Commission municipale du Québec ______________________________ |
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Date : |
2 novembre 2017 |
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Dossier : |
CMQ-65780 (29954-17) |
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Juge administrative : |
Martine Savard |
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Personne visée par l’enquête : |
Céline Avoine, mairesse |
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Municipalité de Sainte-Perpétue |
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ENQUÊTE EN ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE EN MATIÈRE MUNICIPALE |
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DÉCISION
INTRODUCTION
[1] La Commission municipale du Québec est saisie d’une demande d’enquête en éthique et déontologie à l’endroit de Céline Avoine, mairesse de la Municipalité de Sainte-Perpétue.
[2] Elle est déposée par Guylaine Cloutier, conformément à l’article 20 de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale[1] (Loi sur l’éthique et la déontologie).
[3] Essentiellement, la plainte reproche à la mairesse d’avoir déposé auprès de la Municipalité, du Commissaire aux plaintes du ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire (MAMOT) et du CÉGEP de Lévis une plainte concernant le travail du coordonnateur du terrain de jeux et stagiaire pour la Municipalité, au cours de l’été 2014. Le coordonnateur est aussi le fils d’un membre du conseil.
[4] De plus, la mairesse aurait favorisé les intérêts d’un entrepreneur local, en négociant avec lui, de gré à gré, le contrat d’entretien des installations sportives pour l’hiver 2014-2015, malgré un appel d’offres transmis aux citoyens de la municipalité pour la réalisation de ces travaux.
[5] La plainte initiale comprenait cinq autres reproches qui ont fait l’objet de demandes en irrecevabilité accueillies par la Commission[2]. Il n’en sera pas fait mention dans la présente décision.
Retrait du manquement no 2
[6] Avant le début de la preuve, la procureure indépendante de la Commission soulève que le MAMOT a confirmé ne pas avoir reçu la plainte de la mairesse[3], malgré la mention indiquée à cet effet à la fin de la plainte. En conséquence, elle demande le retrait du manquement numéro 2, relatif à la transmission de la plainte au Commissaire aux plaintes du MAMOT. L’avocat de l’élue est d’accord. La Commission accorde la demande de retrait.
QUESTIONS EN LITIGE
[7] La Commission doit déterminer si la mairesse Avoine a enfreint le Code d’éthique et de déontologie des élus de la Municipalité de Sainte-Perpétue[4]. Plus particulièrement, elle doit décider :
· Si, en déposant une plainte à la Municipalité concernant la conduite du coordonnateur du terrain de jeux et stagiaire pour la Municipalité, Steve Cloutier, elle a agi de façon à favoriser, dans l’exercice de ses fonctions, ses intérêts personnels;
· Si, en intervenant auprès de la responsable du stage du coordonnateur pour l’été 2015, pour se plaindre de la conduite de ce dernier pendant son stage à la Municipalité à l’été 2014, elle a agi de façon à favoriser, dans l’exercice de ses fonctions, ses intérêts personnels;
· Si, en intervenant auprès de la responsable du stage du coordonnateur pour l’été 2015, pour se plaindre de la conduite de ce dernier pendant son stage à la Municipalité à l’été 2014, elle s’est prévalue de sa fonction pour tenter d’influencer toute décision de Christine Lévesque relative au stage du coordonnateur à la Municipalité pour l’été 2015;
· Si, entre le 19 novembre et le 10 décembre 2014, elle a favorisé d’une manière abusive les intérêts d’un entrepreneur, Sylvain Daigle, en négociant de gré à gré le contrat d’entretien des installations sportives pour l’hiver 2014-2015, malgré l’appel d’offres en cours transmis aux citoyens de la municipalité.
CONTEXTE
[8] La mairesse Avoine a été conseillère de 1995 à 2003 et elle est mairesse depuis 2005.
La plainte contre un coordonnateur
[9] Depuis plusieurs années et jusqu’à la fin de l’été 2013, un comité de loisirs indépendant et sans but lucratif gère certaines activités de loisirs de la Municipalité, dont les activités estivales au terrain de jeux. Ce comité reçoit une contribution de la Municipalité à cette fin et gère seul ses affaires.
[10] En 2013, les membres du comité sont essoufflés et veulent quitter. Personne n’est intéressé à prendre la relève. La Municipalité décide donc de reprendre la gestion des activités à compter de l’été 2014.
[11] Le conseil municipal procède d’abord à l’embauche, par résolution[5], de dix employés pour les activités estivales au terrain de jeux. Trois jeunes, parmi eux, sont les enfants de conseillers municipaux de la Municipalité. Steve Cloutier, embauché au poste de coordonnateur, est le fils de Guylaine Cloutier. Allyson Fournier et Julien Daigle, embauchés aux postes de moniteur, sont respectivement les enfants de Stéphanie Lizotte et de Claude Daigle.
[12] Ces trois élus qui sont parents s’abstiennent de voter lors de l’adoption de la résolution d’embauche.
[13] Le coordonnateur est embauché pour une durée de dix semaines à raison de quarante heures par semaine. Il travaille tous les étés pour le comité des loisirs depuis 2011, lequel est satisfait de son travail.
[14] Il étudie au CÉGEP de Lévis où il peut aussi faire reconnaître son emploi dans le cadre du programme de formation technique en ATE (Alternance travail-études). Il fait la demande à sa superviseure, qui accepte et complète les documents nécessaires. Le conseil municipal et la mairesse ne sont pas informés du stage.
[15] Les activités estivales au terrain de jeux sous la supervision du coordonnateur se déroulent normalement jusqu’à ce que deux événements particuliers viennent les perturber.
Le temps supplémentaire
[16] Le 8 juillet 2014, le coordonnateur et les moniteurs se rendent avec les enfants au Village Vacances Valcartier. Ils quittent la Municipalité vers 7 h, passent la journée au Village, soupent au restaurant puis reviennent à 19 h. Ils incluent les heures de transport et du souper sur leurs feuilles de temps de travail.
[17] Lorsque la mairesse en prend connaissance la semaine suivante, elle se rend au terrain de jeux et mentionne au coordonnateur que les heures de transport et du souper ne doivent pas être payées, que les moniteurs ne travaillent pas durant ces heures, que le comité de loisirs ne les a jamais payées dans les années précédentes et qu’elle soumettra le tout au conseil municipal lors de la prochaine réunion.
[18] Une conseillère municipale, Jocelyne Caron, passe souvent au terrain de jeux, puisque son enfant participe aux activités. Le coordonnateur l’informe de la position de la mairesse. Elle lui recommande de soumettre le tout au conseil, lors de la prochaine séance, car, dit-elle, il a le pouvoir de trancher cette question.
[19] Le coordonnateur informe aussi sa superviseure qui lui recommande fortement de ne pas se présenter à la séance du conseil sur cette question, parce qu’il y aura certainement des conséquences. Elle ajoute que la question pourrait se régler autrement. Elle n’informe pas la mairesse de sa discussion avec le coordonnateur.
[20] Le 4 août 2014, les employés se rendent au conseil municipal pour revendiquer le paiement des heures supplémentaires. Le coordonnateur a déjà remis à la conseillère Caron une lettre demandant au conseil de « réviser » la décision de la mairesse, signée « les employés du terrain de jeux »[6]. Cette dernière ne reçoit pas copie de cette lettre.
[21] Le coordonnateur, au nom des employés presque tous présents, explique sa position au conseil. Après discussion, le conseil décide, par résolution, de procéder au paiement des heures supplémentaires. La question n’a pas été discutée préalablement en comité de travail du conseil municipal, puisqu’il n’y en a pas eu depuis la sortie au Village Vacances Valcartier.
La journée de clôture
[22] Une fête familiale est organisée le 9 août 2014 pour clore la saison des activités estivales au terrain de jeux. La mairesse est absente.
[23] Une controverse survient de nouveau concernant le paiement des heures travaillées cette journée-là.
[24] En avant-midi, les employés sont informés qu’ils ne seront pas rémunérés pour la journée de clôture. Ils sont de mauvaise humeur et indiquent leur mécontentement à plusieurs reprises au cours de la journée, principalement à l’égard de la mairesse.
[25] En fin d’après-midi, le coordonnateur les informe qu’ils seront rémunérés pour cette journée, ce qui règle le dossier.
[26] Il y a deux versions sur ce qui s’est réellement dit.
[27] Selon le coordonnateur, une monitrice lui mentionne en avant-midi qu’elle a entendu dire que la mairesse a déclaré que la Municipalité paierait les employés pour cette journée. Le coordonnateur a demandé aux personnes au courant de taire cette information jusqu’à ce qu’elle soit confirmée et qu’il n’attend la réponse qu’en fin de journée. Il a donc confirmé aux employés le paiement en fin de journée, après que la superviseure lui eut confirmé.
[28] La superviseure, la conseillère Caron et le conseiller Chouinard affirment pour leur part que le coordonnateur leur a dit qu’il avait fait une « joke » aux employés. En avant-midi, il a indiqué aux employés qu’ils ne seraient pas payés pour la journée et en fin de journée il leur a indiqué que c’était une « joke ».
[29] Comme la mairesse était absente cette journée-là, elle se fie aux informations qui lui sont rapportées par la superviseure et la conseillère Caron.
[30] L’instruction du présent dossier permettra de comprendre que l’imbroglio relatif aux heures de travail résulte du mode de rémunération des employés du terrain de jeux. En 2013, le comité de loisirs paie les employés sur la base des heures moyennes de travail; si un employé doit faire des heures supplémentaires au cours d’une semaine, il réduit ses heures de travail au cours d’une autre semaine; ainsi, en fin d’année le budget est respecté. En 2014, les feuilles de temps sont complétées sur la base des heures travaillées; si des heures supplémentaires sont travaillées, elles sont payées; les employés ne compensent donc plus les heures travaillées en trop. La dernière approche entraîne des coûts supplémentaires de quelques milliers de dollars à la Municipalité.
La suite
[31] Le 13 septembre 2014, la superviseure fait l’évaluation du coordonnateur dans le cadre de son stage ATE du CÉGEP. Elle lui octroie une note excellente sur les dix critères d’évaluation et n’ajoute aucun commentaire. Elle ne mentionne pas les deux événements survenus. Dans son témoignage, elle évoque qu’elle est incapable de donner de mauvaises évaluations ni de « sanctionner un employé ».
[32] Elle n’informe pas l’administration et la mairesse qu’elle a fait une évaluation.
[33] En mars 2015, la directrice générale entame les démarches nécessaires pour le recrutement des employés du terrain de jeux pour l’été 2015. Les candidats ont jusqu’au 31 mars pour postuler.
[34] À la date de fermeture, la mairesse prend connaissance du nom des candidats et constate que Steve Cloutier a soumis sa candidature.
[35] Au début du mois d’avril, les conseillers Caron et Daigle demandent à voir les curriculums vitae des candidats[7], ce qui leur est refusé par la directrice générale car ces documents sont confidentiels à cette étape.
[36] Le 7 avril 2015, le conseil municipal forme un comité de sélection pour le choix des employés du terrain de jeux.
[37] Le 8 avril, la mairesse porte la plainte interne suivante contre le coordonnateur :
« Municipalité de Ste-Perpétue Le 8 avril 2015.
366, rue Principale, local 211,
Ste-Perpétue, Q.C. G0R 3Z0.
Plainte contre Steve Cloutier Lavoie.
Coordonnateur du terrain jeu été 2014.
Céline Avoine, mairesse de la municipalité de Ste-Perpétue depuis 2005 dépose une plainte contre le coordonnateur du terrain de jeux de l’année 2014 M. Steve Cloutier Lavoie.
Motif de la plainte : Dénigrement, non-respect envers son supérieur.
Considérant que cet étudiant a postulé au poste de coordonnateur pour l’année 2015, malgré les événements de l’été passé.
- Budget non-respecté
- Aucun respect envers la mairesse.
- Dénigrement.
- Inventer des décisions pour me détruire, m’humilier et me faire haïr des moniteurs et monitrices.
- Insister les moniteurs et les monitrices du terrain de jeu à venir à la séance du conseil du mois d’août pour m’humilier devant la population, malgré le désaccord de sa responsable du terrain de jeu Mme Danye Vincent.
- Le 9 août 2014.
La journée de la clôture du terrain de jeu et la journée familiale. Le matin le coordonnateur rencontre les moniteurs et monitrices pour expliquer le fonctionnement de la journée. Il leur dit qu’ils sont évalués pour leurs performances durant la journée, qui va déterminer, s’ils auront leurs emplois pour l’été 2015. Par contre, j’ai une mauvaise nouvelle, la mairesse a décidé de ne pas vous payer pour cette journée. Au dire de la pro-maire Caroline Caron, les moniteurs et les monitrices du terrain de jeu étaient fâchés envers moi et il lui disait, la mairesse devrait être ici aujourd’hui pour voir comment on travaille. Le coordonnateur M. Lavoie a laissé les jeunes critiqués une partie de la journée c’est seulement dans le milieu de l’après-midi, il les a avisés que ce n’était pas vrai. Mais les dommages étaient déjà faits.
Pour valider les écrits voir l’enregistrement de la réunion de travail du 17 février 2015, la conseillère Caroline Caron raconte les événements.
Il est inconcevable que cet étudiant manque de respect envers la mairesse de Ste-Perpétue, après lui avoir donné un emploi d’été durant quatre ans.
En conséquence, je demande à la directrice générale de faire une enquête et que les sanctions soient appliquées. Considérant, qu’il était en stage une copie du rapport sera envoyé à sa responsable du stage au CÉGEP de Lévis.
Céline Avoine, mairesse de Ste-Perpétue.
cc. Ministère des Affaires municipales département des plaintes. »
(Reproduit tel qu’écrit)
[38] De plus, le 15 avril 2015, la mairesse téléphone au CÉGEP. Elle informe Christine Lévesque, conseillère en emploi et responsable des stages en Alternance travail-études, de son insatisfaction à l’égard de la conduite du coordonnateur au cours de son stage. Il est convenu que la responsable fera un suivi.
[39] Le 23 avril 2015, « n’ayant pas reçu de nouvelles », la mairesse lui transmet sa plainte par courriel. La responsable accuse réception. La mairesse fait deux rappels le 1er mai. Finalement, la responsable l’informe le 5 mai qu’elle ne donne pas suite à cette plainte pour divers motifs non pertinents au présent dossier. La mairesse ne fera pas d’autres suivis auprès du CÉGEP.
Le climat au sein du conseil
[40] L’embauche des enfants de membres du conseil comme employés du terrain de jeux divise clairement le conseil.
[41] La mairesse n’est pas à l’aise avec ces embauches car elle considère que les conseillers qui sont parents d’employés sont en conflit d’intérêts.
[42] De leur côté, comme ces élus s’abstiennent de voter sur la résolution d’embauche, ils considèrent qu’ils ne sont pas en conflit d’intérêts.
[43] Par ailleurs, plusieurs conseillers considèrent que la gestion des activités de loisirs par un organisme de loisirs indépendant s’avère être une solution adéquate. Elle permet l’embauche d’employés sans égard au statut de leurs parents et sans ingérence possible puisque la gestion ne relève pas de la Municipalité.
[44] Le climat au sein du conseil se détériore graduellement en raison de ce conflit et parce que la mairesse considère que les conseillers s’ingèrent dans la gestion de la Municipalité, alors qu’ils n’ont pas de tels pouvoirs.
[45] Ainsi les avis et plaintes fusent entre les élus :
· En février 2015, la mairesse fait un rappel sur certaines dispositions du code d’éthique et de déontologie aux conseillères Cloutier et Caron.
· En mars, la mairesse fait des démarches auprès du MAMOT pour organiser une rencontre sur le rôle et les responsabilités des élus; cette rencontre aura lieu le 2 juin, sans résultat.
· En mai, la conseillère Caron dépose une plainte contre la mairesse relativement au comité de loisirs.
· En juin, le conseiller Daigle se plaint de la mairesse et du conseiller Harton, qui auraient tenu des propos diffamatoires à son égard.
· En juillet, Steve Cloutier dépose une plainte contre la mairesse au MAMOT à la suite de la plainte à son égard.
· En août, la conseillère Cloutier dépose la demande d’enquête faisant l’objet du présent dossier.
Le contrat avec un entrepreneur
[46] Sylvain Daigle effectue depuis plusieurs années l’entretien du secteur de la patinoire municipale. Au début de chaque automne, il se rend au bureau de la directrice générale pour convenir d’un taux horaire pour la saison hivernale suivante. L’augmentation de son taux horaire correspond habituellement au taux annuel d’augmentation du coût de la vie.
[47] Pour 2014-2015, il demande une augmentation plus importante. Il ne se souvient pas de la personne qu’il a rencontrée. Il mentionne, qu’habituellement, il discute avec la directrice générale.
[48] En réunion de travail le 25 novembre, la directrice générale transmet sa demande au conseil municipal, qui juge l’augmentation trop importante et décide de lancer un appel d’offres. Tel que convenu, la directrice générale fait distribuer l’appel d’offres à toutes les adresses civiques de la municipalité, avec le lundi 8 décembre comme date limite pour déposer une soumission.
[49] N’ayant toujours pas reçu de soumission à quelques jours de la date d’ouverture, la directrice générale envoie, à la demande de la mairesse, un courriel aux membres du conseil pour leur faire part de la dernière offre de l’entrepreneur Daigle. La directrice générale ne se souvient pas si ces conditions étaient les mêmes que celles demandées au début de l’automne.
[50] En séance de travail, les membres du conseil décident d’attendre l’ouverture des soumissions. La seule soumission ouverte le 8 décembre est celle de l’entrepreneur Daigle, aux prix et conditions qui y sont indiqués. La directrice générale informe le conseil le soir même.
[51] Il exécutera le contrat. Il a d’ailleurs commencé ses travaux avant l’ouverture des soumissions, vu l’urgence de mettre en place les installations requises pour la patinoire.
[52] Il n’y a pas de rapport de soumission ni de résolution d’octroi du contrat. Un contrat confirmant l’entente sera signé au mois de mars suivant.
[53] La directrice générale ne se souvient pas si elle a parlé à l’entrepreneur durant l’appel d’offres et ne sait pas pourquoi il n’y a eu ni rapport d’ouverture de soumission, ni résolution.
[54] L’entrepreneur Daigle affirme ne pas avoir négocié ni échangé avec la mairesse concernant ses conditions de travail et cet appel d’offres.
L'ANALYSE
Le degré de preuve
[55] Dans le cadre d’une enquête en vertu de la Loi sur l’éthique et la déontologie, la Commission doit s’enquérir des faits afin de décider si l’élu visé par l’enquête a commis les actes ou les gestes qui lui sont reprochés et si ces derniers constituent une conduite dérogatoire au Code d’éthique.
[56] Pour lui permettre de conclure que l’élu visé par l’enquête a manqué à ses obligations déontologiques et enfreint le Code d’éthique, la Commission doit être convaincue que la preuve qui découle des témoignages, des documents et des admissions, a une force probante suffisante suivant le principe de la balance des probabilités.
[57] Ce degré de preuve a été établi par la Cour suprême dans le jugement McDougall c. F.H.[8].
« [49] En conséquence, je suis d’avis de confirmer que dans une instance civile, une seule norme de preuve s’applique, celle de la prépondérance des probabilités. Dans toute affaire civile, le juge du procès doit examiner la preuve pertinente attentivement pour déterminer si, selon toute vraisemblance, le fait allégué a eu lieu. »
[58] La Cour d’appel a rappelé l’application de ce fardeau de la preuve en matière disciplinaire dans l’affaire Bisson c. Lapointe[9].
« [66] Il est bien établi que le fardeau de preuve en matière criminelle ne s’applique pas en matière civile. Il est tout aussi clair qu’il n’existe pas de fardeau intermédiaire entre la preuve prépondérante et la preuve hors de tout doute raisonnable, peu importe le « sérieux » de l’affaire. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt F.H. c. McDougall, a explicitement rejeté les approches préconisant une norme de preuve variable selon la gravité des allégations ou de leurs conséquences. »
Éléments à prendre en considération dans l’analyse de la preuve
[59]
La Commission doit aussi analyser la preuve en tenant compte de
l’article
[60]
Les trois objectifs sont prévus à l’article
« 5. […]
Ces règles (déontologiques) doivent notamment avoir pour objectifs de prévenir:
1° toute situation où l’intérêt personnel du membre du conseil peut influencer son indépendance de jugement dans l’exercice de ses fonctions;
2° toute
situation qui irait à l’encontre des articles
3° le favoritisme, la malversation, les abus de confiance ou autres inconduites. »
Les manquements reprochés
[61] La procureure indépendante de la Commission décrit les manquements comme suit :
« Madame Céline Avoine, mairesse de la Municipalité de Sainte-Perpétue, aurait manqué aux obligations prévues au Code d’éthique et de déontologie des élus de la Municipalité de Sainte-Perpétue (Code) à savoir :
1. Le ou vers le 8 avril 2015, en déposant une plainte à la Municipalité concernant la conduite de Steve Cloutier, elle aurait agi de façon à favoriser, dans l’exercice de ses fonctions, ses intérêts personnels, contrevenant ainsi à l’article 5.3.1 du Code;
3. Entre le 15 avril 2015 et le 1er mai 2015, en intervenant auprès de Christine Lévesque, responsable du stage de Steve Cloutier pour l’été 2015, pour se plaindre de la conduite de ce dernier pendant son stage à la Municipalité à l’été 2014, elle aurait agi de façon à favoriser, dans l’exercice de ses fonctions, ses intérêts personnels, contrevenant ainsi à l’article 5.3.1 du Code;
4. Entre le 15 avril 2015 et le 1er mai 2015, en intervenant auprès de Christine Lévesque, responsable du stage de Steve Cloutier pour l’été 2015, pour se plaindre de la conduite de Steve Cloutier pendant son stage à la Municipalité à l’été 2014, elle se serait prévalue de sa fonction pour tenter d’influencer toute décision de Christine Lévesque relative au stage de Steve Cloutier à la Municipalité pour l’été 2015, pour favoriser ses intérêts personnels, contrevenant ainsi à l’article 5.3.2 du Code;
5. Entre le 19 novembre 2014 et le 10 décembre 2014, elle aurait favorisé d’une manière abusive les intérêts de Sylvain Daigle en négociant de gré à gré le contrat d’entretien des installations sportives pour l’hiver 2014-2015, malgré l’appel d’offres transmis aux citoyens de la Municipalité, contrevenant ainsi à l’article 5.3.1 du Code. »
(Reproduit tel qu’écrit)
Manquement no 1
[62] On reproche à la mairesse d’avoir déposé le 8 avril 2015 une plainte concernant la conduite du coordonnateur; elle aurait alors agi de façon à favoriser, dans l’exercice de ses fonctions, ses intérêts personnels.
[63] L’article 5.3.1 du Code d’éthique et de déontologie énonce la règle applicable en matière de conflit d’intérêts :
« 5.3.1 Il est interdit à tout membre d’agir, de tenter d’agir ou d’omettre d’agir de façon à favoriser, dans l’exercice de ses fonctions, ses intérêts personnels ou, d’une manière abusive, ceux de toute autre personne. »
[64] À titre de mairesse, elle jouit du pouvoir de surveillance prévu à l’article 142 du Code municipal du Québec[10].
« 142.1. Le chef du conseil exerce le droit de surveillance, d’investigation et de contrôle sur les affaires et les officiers de la municipalité, voit spécialement à ce que les revenus de la municipalité soient perçus et dépensés suivant la loi, veille à l’accomplissement fidèle et impartial des règlements et des résolutions et communique au conseil les informations et les recommandations qu’il croit convenables dans l’intérêt de la municipalité ou des habitants de son territoire.
[…] »
(Nos caractères gras)
[65] Elle est donc la première responsable de la bonne gestion des affaires de la Municipalité et elle ne peut être isolée de l’administration quotidienne, ni neutralisée dans l’exercice de ses fonctions.
[66] La mairesse se plaint de la conduite du coordonnateur lors de deux événements précis et dans la gestion des heures travaillées.
[67] Le coordonnateur est un employé de la Municipalité et, à ce titre, il doit agir avec loyauté. Cette obligation est d’ailleurs prévue au Code civil du Québec[11].
« 2088. Le salarié, outre qu’il est tenu d’exécuter son travail avec prudence et diligence, doit agir avec loyauté et honnêteté et ne pas faire usage de l’information à caractère confidentiel qu’il obtient dans l’exécution ou à l’occasion de son travail. »
(Nos caractères gras)
[68] Dans le secteur public, les employés ont aussi un devoir de réserve et ils doivent faire preuve d’une grande prudence lorsqu’ils critiquent l’administration. Dans DROIT MUNICIPAL Principes généraux et contentieux[12], les auteurs Jean Hétu et Yvon Duplessis mentionnent :
« La Cour
suprême du Canada a souligné, dans Fraser c. Commission des relations de
travail dans la fonction publique
(Nos caractères gras)
[69] La Commission est d’avis que la mairesse est dans l’exercice de ses fonctions lorsqu’elle dépose cette plainte à l’égard du coordonnateur. Il s’agit d’un employé de la Municipalité et les faits qu’elle lui reproche, s’ils sont avérés, sont des manquements qui peuvent donner ouverture à des sanctions disciplinaires, notamment le budget non respecté, le non-respect, le dénigrement et les mensonges.
[70] Par ailleurs, pour commettre un manquement à l’article 5.3.1 du code d’éthique et de déontologie, la mairesse doit agir de façon à favoriser ses intérêts personnels. Pour être personnel, un intérêt doit être distinct de l’intérêt général. Il doit aussi être réel et palpable.
[71] Dans le présent cas, la Commission n’identifie aucun intérêt personnel de madame Avoine qui aurait pu influencer l’indépendance du jugement de la mairesse dans l’exercice de ses fonctions.
[72] En effet, selon certains, la mairesse voulait se venger de s’être sentie humiliée par les agissements du coordonnateur et elle voulait l’empêcher de travailler durant la saison estivale 2015. La plainte n’est pas en ce sens car elle « demande à la directrice générale de faire une enquête et que les sanctions soient appliquées. ». La mairesse se plaint des actes qu’un employé a accomplis dans l’exercice de ses fonctions.
[73] Notons que si l’enquête administrative avait été réalisée, le coordonnateur, la superviseure et les autres intervenants au dossier auraient pu tous exposer leur point de vue. Cela aurait permis une analyse complète des événements et de fermer le dossier le plus équitablement possible. De plus, toute décision ou sanction finale à l’endroit de l’employé aurait été prise par le conseil, non par la mairesse.
[74] Quelques années auparavant, elle a exercé ce pouvoir à la suite du comportement d’un autre employé. L’administration a fait une enquête, suivi d’un rapport au conseil, qui a décidé du sort du dossier par résolution.
[75] Le ton de la mairesse dans la plainte est très émotif. Certains mots ne sont pas appropriés. Toutefois l’approche maladroite dans la rédaction de la plainte ne doit pas l’emporter sur le contenu de la plainte.
[76] Elle est déposée près de huit mois après le dernier événement, « considérant que cet étudiant a postulé au poste de coordonnateur pour l’année 2015 ». Elle mentionne dans son témoignage qu’il était inutile de se plaindre plus tôt, puisque l’étudiant n’était plus à l’emploi de la Municipalité. La Commission est d’avis que le délai entre les événements et la plainte s’explique bien.
[77] La Commission est donc d’avis que la preuve n’a pas démontré que la mairesse a agi de façon à favoriser ses intérêts personnels lorsqu'elle a transmis sa plainte à la directrice générale. Elle conclut que la mairesse n’a pas commis le manquement reproché.
Manquement no 3
[78] On reproche à la mairesse, entre le 15 avril et le 1er mai 2015, d’être intervenue auprès de la responsable du stage du coordonnateur pour l’été 2015, pour se plaindre de la conduite de ce dernier pendant son stage à la Municipalité en 2014. Elle aurait alors agi de façon à favoriser, dans l’exercice de ses fonctions, ses intérêts personnels, contrevenant ainsi à l’article 5.3.1 du Code d’éthique et de déontologie[13].
[79] La mairesse est dans l’exercice de ses fonctions. Le coordonnateur est en stage dans le cadre de son emploi. Elle communique par téléphone avec la responsable des stages. Elle transmet ensuite copie de sa plainte parce qu’elle n’avait pas de suivi. La mairesse indique dans son témoignage que ces communications découlaient du fait que les événements sont survenus alors qu’il était en stage. De plus, la mairesse n’est pas au courant qu’une évaluation écrite existe.
[80] La Commission est d’avis, pour les mêmes motifs que le manquement no 1, que la preuve n’a pas démontré que la mairesse a agi dans son intérêt personnel en communiquant avec la responsable des stages. Elle conclut que la mairesse n’a pas commis le manquement reproché.
Manquement no 4
[81] On reproche à la mairesse, entre le 15 avril et le 1er mai 2015, d’être intervenue auprès de la responsable du stage du coordonnateur pour l’été 2015, pour se plaindre de sa conduite pendant son stage à la Municipalité à l’été 2014. Elle se serait alors prévalue de sa fonction pour tenter d’influencer toute décision de la responsable des stages relativement au stage du coordonnateur à la Municipalité pour l’été 2015, et ce, pour favoriser ses intérêts personnels, contrevenant ainsi à l’article 5.3.2 du Code d’éthique et de déontologie.
[82] L’article 5.3.2 du Code d’éthique et de déontologie établit la règle applicable lorsqu’une personne se prévaut de sa fonction pour favoriser ses intérêts personnels.
« 5.3.2 Il est interdit à tout membre de se prévaloir de sa fonction pour influencer ou tenter d’influencer la décision d’une autre personne de façon à favoriser ses intérêts personnels ou, d’une manière abusive, ceux de toute autre personne. »
[83] La Commission est d’avis, pour les mêmes motifs que le manquement no 1, que la preuve n’a pas démontré que la mairesse a agi dans son intérêt personnel en communiquant avec la responsable des stages.
[84] De plus, la superviseure n’avait aucune décision à prendre, autre que d’analyser la plainte, ce qu’elle a fait. Elle y a donné suite en fonction des informations disponibles et a avisé la mairesse de ses conclusions. La mairesse n’a pas communiqué avec elle par la suite.
[85] La Commission conclut que la mairesse n’a pas commis le manquement reproché.
Manquement no 5
[86] On reproche à la mairesse, entre le 19 novembre et le 10 décembre 2014, d’avoir favorisé d’une manière abusive les intérêts de l’entrepreneur Sylvain Daigle, en négociant de gré à gré le contrat d’entretien des installations sportives pour l’hiver 2014-2015, malgré l’appel d’offres transmis aux citoyens de la Municipalité, contrevenant ainsi à l’article 5.3.1 du Code[14].
[87] La preuve ne démontre pas que la mairesse a négocié un contrat d’entretien des installations sportives avec l’entrepreneur Daigle durant l’appel d’offres. En effet, l’entrepreneur a affirmé dans son témoignage ne pas avoir négocié ni échangé avec la mairesse concernant ce contrat. Ses communications se sont faites avec l’administration, sans pouvoir identifier la personne.
[88] La mairesse a aussi affirmé ne pas avoir discuté de ce contrat avec l’entrepreneur durant la période pertinente.
[89] La Commission conclut que la mairesse n’a pas commis le manquement reproché.
ORDONNANCE DE CONFIDENTIALITÉ, DE NON-DIVULGATION, DE NON-PUBLICATION ET DE MISE SOUS SCELLÉS
[90] Le 11 août 2017, la Commission a rendu une ordonnance provisoire de confidentialité, de non-divulgation, de non-publication et de mise sous scellés des pièces suivantes :
· Pièce E-11, constituant le dossier du CÉGEP Lévis-Lauzon sur le stage 2014 de Steve Cloutier à la Municipalité;
· Pièce E-38, concernant le Relevé d’emploi de Sylvain Daigle au 28 avril 2015;
· Pièce D-7, concernant les Relevés d’emploi des employés du terrain de jeux en liasse pour l’été 2014.
[91] Ces pièces contiennent des informations personnelles et confidentielles, notamment le rapport de stage, l’évaluation et des informations personnelles concernant monsieur Cloutier, ainsi que les salaires exacts gagnés par les employés du terrain de jeux de la Municipalité en 2014.
[92] Le test applicable afin d'évaluer si ce type d’ordonnance doit être prononcé, a été établi dans les décisions Dagenais[15], reformulé comme suit dans celle de Mentuck[16] :
« Une ordonnance de non-publication ne doit être rendue que si :
a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice, vu l’absence d’autres mesures raisonnables pouvant écarter ce risque;
b) ses effets bénéfiques sont plus importants que ses effets préjudiciables sur les droits et les intérêts des parties et du public, notamment ses effets sur le droit à la libre expression, sur le droit de l’accusé à un procès public et équitable, et sur l’efficacité de l’administration de la justice. »
[93] Appliquant le test des décisions Dagenais[17] et Mentuck, la Commission est d’avis qu’il est nécessaire d’interdire l’accès à ces pièces, même une fois la décision finale rendue, car elles contiennent des informations personnelles et confidentielles. Il convient de les protéger afin d’écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice, vu l’absence d’autres mesures raisonnables pouvant écarter ce risque.
EN CONSÉQUENCE, LA COMMISSION MUNICIPALE DU QUÉBEC :
- CONCLUT QUE les manquements reprochés à Céline Avoine, mairesse de la Municipalité de Sainte-Perpétue, dans le présent dossier, ne constituent pas des manquements aux règles du règlement intitulé Révision du règlement 12-2011 concernant le Code d’éthique et de déontologie des élus de la Municipalité de Sainte-Perpétue.
- ORDONNE la mise sous scellés, la confidentialité, la non-divulgation, la non-publication et des informations contenues dans les pièces suivantes :
· Pièce E-11, constituant le dossier du CÉGEP Lévis-Lauzon sur le stage 2014 de Steve Cloutier à la Municipalité;
· Pièce E-38, concernant le Relevé d’emploi de Sylvain Daigle au 28 avril 2015;
· Pièce D-7, concernant les Relevés d’emploi des employés du terrain de jeux en liasse pour l’été 2014.
- ORDONNE à quiconque de ne dévoiler d’aucune façon et de ne pas diffuser publiquement, oralement, par écrit ou électroniquement, à la radio, dans les journaux, les postes de télévision ou par tout autre moyen de communication public ou privé, les informations contenues dans ces pièces.
___________________________________
Martine Savard
Juge administrative
MS/ll
Me Julie D’Aragon |
D’Aragon Dallaire |
Procureure indépendante de la Commission |
|
Me Philippe Asselin |
Morency, société d’avocats |
Procureur de l’élue |
|
Audience tenue à Montmagny, les 8, 9, 15 et 16 août 2017 |
[1]. RLRQ, chapitre E-15.1.0.1.
[2]. Trois reproches ont été déclarés irrecevables dans une décision rendue par le vice-président à l’éthique et à la déontologie municipale, Thierry Usclat, le 30 mai 2017 et deux autres l’ont été dans une décision rendue par la soussignée le 26 juillet 2017.
[3]. Pièce E-31.
[4]. Règlement numéro 02-2014 intitulé Révision du règlement 12-2011 concernant le Code d’éthique et de déontologie des élus de la Municipalité de Sainte-Perpétue, adopté le 3 mars 2014 par le conseil municipal.
[5]. Résolution 95-05-2014 adoptée à la séance du mois de mai 2014, en pièce E-8.
[6]. Pièce E-9.
[7]. Pièce D-10.
[8]. McDougall
c. F.H.,
[9]. Bisson
c. Lapointe,
[10]. RLRQ, chapitre C-27.1.
[11]. CCQ-1991.
[12]. Publications CCH ltée, 2e édition à jour au 16 juin 2017, par. 5.59, page 5 202.
[13]. Cet article est reproduit au paragraphe 63 de la décision.
[14]. Cet article est reproduit au paragraphe 63 de la décision.
[15]. Dagenais
c. Société Radio-Canada,
[16]. R. c.
Mentuck,
[17].
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