Côté c. Pharmacie Carole Bessette et Francis Gince |
2018 QCCS 4605 |
COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N°: |
500-06-000818-167 |
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DATE : |
Le 30 octobre 2018 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
MARIE-CLAUDE ARMSTRONG, J.C.S. |
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BERNARD CÔTÉ |
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Demandeur |
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c. |
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PHARMACIE CAROLE BESSETTE ET FRANCIS GINCE, |
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PHARMACIENS INC. (UNIPRIX), |
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MARC DONTIGNY PHARMACIENS INC. (UNIPRIX), et |
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LES DISTRIBUTIONS STÉPHANE FISET INC. (UNIPRIX), et PHARMACIE TANIA KANOU (JEAN COUTU), et PHARMACIE BITAR, SAVOIE-ROSAY ET JEAN COUTU, S.E.N.C. (JEAN COUTU), et PHARMACIE DOLARIAN ET CHIRINIAN, S.E.N.C. (JEAN COUTU), et HENG MUI CHANG ET RAHSAN ERDOGDU, S.E.N.C. (JEAN COUTU), et |
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PHARMACIE JOYAL ET RENÉ-HENRI, S.E.N.C. (JEAN COUTU) et PHARMACIE PATRICK BOUCHARD ET MATHIEU LÉGER, S.E.N.C. (JEAN COUTU) et |
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SOCIÉTÉ COMMERCIALE MONT-ROYAL, S.E.N.C. (JEAN COUTU) et KARIM CHATA ET MARTHE AUDRE DESRIVEAUX, PARMACIENS, S.E.N.C. (JEAN COUTU), et 2733-1172 QUÉBEC INC (JEAN COUTU), et |
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PHARMACIE KEVIN BOIVIN ET FRANÇOIS DAIGNEAULT PHARMACIENS INC. (JEAN COUTU), et |
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SOCIÉTÉ JEAN COUTU (GROUPE NEUF), S.E.N.C. (JEAN COUTU), |
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et PHARMACIE LOUIS MICHAUD (JEAN COUTU), et 9232-4623 QUÉBEC INC. (PHARMAPRIX) et |
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9328-3141 QUÉBEC INC. (PHARMAPRIX) et |
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9213-4196 QUÉBEC INC. (PHARMAPRIX) et |
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9096-7936 QUÉBEC INC. (PHARMAPRIX) et |
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LES ENTREPRISES SALIEM INC. (PHARMAPRIX) |
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Défenderesses |
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JUGEMENT D’AUTORISATION D’UNE ACTION COLLECTIVE |
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[1] Le Tribunal doit décider s’il y a lieu d’autoriser l’action collective proposée par Monsieur Bernard Côté[1] contre les défenderesses, qui exploitent des commerces de pharmacie.
[2] M. Côté soulève que les défenderesses agissent en violation de leur devoir de renseignement et de la bonne foi contractuelle prévus au Code civil du Québec (le « C.C.Q. ») et en contravention à la Loi sur la protection du consommateur (la « LPC »)[2].
[3] À cet égard, il reproche trois types de fautes aux défenderesses, à savoir :
1. De ne pas divulguer les frais qu’elles facturent pour exécuter et renouveler les ordonnances;
2. De facturer aux consommateurs bénéficiant d’une assurance médicament privée ou d’un régime d’avantage sociaux (les « consommateurs ayant une assurance privée »), des frais ou honoraires d’exécution ou de renouvellement d’ordonnance qui serait disproportionnés, déraisonnables et inéquitables par rapport à ceux facturés aux consommateurs couverts par le régime public d’assurance médicaments (« RPAM ») et ce, pour la même ordonnance et le même acte professionnel;
3. De doubler ou tripler les honoraires professionnels facturés lorsqu’une ordonnance est renouvelée pour deux ou trois mois pour les consommateurs ayant une assurance privée, comparativement aux consommateurs couverts par le RPAM pour la même ordonnance et le même acte professionnel et ce, malgré que le service professionnel rendu soit le même sans égard au type de régime d’assurance du consommateur.
[4] M. Côté soutient que les honoraires professionnels facturés par les défenderesses aux consommateurs ayant une assurance privée, même si ces honoraires peuvent varier d’une pharmacie à l’autre, sont généralement beaucoup plus élevés que ceux facturés en vertu du RPAM, pour une même ordonnance.
[5] À cet effet, il s’appuie sur son expérience personnelle[3], et produit divers mémoires, études ou articles[4] faisant état des situations qu’il dénonce.
[6] L’action collective proposée serait instituée au bénéfice des personnes faisant partie du groupe (le « groupe ») dont M. Côté fait lui-même partie et pour lequel il propose la description suivante :
Toutes les personnes au Québec qui, depuis le 25 octobre 2013 jusqu’au jugement final, bénéficiaient d’une assurance-médicaments privée ou d’un régime d’avantages sociaux, qui ont acheté des médicaments sur ordonnance dans une des pharmacies défenderesses dont le prix indiqué sur la facture ne divulgue pas les frais d’exécution et de renouvellement d’ordonnance facturés par le pharmacien.
[7] M. Côté expose qu’au Québec, depuis 1996, toute personne est couverte soit par le RPAM, soit par un régime d’assurance privé.
[8] Il précise que toute personne de moins de 65 ans, admissible à un régime privé offert par un employeur, une association ou un ordre professionnel, a l’obligation d’y adhérer pour la portion qui couvre les médicaments[5].
[9] Depuis 1998, 58% de la population québécoise serait couverte par un régime collectif privé. Les autres personnes (42%) sont couvertes par le RPAM. Cette répartition serait demeurée relativement constante depuis l’adoption du RPAM en 1996[6].
[10] C’est en octobre 2016 que M. Côté institue sa demande initiale pour faire autoriser l’action collective.
[11] Il invoque ne pas être capable d’obtenir de son pharmacien le montant d’honoraires professionnels facturés pour faire exécuter ses ordonnances. Il allègue apprendre au printemps 2016 que les pharmaciens facturent des frais qui sont amalgamés au prix du médicament, ce que confirmeraient des articles et reportages portant sur le même sujet.
[12] Un peu moins d’un an après l’institution de la demande initiale de M. Côté, soit depuis le 15 septembre 2017, les pharmaciens doivent, en raison d’un amendement à la Loi sur l’assurance médicaments[7], ventiler distinctement leurs honoraires professionnels pour chaque service rendu, le prix assumé par le régime général pour chaque médicament ou fourniture qu’il fournit ainsi que la marge bénéficiaire du grossiste, le cas échéant.
[13] Néanmoins, M. Côté maintient que les défenderesses demeurent fautives eu égard à leur obligation de divulguer les frais facturés car même en se conformant aux exigences de la Loi sur l’assurance médicaments depuis septembre 2017, l’information qu’elles fournissent ne permettrait pas de connaître le montant des frais facturés pour l’exécution et le renouvellement de l’ordonnance. À ce titre, M. Côté plaide que les défenderesses agissent en contravention de la LPC et en contravention du C.C.Q.[8].
[14] Plus
précisément, il invoque l’article
[15] Par ailleurs, il soulève que même après divulgation des frais, les défenderesses sont fautives car elles facturent aux consommateurs ayant une assurance privée, un tarif plus élevé que pour le RPAM lors du renouvellement d’ordonnance[9].
2.1 Le demandeur
[16] Monsieur Côté se décrit comme un consommateur qui, depuis juin 2014, achète ses médicaments chez la défenderesse Pharmacie Carole Bessette & Francis Gince, pharmaciens inc.
[17] Il soutient être en mesure d’assurer la représentation adéquate des membres du groupe proposé pour divers motifs[10], que le Tribunal résume de la manière suivante :
a) Son statut de professionnel, son éducation, sa connaissance des faits et les recherches préalables qu’il a effectuées justifient son recours et celui des membres du groupe;
b) Il a le désir et la capacité d’assister ses avocats pour agir comme représentant dans l’intérêt du groupe, tout en possédant un intérêt juridique né et actuel ainsi qu’une motivation personnelle à obtenir justice pour les membres du groupe;
c) Sa réclamation est identique aux réclamations de tous les membres du groupe, et est basée sur les mêmes fondements juridiques;
d) Ses intérêts ne sont pas divergents de ceux des autres membres du groupe, son propre recours bénéficiera aux autres membres du groupe;
e) Il a complété les documents nécessaires pour formuler une demande au Fonds d’aide aux actions collectives pour l’appuyer dans ses démarches.
[18] Depuis 1996, M. Côté est assuré par l’entremise du régime privé d’assurance médicale dont se prévaut son épouse. En vertu de la couverture de ce régime, l’assureur paie directement au pharmacien 80% du prix facturé et lui-même assume le solde de 20%.
2.2.1 Les défenderesses contreviendraient à la LPC et au CCQ
[19] M. Côté soutient que chaque fois qu’un membre du groupe achète un médicament, un contrat se forme entre le pharmacien et le membre à titre de consommateur. Ce contrat serait assujetti à la LPC et au CCQ.
[20] Il ajoute que même si les pharmaciens peuvent exercer une profession mixte en étant assujettis à un code de déontologie établi en vertu du Code des professions et en exploitant des commerces de pharmacie, leur façon de faire, notamment en ne permettant pas de connaître le montant des frais facturés pour l’exécution et le renouvellement de l’ordonnance, constituerait une indication claire que les pharmaciens se comportent comme des commerçants et non des professionnels. Il en serait ainsi parce que les pharmaciens laisseraient croire aux consommateurs qu’il n’y a aucun frais pour l’exécution et le renouvellement de l’ordonnance[11].
[21] Dans ce contexte, ils seraient assujettis à la LPC. Et, s’ils ne l’étaient pas, ils conserveraient néanmoins l’obligation d’indiquer, en tant que professionnels, le montant pour les frais d’exécution et de renouvellement d’ordonnances sur leurs factures[12].
[22] M. Côté plaide qu’en vertu de la LPC et du CCQ, le pharmacien doit mentionner de façon précise les frais qu’il facture, ce qui ne serait pas le cas, ni pour le demandeur ni pour les autres membres du groupe.
[23] Ainsi, la violation du droit du consommateur à une information complète, telle que la soulève M. Côté, serait l’assise de son action pour le premier type de faute reprochée, à savoir l’absence de divulgation des frais jusqu’en septembre 2017.
[24] Quant au second type de faute invoquée, à savoir des frais facturés différemment pour le même acte professionnel, puisque les frais facturés sont inférieurs dans le cas du RPAM comparativement aux consommateurs ayant une assurance privée, M. Côté plaide que les écarts de facturation constituent un traitement inéquitable et déraisonnable des membres du groupe comparativement au RPAM.
[25] Finalement, il allègue que les défenderesses, en facturant en double ou en triple pour le même acte professionnel lors du renouvellement de la même ordonnance pour une période de plus d’un mois, agissent de manière disproportionnée, déraisonnable, inéquitable et abusive à l’égard des membres du groupe, puisqu’elles factureraient trois ou quatre fois moins cher pour le même service aux consommateurs assujettis au RPAM[13].
2.2.2 Le préjudice et les dommages allégués
[26] M. Côté plaide que son droit à l’information complète garantie par la LPC et par le CCQ est violé et qu’il a dû payer des frais sans qu’ils ne lui soient divulgués.
[27] Ceci l’aurait empêché de faire un choix entre divers pharmaciens, ne connaissant pas les frais qu’il a payés. Il se verrait donc privé de la possibilité de comparer les frais facturés par les différents pharmaciens et donc, de choisir le meilleur prix.
[28] Il invoque également que tous les membres du groupe subissent le même préjudice car les pratiques reprochées seraient employées par toutes les pharmacies défenderesses[14].
[29] Ainsi, tous les membres du groupe seraient dans la même situation et devraient pouvoir réclamer, comme M. Côté, le remboursement des frais professionnels qu’ils ont payés en sus de ceux facturés à un consommateur assuré en vertu du RPAM pour l’exécution d’une ordonnance ou son (ses) renouvellement(s).
[30] Sur le plan des dommages pécuniaires, M. Côté estime à 1 283 540 $ par année les frais ou honoraires facturés de manière déraisonnable, disproportionnée et inéquitable par chacune des défenderesses.
[31] Au soutien de cette estimation, il formule l’hypothèse qu’en moyenne, chacune des défenderesses aurait facturé environ 10 $ de frais par ordonnance en excédent des frais facturés à un consommateur assuré en vertu du RPAM.
[32] Sur la base de l’information qu’une pharmacie franchisée de la bannière Jean Coutu remplit en moyenne 221 300 ordonnances par année, et que 58% de ces ordonnances sont rattachées aux membres du groupe proposé, il estime que chaque défenderesse aurait facturé en trop 1 283 540 $ par année pour ses services professionnels. Il multiplie par trois ce montant, pour couvrir la période des trois années couvertes par l’action. Sujet à parfaire lors de l’instruction, il réclame ainsi des défenderesses, des dommages de 3 850 620 $[15].
[33] M. Côté réclame également des dommages punitifs à hauteur de 25 $ par membre. Il soutient que les défenderesses doivent être punies pour la facturation exagérée de leurs frais. Il s’agirait d’une conduite répréhensible justifiant une condamnation à des dommages punitifs en vertu de la LPC[16].
2.2.3 Les questions similaires en fait et en droit et les conclusions recherchées
[34] Si l’action collective est autorisée, M. Côté demande au Tribunal de trancher les questions suivantes, qu’il identifie comme étant identiques, similaires ou connexes en faits et en droit et reliant chaque membre du groupe aux défenderesses:
Par rapport à la violation de la LPC
1. Est-ce que la transaction entre une pharmacie et un membre du groupe pour l’achat d’un médicament sur ordonnance est soumise à la Loi sur la protection du consommateur?
2. Si oui, est-ce que les frais du pharmacien doivent être divulgués de façon précise dans la facture remise au membre du groupe?
3. Est-ce que les frais facturés par le pharmacien aux membres du groupe sont déraisonnables, inéquitables et disproportionnés par rapport à ceux facturés aux consommateurs couverts par le régime public pour la même ordonnance et le même geste professionnel?
4. Si oui, est-ce que cela équivaut à de l’exploitation?
Par rapport à la violation du CCQ
5. Est-ce que la transaction entre une pharmacie et un membre du groupe pour l’achat d’un médicament sur ordonnance constitue un contrat soumis au CCQ?
6. Si oui, est-ce que les frais du pharmacien doivent être divulgués dans la facture remise au membre du groupe en vertu du devoir de renseignement et de la bonne foi contractuelle?
7. Est-ce que les frais facturés par le pharmacien au membre du groupe sont inéquitables, déraisonnables et/ou abusifs par rapport à ceux facturés aux consommateurs couverts par le régime public pour la même ordonnance et le même geste professionnel?
Par rapport à la violation des deux lois
8. Est-ce que l’exécution ou le renouvellement d’une ordonnance pour une période supérieure à un mois justifie des frais supérieurs?
9. Est-ce que les membres du groupe ont le droit au remboursement des frais facturés en excès de ceux prévus au RPAM compte tenu de la violation de la LPC et du CCQ.?
10. Si la responsabilité des défenderesses est engagée en vertu de la LPC, les membres du groupe ont-ils droit à des dommages punitifs? Si oui, à combien ont-ils droit?
[35] Les conclusions de l’action collective, telles que suggérées par M. Côté, se lisent ainsi :
- CONDAMNER les Défenderesses à rembourser au Demandeur et à chacun des membres les frais payés qui dépassent ceux prévus dans le RPAM pour le même geste professionnel;
- CONDAMNER les défenderesses à payer au Demandeur et à chacun des membres du groupe une somme de 25,00 $ à titre de dommages-intérêts punitifs;
- ORDONNER aux membres du groupe de rembourser leur compagnie d’assurance respective le même pourcentage des frais payés par ces dernières;
- CONDAMNER les Défenderesses à payer au
Demandeur et à chacun des membres les intérêts sur lesdites sommes puis
l’indemnité additionnelle prévue à l’article
- ORDONNER le recouvrement collectif des dommages;
- LE TOUT avec les frais de justice, y compris les frais d’avis, d’experts et d’administration.
[36] Les défenderesses soutiennent que l’action collective ne devrait pas être autorisée pour quatre catégories de motifs que le Tribunal regroupe ainsi[17]:
1.
Les questions communes proposées sont
insuffisantes pour satisfaire au critère des questions de droit ou de fait
identiques, similaires ou connexes au sens de l’article
2. M. Côté base son recours sur son insatisfaction personnelle face au système de prix des médicaments incluant les honoraires professionnels des pharmaciens. Il ne démontre pas d’apparence de droit à la base du recours proposé, en absence de faute civile, puisque :
i) Ce n’est que depuis septembre 2017 que la Loi sur l’assurance-médicaments impose la transparence dans la facturation;
ii) Les défenderesses, comme toutes les autres pharmacies du Québec, se sont conformées et se conforment à ce que le législateur a entériné, en prévoyant une différence de fonctionnement et de prix entre les régimes public et privé.
Conséquemment, M. Côté échoue à démontrer une apparence de droit, même en tenant les faits allégués pour vrais. Sa cause ne serait pas soutenable et ne présente pas de possibilité raisonnable ou réaliste de succès;
3. Le groupe tel que proposé serait irrecevable;
4. M. Côté ne constitue pas un représentant adéquat car :
i) il ne démontre pas prima facie un recours personnel valide puisqu’il est incapable de démontrer avoir lui-même payé plus cher pour ses médicaments que sous le RPAM;
ii) son recours est sans objet depuis la modification à la Loi sur l’assurance médicaments effective depuis septembre 2017 et imposant aux pharmaciens la transparence dans leur facturation.
3. LES PRINCIPALES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES
[37] L’adjudication de la présente demande d’autorisation implique essentiellement de considérer les dispositions législatives dont le texte est le suivant :
Critères d’autorisation d’une action collective (Code de procédure civile du Québec (« C.p.c. »))
574. Une personne ne peut exercer l'action collective qu'avec l'autorisation préalable du tribunal.
La demande d’autorisation indique les faits qui y donnent ouverture et la nature de l'action et décrit le groupe pour le compte duquel la personne entend agir. Elle est signifiée, avec un avis d'au moins 30 jours de la date de sa présentation, à celui contre qui elle entend exercer l'action collective.
La demande d’autorisation ne peut être contestée qu'oralement et le tribunal peut permettre la présentation d'une preuve appropriée.
575. Le tribunal autorise l'exercice de l'action collective et attribue le statut de représentant au membre qu'il désigne s'il est d'avis que:
1° les demandes des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes;
2° les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées;
3° la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l'application des règles sur le mandat d'ester en justice pour le compte d'autrui ou sur la jonction d'instance;
4° le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d'assurer une représentation adéquate des membres.
576. Le jugement d'autorisation décrit le groupe dont les membres seront liés par le jugement et désigne le représentant; il identifie les principales questions qui seront traitées collectivement et les conclusions recherchées qui s'y rattachent. Le cas échéant, il décrit les sous-groupes constitués et détermine le district dans lequel l'action sera introduite.
Il ordonne la publication d'un avis aux membres; il peut aussi ordonner au représentant ou à une partie de rendre accessible aux membres de l'information sur l'action notamment par l'ouverture d'un site Internet.
Le jugement détermine également la date après laquelle un membre ne pourra plus s'exclure du groupe. Le délai d'exclusion ne peut être fixé à moins de 30 jours ni à plus de six mois après la date de l'avis aux membres. Ce délai est de rigueur; néanmoins, un membre peut, avec la permission du tribunal, s'exclure après ce délai s'il démontre qu'il a été, en fait, dans l'impossibilité d'agir plus tôt.
La faute civile (Code civil du Québec (« C.C.Q. »))
1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.
Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.
Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde.
Loi sur la protection du consommateur (RLRQ, c. P-40.1)
219. Aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut, par quelque moyen que ce soit, faire une représentation fausse ou trompeuse à un consommateur.
4.ANALYSE ET DISCUSSION
4.1 Les principes applicables à l’autorisation d’une action collective
[38] En tant que véhicule procédural, l’action collective poursuit divers objectifs dont notamment celui de faciliter l’accès à la justice, de modifier des comportements préjudiciables et d’économiser des ressources judiciaires[18]..
[39] Au moment de l’autorisation, tenant pour avérés les faits allégués[19],, le rôle du juge consiste à assurer une fonction de filtrage afin d’éviter que des parties défenderesses aient à contester sur le fond des réclamations insoutenables[20]. Serait ainsi écartée une action manifestement frivole ou mal fondée[21], qui ne présente pas une apparence sérieuse de droit et dont les faits allégués, tenus pour avérés, seraient moins probables que leur inexistence[22].
[40]
Il s’agit donc, pour décider de la présente demande d’autorisation, de
déterminer si l’action collective proposée par Monsieur Côté respecte les
critères d’autorisation formulés à l’article
[41] À l’étape de l’autorisation, le Tribunal n’a pas à se prononcer sur le bien fondé des conclusions recherchées par Monsieur Côté.
4.2 Les faits qui donnent ouverture à l’action et la nature de celle-ci
[42]
L’article
[43]
À cet égard, le Tribunal considère les faits contenus dans la demande,
dans les pièces au soutien de celle-ci ou dans la preuve autorisée en vertu de
l’article
[44] En l’espèce, le Tribunal constate que la demande d’autorisation de M. Côté contient les indications requises.
4.3
L’action soulève des questions de droit et de faits
identiques, similaires ou connexes
[45] Il est établi que la présence d’une seule question de droit identique, similaire ou connexe est suffisante[24].
[46] M. Côté s’appuie sur ce principe, énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt Vivendi Canada inc. c. Dell’Aniello[25], pour justifier sa demande d’autorisation, rappelant que ce principe vaut même s’il peut demeurer des questions individuelles à résoudre à la fin du processus, notamment parce que les circonstances varient d’un membre du groupe à l’autre.
[47] Dans Vivendi, la Cour suprême écrit que le juge d’autorisation n’a pas à vérifier s’il existe des réponses communes et doit se limiter à vérifier l’existence de questions communes qui permettrait de faire avancer la solution du litige. À cet égard, le seuil requis pour conclure à la présence de questions communes au stade de l’autorisation est peu élevé, et il n’est pas requis que la question formulée permette une résolution complète du litige[26].
[48] Ainsi, il n’est pas nécessaire que chaque membre du groupe présente une position identique ou similaire face aux défenderesses ou quant au préjudice subi[27], ni que les réponses à la question commune soient les mêmes[28]..
[49] M. Côté plaide également les propos tenus par la Cour d’appel dans l’arrêt Asselin c. Desjardins Cabinet de services financiers inc.[29] en invoquant qu’il lui suffit de présenter une cause soutenable, ayant une chance de réussite, sans avoir toutefois à démontrer une possibilité raisonnable ou réaliste de succès.
[50] Le Tribunal peut adopter une conception souple de l’intérêt commun liant les membres du groupe[30] aux fins de déterminer l’existence de la faute et d’évaluer si le remède recherché - soit de rembourser aux membres du groupe proposé les frais professionnels excédentaires à ceux facturés en vertu du RPAM et l’octroi de dommages punitifs - est adéquat.
[51] En l’espèce, les défenderesses plaident l’absence de questions communes véritables parce que les réclamations ne présenteraient pas un dénominateur commun justifiant l’exercice d’une action collective au bénéfice de tous les membres du groupe proposé[31].
4.3.1 Les questions communes - La multitude de facteurs personnels ou subjectifs propres à chacun des membres fait-elle obstacle à l’action collective ?
[52] Les défenderesses soutiennent qu’une multitude de facteurs individuels peuvent influer sur le préjudice subi et que la situation juridique de chacun des membres, incluant M. Côté, est différente.
[53] Les défenderesses donnent en exemple les facteurs suivants : les médicaments que les membres consomment et achètent, leur préférence pour des médicaments d’origine ou génériques, leur profil pharmacologique personnel et variable dans le temps, le pourcentage pour lequel l’assureur d’un membre spécifique le rembourse pour ses médicaments, le changement d’assureur d’un membre durant la période pertinente au litige, la pharmacie où ils se les procurent, et l’exercice de leur libre choix pour décider d’acheter leurs médicaments à une pharmacie plutôt qu’une autre, le prix étant un facteur parmi d’autres considérations personnelles et subjectives.
[54] De plus, pour démontrer qu’il lui en coûte plus cher annuellement pour ses médicaments qu’en vertu du RPAM, M. Côté inclut le montant de sa prime d’assurance au total du coût de ses médicaments[32]. Dans ce contexte, il faudrait alors tenir compte du coût de la prime pour chacun des membres.
[55] Ainsi, les défenderesses soutiennent qu’il sera impossible de déterminer le préjudice pour chaque membre s’étant vu facturer des frais professionnels excédentaires à ceux en vertu du RPAM, sans procéder au fond à l’examen individualisé de son cas[33].
[56] Par ailleurs, selon les défenderesses, même si le droit à l’information des membres du groupe était nié par l’absence de transparence de la facturation avant septembre 2017, le recours ne saurait être autorisé car même s’il y avait faute, un dommage ne saurait être accordé en l’absence de préjudice. Et à cet égard, les défenderesses soutiennent que dans un cas comme celui en l’espèce, le préjudice ne pourrait être présumé, ni son étendue[34] et que tel préjudice devra tenir compte de l’appréciation subjective de chacun des membres.
[57] Pour examiner les prétentions des défenderesses au stade de l’autorisation, il faut analyser chacune des questions communes proposées par M. Côté pour déterminer si cette multitude de facteurs personnels ou subjectifs empêche ou non que ces questions communes soient débattues dans le cadre d’une action collective.
[58] Les questions 1 et 5 visent à faire déterminer si la transaction entre une pharmacie et un membre du groupe pour l’achat de médicaments d’ordonnance est soumise à la LPC ou au CCQ. Les questions 2 et 6 visent à déterminer si les frais du pharmacien devaient - avant septembre 2017 - être divulgués de façon précise dans la facture remise au membre. Or, ces questions peuvent être traitées collectivement car elles n’impliquent pas la considération de facteurs personnels ou subjectifs propres à chacun des membres pour qu’on y réponde, non plus que la question 8 de savoir si l’exécution ou le renouvellement d’ordonnance pour une période supérieure à un mois justifie des frais professionnels supérieurs.
[59] Ces questions sont communes à l’ensemble des membres. À leur égard, M. Côté démontre une apparence sérieuse de droit pour lui-même et les consommateurs ayant une assurance privée, à faire déterminer quelles dispositions législatives régissent le contrat par lequel un consommateur se procure des médicaments d’ordonnance auprès d’une pharmacie qui les lui vend.
[60] Ces questions sont également communes pour ensuite déterminer si la façon de faire des défenderesses est contraire ou non à leurs obligations légales envers un membre et ce, tant depuis le 23 octobre 2013 qu’en considérant de l’obligation de transparence imposée aux pharmaciens depuis septembre 2017 par la modification apportée à la Loi sur l’assurance médicaments.
[61] Au premier regard, la situation semble moins limpide ou évidente en ce qui a trait aux questions 3, 4, 7, 9 et 10. Ces questions visent à déterminer :
- si la facturation des pharmaciens à l’égard des membres est déraisonnable, inéquitable, disproportionnée ou abusive par rapport à la facturation en vertu du RPAM (questions 3 et 7);
- si cette facturation peut constituer de l’exploitation au sens de la LPC (question 4);
- si les membres devraient avoir droit à un remboursement pour violation de la LPC ou du CCQ (question 9) ou finalement à des dommages punitifs en vertu de la LPC (question 10).
[62] Toutefois, M. Côté soutient que ces aspects demeurent néanmoins déterminables au moyen de l’action collective, tel que l’a prévu le législateur aux articles 599 à 601 C.p.c.[35] concernant le recouvrement individuel.
[63] Le Tribunal est d’accord. Même si M. Côté n’explicite pas comment il choisit de chiffrer les dommages à 10$ par ordonnance pour compenser la facturation excédentaire, et que par ailleurs certains membres pourraient en bout d’exercice ne pas avoir subi de préjudice ou avoir droit à une compensation, ou encore que certains facteurs puissent influer sur la détermination et la quantification du préjudice pour les membres individuellement, ces aspects ne sont pas un empêchement fatal à l’action collective dans le présent cas.
[64] En ce qui a trait à la LPC, bien que les défenderesses soutiennent que M. Côté n’offrirait pas un minimum d’allégations permettant de démontrer l’exploitation au sens de l’article 8 LPC[36], le Tribunal conclut au contraire qu’il offre une preuve prima facie documentaire suffisante, au stade de l’autorisation, de la disproportion entre les honoraires professionnels facturés aux consommateurs ayant une assurance privée et ceux facturés en vertu du RPAM.
[65] Cette preuve prima facie peut se faire par des moyens indirects[37]. En l’espèce, non seulement M. Côté fait-il état d’un écart de facturation marqué dans son propre cas pour certains médicaments[38], mais il soumet divers autres sources d’information illustrant que l’écart moyen serait de 17% plus cher pour les consommateurs ayant une assurance privée[39], et pourrait dans certains cas s’élever jusqu’à 290%[40].
[66] Finalement, le Tribunal écarte l’argument des défenderesses que le recours de M. Côté basé sur la LPC serait voué à l’échec parce que l’article 12 LPC[41] ne trouverait pas ici application. Les défenderesses formulent cet argument sur la base de leur prétention que la situation dénoncée par M. Côté n’en serait pas une de frais cachés[42], mais d’une absence de divulgation détaillée des honoraires professionnels des pharmaciens sur leurs factures.
[67]
De telles qualifications, aux fins de déterminer de l’applicabilité ou
non de l’article
[68] L’action collective servira à déterminer si les défenderesses respectent leurs obligations en vertu de la LPC ou du CCQ et, en cas de non-respect, de décider des dommages, le cas échéant, devraient être payés aux membres.
[69]
À l’étape du fond, même en l’absence d’exploitation au sens de la LPC,
le Tribunal pourrait conclure, si la preuve s’avérait à cet effet, que les
défenderesses ne respectent pas la norme d’équité prévue à l’article
[70] Les défenderesses plaident que leur pratique de facturation est conforme aux diverses ententes auxquelles elles sont assujetties[44]. Eu égard à cette prétention, le Tribunal devra notamment examiner lors de l’audition au fond, si la pratique de facturation des défenderesses respecte l’objet de la Loi sur l’assurance médicaments, soit celui d’assurer à l’ensemble de la population du Québec un accès raisonnable et équitable aux médicaments[45], et si telle pratique est conforme au Code de déontologie des pharmaciens. Celui-ci prévoit qu’un pharmacien doit demander un prix juste et raisonnable pour ses services pharmaceutiques[46] et ne doit pas multiplier sans raison suffisante des actes professionnels[47].
[71]
Vu ce qui précède, la demande d’autorisation, telle que présentée,
satisfait aux exigences du premier paragraphe de l’article
4.4 L’apparence de droit
[72]
En vertu du second paragraphe de l’article
[73] Bien que le fardeau en demande soit léger, Monsieur Côté ne peut se limiter à alléguer que parce qu’il existe une faute, un préjudice en découle nécessairement.
[74] Par contre, ce fardeau n’exige pas non plus la démonstration d’une probabilité de la faute ou du préjudice allégués[48].
[75] Sur l’aspect de l’absence de divulgation des frais et de la facturation plus élevée des services professionnels pour les consommateurs ayant une assurance privée, les allégations et les pièces au soutien de la demande d’autorisation constituent une démonstration que les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées.
[76] D’ailleurs, l’analyse des questions communes et des moyens annoncés par M. Côté à leur égard, à laquelle le Tribunal procède à la section 4.3.1 du présent jugement, le confirme.
[77] N’y change rien que les coûts personnels de médicaments de M. Côté pour l’année 2016, si on exclut le coût de sa prime d’assurance, soient moindre qu’en vertu du RPAM[49]. En effet, afin de démontrer que les consommateurs ayant une assurance privée paient leurs médicaments plus chers qu’en vertu du RPAM, il s’appuie sur des données montrant qu’en moyenne, pour le même médicament acheté à la même pharmacie, « … nos assurés paient au moins 17% de plus que s’ils étaient assurés auprès du volet public du RGAM et 37% de plus s’il s’agit du médicament générique »[50].
[78] Ceci dit, le Tribunal ne peut ajouter aux frais de médicaments de M. Côté, tel que celui-ci le suggère à son tableau, le coût de sa prime annuelle d’assurance médicaments de 1 537,21 $ pour arriver à la conclusion que globalement, ses médicaments lui reviennent personnellement à un coût de 34,15 $ plus cher par année qu’en vertu du RPAM pour lequel sa prime annuelle ne serait que de 877,21 $.
[79] Le coût de la prime ne saurait être considéré puisque l’ensemble du recours est dirigé contre les défenderesses eu égard à leur facturation. Or, la relation contractuelle assuré-assureur constitue un contrat distinct de celui pouvant exister entre les membres du groupe et les défenderesses. Dans ce contexte, il serait incohérent d’inclure dans les coûts des médicaments de M. Côté ou des membres, le prix de leur prime d’assurance.
[80] Ainsi, M. Côté ne peut démontrer prima facie que dans son cas personnel à tout le moins, l’existence de l’ensemble des éléments du syllogisme, à savoir qu’en tant que consommateur ayant une assurance privée, il paierait lui-même ses médicaments plus chers qu’en vertu du RPAM et que conséquemment, l’ensemble des membres paieraient également leurs médicaments plus chers qu’en vertu du RPAM. Toutefois, M. Côté réussit à faire la démonstration prima facie qu’en moyenne et tel que documenté, les consommateurs ayant une assurance privée paient plus chers pour les services professionnels des pharmaciens, qu’en vertu du RPAM.
[81]
Comme autre argument, les défenderesses soutiennent que le recours de M.
Côté serait voué à l’échec, faute d’apparence de droit, parce que les
pharmaciens fournissent, depuis septembre 2017, une facturation transparente
conformément à l’article
[82] Or, cet argument doit être écarté. Le fait qu’une partie se conforme à certaines dispositions législatives ou réglementaires spécifiques ne l’exonère pas nécessairement pour autant de respecter d’autres principes plus généraux applicables en matière de contrat civil ou de protection du consommateur.
[83] À cet égard, mentionnons que dans le cadre de l’analyse des critères d’autorisation, le doute s’il en est un quant à l’existence de l’apparence de droit, doit bénéficier à la partie requérante[51] .
4.5 La composition du groupe exige-t-elle une action collective ?
[84]
Il s’agit du troisième critère d’autorisation prévu à l’article
[85]
Le Tribunal doit vérifier si la composition du groupe rend difficile ou
peu pratique l’application des règles sur le mandat d’ester en justice pour le
compte d’autrui (art.
[86] Les défenderesses soumettent que le groupe proposé est irrecevable car il serait arbitraire et abusif et n’aurait aucun lien rationnel avec les questions communes invoquées[52].
[87] À ce sujet, les défenderesses critiquent la méthode suivie par M. Côté pour procéder au choix des 22 pharmacies défenderesses. Il appert qu’il a effectué ce choix avec le concours de son avocat, en les sélectionnant arbitrairement parmi un répertoire des pharmacies au Québec, et que son recours pourrait aussi bien viser l’ensemble des pharmacies sur l’ensemble du territoire québécois[53].
[88] Les défenderesses soutiennent que la sélection de ces 22 pharmacies faisant partie des réseaux Uniprix, Pharmaprix et Jean Coutu, tel qu’effectuée par M. Côté dont l’objectif serait de cibler des grossistes de médicaments au Québec, a pour conséquence d’exclure comme défenderesses au recours d’autres chaînes de pharmacies bien connues. Par le fait même, des membres potentiels pouvant bénéficier de l’action collective seraient exclus, à savoir les clients de ces autres chaînes ou pharmacies.
[89] Les défenderesses plaident que la complexité additionnelle que représenterait pour M. Côté de poursuivre l’ensemble des pharmacies ou bannières, n’est pas un motif valable pour justifier la sélection retenue, puisqu’en l’espèce, c’est la liste des défenderesses qui permet de définir le groupe des membres.
[90] Au surplus, la sélection retenue ne se base sur aucun critère rationnel, ou du moins M. Côté n’en a révélé aucun.
[91] De plus, le groupe tel que proposé par M. Côté, inclurait forcément des membres dont le coût personnel en médicaments serait inférieur à celui en vertu du RPAM, comme cela est d’ailleurs le cas pour M. Côté lui-même en 2016, ou encore des membres indifférents aux questions soulevées.
[92] Finalement, les défenderesses invoquent que les conclusions recherchées entraîneraient leur faillite et ce, sans même considérer celles concernant les dommages punitifs.
[93] Somme toute, selon les défenderesses, le groupe des membres tel que proposé serait trop vaste, ce qui poserait notamment problème pour déterminer ceux qui en seraient exclus, et que celui formé par les défenderesses serait trop restreint.
[94] Qu’en est-il ?
[95] En l’espèce, le groupe des membres tel que proposé vise à permettre de participer au recours à toutes les personnes au Québec qui, depuis le 25 octobre 2013 jusqu’au jugement final, bénéficiaient d’une assurance médicaments privée ou d’un régime d’avantages sociaux, qui ont acheté des médicaments sur ordonnance dans une des pharmacies défenderesses.
[96] En principe, si l’on retient que selon les statistiques citées par M. Côté, 58% de la population au Québec bénéficie d’une assurance médicaments privée ou d’un régime d’avantage sociaux, l’on peut envisager que le groupe des membres, tel que proposé, vise à inclure 58% des clients des défenderesses qui achètent des médicaments sur ordonnance depuis le 25 octobre 2013.
[97] Le Tribunal ne voit pas en quoi ce groupe, tel que défini, poserait problème pour l’exclusion. L’inclusion ou l’exclusion du membre n’implique pas d’appréciation arbitraire. Afin d’avoir le statut de membre, toute telle personne devra démontrer, pour la période pertinente, avoir été bénéficiaire d’une assurance médicaments privée ou d’un régime d’avantages sociaux, et avoir acheté des médicaments d’ordonnances des défenderesses ou de l’une ou plusieurs d’entre elles. Autrement, une personne est exclue du groupe. Les membres du groupe détiennent par ailleurs l’option de s’exclure de l’action collective.
[98] Même si la période peut être considérée longue temporellement (2013 jusqu’au jugement final), et si la définition du groupe peut inclure une portion importante de la clientèle des défenderesses, ces motifs ne font pas obstacle à la composition du groupe telle que proposée. Cette définition permet de circonscrire les membres visés par les questions de faits et de droit semblables soulevées par le recours.
[99] Contrairement à la situation dans l’affaire Pierard[54], nous ne sommes pas devant un cas où il devient difficile de déterminer qui est un membre ou qui ne l’est pas.
[100] En l’espèce, distinctement à l’action individuelle qui ne permettrait d’analyser les faits reprochés qu’eu égard à M. Côté, l’action collective permet, en une seule instance, de disposer des questions de fond soulevées en tenant compte des variables pertinentes qui peuvent différer d’un membre à l’autre.
[101] Le Tribunal ne modifie donc pas la composition du groupe telle que proposée.
[102] Dans un contexte où Monsieur Côté allègue que toutes les défenderesses, voire tous les pharmaciens exploitant une pharmacie, se livreraient à des pratiques de facturation de leurs honoraires professionnels contraires à la LPC ou au C.C.Q., il semble préférable de procéder par action collective pour justement éviter aux défenderesses, individuellement ou collectivement, d’avoir à se défendre à des actions individuelles multiples, le cas échéant.
[103] Par ailleurs, les reproches formulés à l’égard du processus de sélection retenu par M. Côté pour le choix des défenderesses poursuivies, ne sont pas pertinents. Il aurait pu demander de faire autoriser son action à l’endroit d’un nombre moindre ou supérieur à 22 pharmacies. Au Québec, rien n’oblige qu’une action collective ne soit autorisées que si tous les défendeurs potentiels de la catégorie visée sont poursuivis dans le cadre du même recours.
[104] Quant aux conséquences financières possibles de l’action collective pour les défenderesses, elles ne font pas partie des critères que doit examiner le Tribunal au stade de l’autorisation. Le Tribunal écarte donc les arguments soulevés à cet égard.
[105] Ainsi, le
critère du troisième paragraphe de l’article
4.6 M. Côté est-il un représentant adéquat ?
[106] Même si le représentant n’est pas en mesure de démontrer qu’il subit lui-même tous et chacun des préjudices allégués, il peut néanmoins s’avérer un mandataire par qui les membres accepteraient d’être représentés, compte tenu de son intérêt dans le recours proposé, sa compétence et l’absence de conflit l’empêchant d’agir[55].
[107] Les défenderesses prétendent que M. Côté aurait abandonné à toutes fins utiles sa réclamation pour remboursement de frais d’exécution et de renouvellement d’ordonnance prétendument payés en trop et que son seul but en l’instance était d’obtenir la transparence de la facturation de la part des pharmaciens. Elles invoquent à cet effet un extrait de l’interrogatoire hors-Cour de M. Côté[56], et considèrent que la transparence imposée aux pharmaciens dans la facturation de leurs honoraires depuis septembre 2017 met fin au débat.
[108] Cependant, le Tribunal ne peut, avant l’instruction au fond de la cause, tirer des propos de M. Côté, la même conclusion que celle à laquelle arrivent les défenderesses, lorsque M. Côté affirme « Moi, je suis simplement sur une chose : je veux que l’ensemble des gens qui sont dans le régime privé aient une transparence pour qu’ils puissent négocier leurs médicaments. C’est tout. C’est seulement ça que je veux. (…) »[57]. Ce passage est isolé et afin d’être apprécié correctement, il doit être placé dans son contexte, avec l’ensemble de la preuve au procès.
[109] D’ailleurs, cette affirmation de M. Côté est faite alors que l’avocat qui l’interrogeait pour certaines des défenderesses, lui suggérait qu’il trouvait injuste que lui, étant couvert par une assurance privée, se trouve à payer plus cher que les bénéficiaires de l’assistance sociale[58]. C’est à la suite de cette suggestion que M. Côté affirme que ce qu’il réclame, c’est la transparence dans les prix facturés et ce qu’ils incluent. Il serait donc prématuré de conclure que par cette seule réponse, M. Côté aurait abandonné l’ensemble des questions communes soulevées par son recours.
[110] En l’espèce, le Tribunal conclut que M. Côté démontre au stade de l’autorisation, qu’il respecte le quatrième critère de l’article 575 C.p.c et qu’il fait lui-même partie du groupe qu’il demande à représenter[59]. Son recours personnel n’est ni inexistant, ni extrêmement faible[60]. Les résultats de l’analyse à laquelle le Tribunal a procédé quant au critère de l’apparence de droit le confirment.
[111] Il y a lieu d’autoriser l’action collective.
4.7
Les conclusions recherchées (art.
[112] Les conclusions recherchées par M. Côté se rattachent aux questions communes autorisées, à l’exception de celle visant à ordonner aux membres du groupe de rembourser leur compagnie d’assurance respective le même pourcentage des frais payés par celle-ci.
[113] En l’espèce, l’action collective et les moyens invoqués au soutien de celle-ci, visent à rembourser ou indemniser les membres, s’il y a lieu. Or, la composition du groupe des membres n’inclut aucun assureur, et les assureurs ne sont pas partie aux procédures. Il n’y a donc pas lieu de faire droit à cette conclusion pour les fins de l’action collective que le présent jugement autorise.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[114] ACCUEILLE la demande d’autorisation d’exercer une action collective;
[115] ATTRIBUE au demandeur Bernard Côté le statut de représentant, aux fins d’exercer le recours collectif proposé pour le compte du groupe ci-après décrit :
«Toutes les personnes au Québec qui, depuis le 25 octobre 2013 jusqu’au jugement final, bénéficiaient d’une assurance médicaments privée ou d’un régime d’avantages sociaux, qui ont acheté des médicaments sur ordonnance dans une des pharmacies défenderesses »;
[116] IDENTIFIE Monsieur Bernard Côté à titre de personne désignée;
[117] IDENTIFIE comme suit les principales questions de faits et de droit qui seront traitées collectivement :
Par rapport à la violation de la LPC
a) est-ce que la transaction entre une pharmacie et un membre du groupe pour l’achat d’un médicament sur ordonnance est soumise à la Loi sur la protection du consommateur?
b) Si oui, est-ce que les frais du pharmacien doivent être divulgués de façon précise dans la facture remise au membre du groupe?
c) Est-ce que les frais facturés par le pharmacien au membre du groupe sont déraisonnables, inéquitables et disproportionnés par rapport à ceux facturés aux consommateurs couverts par le RPAM pour la même ordonnance et le même geste professionnel?
d) Si oui, est-ce que cela équivaut à de l’exploitation?
Par rapport à la violation du Code civil du Québec
e) Est-ce que la transaction entre une pharmacie et un membre du groupe pour l’achat d’un médicament sur ordonnance constitue un contrat soumis au Code civil du Québec?
f) Si oui, est-ce que les frais du pharmacien doivent être divulgués dans la facture remise au membre du groupe en vertu du devoir de renseignement et de la bonne foi contractuelle?
g) Est-ce que les frais facturés par le pharmacien au membre du groupe sont inéquitables, déraisonnables et/ou abusifs par rapport à ceux facturés aux consommateurs couverts par le RPAM pour la même ordonnance et le même geste professionnel?
Par rapport à la violation des deux lois
h) Est-ce que l’exécution ou le renouvellement d’une ordonnance pour une période supérieure à un mois justifie des frais supérieurs?
i) Est-ce que les membres du groupe ont le droit au remboursement des frais facturés en excès de ceux prévus aux RPAM compte tenu de la violation de la LPC et du CCQ.?
j) Si la responsabilité des défenderesses est engagée en vertu de la LPC, les membres du groupe ont-ils droit à des dommages-intérêts punitifs? Si oui, à combien ont-ils droit?
[118] IDENTIFIE comme suit les conclusions recherchées qui s’y rattachent :
· CONDAMNER les Défenderesses à rembourser au Demandeur et à chacun des membres les frais payés qui dépassent ceux prévus dans le RPAM pour le même geste professionnel;
· CONDAMNER les Défenderesses à rembourser au Demandeur et à chacun des membres du groupe une somme de 25 $ à titre de dommages-intérêts punitifs;
·
CONDAMNER les Défenderesses à payer au Demandeur et à chacun
des membres les intérêts sur lesdites sommes plus l’indemnité additionnelle
prévue à l’article
· ORDONNER le recouvrement collectif des dommages;
· LE TOUT avec les frais de justice, y compris les frais d’avis, d’experts et d’administration;
[119] DÉCLARE qu’à moins d’exclusion, les membres du groupe seront liés par tout jugement à être rendu sur l’action collective de la manière prévue par la loi;
[120] FIXE le délai d’exclusion à 30 jours après la date de publication de l’avis aux membres, délai à l’expiration duquel les membres du groupe qui ne se seront pas exclus seront liés par tout jugement à intervenir;
[121] ORDONNE la publication d’un avis dont les modalités seront précisées au terme d’une audition à venir et convoquée ultérieurement;
[122] ORDONNE que la présente action collective soit entendue dans le district de Montréal;
[123] LE TOUT, frais de justice à suivre.
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__________________________________ MARIE-CLAUDE ARMSTRONG, J.C.S. |
Me Gilles Gareau et Me Fredy Adams ADAMS GAREAU |
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Avocats du Demandeur |
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Me Kristian Brabander et Me Gabrielle Baracat MCCARTHY TÉTRAULT |
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Avocats des Défenderesses : Pharmacie Carole Bessette & Francis Gince, Pharmaciens inc. (Uniprix) et al. - Marc Dontigny Pharmaciens - Les Distributions Stéphane Fiset inc. - Pharmacie Joyal et René-Henri - Société commerciale Mont-Royal - Pharmacie Kevin Boivin et al. - Société Jean Coutu (Groupe neuf) |
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Me Cris Semerjian FASKEN MARTINEAU |
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Avocats-conseil des Défenderesses : 9232-4623 Québec inc. - 9328-3141 Québec inc. - 9213-4196 Québec inc. - 9096-7936 Québec inc. Les Entreprises Saliem inc. |
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MeClaude Marseille et Me Ariane Bisaillon BLAKE CASSELS & GRAYDON |
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Avocats des Défenderesses : Pharmacie Tania Kanou - Pharmacie Bitar et al. - Pharmacie Dolorian et al. - Heng Mui Chang et al. - Pharmacie Patrick Bouchard et al. - Karim Chata et al. - Pharmacie François Jean-Coutu inc - Pharmacie Louis Michaud |
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Me Denis Godbout LEGAULT JOLY THIFFAULT |
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Avocats des Défenderesses : 2733-1172 Québec inc. - Pharmacie Gilles Lalonde
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Dates d’audience : |
6 décembre 2017 et 12 avril 2018 |
[1] Selon sa demande modifiée pour obtenir l’autorisation d’exercer une action collective datée du 3 novembre 2017, remodifiée verbalement le 6 décembre 2017 quant à son paragraphe 106 (voir procès-verbal du 6 décembre 2017, p. 2/4).
[2] RLRQ, c. P-40.1.
[3] Par. 85.2 de la Demande d’autorisation modifiée; D-3 et P-37;
[4] Notamment : Mémoire daté du 10 mai 2016 de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personne du Québec (L’ACCAP), présenté à la Commission de la santé et des services sociaux (P-25); Article de Stéphanie Grammond du journal La Presse paru le 26 juillet 2016 (P-27); Article d’Alain Thériault daté du 20 juillet 2016 paru sur le site de journal-assurances.ca (P-29); Article de Steve Therrien du 16 février 2015 paru sur le site monpharmacien.ca (P-32); Enquête sur le prix des médicaments du magazine Protégez-vous d’octobre 2017 (P-40); Article de Pierre Pelchat du quotidien Le Soleil en date du 10 juillet 2014, paru sur le site de lapresse.ca (P-34).
[5] P-23.
[6] P-24, p.9.
[7]
Art.
[8] Par. 112 à 155 de la Demande d’autorisation modifiée du 3 novembre 2017; P-33.
[9] Par. 85.2 de la Demande d’autorisation modifiée.
[10] Par. 152 de la Demande d’autorisation modifiée.
[11] Par. 114.1 de la Demande d’autorisation modifiée.
[12] Par. 110.1 et 110.2 de la Demande d’autorisation modifiée.
[13] P-33 et D-3.
[14] Par. 102 de la Demande d’autorisation modifiée.
[15] Par. 85.1, 103 à 107 de la Demande d’autorisation modifiée.
[16] Par. 126 à 131 de la Demande d’autorisation modifiée.
[17] À partir des plans d’argumentation des défenderesses.
[18]
Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello,
[19]
Infineon Technologies AG c. Option Consommateurs,
[20] Ibid, note 18, par. 37 et note 19, par. 59 et 61.
[21]
Rouleau c. Canada (procureur général),
[22] Denis FERLAND et BENOÎT EMERY, Précis de procédure civile du Québec, Vol. 2, 5e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, p.637 à 639.
[23]
Option consommateurs c. Bell Mobilité,
[24]
Infineon Technologies AG c. Option consommateurs,
[25] Ibid note 18, par.58 à 72.
[26] Ibid note 18, par. 58, 72 et 73.
[27] Ibid, note 18, par 73.
[28] Ibid, note 18, par. 51.
[29]
[30] Pierre-Claude LAFOND, Le recours collectif comme voie d’accès à la justice pour les consommateurs, Montréal, Éditions Thémis, (1996), p. 408.
[31]
Vermette c. Général Motors du Canada ltée,
[32] P-42 : tableau illustrant les montants payés par M. Côté pour ses médicaments en 2016 en comparant sa situation réelle avec son régime privée SSQ et une simulation s’il était assujetti au RPAM.
[33]
Labelle c. Agence de développement de réseaux locaux de services de
santé et de services sociaux - région de Montréal,
[34]
Harmegnies c. Toyota Canada inc.
[35]
Art.
Art
Art.
[36]
Art.
[37]
Paquin-Charbonneau c. Société des casinos du Québec inc.,
[38] P-33; D-3 (p.36).
[39] P-39.
[40] P-40.
[41]
Art.
[42]
Banque Amex du Canada c. Adams,
[43]
Art.
[44] Entente entre l’Association québécoise des pharmaciens propriétaire et le ministre de la Santé et des Services sociaux signée le 23 septembre 2015, D-3; Entente entre Santé Canada, Anciens Combattants Canada, Gendarmerie Royale du Canada et Défense nationale et l’Association québécoise des pharmaciens propriétaire (AQPP) 2014-2017, D-4; Entente entre l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires et la Société de l’assurance automobile du Québec en qualité de fiduciaire du Fonds d’assurance automobile du Québec relativement au système de remboursement automatisé des médicaments couverts par l’assurance automobile signée le 28 avril 2014, D-5.
[45] Loi sur l’assurance médicaments, art. 2.
[46] Code de déontologie des pharmaciens, RLRQ c. P-10, r.7, art. 47.
[47] Ibid note 46, art. 77.
[48]
Harmegnies c. Toyoto Canada
inc.
[49] P-42.
[50] Par. 64 et 65 de la Demande d’autorisation modifiée, référant à des extraits du mémoire de l’ACCAP (P-25).
[51]
Rouleau c. Canada (Procureur général),
[52] Plan d’argumentation de Me Marseille, par.29.
[53] Transcription de l’interrogatoire de M. Côté du 2 octobre 2017, pp. 10-15.
[54]
Pierard c. Montréal (Ville de),
[55]
Infineon Technologies AG c. Option consommateurs,
[56] Transcription de l’interrogatoire de M. Côté par Me Marseille, p.57.
[57] Ibid note 56.
[58] Ibid note 56, p.56.
[59]
Art.
[60]
Option consommateurs c. Bell Mobilité,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.