Centre de santé et de services sociaux de Saint-Jérôme c. Syndicat des professionnelles en soins de Saint-Jérôme (FIQ) |
2014 QCCA 83 |
COUR D'APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
No: |
500-09-022526-123 |
|
|
(700-17-007943-110) |
|
|
PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE |
|
DATE: |
14 janvier 2014 |
CORAM: LES HONORABLES |
JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A. |
JACQUES DUFRESNE, J.C.A. |
|
MARTIN VAUCLAIR, J.C.A. |
APPELANT |
AVOCAT |
centre de santé et de services sociaux de saint-jérôme |
Me Mathieu Quenneville Prévost Fortin D'Aoust
|
INTIMÉ |
AVOCAT |
syndicat des professionnelles en soinS de saint-jérôme (fiq) |
Me Marie-Claude St-Amant Melançon, Marceau, Grenier & Sciortino |
MIS EN CAUSE |
AVOCAT |
Me françois hamelin, en sa qualité d’arbitre de grief |
|
En appel d'un jugement rendu le 22 février 2012 par l'honorable Danielle Turcotte de la Cour supérieure, district de Terrebonne. |
NATURE DE L'APPEL: |
Travail - Révision judiciaire |
Greffière d’audience: Nadia Samy |
Salle: Louis-H-Lafontaine |
|
AUDITION |
|
9 h 32 : Début de l’audience. Identification des procureurs. |
9 h 32 : Argumentation de Me Mathieu Quenneville. |
9 h 54 : Argumentation de Me Marie-Claude St-Amant. |
10 h 36 : Réplique de Me Mathieu Quenneville. |
10 h 37 : Fin de l'argumentation de part et d'autre. |
10 h 37 : Suspension de l'audience. |
10 h 51 : Reprise de l'audience. |
10 h 51 : PAR LA COUR : Arrêt unanime prononcé par l'honorable Jacques Chamberland, J.C.A. - voir page 3. |
10 h 56 : Fin de l'audience. |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Nadia Samy |
Greffière d’audience |
PAR LA COUR
|
ARRÊT |
|
[1] S'agissant de révision judiciaire, le litige ne soulève en définitive qu'une seule question, celle de savoir si la décision prise par l'arbitre était raisonnable.
[2] L'interprétation de la convention collective est au cœur de la compétence spécialisée de l'arbitre. Ce dernier dispose à cet égard d'une autonomie décisionnelle importante, que les tribunaux doivent respecter.
[3] En l'espèce, la norme de contrôle applicable à l'exercice de révision judiciaire entrepris par la juge de la Cour supérieure n'est pas contestée; c'est celle de la décision raisonnable que la Cour suprême décrit ainsi dans l'arrêt Dunsmuir :
[47] La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[48] […] La déférence suppose plutôt le respect du processus décisionnel au regard des faits et du droit. Elle « repose en partie sur le respect des décisions du gouvernement de constituer des organismes administratifs assortis de pouvoirs délégués ». […]
[49] […] La déférence commande en somme le respect de la volonté du législateur de s'en remettre, pour certaines choses, à des décideurs administratifs, de même que des raisonnements et des décisions fondés sur une expertise et une expérience dans un domaine particulier, ainsi que de la différence entres les fonctions d'une cour de justice et celles d'un organisme administratif dans le système constitutionnel canadien.[1]
[Références omises.]
[4] La Cour est d'avis que la décision de l'arbitre appartient aux issues possibles acceptables eu égard aux faits mis en preuve et au droit applicable. Il est inexact de dire que le raisonnement de l'arbitre suppose l'ajout de mots à la convention collective ou la modification de son texte. Il ne fait que donner un sens à la clause que l'arbitre avait à interpréter et à appliquer.
[5] Il est important de bien situer le débat. Les parties demandaient à l'arbitre de décider si les inhalothérapeutes affectés au bloc opératoire avaient droit à la « prime de soins intensifs » prévue à la clause 29.06 de la convention collective :
29.06 Prime de soins intensifs
1) L'unité de soins intensifs se définit comme suit:
Lieu spécialement aménagé avec du personnel particulièrement assigné et instrumentation appropriée pour le traitement et la surveillance des grands malades.
2) L'inhalothérapeute ou la technicienne en fonction respiratoire appelée à travailler plus de la moitié de son quart de travail dans une ou des unité(s) de soins intensifs, soit pour traitements respiratoires et/ou surveillance de bénéficiaires sous respirateurs volumétriques ou autres, reçoit en plus de son salaire, une prime quotidienne de (…)
[6] Dans une décision arbitrale traitant du même sujet, l'arbitre Raymond Lebœuf rappelait « (…) qu'une prime, quelle qu'elle soit, constitue un supplément au salaire dont le but est normalement de compenser un inconvénient ou de récompenser un fardeau de tâches accru, soit quantitativement ou qualitativement, par l'augmentation des responsabilités de son éventuel bénéficiaire »[2] (soulignement ajouté). Il appartient à la personne qui revendique le paiement de la prime de prouver qu'elle satisfait aux exigences qui en ont justifié l'institution.
[7] En l'espèce, l'arbitre a analysé la preuve faite devant lui avant de conclure que le bloc opératoire constitue une « unité de soins intensifs » au sens de la clause 29.06, mais que les inhalothérapeutes qui y sont affectés ne « traitent » pas les patients ni ne les « surveillent » au sens de cette même clause. Il estime que, dans le contexte du paiement d'une prime quotidienne, en sus du salaire, le traitement et la surveillance des bénéficiaires impliquent la responsabilité directe des traitements à prodiguer aux patients et de la surveillance, une responsabilité que les inhalothérapeutes travaillant au bloc opératoire n'ont pas, contrairement à leurs collègues qui travaillent aux soins intensifs. L'arbitre a étudié et comparé le rôle et les responsabilités de chacun avant de conclure que l'inhalothérapeute, même laissé occasionnellement seul avec le patient, ne faisait ici qu'assister l'anesthésiste responsable du patient à toutes les phases de l'anesthésie.
[8] L'arbitre partageait ainsi l'avis des deux autres arbitres qui s'étaient déjà penchés sur la même question[3].
[9] La décision de l'arbitre est bien motivée et répond amplement aux principes de justification, de transparence et d'intelligibilité.
[10] Contrairement à ce que conclut la juge de première instance ce n'est pas la présence ou l'absence de l'anesthésiste qui a été un facteur déterminant pour l'arbitre, mais plutôt le fait que c'est l'anesthésiste qui a l'entière responsabilité du patient au bloc opératoire. Selon la preuve, le « fardeau de tâches » de l'inhalothérapeute n'est pas « accru (…) par l'augmentation [de ses] responsabilités », pour reprendre les mots de l'arbitre Lebœuf lorsqu'il décrit ce qui constitue une prime. L'idée que la prime de soins intensifs soit liée à un plus grand degré d'autonomie de l'inhalothérapeute n'est pas déraisonnable au sens où l'entend la jurisprudence de la Cour suprême depuis l'arrêt Dunsmuir.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[11] ACCUEILLE l'appel;
[12] CASSE le jugement dont appel; et, procédant à rendre le jugement qui aurait dû être rendu en première instance;
[13] REJETTE la requête en révision judiciaire;
[14] AVEC DÉPENS, en appel et en Cour supérieure.
|
JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A. |
|
JACQUES DUFRESNE, J.C.A. |
|
MARTIN VAUCLAIR, J.C.A. |
[1] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9, paragr. 47, 48 et 49; voir également Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes et Papiers Irving, Ltée, 2013 CSC 34, paragr. 16.
[2] Centre hospitalier Verdun et Association professionnelle des inhalothérapeutes de Verdun, 28 décembre 1984. Citation reprise par l'arbitre André Bergeron dans une deuxième sentence arbitrale traitant du même sujet, soit le droit des inhalothérapeutes à la « prime de soins intensifs » lorsqu'ils travaillent au bloc opératoire, Association professionnelle des inhalothérapeutes du Québec et Centre hospitalier St-Joseph de Trois-Rivières, 1987, 87A-279.
[3] Voir note 2.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.