Aviva, compagnie d'assurances du Canada c. Construction et pavage Dujour ltée |
2015 QCCS 4173 |
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JO 0317 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
SAINT-FRANÇOIS |
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N° : |
450-17-005410-148 |
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DATE : |
4 SEPTEMBRE 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
CHARLES OUELLET, J.C.S. |
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AVIVA COMPAGNIE D’ASSURANCE DU CANADA |
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Demanderesse |
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c. |
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CONSTRUCTION ET PAVAGE DUJOUR LTÉE |
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Défenderesse |
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et |
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ROYAL ET SUN ALLIANCE DU CANADA SOCIÉTÉ D’ASSURANCES |
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Mise en cause |
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JUGEMENT |
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[1] Ce jugement porte sur une requête de la défenderesse (Pavage) qui demande que soit ordonné à son assureur de responsabilité civile (la mise en cause RSA) d’assumer sa défense à l’encontre de la poursuite intentée contre elle[1].
[2] Pavage demande aussi que son procureur la représente aux frais de RSA, plutôt qu’un procureur choisi par cette dernière.
[3] RSA quant à elle a nié couverture avant même que la poursuite ne soit intentée, au motif que les faits révélés par son enquête donnent lieu à l’application de deux exclusions stipulées au Formulaire de responsabilité civile des entreprises de la police. Devant le tribunal, elle plaide que les allégations de la requête introductive d’instance mènent à la conclusion que les deux exclusions en question s’appliquent.
[4] Subsidiairement, RSA soutient avoir le droit de choisir l’avocat et de contrôler la défense de son assurée.
[5] Le tribunal conclut que la poursuite telle qu’elle est intentée peut donner lieu à une condamnation couverte par la police. En conséquence, RSA doit assumer la défense de Pavage.
[6] Le tribunal conclut aussi qu’ayant pris une position défavorable à son assurée sur la base non pas des allégations de la poursuite, mais plutôt sur la base de l’enquête factuelle qu’il a faite, l’assureur ne peut dans les circonstances exiger de désigner l’avocat et de contrôler la défense de son assurée.
Le contexte
[7] Pavage détient une police d’assurance «multirisques» émise par RSA, laquelle comporte une couverture «Assurance de la Responsabilité Civile des entreprises» (pages 17 ainsi que 111 et suivantes de la police, pièce D-1). La période de couverture n’est pas en cause.
[8] Le 2 décembre 2011 survient l’effondrement partiel d’une résidence unifamiliale à l’occasion de travaux effectués par Pavage. L’immeuble appartient à une assurée de la demanderesse (Aviva) qui va plus tard indemniser cette dernière et adresser une réclamation subrogatoire à Pavage qu’elle tient pour responsable des dommages.
[9] Entre-temps, la réclamation potentielle est rapportée à RSA par le courtier d’assurance de Pavage dès le 5 décembre 2011, trois jours après l’événement dommageable.
[10] Quinze mois après cette dénonciation, soit le 25 mars 2013, alors que la poursuite judiciaire d’Aviva n’a pas encore été intentée, RSA écrit à Pavage pour l’informer qu’elle considère que la réclamation d’Aviva n’est pas couverte, ceci en raison de deux exclusions de la couverture de responsabilité civile des entreprises que détient Pavage (Formulaire 57300, pièce D-1) qui, selon RSA, trouvent application.
[11] Le tribunal juge utile de reproduire cette lettre au long :
«(…) Monsieur,
Nous faisons suite à la réclamation qui nous a été rapportée par votre courtier d’assurances, Groupe D’Assurances Verrier Inc. le 5 décembre 2011 ainsi qu’à notre conversation téléphonique du même jour avec Madame Marquis.
A la lumière de l’enquête que nous avons effectuée dans cette affaire, nous vous confirmons que les dommages réclamés par Aviva au nom de son assurée «9253-2308 Québec Inc.» ne sont pas couverts par le contrat d’assurance que vous détenez avec Royal & SunAlliance (RSA), sous la police no COM032406617. En effet, nous vous référons au formulaire 57300 et citons les exclusions suivantes :
«2. Exclusions
Sont exclus de la présente assurance :
g. Dommages à certains biens
Les «dommages matériels» atteignant :
5) la partie de biens immeubles, sur laquelle vous - ou un entrepreneur ou sous-traitant travaillant directement ou indirectement pour vous - exécutez des travaux, si les «dommages matériels» découlent de ces travaux; ou
6) la partie de tout bien devant être restaurée, réparée ou remplacée en raison de la mauvaise exécution de «vos travaux» sur ladite partie.
m. Explosion, effondrement et reprise en sous-œuvre
Les «dommages matériels» découlant de :
3) l’enlèvement ou l’affaiblissement du support, naturel ou non, de tout bien, bâtiment ou sol.
Le présent avis vous est adressé à toutes fins que de droit et pour vous informer de notre décision, prise à la lumière des faits actuellement connus. Toutefois, nous ne renonçons à aucun droit prévu par la police d’assurance mentionnée en titre ou par la Loi. Les présentes ne constituent en aucune manière une interprétation de cette police d’assurance au libellé de laquelle nous vous référons pour plus de précisions.
Nous vous prions d’accepter, (…).»
(Les emphases sont dans la lettre, les soulignements sont ajoutés par le soussigné.)
[12] Le 24 septembre 2014, Aviva intente le présent recours subrogatoire en dommages et intérêts contre Pavage. Les allégations d’Aviva, aux fins d’établir la responsabilité de Pavage pour les dommages consécutifs à l’effondrement partiel du bâtiment, sont formulées aux paragraphes suivants de la requête introductive d’instance :
«(…)
4. Le 2 décembre 2011, la défenderesse effectuait des travaux à la résidence ci-avant mentionnée, lesquels consistaient en l’isolation extérieure des murs de fondation, leur étanchéisation et l’installation d’un drain;
5. Au moment des travaux, la résidence était vide et inhabitée;
6. Alors que deux employés de la défenderesse sont côte à côte dans une tranchée creusée par la défenderesse, le mur de fondation s’est effondré, causant d’importants dommages à la propriété;
7. À ce moment, le mur de façade et le mur latéral gauche sont complètement excavés;
8. Les travaux d’excavation n’ont donc pas été exécutés selon les règles de l’art et les normes applicables;
9. La défenderesse n’a manifestement pas pris les précautions nécessaires afin d’assurer la stabilité du mur de fondation de la résidence;
10. Vu ce qui précède, la défenderesse est responsable de l’effondrement du mur de fondation et des dommages causés à 9253;
(…)»
[13] Le 6 octobre 2014, RSA écrit à nouveau à Pavage et réitère son refus de couverture en ces termes :
«(…) Monsieur,
Nous accusons réception de la Requête introductive d’instance qui vous a été signifiée le 29 septembre dernier et que vous avez transmise à votre courtier concernant l’affaire en titre.
Considérant la position de non couverture qui vous avait été confirmée dans notre lettre du 25 mars 2013, RSA ne pourra prendre le fait et cause pour Construction & Pavage Dujour Ltée dans cette poursuite. En effet, les allégués de la requête confirment les circonstances obtenues dans le cadre de l’enquête que nous avions menée suite à laquelle nous avions nié couverture. Les dommages faisant l’objet de la poursuite sont exclus de votre contrat d’assurance.
(…)»
(Les soulignés sont les nôtres.)
[14] À la fin, la lettre mentionne à nouveau que RSA ne renonce à aucun droit prévu par la police d’assurance ou par la loi.
Analyse
1- L’obligation de défendre
[15] Dans un arrêt d’avril 2006, la Cour d’appel, sous la plume de M. le juge Dalphond[2], passe en revue la jurisprudence pertinente et énonce le droit applicable lorsqu’il s’agit de décider, avant le débat sur le fond, si l’assureur doit être contraint d’exécuter son obligation de défendre. On y lit notamment que pour décider s’il y a possibilité qu’une réclamation relevant de la police puisse être accueillie, le juge doit s’en remettre aux actes de procédure et aux pièces, en accordant la portée la plus large possible aux allégations contenues dans les actes de procédure et en recherchant leur nature véritable[3].
[16] Aux paragraphes 28 et 29 de l’arrêt, le juge Dalphond, j.c.a. écrit :
«[28] Si l’assuré a gain de cause, l’obligation de défendre perdurera tant et aussi longtemps qu’existera une possibilité que la réclamation soit couverte par la police; la découverte subséquente de faits entraînant l’exclusion de la couverture pourra mettre fin à l’obligation de défendre (Compagnie d’assurances Wellington c. M.E.C. Technologie inc., précité, p. 450).
[29] En somme, le jugement ordonnant d’assumer la défense de l’assuré semble tenir plus du jugement interlocutoire que du jugement final vu le contexte dans lequel il est rendu (allégations de la réclamation du tiers tenues pour avérées, bénéfice du doute en faveur de l’assuré, possibilité d’y mettre fin en cours d’instance, …), comme le faisait remarquer le juge Beauregard dans l’arrêt Bouchard c. Habitations Claude Bouchard inc., [2001] J.Q. no 4525 (C.A.) :
55. Le jugement qui ordonne à un assureur d’assumer la défense de son assuré est un jugement avant faire droit et est en quelque sorte une injonction interlocutoire qui est prononcée suivant l’apparence du droit de l’assuré et en tenant compte de la prépondérance des inconvénients.»
[17] Dans un arrêt de mai 2014[4], la Cour d’appel écrit :
«[6] Les critères applicables lors de l’examen d’une requête de type Wellington ne souffrent guère d’ambiguïté. Dans l’arrêt Progressive Homes Ltd. c. Cie canadienne d’assurances générales Lombard [référence omise], le juge Rothstein, rendant jugement pour la Cour, et se référant à l’arrêt Nichols c. American Home Insurance Co.[référence omise], écrivait :
[51] Comme il a été conclu que les demandes qui figurent dans les actes de procédure bénéficient de la protection initiale, il incombe alors à Lombard de prouver que la protection est écartée par une clause d'exclusion. L'obligation de défendre n'exigeant qu'une possibilité de protection, Lombard doit démontrer qu'une exclusion écarte clairement et sans équivoque la protection (Nichols, p. 808). Par exemple, dans Nichols, la Cour a conclu que la clause d'exclusion selon laquelle la police ne s'appliquait pas "à un acte ou à une omission malhonnêtes, frauduleux, criminels ou malicieux d'un assuré" (p. 807) empêchait clairement et sans équivoque l'application de la protection dans le cadre d'une action pour conduite frauduleuse intentée contre l'assuré. Par conséquent, compte tenu de la demande telle qu'elle a été formulée, il n'y avait aucune possibilité que l'assureur soit tenu d'indemniser l'assuré.
[Soulignements ajoutés par la Cour d’appel.]
On sait par ailleurs que, pour déterminer quelle est la nature véritable du recours exercé contre l’assuré, la cour n’est pas tenue de se limiter à un examen des allégations telles qu’elles sont formulées dans la procédure écrite. En 2001, exprimant l’avis unanime de la Cour dans l’arrêt Monenco Ltd. c. Commonwealth Insurance Co. [référence omise] le juge Iacobucci livrait les observations suivantes :
[36] la jurisprudence a jusqu'à maintenant laissé en suspens une question importante qui se pose en l'espèce, celle de savoir si une cour peut aller au-delà des actes de procédure et prendre en considération des éléments de preuve extrinsèques pour déterminer le "contenu" et la "nature véritable" d'une réclamation. Sans vouloir décider de la mesure dans laquelle une preuve extrinsèque peut être prise en considération, j'estime qu'il est possible de tenir compte de la preuve extrinsèque mentionnée explicitement dans les actes de procédure pour déterminer le contenu et la nature véritable des allégations et, ainsi, apprécier la nature et l'étendue de l'obligation de défendre d'un assureur.»
[18] Dans un arrêt du 21 novembre 2014[5], la Cour d’appel écrit :
«[5] L’état du droit concernant l’obligation de défendre est maintenant bien circonscrit. D’une part, l’assuré peut en contraindre l’exécution en nature avant tout débat au fond et la simple possibilité de l’existence d’une protection suffit à engager l’obligation de l’assureur [référence omise].»
[19] En l’espèce, RSA n’a pas contesté que la poursuite intentée contre l’assurée bénéficie de la protection initiale prévue dans la police. Le tribunal estime effectivement que la protection prévue à la garantie A (Dommages corporels et Dommages matériels) du formulaire 57300 procure une couverture initiale de la poursuite intentée contre l’assurée.
[20] Pour les raisons qui suivent, le tribunal estime que RSA n’a pas démontré que les deux exclusions qu’elle invoque écartent clairement et sans équivoque la couverture.
a) L’exclusion 2. g. invoquée par l’assureur
[21] La partie pertinente de cette exclusion se lit ainsi :
«2. Exclusions
Sont exclus de la présente assurance :
(…)
g. Dommages à certains biens
Les «dommages matériels» atteignant :
(…)
5) la partie de biens immeubles, sur laquelle vous - ou un entrepreneur ou sous-traitant travaillant directement ou indirectement pour vous - exécutez des travaux, si les «dommages matériels» découlent de ces travaux; ou
6) la partie de tout bien devant être restaurée, réparée ou remplacée en raison de la mauvaise exécution de «vos travaux» sur ladite partie.
(…)»
[22] Suivant le paragraphe 4 de la requête introductive d’instance, les travaux effectués par Pavage consistaient à étanchéiser et isoler les murs de fondation, ainsi qu’à installer un drain. L’indemnité réclamée par Aviva (par. 12 de la requête introductive d’instance et pièce P-3 à laquelle il réfère) ne se limite pas à la valeur des dommages subis par le mur de fondation lui-même. Elle comprend toute une série de dommages subis par le bâtiment, divers frais assumés en relation avec le sinistre ainsi que des pertes de loyer.
[23] À cette étape-ci, l’exclusion 2. g. n’est susceptible d’écarter l’obligation de défendre que pour les «dommages matériels» (telle que définis à la police au paragraphe 10 de la page 127) aux murs de fondation eux-mêmes, et encore, à la condition expresse que ces dommages matériels découlent nécessairement, suivant les allégations de la requête introductive d’instance interprétées le plus largement possible, des travaux effectués par Pavage sur ces murs de fondation eux-mêmes, soit en l’occurrence leur étanchéisation ainsi que la pose d’un isolant extérieur.
[24] Le tribunal estime qu’à la lecture de la requête introductive d’instance, en accordant la portée la plus large possible à ses allégations, on ne peut conclure qu’il est clair et sans équivoque que cette exclusion trouve application.
[25] Contrairement à l’isolation et l’étanchéisation des murs de fondation, l’installation d’un drain n’est pas un travail effectué à proprement parlé sur les murs de fondation. Chacun de ces travaux nécessite de pratiquer une excavation au pourtour du bâtiment. Qu’est-ce qui a endommagé les murs de fondation? Les allégations de la requête introductive d’instance ne permettent pas de conclure que les dommages subis par ces murs découlent des travaux exécutés sur ceux-ci.
[26] Le tribunal souligne que si cette exclusion avait trouvé application à cette étape-ci, RSA aurait été tout de même tenue d’assumer la défense pour tous les autres dommages réclamés, à l’exception de ceux visant à compenser l’endommagement physique des murs de fondation eux-mêmes[6].
b) L’exclusion 2. m. invoquée par l’assureur
[27] La partie pertinente de cette exclusion se lit comme suit :
«m. Explosion, effondrement et reprise en sous-œuvre
Les «dommages matériels» découlant de :
(…)
3) l’enlèvement ou l’affaiblissement du support, naturel ou non, de tout bien, bâtiment ou sol.
(…)»
[28] La requête introductive d’instance ne pêche pas par excès de précision en ce qui concerne la cause exacte de l’effondrement. Celle-ci ne permet pas de conclure que ce qui est réclamé à Pavage est clairement et de façon non-équivoque les dommages matériels causés par l’enlèvement ou de l’affaiblissement du support, naturel ou non, du bâtiment.
[29] L’on voit fréquemment des habitations unifamiliales être construites. Le tribunal estime ce qui suit suffisamment connu et indiscutable pour être de connaissance judiciaire : ce n’est habituellement qu’une fois le béton des murs de fondation durci et les formes enlevées que l’excavation qui subsiste au pourtour des fondations est comblée. Difficile de faire autrement. Difficile aussi de soutenir que le matériel que l’on dispose alors contre les murs de fondation en constitue le support. L’excavation subséquente du même matériel, en l’absence d’information plus précise, ne mène pas logiquement à la conclusion que l’on a affaibli le support des murs de fondation. Ceci distingue la présente affaire des jugements soumis par RSA qui sont autant d’exemples de cas où, après enquête et audition au mérite, on a retenu l’application d’exclusions analogues à 2. m.[7].
[30] Pavage à cette étape-ci a raison de soutenir que ce qui lui est reprochée n’est pas d’avoir excavé - cela faisant partie de son contrat - mais plutôt de ne pas avoir «pris les précautions nécessaires afin d’assurer la stabilité du mur de fondation de la résidence» (par. 9 de la requête introductive d’instance), ainsi que ne pas avoir exécuté les travaux d’excavation «selon les règles de l’art et les normes applicables» (par. 8 de la requête introductive d’instance).
[31] Ce sont des allégations qui ouvrent la porte à la preuve de beaucoup de choses. Dans son argumentation, le procureur de RSA a soutenu qu’il faut nécessairement conclure que le reproche fait à Pavage est d’avoir excavé en sous-œuvre, ce qui déclenche l’application de l’exclusion 2. m. Avec égard, pour l’instant, il n’est pas possible de retirer une telle conclusion.
[32] Décider si l’exclusion 2. m. s’applique nécessite plus d’information que ce que les procédures révèlent actuellement. Il faudra savoir ce qui a causé l’effondrement, question qui met en cause des éléments factuels (quel était l’état du mur de fondation au départ, quels travaux exactement ont été effectués avant et au moment de l’effondrement, etc. ...) ainsi que des éléments de causalité (est-ce, comme le soutient le procureur de RSA, l’exécution de travaux en sous-œuvre qui a causé l’effondrement, ou encore un manquement quelconque autre aux règles de l’art lors de l’exécution des travaux d’excavation aux pourtours des fondations, ou encore un vice de construction préexistant qu’aurait dû découvrir Pavage au préalable - ou encore que Pavage n’avait pas à découvrir - et à l’encontre duquel elle ne s’est pas prémunie lors de l’exécution des travaux?, etc. …).
[33] Bref, la protection initiale couvre la réclamation et l’assureur n’a pas démontré que l’exclusion s’applique de façon claire et non équivoque.
[34] En conclusion, le tribunal estime que RSA a l’obligation à ce stade d’assumer la défense de son assurée.
2- Le choix du procureur et le contrôle de la défense
[35] L’arrêt Zurich[8] de septembre 1996 porte sur une affaire dans laquelle l’assureur avait accepté de défendre l’assuré «sous réserve», c’est-à-dire en l’informant que certains motifs de responsabilité, s’ils étaient retenus par le tribunal au mérite, donneraient lieux à l’exclusion de l’obligation d’indemniser. Alléguant craindre que les avocats désignés par l’assureur aient intérêt à orienter la défense vers un motif de responsabilité exclu, l’assuré avait présenté une requête pour être autorisé à désigner lui-même les avocats chargés de le défendre, aux frais de l’assureur. La Cour d’appel écrit :
«P. 10 - Par ailleurs, lorsque la défense de l'assuré est une obligation pour l'assureur, son exécution lui confère des droits. Le principal de ceux-ci est la conduite de la défense. Il choisit les avocats et les experts, définit l'orientation de la défense, de la procédure écrite comme de la plaidoirie éventuelle devant le tribunal, et même, éventuellement, décide de l'opportunité de régler ou non l'affaire. De plus, elle impose à l'assuré l'obligation de collaborer avec l'assureur et ses représentants.
(…)
P. 18 - Il ressort de ces analyses qu'il est impossible de tenir pour acquis, comme semble l'avoir fait le premier juge, que les relations juridiques établies en vertu d'un contrat d'assurance responsabilité dans l'exécution de l'engagement de défense impliquent le droit pour l'assuré de prendre le contrôle de sa défense dès que l'assureur manifeste son intention de réserver ses droits quant à l'obligation d'indemnisation, au cas où les faits établis au cours du procès démontreraient l'absence de couverture. Cette analyse oublie que l'institution même de l'assurance responsabilité, dans sa mise en oeuvre moderne, impose une distinction entre les obligations de défense et de couverture. […]
Tel que souligné précédemment, il est toujours possible, en pareil cas, de retrouver un conflit d'intérêts structurel. L'assureur aurait, en théorie du moins, toujours intérêt à orienter l'affaire vers une exclusion ou un risque non couvert. Les doutes quant à sa conduite, ses vacillations, l'intervention des mêmes avocats à la fois dans le débat sur la couverture et dans la défense de l'assuré, comme dans l'arrêt Boréal Assurances, peuvent justifier la décision de confier à l'assuré la conduite de sa propre défense, aux frais et dépens de l'assurance. Ce serait alors la seule façon praticable d'assurer l'exécution de l'obligation de défense. Il faut cependant plus que la simple appréhension que l'intérêt de l'assureur à obtenir la reconnaissance d'une exclusion oriente l'exécution de son obligation de défense dans ce sens. L'étude du conflit d'intérêts doit plutôt démontrer qu'il se situe chez l'avocat au dossier en raison des incompatibilités du contenu du mandat qu'il détient ou des instructions reçues quant à son exécution.»
(Les emphases sont du soussigné.)
[36] Dans un arrêt du 3 octobre 2001[9] où il s’agissait d’un refus de l’assureur de défendre l’assuré, M. le juge Beauregard écrit :
«[63] Lorsque, par une injonction interlocutoire, le tribunal oblige l'assureur à mettre à la disposition de l'assuré un avocat, celui-ci, plus souvent qu'autrement, se verra dans une situation de conflits d'intérêts. Pour éviter cela, il me semble que, lorsqu'il paraît que l'assuré a droit à la protection de la police, la solution est d'ordonner à l'assureur de payer les honoraires de l'avocat choisi par l'assuré et de laisser le contrôle du montant de ces honoraires au tribunal, comme on le fait en matière de provisions pour frais dans les causes de divorce. Puisqu'il prétend que son assuré n'a pas droit à la protection de sa police, l'assureur ne saurait invoquer que le choix de l'avocat lui appartient.
[64] Je conclus comme le juge Biron.»
(Les emphases sont du soussigné.)
[37] Il faut dire que ces commentaires sont obiter car cet arrêt, à l’unanimité des trois juges, casse le jugement de première instance qui avait accueilli une requête de type «Wellington» de l’assuré et avait ordonné à l’assureur d’assumer la défense.
[38] Plus récemment, en mars 2008, la Cour supérieure a ordonné à un assureur de payer les honoraires et déboursés du procureur choisi par l’assuré pour les motifs qui suivent[10] :
«[24] Dans les circonstances, la défenderesse La Personnelle aurait dû prendre fait et cause pour son assuré qui soutient n'avoir posé aucun geste fautif pour causer les dommages encourus par le demandeur.
[25] En l'espèce, La Personnelle n'a pas simplement réservé ses droits. Elle a pris position de ne pas défendre son assuré en soulevant sa faute intentionnelle.
[26] Dans les circonstances, La Personnelle ne peut assumer l'obligation de défendre son assuré de manière à ce qu'il puisse prétendre à une défense pleine et entière.
[27] En effet, La Personnelle ne peut, par ses procureurs, défendre son assuré alors qu'elle plaide que c'est sa faute volontaire ou intentionnelle qui a entraîné les dommages réclamés.
[28] La Personnelle ne peut non plus, comme elle le demande, choisir l'avocat qui défendra monsieur Gagnon.
[29] Dans Axa Assurances inc. c. Les habitations Claude Bouchard inc. et al [référence omise], le juge Marc Beauregard de la Cour d'appel en vient à la même conclusion alors qu'il s'exprime comme suit:
«[63] Lorsque, par une injonction interlocutoire, le tribunal oblige l'assureur à mettre à la disposition de l'assuré un avocat, celui-ci, plus souvent qu'autrement, se verra dans une situation de conflits d'intérêts. Pour éviter cela, il me semble que, lorsqu'il paraît que l'assuré a droit à la protection de la police, la solution est d'ordonner à l'assureur de payer les honoraires de l'avocat choisi par l'assuré et de laisser le contrôle du montant de ces honoraires au tribunal, comme on le fait en matière de provisions pour frais dans les causes de divorce. Puisqu'il prétend que son assuré n'a pas droit à la protection de sa police, l'assureur ne saurait invoquer que le choix de l'avocat lui appartient.»
[30] La Personnelle devra donc rembourser au procureur choisi par monsieur Jacques Gagnon les déboursés, frais d'expertises et honoraires de défense que ce dernier devra encourir jusqu'au jugement final à être rendu dans le présent litige, sous réserve de ses droits.
[31] En effet, comme l'explique la Cour d'appel dans l'arrêt Géodex inc. al c. Zurich Compagnie d'assurances [référence omise], l'obligation de défendre perdure tant et aussi longtemps qu'existe une possibilité que la réclamation soit couverte par la police; la découverte subséquente de faits entraînant l'exclusion de la couverture peut mettre fin à l'obligation de défendre.»
(Soulignements du juge Jacques)
[39] En février 2011, la Cour supérieure a cité les passages précités de la décision de M. le juge Denis Jacques, j.c.s.[11] et appliqué la même solution.
[40] Dans un jugement du mois de mars 2011[12] , la Cour supérieure écrit relativement à la question du choix de l’avocat :
«[57] Reste à statuer sur la seconde demande du Syndicat, celle de lui permettre de choisir ses avocats, aux frais de l'assureur.
[58] L'article 2503 C.c.Q. oblige l'assureur à prendre le fait et cause et d'assumer sa défense. Pour écarter ce principe, le Tribunal considère que des motifs doivent le justifier.
[59] Or, le seul élément dont dispose le Tribunal à cet égard est le refus de l'assureur de prendre le fait et cause jusqu'au présent jugement. La contestation juridique de la part de l'assureur ne représente pas un motif sérieux justifiant de ne pas respecter le principe précédemment émis. Conclure autrement reviendrait à dire que, dès lors qu'un assureur refuse de prendre la défense d'un assuré et que ce dernier est ensuite obligé de le faire suite à la décision d'un tribunal, l'assureur s'est automatiquement discrédité pour assumer une bonne et valable défense de son assuré.
(…)
[61] Le Syndicat a plaidé des jugements où, pour des motifs particuliers [référence omise], l'assuré était en droit de ne pas avoir confiance dans les moyens de défense mis en œuvre par son assureur.
[62] Concluons. L'assureur doit défendre son assurée et l'assureur a le choix des avocats et des moyens pour le faire adéquatement.»
[41] Le tribunal fait sien le raisonnement tenu par M. le juge Clément Samson dans cette dernière décision : le fait qu’un assureur ait à tort initialement refusé de prendre la défense de son assuré ne lui fait pas automatiquement perdre son droit de désigner l’avocat et de contrôler cette défense lorsque, par la suite, le tribunal lui ordonne de défendre l’assuré. Pour que l’assureur perde ce droit, il faut des circonstances telles que l’assuré ne peut pas avoir confiance dans les moyens de défense qui seraient mis en œuvre par son assureur.
[42] Comme l’écrivait la Cour d’appel dans l’arrêt Zurich précité, bien que dans une situation légèrement différente (il s’agissait alors d’une défense sous réserve), il faut alors plus que de simples appréhensions.
[43] En l’espèce, le refus de RSA de défendre l’assurée provient non pas d’une interprétation erronée que RSA aurait faite de la procédure introductive d’instance, mais plutôt de l’enquête qu’elle a elle-même menée sur les circonstances du sinistre plusieurs mois avant que la poursuite ne soit intentée. La lettre précitée exprimant son refus de couvrir en date du 25 mars 2013 en atteste et la seconde lettre de négation de couverture émise le confirme.
[44] En clair, l’assureur n’a pas dit à son assurée «je ne te couvre pas parce que ce qui est allégué contre toi n’apparait être exclu de la police». Il a plutôt dit à son assurée «je ne te couvre pas parce qu’ayant moi-même fait enquête sur cette affaire, j’ai constaté que les dommages survenus sont exclus».
[45] L’assureur soutenant avoir lui-même constaté que les circonstances du sinistre déclenchent l’application des exclusions, l’assurée est justifiée de ne pas avoir confiance en la défense que cet assureur se verra maintenant forcé de lui procurer suite au présent jugement. RSA est dans une situation conflictuelle relativement à l’exécution en nature de son obligation de défendre Pavage.
[46] Le tribunal estime approprié d’ordonner l’exécution de cette obligation par équivalent et à cette fin de laisser à l’assurée le choix du procureur et le contrôle de sa défense, aux frais de son assureur.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[47] ACCUEILLE la requête amendée de la défenderesse.
[48] ORDONNE à la mise en cause Royal & Sunalliance du Canada, société d’assurances d’assumer les frais de défense de Construction et Pavage Dujour Ltée en la présente instance.
[49] DÉSIGNE Me Christian Labonté comme procureur de la défenderesse Construction et Pavage Dujour Ltée.
[50] ORDONNE à la mise en cause Royal & Sunalliance du Canada, société d’assurances de rembourser à Construction et Pavage Dujour Ltée les honoraires et déboursés déjà engagés de Me Christian Labonté (à l’exception des honoraires et déboursés engagés pour la requête dont dispose le présent jugement), ainsi que les frais d’expertises, le cas échéant, déjà engagés.
[51] ORDONNE par la suite à la mise en cause Royal & Sunalliance du Canada, société d’assurances de payer les honoraires et déboursés de Me Christian Labonté ainsi que les frais d’expertises pour la défense de Construction et Pavage Dujour Ltée, jusqu’au jugement à être rendu au mérite dans le présent litige, sous réserve de la présentation d’une requête pour être relevée de son obligation d’assumer les frais de défense, le cas échéant.
[52] LE TOUT avec dépens.
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__________________________________ CHARLES OUELLET, J.C.S. |
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Me Marie-Hélène Montminy |
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Carter Gourdeau |
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Procureure de la demanderesse |
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Me Christian Labonté |
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Procureur de la défenderesse |
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Me Marc Choquette |
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Tremblay Bois Mignault Lemay |
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Procureur de la mise en cause |
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Date d’audience : |
22 juin 2015 |
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[1] Dans le jargon judiciaire, on dit qu’il s’agit-là d’une requête de type «Wellington».
[2] Géodex Inc. et al c. Zurich, compagnie d’assurances et al, 2006 QCCA 558.
[3] Géodex, précité, aux par. 24 à 27.
[4] Co-Operators General Insurance Compagny c. Bi-Pro Marketing Ltd, 2014 QCCA 1028.
[5] Promutuel Prairie-Valmont c. Cleary, 2014 QCCA 2155.
[6] Géodex précité, au par. 34 de l’arrêt.
[7] Rheault & Frères Ltée c. Ville de St-Tite, EYB 1989-58304 (CA).
Beaudin c. Maintenant Sept-Iles inc., [1982] J.Q. no 41 (CS).
Entreprises P.E.B. Ltée c. Phoenix, [1982] J.Q. no 42 (CA).
[8] Zurich c. Renaud & Jacob, 1996 CanLII 5801 (QC CA).
[9] Axa Assurances Inc. c. Les Habitations Claude Bouchard Inc. et al, [2001] J.Q. no 452 (CA), [2001] R.R.A. 861. D’autres extraits des motifs du juge Beauregard sont cités avec approbation par le juge Dalphond au paragraphe 29 de l’arrêt Géodex précité.
[10] Alain Mathieu c. Jacques Gagon et La Personnelle, 2008 QCCS 1093 (CanLII), Honorable Denis Jacques, j.c.s.
[11] 2011 QCCS 739, Honorable Michel Caron, j.c.s.
[12] 123834 Canada inc. et als c. Syndicat des copropriétaires dix sur le Main et al et Sean Murphy (fondé de pouvoir des Lloyd’s), 2014 QCCS 831 (CanLII), Honorable Clément Samson, j.c.s.
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