Touabi c. Lauzon |
2014 QCCS 5822 |
|||||||
JM 2141 |
||||||||
|
||||||||
CANADA |
||||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
||||||||
DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
|||||||
|
||||||||
N° : |
500-17-083810-146 |
|||||||
|
|
|||||||
|
||||||||
DATE : |
17 novembre 2014 |
|||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
JOHANNE MAINVILLE, J.C.S. |
||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
|
||||||||
HACHEM TOUABI |
||||||||
Demandeur |
||||||||
c. |
||||||||
MARIE-CHRISTINE LAUZON ISABELLE GASCON STEPHANE MALLY CATHERINE KOSTITSCH ROULA ABI RACHED BANQUE NATIONALE DU CANADA |
||||||||
Défendeurs |
||||||||
|
||||||||
|
||||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
JUGEMENT |
||||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
[1] Les défendeurs présentent une requête en rejet de la Requête introductive d'instance (la « Requête ») du demandeur en vertu des articles 54.1 et ss. du Code de procédure civil (C.p.c.).Le demandeur se représente seul.
[2] Le demandeur résume sa Requête sur une page frontispice par trois motifs, soit :
· Diffamation (calomnies);
· Harcèlement psychologique;
· Usage de faux pour mettre fin à mes fonctions au sein de la BNC.
[3] La Requête comprend quatre pages non numérotées. Il en est de même des paragraphes. À celle-ci sont joints différents documents. Le demandeur a de plus signifié aux défendeurs le 15 octobre 2014 et produit à la cour un document intitulé "mise au point" qui semble constituer une réponse à la requête en rejet, mais qui en réalité est davantage une attaque personnelle à l'encontre de la procureure des défendeurs.
[4] Les deux premiers paragraphes non numérotés de la Requête se lisent comme suit :
J'ai vainement tenté d'expliquer au juge Guy Roy, des normes du travail du Québec un commissaire qui a tendance à parler la tête baissée, que mon cas ne peut être traité que dans un triangle politique lugubre. À savoir deux états supposés êtres démocratiques et un état voyou (démoniaque); respectivement l'état de New York (USA), la France et l'Algérie. Cela dit, ma requête ne pouvait logiquement être reçue au tribunal des normes du travail car sa compétence est trop limitée. Elle est limitée à la lâcheté de certains employeurs. Or mon cas, comme chacun le sait, dépasse les frontières du Québec. Je crois sincèrement qu'un géant du savoir de la très respectée académie française en l'occurrence Jean-François Revel, aurait sans doute pu dire mieux que ceci' Si les français et les américains ont avoué un désaccord il ne concerne que le commerce de la banane dont, comme chacun le sait, dépend l'avenir de l'humanité! J'adhère plutôt au 'missile balistique' de M. François Mitterand, après le suicide de son premier ministre Pierre Bérégovoy: Ils ont livré aux chiens l'honneur d'un homme.
Cela me renvoie, quelque part à la trinité catholique! Comme le père de Carl Gustave Jung; je pense honnêtement que cette trilogie est de nature humaine. Des poupées russes inventées par l'empereur Constantin ou un membre de Sanhedrin (pharisiens) pour ternir l'image du Christ? Pour ma part, entre un judaïsme financier égocentrique ayant pour but de dominer le monde (la pieuvre judéo-chrétienne), un islam castré et castrateur, matériel, criminel et assassin (anti Kabyles) et un Christianisme sadique et pédophile ou le marketing évangélique New-yorkais, mon expérience dans 'l'arène spirituelle' m'indique presque avec précision que Jésus de Nazareth est la seule voie du salut.
(Souligné et caractère gras dans la requête)
[5] Les autres paragraphes de la Requête sont tout aussi incohérents.
[6] Au premier paragraphe de la page deux, le demandeur écrit que sa « requête est ici implicitement dirigée contre les 'sisyphiens' de l'église catholique de (France et New York), la mosquée oedipienne d'Algérie et la synagogue enragée de Brooklyn (NY).
[7] Au deuxième paragraphe de la page 2, on lit ce qui suit:
Étant donné les circonstances, je parle de mon lynchage médiatique déguisé depuis 19 années. Je dépose une plainte conditionnelle contre quatre employés de la banque nationale du canada dont j'étais salarié en tant qu'agent de perception (SGP:500 place d'armes à Montréal) du 16 juin 2013 au 5 juin 2014. En somme contre les employés criminels ci-après:
1/Isabelle Gascon, directrice principale du SGP,
2/ Stéphane Mally, mon directeur de section au SGP,
3/Catherine Kostitsch, conseillère aux RH de la BNC,
4/ Roula Abi Rached, conseillère aux RH de la BNC.
[8] Puis, le demandeur décrit les faits sur lesquels sa Requête est fondée. Sur trois paragraphes qu'il numérote 1 et 2, il allègue dans le premier avoir été traité de malade mental par les employés ci-haut mentionnés ainsi que dans un document émanant des ressources humaines de la BNC signé par Roula Abi Rached, et ce, dans le cadre d'une situation conflictuelle qui l'opposait à Mme Isabelle Gascon à qui il a dû remettre un certificat médical qui lui fut injustement demandé.
[9] Dans le deuxième paragraphe, il allègue que Madame Gascon a menti sur un point important qu'il décrit comme suit :
Elle m'informa suite à un courriel que j'ai porté à sa connaissance destiné à l'origine à M. Louis Vachon, président de la BNC (…) qu'on allait en parler de celui-ci la semaine d'après le 11 avril 2014. Cette promesse m'empêcha d'intervenir en assemblée générale trimestrielle tenue le même jour (11 avril 2014) pour dénoncer certains dépassements constatés sur les lieux.
L'envoi du courriel en question au président de la BNC ait été annulé par mes soins suite à une rencontre avec mon directeur de section. Ce dernier m'indiqua qu'il allait démissionner si je fasse parvenir cet écrit au premier responsable de la BNC (Louis Vachon) et Isabelle Gascon, directrice principale du service de la gestion de la perception de la BNC serait humiliée car cela relève de la violation de la hiérarchie fonctionnelle de l'entreprise qui est sacrée au sein de cette institution ? Comme si ce n'est pas le cas ailleurs dans d'autres institutions et administrations! Autrement dit, il était impuissant dans mon cas. Ce qui était une évidence pour quelqu'un qui était incapable d'assurer sa fonction. Le même jour 11 avril 2014 il m'invita dans une salle de réunion pour mettre fin à mes fonctions.
[10] Puis suivent plusieurs paragraphes tous aussi incohérents les uns que les autres.
[11] Également, dans les documents au dossier, le demandeur fait état de poursuites contenant des reproches vagues et généraux à ceux allégués dans sa Requête, notamment :
· Une poursuite contre l'Église ou le pape dans l'État de New York;
· Une poursuite à la Cour européenne des droits de l'Homme, et
· Un dossier antérieur à la Commission des relations du travail qui ne concerne pas les défendeurs.
[12] Puis, dans sa Requête, le demandeur conclut comme suit:
1/ Sachant qu'il s'agit d'une demande pour 'réparer l'irréparable'
2/ Ayant appris dès mon jeune âge que le pardon est une mesure d'hygiène personnelle nécessaire
3/ Étant donné la voracité de ceux qui font bouillir les marmites de l'avenir de l'humanité. Je réclame :
a) 40 millions de dollars aux quatre employés désignés comme défendeurs.
b) Par respect à ce que j'ai noté dans ma mise en demeure et vu que la BNC, par la plume de Marie Christine Lauzon, apparaît comme étant l'avocat du diable, je réclame réparation pour le double de ce qui était inscrit dans les sommons de ma requête auprès de la cour suprême de New York, county of Bronx Index number 18610/97 à savoir 80 milliards de dollars et 20 ans de prison ferme pour les commanditaires.
[13] Lors des représentations sur la requête en rejet, le demandeur a avisé le Tribunal qu'il ne recherchait maintenant que des peines d'emprisonnement à l'encontre des défendeurs.
* *
[14] Les articles 54.1 et suivants C.p.c. permettent au Tribunal de prononcer une sanction contre une partie qui agit de manière abusive dans le cadre d'une demande en justice ou un acte de procédure.
[15] L'abus est décrit au second paragraphe de l'article 54.1:
54.1 […]
L'abus peut résulter d'une demande en justice ou d'un acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, ou d'un comportement vexatoire ou quérulent. Il peut aussi résulter de la mauvaise foi, de l'utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice, notamment si cela a pour effet de limiter la liberté d'expression d'autrui dans le contexte de débats publics.
[16] Dans F.L. c. Marquette[1], la Cour d'appel sous la plume de la juge Bich écrit :
[12] On doit de manière préliminaire rappeler que l'application des articles 54.1 C.p.c (malgré ce que peuvent laisser croire les notes explicatives accompagnant la loi qui, en 2009, a inséré ces dispositions au Code de procédure civile), n'est pas réservée à ce qu'on appelle parfois les « poursuites-bâillons », c'est-à-dire les poursuites par lesquelles une partie entend faire obstacle à l'expression d'un point de vue citoyen dans le contexte d'un débat public. Assurément, ces dispositions s'appliquent à ce type de poursuites, mais, plus généralement, visent bien d'autres types d'actions en justice ou de procédures, comme en témoigne d'ailleurs l'abondante jurisprudence en la matière. […].
[13] Les articles 54.1 et s. C.p.c. peuvent donc être employés dans tous les cas suivants (entre lesquels il peut d'ailleurs y avoir certains recoupements) :
- lorsque la demande en justice (ou l'acte de procédure) est manifestement mal fondée, frivole ou dilatoire;
- lorsque la demande en justice (ou l'acte de procédure) résulte d'un comportement vexatoire ou quérulent ou de l'utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou en vue de nuire à autrui;
- lorsque la demande en justice (ou l'acte de procédure) résulte de la mauvaise foi;
- lorsque la demande en justice (ou l'acte de procédure) résulte du détournement des fins de la justice, notamment (mais non exclusivement) si cela a pour effet de limiter la liberté d'expression d'autrui dans le contexte de débats public.
[19] Le pouvoir de rejeter l'action est donc clairement octroyé au tribunal qui doit certes l'exercer de manière prudente, mais qui n'est pas privé de le faire lorsqu'il estime que les conditions d'un tel rejet sont remplies[2]. Par ailleurs, s'il est vrai que le tribunal peut choisir les mesures moins draconiennes qu'énumère le second alinéa de l'article 54.3, il n'est pas pour autant empêché de rejeter l'action qu'il juge véritablement abusive. C'est ce qu'a fait ici la juge de première instance.
* *
[17] En l'espèce, on comprend du dossier tel que constitué que le demandeur a été remercié de ses services par son employeur, la Banque Nationale du Canada. Cela dit, outre que les allégations de la requête sont confuses et inintelligibles, il y a absence au dossier d'indications sérieuses d'une faute, il n'y a pas d'indices d'un préjudice de nature à résulter de la faute reprochée et il y a absence de lien de causalité entre les reproches formulés et un préjudice qui en résulterait. Les conditions essentielles à la poursuite d'un recours en dommages-intérêts sont donc inexistantes.
[18] De plus, la Requête ne contient pas d'allégation factuelle précise et palpable de nature à donner ouverture à un recours contre les défendeurs qu'il soit contractuel ou extracontractuel. Les nombreuses allégations sont rédigées sans fondement factuel et juridique et exposent des faits secondaires non générateurs de droit.
[19] Enfin, les sommes recherchées, soit 40 millions ou 80 milliards de dollars, outre qu'elles sont excessives et frivoles, sont réclamées sans justification ni évaluation. Le demandeur plaide qu'il ne réclame maintenant que la peine d'emprisonnement. Il s'agit là d'une conclusion sans aucun fondement. Les conclusions recherchées sont donc non fondées, abusives, frivoles et cela en soi constitue une conduite blâmable.
[20] Bref, à sa face même la Requête introductive d'instance n'a aucune chance de succès et est vouée à l'échec.
[21] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
[22] ACCUEILLE la requête des défendeurs en rejet de la demande;
[23] REJETTE la Requête introductive d'instance du demandeur;
[24] LE TOUT sans frais, vu les circonstances.
|
||
|
________________________ JOHANNE MAINVILLE, J.C.S. |
|
|
||
M. Hachem Touabi Se représente seul |
||
|
||
Me Marie-Hélène Jetté Me Catherine Biron NORTON ROSE FULBRIGHT CANADA Procureurs des défendeurs |
||
|
||
|
||
Date d’audience : |
Le 27 octobre 2014 |
|
[1] 2012 QCCA 631.
[2] Généralement, sur les conditions d'application des art. 54.1 et ss. C.p.c., voir par exemple : Acadia Subaru c. Michaud, 2011 QCCA 1037, [2011] R.J.Q. 1185 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2012-01-12), 34383); Aliments Breton (Canada) inc. c. Bal Global Finance Canada Corporation, 2010 QCCA 1369, J.E. 2010-1378.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.