte n’a été déposée contre lui.

[25]        Les témoins expliquent que le maire s’est présenté au caucus en héros étant donné qu’il avait été réélu. Selon eux, les relations entre le maire et les conseillers étaient très tendues.

[26]        Ils précisent avoir déclaré au maire, à l’occasion de cette rencontre, avoir perdu confiance en lui.

[27]        Selon les témoins présents au caucus, la décision de déplacer l’ordinateur contrôlant les caméras a été discutée et prise lors du caucus, auquel le maire et les conseillers participaient.

[28]        Lors de ce même caucus, monsieur Bourassa aurait rappelé que les discussions qui ont lieu en caucus doivent demeurer confidentielles.

[29]        Lorsque contre-interrogé par le procureur de monsieur Bourassa sur son allégation concernant l’incapacité du maire à parler aux journalistes, le demandeur n’a pas été en mesure de préciser sur quoi il s’appuyait pour affirmer une telle chose.

b) Assemblée du conseil municipal du 4 avril 2011

[30]        Selon les témoins entendus par la Commission, l’assemblée du conseil municipal de Tingwick qui devait initialement se tenir à la salle du conseil, a dû être déplacée à la salle communautaire en raison du trop grand nombre de personnes présentes. Il s’agissait de la première assemblée du conseil présidée par le maire depuis sa réélection.

[31]        Selon les différents témoignages, de 125 à 150 personnes étaient présentes à cette assemblée qui s’annonçait fébrile.

[32]        Les différents témoins entendus par la Commission ont décrit cette assemblée comme étant une des plus pénibles à laquelle ils avaient assistés. Ils décrivent une assemblée très difficile, une forte tension dans la salle, un climat d’exaspération, une ambiance survoltée et des esprits échauffés.

[33]        Dès son entrée dans la salle, le maire a été applaudi par l’assistance alors que les conseillers qui l’avaient précédé n’avaient pas reçu le même accueil. En effet, certaines personnes présentes ont chahuté monsieur Bourassa en lui criant à plusieurs reprises : « Chou l’architecte ».

[34]        L’assemblée se déroula normalement, à tout le moins jusqu’à la période de questions. Selon les témoins, c’est durant cette période et alors que toutes les questions concernaient le « Rodéo Mecanic » (le Rodéo) que l’assemblée est devenue difficile à gérer et que les esprits se sont échauffés; bref que le dérapage a débuté.

[35]        La période de questions débuta par une présentation des avantages financiers du Rodéo pour certains organismes communautaires de Tingwick. Un représentant de chacun des organismes qui recevaient des sommes d’argent du Rodéo, a donc pris la parole.

[36]        Les organismes communautaires tels, Le Sentier les Pieds d’Or, la Fabrique et le conseil d’établissement  de l’école Saint-Cœur-de-Marie ont reçu au cours des années des sommes d’argent provenant du Rodéo. Il est important de préciser que les sommes reçues par ces organismes le sont en échange du travail de certains de leurs membres ou de citoyens à l’organisation de l’événement; que ce soit en ramassant des canettes vides pour les revendre ou en assurant la gestion du stationnement. On ne peut donc pas parler à proprement dit de don mais plutôt d’une occasion pour les bénévoles de ces organismes d’obtenir de l’argent en échange d’une prestation de services.

[37]        Les versions des témoins diffèrent sur la raison de la présence des dirigeants du Rodéo et des représentants des organismes qui bénéficient des profits découlant de la tenue de l’évènement du Rodéo lors de cette assemblée du conseil.

[38]        Certains témoins affirment que ces personnes ont été invitées pour faire un rapport sur les retombées de l’évènement pour les différents organismes de la Municipalité, alors que d’autres déclarent au contraire qu’ils étaient là pour faire la promotion du Rodéo, alors que la Municipalité n’avait pas encore donné son accord pour la tenue de cet événement.

[39]        L’assistance était composée d’une part, des partisans du Rodéo et des gens qui l’appuient, et d’autre part, des gens qui sans s’y opposer formellement, ne sont pas à l’aise avec la tenue d’un tel évènement.

[40]        C’est donc dans ce contexte que la conduite et les propos qui sont reprochés à monsieur Bourassa se seraient produits.

[41]        Lors de son témoignage, monsieur le demandeur réaffirme que monsieur Bourassa a manqué de respect envers plusieurs personnes lors de l’assemblée du conseil du 4 avril 2011, soit le président du Rodéo Mécanic, M. Guillaume Hinse, la présidente de la fabrique, madame Rita Boutin et enfin la fondatrice du Sentier les Pieds d’Or, madame Antoinette Crête.

[42]        Le demandeur ainsi que certains témoins déclarent que monsieur Bourassa leur aurait reproché d’accepter de « l’argent sale » du Rodéo.

[43]        Ils précisent que monsieur Bourassa a déclaré en s’adressant à madame Boutin : « Vous en avez de l’argent pour refuser une subvention et accepter de l’argent sale du Rodéo ».

[44]        Le maire a dû avertir monsieur Bourassa de cesser ses propos envers les organismes de la Municipalité et la population, car le Rodéo amène de l’argent pour ces organisations communautaires. Selon son témoignage, monsieur Bourassa s’est emporté, il avait perdu le contrôle.

[45]        Alors que plusieurs témoins confirment que monsieur Bourassa a employé les termes : « Argent sale » lorsqu’il faisait référence aux sommes reçues par les organismes communautaires comme le Sentier les Pieds d’Or, la Fabrique et le conseil d’établissement de l’école Saint-Cœur-de-Marie, d’autres affirment ne pas avoir entendu monsieur Bourassa prononcer de telles paroles.

[46]        C’est par exemple le cas des conseillers municipaux qui affirment au cours de leurs témoignages respectifs, que monsieur Bourassa n’a jamais employé de tels mots dans ses échanges verbaux avec les citoyens.

[47]        Ils confirment que monsieur Bourassa a plutôt utilisé les termes suivants : « Vous êtes au-dessus de vos affaires pour refuser une subvention d’une fondation du patrimoine religieux. Vous recevez plutôt de l’argent d’une activité dont l’image ne colle pas toujours avec celle des valeurs chrétiennes ».

[48]        Le témoignage de monsieur Bourassa est au même effet, il nie avoir parlé « d’argent sale » avoir crié ou levé le poing.

[49]        Par contre, d’autres témoins, confirment avoir entendu les termes « argent sale » mais ne sont pas en mesure d’identifier la personne qui les a prononcés.

[50]        Par exemple, un témoin aurait entendu quelqu’un dire à monsieur Bourassa : « Vous dites que c’est de l’argent sale » et monsieur Bourassa répondre : « Ce n’est pas ce que j’ai dit ». Ce témoin confirme de façon claire que ces remarques sur « l’argent sale » provenaient de la salle et non de la bouche de monsieur Bourassa.

[51]        Ils ajoutent que les gens s’attaquaient mutuellement dans la salle et que le ton montait.

[52]        Lorsque contre-interrogé par Me Pelletier, le demandeur admet qu’il n’y avait pas de micro dans la salle, qu’au moins 150 citoyens étaient présents et que beaucoup de gens échangeaient des paroles entre eux. Selon ses termes : « Le ton a levé surtout en arrière ».

[53]        À une question de Me Pelletier, le demandeur confirme qu’un ancien citoyen de Tingwick a demandé de rencontrer le conseil immédiatement avant l’assemblée du conseil. Lors de cette rencontre à huis clos, ce citoyen a mentionné aux membres du conseil qu’il a appris tout récemment que sa fille avait subi une agression sexuelle lorsqu’elle était adolescente et que cette agression avait eu lieu durant la période des activités du Rodéo. Ces évènements remontaient toutefois à plusieurs années.

[54]        Selon les conseillers, ils étaient bouleversés par le témoignage de ce père de famille. Un membre du conseil a même suggéré que les citoyens en soient informés lors de l’assemblée du conseil. Lors de son témoignage, le demandeur précise que cela n’a pas été fait puisque ce point n’était pas à l’ordre du jour.

[55]        Les conseillers et d’autres témoins affirment que la période de questions s’est déroulée dans le désordre, alors que de nombreux citoyens parlaient entre eux sans que le maire n’intervienne, sauf à l’égard de monsieur Bourassa.

[56]        Le demandeur ajoute que le conseiller Bourassa n’a pas respecté le protocole de l’assemblée et qu’il l’a ridiculisé le maire pour la tenue de l’élection suite à la démission de ce dernier, mentionnant que cette élection avait coûté 8 000 $ à la Municipalité.

[57]        Lorsque contre-interrogé par Me Pelletier, il précise que le rapport du coût de l’élection a été déposé par la directrice générale qui avait agi comme présidente d’élection. Il ajoute que monsieur Bourassa a parlé du coût de l’élection à l’occasion de la période de questions. Toutefois, il est incapable de préciser les propos exacts de monsieur Bourassa, ni leur teneur.

[58]        De la même façon, ni le demandeur ni les autres témoins entendus ne sont capables de préciser la nature du protocole adopté pour l’assemblée et s’il a été présenté.

[59]        Enfin, le demandeur reproche à monsieur Bourassa d’avoir précipité la fin de l’assemblée en proposant sa clôture.

[60]        En effet, c’est au moment où le maire menace monsieur Bourassa d’expulsion, s’il continue de parler, que ce denier propose la clôture de l’assemblée, secondé par un autre conseiller. Le vote sur la proposition n’ayant pas été demandé, l’assemblée a donc pris fin légalement malgré la frustration des citoyens présents. Certains témoins confirment la présence de policiers de la Sûreté du Québec lorsqu’ils sont sortis de l’assemblée.

[61]        Les versions des autres témoins entendus par la Commission sur la conduite de monsieur Bourassa durant l’assemblée du conseil du 4 avril 2011, diffèrent sur certains éléments, particulièrement sur les propos exacts tenus par celui-ci.

[62]        Les conseillers et d’autres témoins affirment que la période de questions s’est déroulée dans le désordre, alors que de nombreux citoyens parlaient entre eux sans que le maire n’intervienne, sauf à l’égard de monsieur Bourassa.

L’ANALYSE

[63]        Dans le cadre d’une enquête en vertu de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale, la Commission doit s’enquérir des faits afin de décider si l’élu visé par l’enquête a commis les actes ou les gestes qui lui sont reprochés et si ces derniers constituent une conduite dérogatoire au code d’éthique et de déontologie de la Municipalité.

[64]        Pour ce faire, elle doit conduire son enquête dans un esprit de recherche de la vérité qui respecte les règles d’équité procédurale et le droit de l’élu visé par l’enquête à une défense pleine et entière.

[65]        Le processus d’enquête édictée à la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale n’est pas à proprement parler un processus contradictoire puisqu’il n’y a pas de poursuivant. C’est à la Commission qu’il appartient de conduire son enquête au terme de laquelle, elle rend sa décision.

[66]        Ainsi, et même si on ne peut parler de fardeau de preuve comme tel, la Commission doit tout de même être convaincue que la preuve qui découle des témoignages, des documents et des admissions, a une force probante suffisante suivant le principe de la balance des probabilités pour lui permettre de conclure, que l’élu visé par l’enquête a manqué à ses obligations déontologiques et enfreint le code d’éthique et de déontologie de la Municipalité.

[67]        En raison du caractère particulier des fonctions occupées par un élu municipal et des lourdes conséquences que la décision pourrait avoir sur celui-ci au niveau de sa carrière et de sa crédibilité, la Commission est d’opinion que pour conclure à un manquement au code d’éthique et de déontologie de la Municipalité, la preuve obtenue doit être claire, précise, sérieuse et sans ambiguïté.

[68]        En ce sens, la Commission est d’avis que le principe établi par les tribunaux quant au degré de preuve requis en matière disciplinaire peut s’appliquer, avec les adaptations nécessaires, aux enquêtes de la Commission en éthique et déontologie en matière municipale.

[69]        Ce principe, quant au fardeau de preuve qui a été reconnu par le Tribunal des professions, a été énoncé comme suit:

« Le fardeau de preuve qui incombe à l’appelant n’en est pas un « hors de tout doute raisonnable » mais bien de « prépondérance ». Il faut préciser à l’égard de cette preuve que, compte tenu de la nature du droit, de la gravité de l’infraction et des conséquences que peut avoir la condamnation non seulement sur la carrière de l’intimé, mais sur la crédibilité de tout professionnel auprès du public, celle-ci doit être de haute qualité, claire et convaincante. Il s’agit d’un autre principe déjà établi par la jurisprudence.

[…]

Le fardeau de preuve en droit disciplinaire requiert une preuve sérieuse, claire et sans ambiguïté.» [3]

[70]        Les auteurs Downs et Vassilikos abondent dans le même sens en écrivant :

« […] la prépondérance des probabilités ne permet pas au poursuivant de se contenter de faire la démonstration que sa théorie est plus probable que celle du professionnel qui fait l’objet d’une accusation. La balance des probabilités requiert une analyse rigoureuse et en conséquence, on "ne saurait se contenter d’une preuve approximative et non convaincante pour déclarer un professionnel coupable de quelque accusation disciplinaire que ce soit, surtout si elle équivaut à un acte criminel". » [4]

[71]        Enfin, la Commission doit analyser la preuve en tenant compte de l’article 25 de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale qui précise que :

« Les valeurs énoncées dans le code d’éthique et de déontologie ainsi que les objectifs mentionnés au deuxième alinéa de l’article 5 doivent guider la Commission dans l’appréciation des règles déontologiques applicables ».

L’ÉLU A-T-IL COMMIS DES MANQUEMENTS AU CODE D’ÉTHIQUE ET DE DÉONTOLOGIE DE LA MUNICIPALITÉ ?

[72]        Pour conclure que l’élu visé par la demande d’enquête a enfreint certaines règles du code d’éthique et de déontologie de la Municipalité, la Commission doit d’abord être convaincue que les agissements, les propos et le comportement qui sont reprochés à monsieur Bourassa se sont effectivement produits, et ce, par une preuve claire, grave, précise et qui ne souffre d’aucune ambiguïté. Enfin, elle doit être convaincue que ces agissements, propos ou comportements constituent des manquements au code d’éthique et de déontologie de la Municipalité.

Lors du caucus

[73]        Ainsi, en ce qui concerne les propos tenus par monsieur Bourassa lors du caucus, la Commission est d’avis que ces paroles ont bel et bien été prononcées par monsieur Bourassa sans toutefois être convaincue que celui-ci a frappé la table avec son poing puisque la preuve est contradictoire sur ce sujet.

[74]        Ces paroles ont toutefois été prononcées dans un contexte difficile, où régnait une ambiance de confrontation et d’opposition.

[75]        Dans les circonstances propres à ce dossier, la Commission est d’avis que ces paroles, bien qu’étant un écart de langage inapproprié ne sauraient constituer un manquement aux dispositions du code d’éthique et de déontologie de la Municipalité.

[76]        La Commission est également d’avis que les reproches relatifs aux communications avec les journalistes et le déplacement de l’ordinateur qui contrôle les caméras, sont totalement non fondés. La preuve démontre au contraire que les propos de monsieur Bourassa, en ce qui concerne les journalistes avaient pour but de rappeler à tous les membres du conseil leurs obligations de confidentialité à l’égard des discussions tenues en caucus. Quant à la décision de déplacer l’ordinateur contrôlant les caméras, rappelons que selon la preuve, cette décision a été prise par les membres du conseil lorsqu’ils se trouvaient en caucus et après que ceux-ci en eurent discuté.

[77]        La Commission tient à souligner qu’on ne peut accorder aux doutes, aux impressions, aux insinuations, ou aux soupçons, la valeur probante nécessaire pour permettre de conclure à un manquement à une règle du code d’éthique et de déontologie de la Municipalité. La preuve d’un manquement doit être faite par une preuve claire, précise et sans ambiguïté.

 

 

Lors de l’assemblée du conseil

[78]        Passons maintenant aux reproches concernant, l’assemblée du conseil du 4 avril 2011 en commençant par la question de la tenue de l’élection.

[79]        La Commission considère que rien dans la preuve ne permet de soutenir les prétentions du demandeur à l’effet que monsieur Bourassa a manqué de respect à l’égard du maire en le ridiculisant pour la tenue de l’élection, lui reprochant la démission de ce dernier et le coût de 8 000 $ pour la Municipalité.

[80]        De plus, la Commission est d’avis que la preuve est insuffisante pour conclure que monsieur Bourassa n’a pas respecté le protocole de l’assemblée, d’autant plus qu’aucune preuve n’a été faite du contenu du protocole ni de sa présentation, de son explication ou de son rappel, aux gens présents à l’assemblée du 4 avril 2011.

[81]        De la même façon, la Commission est également d’avis que la levée de l’assemblée du conseil s’est faite légalement et que cet évènement ne saurait constituer un manquement de la part de monsieur Bourassa.

[82]        Enfin, demeure la question du non-respect envers le maire, mesdames Boutin et Crête et monsieur Hinse.

[83]        Il est utile de rappeler que l’atmosphère qui régnait à cette assemblée du conseil du 4 avril 2011, n’était pas des plus conviviales. Monsieur Bourassa s’est fait accueillir par un « Chou l’architecte », la tension était grande, l’ambiance survoltée, le climat conflictuel, la réunion houleuse et personne ne présidait réellement cette assemblée.

[84]        Monsieur Bourassa reconnaît avoir haussé le ton et prononcé les paroles suivantes :

« On ramasse des canettes entre des seringues et des condoms, vous êtes au-dessus de vos affaires pour refuser une subvention d’une fondation du patrimoine religieux. Vous recevez plutôt de l’argent d’une activité dont l’image ne colle pas toujours avec celle des valeurs chrétiennes. »

[85]        Toutefois, monsieur Bourassa est catégorique en niant avoir parlé « d’argent sale » au cours de cette assemblée. Les conseillers et certains témoins corroborent son témoignage à cet effet.

[86]        Devant les témoignages contradictoires, la Commission ne peut conclure que monsieur Bourassa a bel et bien qualifié l’argent du Rodéo « d’argent sale ».

[87]        Tel que la Cour suprême du Canada l’a souligné récemment[5], la liberté d’expression garantie par la Charte canadienne des droits et libertés[6] doit s’exercer en tenant compte des obligations déontologiques de celui qui exerce ce droit. On doit mettre en balance les valeurs consacrées par la Charte et les objectifs visés par la loi, par exemple la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale.

[88]        Ces propos tenus par monsieur Bourassa le 4 avril 2011 et son attitude, démontrent-ils un manque de respect envers certains citoyens de Tingwick, particulièrement à l’égard de mesdames Boutin et Crête et de monsieur Hinse et contreviennent-ils aux règles du code d’éthique et de déontologie de la Municipalité ? La Commission ne le pense pas, malgré que ces paroles soient inopportunes dans les circonstances.

[89]        Les paroles prononcées par monsieur Bourassa et son comportement doivent être examinés en tenant compte de l’ambiance qui régnait à cette assemblée, du fait que les conseillers, incluant monsieur Bourassa, étaient encore sous le choc après le récit de l’agression sexuelle dont une adolescente avait été victime plusieurs années auparavant, des tensions entre le maire et les conseillers et des circonstances propres à ce dossier.

[90]        Enfin, mentionnons que monsieur Bourassa s’est excusé de ses propos et de son attitude dès l’assemblée suivante du conseil municipal qui s’est tenue le 9 mai 2011.

[91]         Ainsi, l’analyse de ces propos par la Commission en les situant dans le contexte durant lequel ils ont été prononcés, ne permet pas de conclure à un manquement aux dispositions du code d’éthique et de déontologie de la Municipalité.

[92]        La Commission constate que cette demande d’enquête qui est dirigée contre le conseiller municipal Bourassa, s’inscrit dans un contexte politique particulier et elle a pour but de mettre de la pression sur un élu que l’on perçoit comme un adversaire et que l’on veut éloigner. Il ne s’agit certes pas là, des objectifs de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale.

[93]        Enfin, et considérant qu’il est dans l’intérêt public, afin de rencontrer les objectifs de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale, que l’identité des témoins, le contenu ou la teneur de leur témoignage soient protégés, la Commission rend dans le présent dossier une ordonnance de confidentialité, de non-divulgation et de non-publication.

 

 

EN CONSÉQUENCE, LA COMMISSION MUNICIPALE DU QUÉBEC :

-     CONCLUT QUE la conduite de monsieur André Bourassa ne constitue pas un manquement à une règle prévue au code d’éthique et de déontologie de la Municipalité de Tingwick.

     ORDONNE à quiconque :

a)    de ne pas dévoiler d’aucune façon et

b)    de ne pas diffuser publiquement, que ce soit oralement, par écrit ou électroniquement, à la radio, dans les journaux, les postes de télévision ou par tout autre moyen de communication public ou privé :

l’identité de toutes les personnes qui ont témoigné dans l’enquête tenue dans le présent dossier ainsi que le contenu ou la teneur de leur témoignage à l’exception des informations contenues dans la présente décision.

     ORDONNE à quiconque :

a)    de ne pas dévoiler d’aucune façon et

b)    de ne pas diffuser publiquement, que ce soit oralement, par écrit ou électroniquement, à la radio, dans les journaux, les postes de télévision ou par tout autre moyen de communication public ou privé :

tous les documents ou pièces relatifs à l’enquête de la Commission et qui ont été déposés ou produits dans le cadre de l’enquête de la Commission dans le présent dossier ou qui en font partie.

 

 

 

 

     ORDONNE à quiconque :

de ne pas dévoiler d’aucune façon l’enregistrement des séances tenues par la Commission dans le présent dossier, afin qu’ils soient et demeurent également confidentiels et qu’ils ne puissent être divulgués, communiqués ou diffusés à des tiers.

 

 

 

 

 

 

__________________________________

THIERRY USCLAT, vice-président

Juge administratif

 

 

 

 

 

 

__________________________________

ROBERT PAGÉ, vice-président

Juge administratif

 

TU/RP/lg

 

Me Mélanie Pelletier

Monty Coulombe

Pour André Bourassa

 

 

 



[1].   L.R.Q., c. E-15.1.0.1.

[2]. Plan de plaidoirie du procureur de monsieur Bourassa.

[3].   Médecins c. Lisanu, 1998 QCTP 1719 , p.12.

[4].   Éric Downs et Magdalini Vassilikos, « La preuve en droit disciplinaire », dans S.F.C.B.Q., vol. 307, Développement récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire (2009), Cowansville, Éditions Yvon Blais, p.92-93 (citant le jugement Osman).

[5].   Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12 .

[6].   Art. 2b).

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.