Commission municipale du Québec ______________________________ |
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Date : |
20 octobre 2014 |
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Dossier : |
CMQ-65013 (28538-14) |
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Juges administratifs : |
Denis Michaud, vice-président Nancy Lavoie |
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Personne visée par l’enquête : |
FABIEN HOVINGTON ANCIEN CONSEILLER MUNICIPAL VILLE DE SAGUENAY |
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ENQUÊTE EN ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE EN MATIÈRE MUNICIPALE |
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DÉCISION
LA DEMANDE
[1] Le 10 mars 2014, le ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire transmettait à la Commission municipale du Québec, conformément à l’article 22 de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale[1] (LEDMM), une demande d’enquête en éthique et déontologie qui allègue une conduite dérogatoire de monsieur Fabien Hovington, ancien conseiller municipal à la Ville de Saguenay (la Ville), au Code d’éthique et de déontologie des élus municipaux de la Ville de Saguenay[2] (le Code).
[2] La demande d’enquête reproche à monsieur Hovington d’avoir utilisé des fonds publics, destinés à une mission en Norvège visant à obtenir une étape d’un championnat du monde de compétitions de coupe de bois, pour passer des vacances sur la Côte d’Azur, commettant une infraction à l’article 5.7 du Code. Il aurait aussi permis à son attachée politique, madame Isabelle Bélanger, à l’attaché politique du maire, monsieur Pierre Guillot, ainsi qu’au président du Festival forestier de Shipshaw (le Festival), monsieur Yvon Barrette, de profiter de ces mêmes fonds publics dans le but de passer des vacances sur la Côte d’Azur, commettant une deuxième infraction au même article du Code.
[3] La plainte reproche également à monsieur Hovington d’avoir abusé de la confiance des citoyens de Saguenay en utilisant son statut de conseiller municipal pour s’ingérer dans la gestion d’un organisme à but non lucratif (le Festival).
[4] En conférence préparatoire, la Commission avait convenu avec le procureur de monsieur Hovington, Me Claude Gaudreault, que les faits allégués dans la demande soulevaient également des questions liées à l’application des articles 5.3.4 et 5.3.5 du Code, portant sur la réception d’un don, d’une marque d’hospitalité ou d’un avantage. La plainte soulève aussi des questions touchant l’application des articles 5.1 et 5.4 du Code, quant à l’utilisation des ressources de la Municipalité ou d’un organisme municipal à des fins personnelles.
[5] Outre Me Claude Gaudreault, Me David Duchesne représentait également monsieur Hovington à l’audition. Deux journées d’audience ont été tenues les 27 et 28 août 2014 à Saguenay[3].
LA PREUVE
[6] Pour son enquête, la Commission a requis et obtenu des documents provenant de la Ville :
§ Le Règlement numéro VS-R-2011-44 (P-1);
§ Les procès-verbaux des séances du 16 janvier 2013 (P-2), du 13 février 2013 (P - 3), du 27 mars 2013 (P-4), du 7 mai 2013 (P-5) et du 22 août 2013 (P-6) du comité exécutif de la Ville;
§ Les procès-verbaux des séances du 14 mai 2013 (P-7), du 10 septembre 2013 (P-8) et du 1er octobre 2013 (P-9) du conseil d’arrondissement de Jonquière.
[7] Pendant la période de préparation de l’audition, le Festival a fait l’objet d’une requête en faillite. Les livres et documents du Festival se sont trouvés entre les mains du syndic Roy, Métivier, Roberge (le Syndic), puis ont fait l’objet d’une saisie en vertu d’un mandat obtenu de la Cour par la Sûreté du Québec.
[8] La Commission a néanmoins obtenu du Syndic les documents suivants:
§ Le procès-verbal du conseil d’administration du Festival du 21 août 2012 (P-10);
§ La liste des comptes du Festival avec transactions pour les périodes 6 à 7 au 31 mai 2012 (P-11);
§ Les relevés de compte et les copies de chèques du Festival, pour mars 2012 (P-11), mai 2012 (P-15) et pour novembre 2012 (P-13);
§ Un relevé de transactions de la Caisse Desjardins Arvida-Kénogami, pour le Festival, du 17 mai 2012 (P-14);
§ Un relevé de compte « affaires » Visa Desjardins, au nom d’Isabelle Bélanger, du 28 septembre 2012 (P-16);
§ En vrac, certaines factures de voyage de septembre 2012 (P-17);
§ Les billets d’avion pour le voyage de septembre 2012 (P-18);
§ En vrac, les factures et la copie d’un chèque pour le Club de voyages Alma, pour les périodes de mai et d’août 2012 (P-19);
§ En vrac, des courriels échangés entre février et juillet 2012, entre Fabien Hovington, Isabelle Bélanger et Nicole Koning (P-20);
§ En vrac, une lettre de Fabien Hovington à Nicole Koning datée du 13 février 2012 et des réponses à des questions de STIHL Timbersports France (P-21);
§ Et les états financiers du Festival datés du 31 octobre 2011 (P-27) et du 31 octobre 2012 (P-28).
[9] De Promotion Saguenay, la Commission a requis et obtenu :
§ Les lettres patentes de cet organisme (en vrac, P-22);
§ Deux protocoles de commandite entre Promotion Saguenay et le Festival, datés du 27 août 2012 (P-23) et du 1er mai 2013 (P-24);
§ Un extrait du procès-verbal de l’assemblée des administrateurs de Promotion Saguenay du 28 mars 2013 (P-25);
§ Et un extrait du procès-verbal du comité exécutif de Promotion Saguenay du 15 août 2013 (P-26).
Ø LE CONTEXTE GÉNÉRAL
[10] Fabien Hovington a été conseiller municipal de la Ville de Saguenay pendant 12 années consécutives. Il a été défait à l’élection municipale de 2013. À l’époque pertinente aux fins de la présente enquête, il était également membre du comité exécutif de la Ville.
[11] Avant de devenir conseiller municipal, monsieur Hovington a acquis une expérience appréciable comme promoteur ou accompagnateur d’événements et dans le domaine du spectacle, notamment dans la recherche de commanditaires.
[12] Il a travaillé comme bénévole pour le Festival en 1998 et 1999. À partir du moment où il a été élu conseiller municipal en 2002, il a agi comme observateur au conseil d’administration du Festival, sans droit de vote; aucune résolution du conseil municipal ou du conseil d’administration du Festival ne confirme ce statut.
[13] En fait, monsieur Hovington aide gratuitement le Festival depuis 2002; il assume notamment le rôle de porte-parole à certaines occasions et de démarcheur auprès de commanditaires potentiels. Lors de son témoignage, il souligne avec fierté que le budget du Festival est passé d’environ 2 000 $ pour l’année 2002 à plus de 500 000 $ pour l’année 2013. À titre d’exemple, il attribue à son travail de démarchage environ 90 % des commandites figurant aux états financiers du 31 octobre 2012 (pièce P-28)[4].
[14] S’ajoutent aux commandites d’importantes subventions provenant des gouvernements, de la Ville[5] ou de Promotion Saguenay. De plus, la Ville de Saguenay cautionne le Festival pour le financement de ses activités[6]. Le rôle joué par monsieur Hovington quant à l’obtention de ces subventions et de cette aide financière est très important.
[15] Soulignons que Promotion Saguenay, une personne morale à but non lucratif[7], a notamment pour objet de soutenir financièrement toute personne impliquée dans le domaine de l’industrie touristique sur le territoire de la Ville, catégorie dont fait partie le Festival. Le maire de la Ville, monsieur Jean Tremblay, est président de son conseil d’administration. En 2012, à l’époque pertinente aux fins de la présente enquête, le poste de président-directeur général de Promotion Saguenay était occupé par monsieur Ghislain Harvey, qui agissait également comme conseiller spécial au cabinet du maire de la Ville. En 2013, Promotion Saguenay a reçu plus de 9 millions $ en subventions de la Ville[8].
[16] De 2009 à 2012, la directrice générale du Festival était madame Isabelle Bélanger, faisant également partie du personnel politique rattaché au cabinet du maire. Elle occupe à temps plein ses fonctions d’attachée politique au conseil d’arrondissement de Jonquière, dont fait partie monsieur Hovington. Elle travaille pour le Festival à temps partiel, surtout le soir, et reçoit une rémunération forfaitaire. En tant que directrice générale, ses fonctions sont de préparer la programmation des activités, d’assurer la liaison avec les commanditaires et les fournisseurs, de préparer le budget et les réunions du conseil d’administration, ainsi que de rédiger les procès-verbaux. En tant qu’attachée politique, elle soutient monsieur Hovington dans l’exercice de ses fonctions d’élu municipal de l’arrondissement.
[17] Pour compléter le tableau, toujours en 2012, monsieur Pierre Guillot, un attaché politique du maire de la Ville, agit également comme observateur au conseil d’administration du Festival.
[18] En principe, le conseil d’administration du Festival est autonome; aucun élu de la Ville n’y siège officiellement. Mais, en réalité, il y a une forte présence de la Ville dans les affaires du Festival, comme le démontre d’ailleurs le rôle effectif joué par monsieur Hovington qui, plus qu’un simple observateur au conseil d’administration, est régulièrement le porte-parole du Festival lors de conférences de presse ou lors de rencontres avec des ministres[9]. De plus, les bureaux du Festival sont situés dans un bâtiment de la Ville, au point de services de Shipshaw, au même endroit que les bureaux de monsieur Hovington et de madame Bélanger.
Ø LA PREUVE RELATIVEMENT AUX FAITS ALLÉGUÉS DANS LA DEMANDE
[19] Le Festival organise depuis plusieurs années un événement comprenant des compétitions de coupe de bois dans le secteur de la Ville appelé Shipshaw. Sa mission est centrée sur le tourisme.
[20] Depuis quelques années, le Festival a considérablement diversifié son événement annuel. En plus des compétitions de coupe de bois, des spectacles sont ajoutés à la programmation à partir de 2011 et des concours d’hommes forts à partir de 2012.
[21] En 2012, le Festival décide de faire des démarches pour obtenir la tenue d’un championnat du monde de coupe de bois en 2013.
[22] L’année 2013 est marquante pour le Festival. Elle correspond au 175e anniversaire de la fondation de la Ville. Pour l’occasion, le spectacle d’un chanteur américain de renommée internationale, Dwight Yoakam, est au programme.
[23] Au début 2012, monsieur Hovington entreprend des démarches auprès de madame Nicole Koning de STIHL Timbersports France, dans le but d’attirer un championnat du monde de coupe de bois à Saguenay en 2013. Monsieur Hovington a déjà rencontré madame Koning lors d‘un voyage effectué en Allemagne en 2010, pour le compte du Festival[10].
[24] Le 13 février 2012, monsieur Hovington écrit à madame Koning[11] : « La présente est pour vous confirmer notre intérêt à participer à la tenue de la finale du Championnat du monde STIHL Timbersports qui se tiendra du 30 août 2013 au 1er septembre 2013 ». Le président du Festival et le maire de la Ville reçoivent copie de cette lettre.
[25] Dans cette lettre, monsieur Hovington fait figure de porte-parole officiel du Festival et il écrit sur le papier en-tête de la Ville. Même si, lors de son témoignage, s’appuyant sur l’organigramme du Festival (pièce I-3), il cherche à montrer que son rôle est celui d’un acteur parmi tant d’autres, monsieur Hovington assume le leadership dans les affaires du Festival, comme le démontre cette lettre. Selon la preuve, ces démarches auraient fait l’objet de discussions au sein du conseil d’administration du Festival, mais aucune résolution n’a été produite quant à leur mise en œuvre; le consensus qui se dégage des discussions au sein de l’organisme justifie de toute façon, aux yeux des administrateurs ayant témoigné devant la Commission, les démarches de monsieur Hovington.
[26] Dans un courriel daté du 14 février 2012[12], madame Koning adresse ses remerciements directement à monsieur Hovington pour la présentation de candidature du Festival pour le Championnat du monde.
[27] Le 25 avril 2012, le président du Festival, monsieur Barrette, adresse une demande d’aide financière de 10 000 $ à Promotion Saguenay[13]. Cette demande d’aide est remise de main à main au président-directeur général de l’organisme, monsieur Ghislain Harvey, par monsieur Hovington. Lors de son témoignage, monsieur Harvey a précisé que cette aide avait pour but de financer un voyage en Norvège, pour attirer un événement d’envergure internationale en 2013; il n’est aucunement question d’un séjour à Nice.
[28] Le 15 mai 2012, des réservations sont faites pour le voyage[14]. Pierre Guillot, Fabien Hovington, Isabelle Bélanger et Yvon Barrette partiront le 6 septembre 2012 de Bagotville à destination d’Oslo en Norvège. L’arrivée est prévue pour 13 h 30 le lendemain.
[29] La réservation prévoit que la conjointe de monsieur Guillot, partira le 9 septembre 2012 de Bagotville pour Nice. La conjointe de monsieur Hovington décidera plus tard de prendre un billet d’avion pour les rejoindre à Nice. Elle partira également le 9 septembre 2012. Le retour à la maison des six voyageurs est prévu pour le 16 septembre 2012. Précisons que les billets d’avion des conjointes n’ont pas été payés par le Festival.
[30] Le 3 juillet 2012, madame Bélanger écrit un courriel à madame Nicole Koning[15] : « Je suis en train de préparer notre voyage pour aller vous voir au mois de septembre. J’aurais besoin de l’adresse exacte du site de compétition. Je sais que c’est au parc olympique mais si je vais sur google j’ai besoin d’un adresse. » (sic).
[31] Au nom de la société mère STIHL Allemagne, madame Koning répond, le 4 juillet 2012, que l’organisation responsable des championnats ne pourra recevoir la délégation du Festival en Norvège et qu’elle n’est définitivement pas intéressée à organiser un tel championnat à Saguenay[16]. Le message est transmis à monsieur Hovington par madame Bélanger, qui lui répond le même jour d’écrire à madame Koning « quel nous donne les renseignement seulement et nous seront autonome comme la dernière fois »[17] (sic).
[32] Le 4 août 2012, monsieur Hovington organise un méchoui chez lui. Des administrateurs du Festival sont présents, dont monsieur Barrette et monsieur Pierre Blackburn, qui est aussi le beau-frère de monsieur Hovington. Monsieur Guillot et madame Bélanger sont également présents. Selon cette dernière, ils ont mangé à la même table et ils ont parlé du voyage.
[33] Le 21 août 2012, le conseil d’administration du Festival tient une réunion. Le procès-verbal de la réunion mentionne que monsieur Hovington « explique le principe de la délégation qui sera présente en Norvège »[18]. Lors de cette réunion, monsieur Hovington présente la composition de la délégation : Yvon Barrette, Pierre Guillot, Fabien Hovington et Isabelle Bélanger. Sa composition a toutefois été décidée bien avant puisque les membres sont clairement identifiés sur la facture de Club Voyages Alma datée du 15 mai 2012[19]. Selon monsieur Hovington, c’est en mars ou en avril 2012 que le conseil d’administration a discuté de la composition de la délégation.
[34] A-t-il été question de la réponse de madame Koning lors de cette réunion? Plusieurs témoins ont été interrogés sur cette question. Madame Bélanger ne se souvient pas si elle en a informé le conseil, mais prétend que monsieur Barrette était informé; monsieur Pierre Blackburn prétend que madame Bélanger en a informé le conseil le 21; monsieur Hovington prétend que c’est lui qui en a parlé; monsieur Barrette soutient qu’il n’en a pas été question le 21 et qu’il n’est pas au courant de cette réponse lors du départ le 6 septembre.
[35] Si la preuve ne permet pas de conclure que la réponse de madame Koning a été transmise au conseil d’administration le 21 août, il est certain que le conseil d’administration a discuté du voyage en Norvège et de la délégation avant le départ.
[36] Le conseil d’administration savait-il, le 21 août 2012, que la délégation allait également à Nice? Monsieur Pierre Blackburn prétend qu’il en a été question pendant la préparation du voyage. Monsieur Stéphane Perron, administrateur, se souvient d’en avoir discuté avant le voyage. Un autre témoin ayant le statut d’observateur au conseil d’administration, monsieur Michel Brisson, témoigne au même effet.
[37] Monsieur Barrette le savait puisqu’il prétend avoir discuté avec monsieur Hovington, en juillet, d’une rencontre en France avec monsieur Jean-Pierre Blackburn, ambassadeur du Canada à l’UNESCO[20].
[38] Quoi qu’il en soit, les quatre membres de la délégation s’envolent vers la Norvège le 6 septembre 2012. Ils séjourneront ensuite sur la Côte d’Azur du 9 au 16 septembre. Tous les frais du voyage sont assumés par le Festival.
Ø LE VOYAGE EN NORVÈGE
[39] À l’audience, monsieur Hovington défend la décision de partir malgré le courriel de madame Koning. Pour lui, il n’est pas question d’accepter un refus suite à un seul courriel. Pour obtenir un championnat du monde, il faut se rendre sur place et convaincre les organisateurs.
[40] À leur arrivée en Norvège le 7 septembre 2012, les quatre membres de la délégation se rendent au Championnat du monde organisé par STIHL à Lillehammer. Ils assistent aux compétitions qui se déroulent en soirée : il s’agit de compétitions en équipe. Ils vont également voir des exposants sur place présentant leur machinerie. Monsieur Hovington cherche madame Koning, mais ne la voit pas sur les lieux.
[41] Le lendemain, le 8 septembre, ont lieu à Lillehammer des compétitions individuelles. La délégation du Festival décide de quitter pour visiter Oslo, sans assister aux épreuves. Selon monsieur Hovington, ce départ précipité se justifie du fait que les mêmes épreuves que la veille étaient présentées, individuelles cette fois plutôt que par équipe. Madame Bélanger présente une autre explication : les membres de la délégation ont constaté la veille qu’un tel championnat était trop gros et trop dispendieux à organiser pour le Festival. Chose certaine, la détermination à rencontrer les organisateurs du championnat n’y est soudainement plus ! La journée du 8 est occupée à faire le trajet Lillehammer-Oslo, à visiter la capitale et à se rapprocher de l’aéroport en vue du départ pour Nice.
Ø LE VOYAGE SUR LA CÔTE D’AZUR
[42] La délégation part le 9 septembre 2012 pour Nice. Elle rejoint les conjointes de Messieurs Guillot et Hovington. Si le transport en avion de ces dernières n’est pas payé par le Festival, les repas pris en groupe, la location de voiture et l’hôtel à Nice sont toutefois à la charge du Festival pour les six personnes. Madame Bélanger souligne que, dans les restaurants en France, il est difficile d’obtenir des factures individuelles lorsqu’on mange en groupe.
[43] La Commission a entendu le témoignage des quatre personnes faisant partie de la délégation. Chaque témoin présente l’organisation, les activités et les objectifs du voyage sur la Côte d’Azur de façon quelque peu différente.
[44] Pierre Guillot a témoigné que la délégation voulait aller voir l’organisation d’événements de calibre international : un « boat show » à Cannes. Il se souvient être allé voir cet événement avec monsieur Hovington, mais sans madame Bélanger et monsieur Barrette; ils y sont restés trois ou quatre heures et ont observé un système de chapiteaux. Par ailleurs, ils ont retenu de Nice l’utilisation de navettes pour offrir un transport sécuritaire et l’aménagement de rues piétonnières. Ils ont également visité des villages, comme Saint-Paul-de-Vence, où il y avait des kiosques et des boutiques.
[45] Monsieur Hovington a souligné que ce qui intéressait la délégation dans cette partie du voyage était d’aller chercher des idées pour le volet événementiel du Festival. Ils ont loué une camionnette à Nice et ont visité de petites villes touristiques; ils voulaient voir comment ces petites villes s’occupent de sécurité, dans le but d’importer des idées pour le Festival. Il mentionne lui aussi que monsieur Barrette était absent lors de la visite du « boat show » à Cannes.
[46] Yvon Barrette a signalé qu’aucune activité n’était planifiée et qu’aucun objectif n’était poursuivi pour cette partie du voyage. Le lendemain de leur arrivée à Nice, ils ont loué une voiture et ont visité une parfumerie. Les jours suivants, ils ont visité Monaco et Cannes. Les deux derniers jours, ils sont restés à Nice pour visiter et flâner. Il affirme catégoriquement qu’il était présent lors de la visite du « boat show » à Cannes, montrant une photo qu’il a prise sur place avec son appareil photo : on peut voir Messieurs Hovington et Guillot sur un bateau. La date qui apparaît sur la photo est le 13 septembre 2012[21]. Selon lui, il y avait bien des chapiteaux, des tentes et des installations sur les lieux, mais ils ne les ont pas visités et ne s’y sont pas attardés.
[47] La version de monsieur Barrette quant à l’organisation et la planification de cette partie du voyage est confirmée par le témoignage de madame Isabelle Bélanger. Elle a témoigné que la préparation du voyage s’était faite simplement en allant sur Internet pour identifier des endroits et des choses à visiter; le personnel de l’hôtel, à Nice, leur a également donné des informations sur les sites d’intérêts, sur les endroits à visiter. Selon madame Bélanger, comme le Festival avait décidé de diversifier ses activités, ils avaient décidé d’aller sur la Côte d’Azur; ce choix s’est fait sans raison particulière, tout simplement parce que l’endroit est touristique. Elle se souvient que la délégation avait prévu aller à Cannes, pour voir un événement (le « boat show ») avec des chapiteaux et des équipements; selon son souvenir, monsieur Barrette et elle ne sont pas allés voir cet événement. La délégation a visité des villages touristiques où étaient exposés des produits artisanaux, sans qu’elle soit capable de nommer un seul de ces villages. Ils ont également cherché à apprendre de quelle façon les plus grosses villes développaient le tourisme dans la région.
[48] Enfin, monsieur Hovington a affirmé n’avoir fait aucune déclaration écrite auprès du greffier de la Ville, en lien avec ce voyage, pour un don ou un avantage dont la valeur excède 200 $, parce que, selon lui, cela ne concernait aucunement les affaires de la Ville.
L’ARGUMENTATION
[49] D’entrée de jeu, Me Gaudreault a fait valoir que le Festival et Promotion Saguenay sont des organismes sans but lucratif, indépendants de la Ville. Ce ne sont pas des organismes municipaux au sens de l’article 5.1 du Code et, par conséquent, les frais de voyages de monsieur Hovington ne pouvaient entrer dans le champ d’application de l’article 5.4 du Code, qui interdit l’utilisation des ressources de la Ville ou d’un organisme visé par l’article 5.1 à des fins personnelles.
[50] Le montant de 10 000 $ obtenu de Promotion Saguenay, organisme sans but lucratif qui reçoit d’importantes subventions de la Ville, n’appartient plus à la Ville ou à Promotion Saguenay une fois qu’elles sont encaissées par le Festival. Il ne saurait donc être question d’utilisation des ressources de la Ville ou d’un organisme visé à l’article 5.1 du Code. De plus, le Code n’interdit pas à un conseiller municipal de voyager aux frais d’un organisme sans but lucratif.
[51] D’ailleurs, il souligne qu’il est impossible d’associer le 10 000 $ obtenu de Promotion Saguenay aux dépenses du voyage sur la Côte d’Azur; la partie du voyage en Norvège a coûté environ 10 700 $, ce qui excède la subvention de Promotion Saguenay, et la partie du voyage sur la Côte d’Azur a coûté environ 12 000 $. Il ne peut donc y avoir eu utilisation de la subvention pour aller sur la Côte d’Azur.
[52] Enfin, sur l’application de l’article 5.4 du Code, Me Gaudreault souligne que le voyage en Norvège et à Nice s’inscrivait dans le mandat confié à la délégation par le Festival et n’a pas été fait à des fins personnelles. Monsieur Hovington a travaillé bénévolement au succès du Festival. Il n’en a tiré aucun avantage matériel, aucune rémunération. Permettre à des citoyens de participer à différentes activités, par son action bénévole au sein d’un organisme sans but lucratif en contrepartie d’une gratification morale, ne peut être considéré comme une situation avantageant les intérêts personnels d’un élu.[22]
[53] En ce qui concerne les articles 5.3.4 et 5.3.5 du Code, Me Gaudreault fait valoir que monsieur Hovington n’a reçu aucun don, aucune marque d’hospitalité et aucun avantage du Festival. Selon lui, il faut voir les choses d’un autre point de vue : le conseil d’administration du Festival a plutôt donné un mandat à la délégation d’aller chercher de l’expertise en Norvège et à Nice, mandat accepté par monsieur Hovington à titre gratuit, sans rémunération. Il s’agissait d’un voyage d’affaires et non d’un voyage d’agrément.
[54] Me Gaudreault ajoute que, même si le voyage pouvait être considéré comme un don, une marque d’hospitalité ou un avantage, il ne peut avoir influencé son indépendance de jugement dans l’exercice de ses fonctions ou avoir présenté un risque de compromettre son intégrité. Il n’y a aucune preuve que monsieur Hovington a pu être influencé par ce voyage dans l’exercice de ses fonctions. Il ne peut donc s’agir d’un manquement aux articles 5.3.4 et 5.3.5 du Code.
[55] En fait, selon Me Gaudreault, la finalité de la plainte est politique. Monsieur Barrette a fait des déclarations à des fins politiques, déclarations qu’il n’aurait pas faites si monsieur Hovington avait été réélu lors des dernières élections municipales. Il n’appartient pas à la Commission d’agir à des fins politiques, personnelles ou partisanes, dans le but de régler des conflits touchant un élu hors du contexte de l’exercice de ses fonctions.[23]
L’ANALYSE
[56] Dans le cadre d’une enquête en vertu de la LEDMM, la Commission doit s’enquérir des faits afin de décider si l’élu visé par l’enquête a commis les actes ou les gestes qui lui sont reprochés et si ces derniers constituent une conduite dérogatoire au Code d’éthique et de déontologie.
[57] Pour ce faire, elle doit conduire son enquête dans un esprit de recherche de la vérité qui respecte les règles d’équité procédurale et le droit de l’élu visé par l’enquête à une défense pleine et entière.
[58] Ainsi, monsieur Hovington a pu interroger et contre interroger des témoins, produire des documents et donner sa version des faits. Son procureur a non seulement fait valoir ses arguments verbalement, lors de l’audition, mais il a également faire parvenir à la Commission une argumentation écrite complémentaire.
[59] Les conclusions auxquelles en arrive la Commission peuvent avoir de lourdes conséquences sur la carrière et de la crédibilité d’un élu municipal. Pour cette raison, elle doit être convaincue que la preuve qui découle des témoignages, des documents et des admissions, a une force probante, suffisante suivant le principe de la balance des probabilités, pour lui permettre de conclure que l’élu visé par l’enquête a manqué à ses obligations déontologiques et a enfreint le Code.
[60] La Commission tient à souligner qu’on ne peut accorder aux doutes, aux impressions, aux insinuations, ou aux soupçons, la valeur probante nécessaire pour permettre de conclure à un acte dérogatoire.
MONSIEUR FABIEN HOVINGTON A-T-IL COMMIS UN MANQUEMENT AU CODE?
[61] Pour conclure que monsieur Fabien Hovington a enfreint certaines règles du Code, la Commission doit être convaincue par une preuve claire, grave, précise et sans ambiguïté que celui-ci a commis les manquements reprochés.
[62] Monsieur Hovington avait, au sein du Festival, un statut particulier. Son procureur prétend qu’il agissait à titre privé, comme bénévole. Ce n’est pas l’opinion de la Commission.
[63] Monsieur Hovington n’est pas membre du conseil d’administration, ayant un simple statut d’observateur, mais il agit comme porte-parole du Festival lors d’occasions ciblées : rencontres avec des ministres, conférences de presse, démarches officielles auprès d’entreprises comme STIHL, etc. Il utilise le papier en-tête de la Ville dans de telles démarches. Il peut agir ainsi parce qu’il est membre du conseil et du comité exécutif de la Ville. S’il travaille bénévolement pour le Festival, c’est qu’il le fait à titre de représentant officiel d’un partenaire majeur : la Ville. D’ailleurs, à plusieurs reprises, monsieur Hovington a mentionné qu’il ne pouvait dissocier son action de ses fonctions d’élu municipal.
[64] Le Festival ne serait pas ce qu’il est sans l’appui et l’implication de la Ville. La directrice générale est membre du personnel politique du maire de la Ville, assignée auprès de monsieur Hovington dans l’arrondissement de Jonquière. Monsieur Hovington, tout comme le conseiller politique du maire, monsieur Guillot, était présent aux réunions du conseil d’administration du Festival : il faisait plus qu’observer, comme le démontre son intervention lors de la réunion du 21 août 2012 sur le voyage en préparation et ses démarches officielles pour obtenir un championnat du monde pour 2013.
[65] Yvon Barrette, président du conseil d’administration du Festival depuis 2012, est d’avis que monsieur Hovington tirait les ficelles et qu’il décidait, avec la directrice générale, « comment s’en allait le Festival »[24]. La réalité n’est pas aussi simple. Il a été mis en preuve que monsieur Hovington agissait ouvertement et qu’il discutait des orientations et des actions à prendre avec le conseil d’administration. Ce dernier faisait confiance à monsieur Hovington, dont les actions et les initiatives étaient bénéfiques pour le développement du Festival.
[66] Le rôle joué par monsieur Hovington au sein du Festival et l’ascendant exercé sur le conseil d’administration n’ont rien de répréhensible en soi. Aucune disposition du Code ne l’interdit et la Commission rejette les allégations d’abus de confiance dont aurait fait preuve monsieur Hovington à l’endroit des citoyens de Saguenay, par l’utilisation de son statut de conseiller municipal, afin de s’ingérer dans la gestion d’un organisme à but non lucratif (le Festival). Monsieur Hovington n’a pas agi à l’encontre de la volonté du conseil d’administration, mais avec son accord.
[67] L’influence de monsieur Hovington au sein de la Ville et auprès de la communauté d’affaires de Saguenay lui a d’ailleurs permis de contribuer efficacement au succès du Festival. En 2012, monsieur Hovington bénéficie de toute la confiance du conseil d’administration, de Promotion Saguenay et des autorités de la Ville pour convaincre la société STIHL, organisatrice d’un championnat mondial, de tenir un événement de calibre international à Saguenay en 2013. C’est le but du voyage en Norvège.
[68] Le succès de ce voyage était douteux, compte tenu du courriel de Nicole Koning en juillet 2012, et le passage en Norvège a été de courte durée. Mais la délégation poursuivait un objectif précis en y allant : rencontrer les organisateurs du Championnat mondial STIHL de coupe de bois.
[69] Même s’il n’y a aucun rapport de mission, aucun bilan de ce voyage en Norvège, le Festival n’a requis aucune reddition de compte des membres de la mission. De plus, la délégation n’avait pas à garantir le succès de cette mission à l’étranger. Il y avait bien un motif, une raison qui justifiait ce voyage : ramener l’organisation d’un championnat du monde pour 2013. Dans la mesure où elle constate un lien entre cette mission et le Festival, la Commission doit considérer qu’il s’agissait d’un voyage d’affaires et ne peut retenir l’absence de résultat comme un manquement éthique de la part de monsieur Hovington.
[70] Il en est autrement du voyage sur la Côte d’Azur. Malgré la visite de trois ou quatre heures à un événement de calibre international, le « boat show » de Cannes, ce voyage n’a aucun lien logique avec le Festival, et ce, malgré les tentatives de justification de madame Bélanger, de monsieur Hovington et de monsieur Guillot. Il n’y a aucune planification d’activités, aucun itinéraire de visite, aucune rencontre prévue pouvant présenter un quelconque intérêt pour le Festival. Le seul événement ayant fait l’objet d’une cueillette sommaire d’informations avant le départ est le « boat show », qui intéresse monsieur Hovington.
[71] De plus, ces témoins ont mentionné à plusieurs reprises que des photos avaient été prises sur la Côte d’Azur et montrées aux administrateurs du Festival au retour dans le but de mettre en œuvre certaines idées pour améliorer l’organisation de l’événement. Précisons que, même s’il a été clairement invité à produire ces photos dans un délai supplémentaire suite à l’audience, le procureur de monsieur Hovington ne l’a pas fait.
[72] La Commission en arrive à la conclusion que les membres de la délégation ont tout simplement pris des vacances sur la Côte d’Azur, aux frais du Festival; il s’agit d’un voyage fait à des fins personnelles. Quelle autre explication donner à la présence des conjointes de monsieur Hovington et monsieur Guillot sur la Côte d’Azur, alors qu’elles n’ont aucun intérêt pour un voyage d’affaires organisé, selon les témoignages entendus?
[73] Pendant une semaine, monsieur Hovington et les personnes qui l’accompagnent visiteront Nice, Monaco, Cannes et feront une visite des environs, s’arrêtant au hasard des chemins. Aucune de ces personnes ayant témoigné devant la Commission ne peut dire quels étaient les objectifs justifiant au préalable leur présence sur la Côte d’Azur. Ni monsieur Hovington, ni madame Bélanger, ni monsieur Guillot ne peuvent expliquer cette destination plutôt qu’une autre.
[74] Fait significatif, monsieur Guillot a admis avoir offert au maire Tremblay de rembourser son voyage lorsque les médias l’ont rendu public au début 2014, ce qui en dit long sur ce choix de destination.
[75] De même que pour la partie du voyage en Norvège, il n’y a aucun rapport de voyage, aucun bilan d’activités et aucun rapport sur les dépenses effectuées au nom du Festival sur la Côte d’Azur.
[76] Compte tenu de ces conclusions factuelles, voyons maintenant en quoi la conduite de monsieur Hovington constitue un manquement au Code. Les dispositions pertinentes sont les articles 5.1, 5.3.4, 5.3.5, 5.4 et 5.7 du Code, qui se lisent comme suit :
« ARTICLE 5.- RÈGLES DE CONDUITE
5.1 Application
Les règles énoncées au présent article doivent guider la conduite d’un élu à titre de membre (du) (d’un) conseil, d’un comité ou d’une commission
a) de la municipalité ou,
b) d’un autre organisme lorsqu’il y siège en sa qualité de membre (du) (d’un) conseil de la municipalité.
[…]
5.3 Conflits d’intérêts
[…]
5.3.4 Il est interdit à tout membre d’accepter tout don, toute marque d’hospitalité ou tout autre avantage, quelle que soit sa valeur, qui peut influencer son indépendance de jugement dans l’exercice de ses fonctions ou qui risque de compromettre son intégrité.
5.3.5 Tout don, toute marque d’hospitalité ou tout autre avantage reçu par un membre du conseil municipal et qui n’est pas de nature purement privée ou visé par l’article 5.3.4 doit, lorsque sa valeur excède 200 $, faire l’objet, dans les trente jours de sa réception, d’une déclaration écrite par ce membre auprès du greffier ou du secrétaire-trésorier de la municipalité. Cette déclaration doit contenir une description adéquate du don, de la marque d’hospitalité ou de l’avantage reçu, et préciser le nom du donateur ainsi que la date et les circonstances de sa réception. Le greffier tient un registre public de ces déclarations.
[…]
5.4 Utilisation des ressources de la municipalité
Il est interdit à tout membre d’utiliser les ressources de la municipalité ou de tout autre organisme visé à l’article 5.1, à des fins personnelles ou à des fins autres que les activités liées à l’exercice de ses fonctions.
La présente interdiction ne s’applique pas lorsqu’un membre utilise, à des conditions non préférentielles, une ressource mise à la disposition des citoyens.
[…]
5.7 Abus de confiance et malversation
Il est interdit à un membre de détourner à son propre usage ou à l’usage d’un tiers un bien appartenant à la municipalité. »
[77] L’article 5.1 établit un principe simple : les règles du Code doivent guider la conduite d’un élu à titre de membre du conseil, d’un comité, d’une commission de la Ville ou encore d’un autre organisme sur lequel il siège à titre de membre du conseil, donc de représentant de la Ville.
[78] Dans le présent cas, monsieur Hovington ne siège pas sur le conseil d’administration du Festival comme représentant de la Ville, puisqu’il n’est pas membre de ce conseil mais simple observateur. Les règles du Code s’appliquent tout de même à monsieur Hovington dans sa conduite à titre d’élu municipal auprès du Festival. Voyons ce qu’il en est.
[79] Les articles 5.3.4 et 5.3.5 du Code se trouvent dans la section 5.3 intitulée « Conflits d’intérêts ». Les dispositions relatives aux conflits d’intérêts qu’on retrouve dans les lois ou dans les codes d’éthique ont pour but de placer l’élu dans une situation d’impartialité, pour que les décisions auxquelles il participe soient prises dans l’intérêt public, et non dans son intérêt personnel ou dans l’intérêt d’une autre personne qu’il a avantage à favoriser.
[80] Ces mêmes articles visent deux cas distincts où l’élu reçoit de la part d’un tiers un don, une marque d’hospitalité ou un avantage. Dans le cas visé par l’article 5.3.4, l’élu est placé dans une situation où le don, la marque d’hospitalité ou l’avantage qui lui est offert peut, sans égard à sa valeur, influencer son indépendance de jugement dans l’exercice de ses fonctions ou risque de compromettre son intégrité.
[81] Dans le cas visé par l’article 5.3.5, l’élu n’est pas dans une telle situation d’influence ou de compromission, mais le don, la marque d’hospitalité ou l’avantage, qui n’est pas de nature purement privée, présente une valeur qui excède 200 $; l’élu doit alors, dans les trente jours de sa réception, faire une déclaration écrite décrivant le don, la date et les circonstances de sa réception auprès du greffier de la Ville.
[82] Examinons d’abord la conduite de monsieur Hovington en regard de l’obligation déontologique prévue à l’article 5.3.4 du Code. Pour qu’il y ait manquement à cette disposition, il faut deux éléments :
1. l’acceptation d’un don, d’une marque d’hospitalité ou d’un autre avantage;
2. qui peut influencer son indépendance de jugement dans l’exercice de ses fonctions ou qui risque de compromettre son intégrité.
[83] Selon le Petit Robert[25], le mot « don » fait référence à l’action d’abandonner gratuitement et volontairement à quelqu’un la propriété ou la jouissance de quelque chose. Quant au mot « avantage », il fait référence, dans le contexte du Code, à un bien, un bénéfice, un intérêt, un profit. Il ne fait aucun doute que le voyage sur la Côte d’Azur, fait à des fins personnelles et payé par le Festival, constitue un don ou un avantage consenti à monsieur Hovington.
[84] Rappelons que l’article 5.3.4 du Code n’interdit pas à un élu d’accepter un don ou un avantage dans toutes les situations. Il l’interdit seulement si le don ou l’avantage « peut influencer son indépendance de jugement dans l’exercice de ses fonctions ou […] risque de compromettre son intégrité ». Il n’est pas nécessaire que l’influence ou le risque soit réel; il suffit que le don ou l’avantage puisse influencer son indépendance de jugement ou présente un risque de compromettre son intégrité.
[85] Dans l’application de l’article 5.3.4 du Code, la Commission doit donc se demander si une personne raisonnable, informée de l’acceptation d’un don, d’une marque d’hospitalité ou d’un avantage par un élu municipal, ainsi que des circonstances entourant cette acceptation, serait d’opinion que cela peut influencer son indépendance de jugement dans l’exercice de ses fonctions d’élu municipal ou risque de compromettre son intégrité. C’est ce test de la personne raisonnable qu’il faut appliquer ici.
[86] La Commission est d’avis qu’une personne raisonnable, informée que monsieur Hovington a accepté de faire un voyage à des fins personnelles aux frais du Festival, conclurait qu’accepter ce don ou cet avantage « peut influencer » l’indépendance de jugement de monsieur Hovington. Dans l’exercice de ses fonctions de membre du conseil municipal ou du comité exécutif de la Ville, monsieur Hovington participe régulièrement à des décisions ayant un impact sur l’existence, le développement ou le financement du Festival. Il y a une forte possibilité qu’il soit influencé par le don ou l’avantage reçu, à savoir le voyage payé sur la Côte d’Azur, et qu’il soit alors tenté de favoriser le Festival.
[87] Monsieur Hovington, en acceptant le voyage payé par le Festival sur la Côte d’Azur, a donc commis un manquement à l’article 5.3.4 du Code. Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner sa conduite en regard de l’obligation prévue à l’article 5.3.5 du Code.
[88] La conduite de monsieur Hovington doit également être examinée en regard de l’article 5.4 du Code. Cette disposition interdit à un membre du conseil « d’utiliser les ressources de la municipalité à des fins personnelles ». Deux conditions doivent être rencontrées pour qu’il y ait un manquement à cette obligation :
1. l’utilisation des ressources de la Ville;
2. à la poursuite de fins personnelles.
[89] Le voyage de monsieur Hovington en Norvège et sur la Côte d’Azur a été payé par le Festival, qui est un organisme à but non lucratif indépendant de la Ville. À première vue, il ne semble donc pas y avoir eu utilisation des ressources financières de la Ville. Toutefois, c’est en utilisant une subvention provenant indirectement de fonds municipaux que le voyage a été payé : l’argent de la Ville a transité via Promotion Saguenay vers le Festival pour financer le voyage.
[90] Promotion Saguenay reçoit plus de 9 millions $ par année de la Ville, somme qu’il redistribue à d’autres organismes. De plus, la Ville cautionne le Festival à hauteur de 50 000 $ pour le financement de ses activités en général. De façon indirecte, il y a eu utilisation des ressources financières de la Ville par les membres de la délégation du Festival, dont faisait partie monsieur Hovington, pour faire ce voyage.
[91] La première condition est donc rencontrée. Voyons maintenant ce qu’il en est de la deuxième, à savoir la poursuite de fins personnelles.
[92] Pour le voyage en Norvège, monsieur Hovington agissait comme un des porte-parole du Festival et de la Ville, et ce, dans un but précis : rencontrer les organisateurs de la compétition se déroulant à Lillehammer et obtenir la tenue du championnat du monde de la coupe de bois à Saguenay pour 2013. Ce voyage n’a donc pas été fait à des fins personnelles, mais à des fins poursuivies par le Festival et la Ville et dans leur intérêt.
[93] Il en est autrement du voyage sur la Côte d’Azur, qui n’est lié à aucune activité du Festival et qui est fait à des fins personnelles. Qu’on prétende être allé chercher certaines idées pour le Festival n’est qu’un prétexte visant à justifier, après coup, des vacances prises aux frais du Festival. Le fait que les sommes aient également servi à payer le voyage en Norvège ne change rien à ce constat. La deuxième condition prévue à l’article 5.4 est donc rencontrée, mais pour le voyage sur la Côte d’Azur seulement.
[94] Par conséquent, la Commission en arrive à la conclusion que monsieur Hovington a utilisé indirectement les ressources de la Ville à des fins personnelles, pour un séjour d’une semaine sur la Côte d’Azur, ce qui constitue un manquement en regard de l’article 5.4 du Code.
[95] Il nous reste maintenant à examiner la conduite de monsieur Hovington en regard de l’article 5.7 du Code. La Commission écarte ici l’application de l’article 5.7 du Code, car la preuve ne démontre aucunement que monsieur Hovington a détourné « à son propre usage ou à l’usage d’un tiers un bien appartenant à la municipalité ». Monsieur Hovington n’a pas utilisé un bien appartenant à la Ville. Lorsque l’article 5.7 du Code interdit l’utilisation d’un bien, il ne vise pas l’utilisation des fonds de la Ville à des fins personnelles. Ce type d’infractions relève plutôt de l’article 5.4 du Code.
[96] En résumé, la Commission en arrive donc à la conclusion que la conduite de monsieur Hovington constitue un manquement à l’égard des articles 5.3.4 et 5.4 du Code.
LA SANCTION
[97] Le 17 septembre 2014, la Commission fait parvenir à monsieur Hovington un avis d’audience sur sanction et l’invite à faire des représentations sur sanction lors de l’audience prévue pour le 14 octobre 2014.
[98] Après avoir obtenu communication des conclusions de la Commission sur les manquements au Code, les procureurs de monsieur Hovington ont décliné la possibilité d’être entendus sur sanction, préférant faire des représentations par écrit, ce qu’ils ont fait le 2 octobre 2014.
[99] En matière d’éthique et de déontologie municipales, la sanction doit tenir compte de la gravité du manquement, ainsi que des dispositions de la LEDMM et des objectifs poursuivis par le législateur.
[100] De plus, la sanction doit permettre de rétablir la confiance que les citoyens doivent entretenir envers les institutions et les élus municipaux.
[101] Dans ses représentations sur sanction, Me Gaudreault soutient que la Commission devait également prendre en considération les antécédents en matière de déontologie municipale dans l’imposition d’une sanction.
[102] Me Gaudreault rappelle que monsieur Hovington a été mandaté par le conseil d’administration du Festival pour effectuer ce voyage, qu’il n’a pas agi dans ses fonctions d’élu municipal, mais à titre bénévole. Le Festival a payé le voyage, ne s’est jamais plaint de la situation et en a tiré certains bénéfices. Monsieur Hovington n’a jamais caché ce voyage et il ne possède aucun antécédent déontologique en douze ans comme élu municipal. Ce dernier ne devrait pas être tenu de rembourser les frais de voyage en Norvège. Enfin, il suggère une simple réprimande ou, subsidiairement, un remboursement des frais du voyage à Nice, qu’il établit à 3 000 $ pour monsieur Hovington.
[103] S’il est vrai que monsieur Hovington n’a pas caché avoir fait un voyage en Norvège, il n’a jamais mentionné que la délégation étirait son voyage vers la Côte d’Azur, hormis au sein du cercle restreint du conseil d’administration du Festival. Sans la dénonciation faite par monsieur Barrette du voyage payé à Nice, l’affaire ne serait pas publique.
[104] Aussi, est-il utile de le rappeler, la Commission est d’avis que monsieur Hovington n’est pas un simple bénévole lorsqu’il accompagne la délégation en voyage : il conserve tous ses attributs de membre du conseil et du comité exécutif de la Ville.
[105] Dans les circonstances, une simple réprimande n’aurait certainement pas pour effet de rétablir la confiance des citoyens envers les élus municipaux. Elle laisserait plutôt croire aux citoyens que les élus peuvent impunément obtenir des gratifications généreuses et injustifiées de la part d’organismes subventionnés par la Ville.
[106] La Commission reconnaît que monsieur Hovington n’est pas allé en Norvège à des fins personnelles. La Commission lui imposera donc de remettre à la Ville, dans les trente jours de la présente décision, la partie des frais assumés par le Festival pour le voyage sur la Côte d’Azur.
[107] Il faut maintenant établir la somme que monsieur Hovington doit remettre à la Ville. Madame Bélanger établit le coût du voyage en Norvège à 10 700 $ et le coût du voyage à Nice à 12 000 $, pour les quatre membres de la délégation. Cette preuve découle des témoignages entendus et n’est pas contredite.
[108] Toutefois, le coût du voyage à Nice ne peut être divisé à part égale entre les quatre membres de la délégation, puisque deux d’entre eux ont bénéficié d’une chambre plus onéreuse en raison de la présence de leur conjointe.
[109] Madame Bélanger et monsieur Barrette ont occupé une chambre standard au Radisson Blu à Nice (du 9 au 16 septembre), au prix de 1 795 $. Monsieur Guillot a occupé une chambre (en occupation double), au prix de 1 949 $. Monsieur Hovington a occupé une chambre de luxe « sea view » (en occupation double) au prix de 2 170 $[26]. Le total, pour les quatre chambres est de 7 709 $.
[110] En soustrayant le prix des chambres du total du coût pour le voyage à Nice (12 000 $), il reste une somme de 4 291 $, soit 1 072,75 $ par personne. Nous en concluons donc que les frais assumés par le Festival pour le voyage de monsieur Hovington à Nice (incluant sa conjointe) sont de 2 170 $ pour la chambre et de 1 072,75 $ pour les autres dépenses, ce qui fait un total de 3 242,75 $. C’est donc cette somme que monsieur Hovington devra remettre à la Ville dans les trente jours de la présente décision.
EN CONSÉQUENCE, LA COMMISSION MUNICIPALE DU QUÉBEC :
- CONCLUT QUE la conduite de monsieur Fabien Hovington constitue un manquement aux règles prévues aux articles 5.3.4 et 5.4 du Code d’éthique et de déontologie pour les élus municipaux de Ville de Saguenay.
- IMPOSE à monsieur Fabien Hovington, à l’égard du manquement retenu, l’obligation de remettre à la Ville de Saguenay, dans les trente jours de la présente décision, la somme de 3 242,75 $.
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[1]. RLRQ, c. E-15.1.0.1.
[2]. Règlement intitulé Règlement numéro VS-R-2011-44 ayant pour objet l’adoption d’un Code d’éthique et de déontologie des élus municipaux de la Ville de Saguenay, adopté le 7 novembre 2011.
[3]. La Commission a procédé à trois auditions consécutives, du 25 au 28 août 2014, dans les dossiers CMQ-64911, CMQ-64972 et CMQ-65013, impliquant monsieur Hovington.
[4]. Le montant total des commandites aux états financiers du 31 octobre 2012 est de 58 827 $.
[5] . C’est ce que montrent notamment plusieurs procès-verbaux du comité exécutif de la Ville (pièces P-2, P-3, P-4, P-5 et P-6), dont une subvention de 50 000 $ (pièce P-2), et du conseil d’arrondissement de Jonquière (pièces P-7, P-8 et P-9).
[6] . Le 2 décembre 2013, le conseil municipal a adopté une résolution en ce sens, pour un montant de 50 000 $, le cautionnement étant valide pour la période du 31 décembre 2013 au 31 décembre 2014 (procès-verbal, pièce P-9.1). Monsieur Hovington n’était toutefois plus en poste à ce moment.
[7] . C’est ce qu’établissent les lettres patentes (pièce P-22).
[8] . Procès-verbal du comité exécutif du 16 janvier 2013, pièce P-2.
[9] . Le document ayant la cote P-12 le démontre : accompagnant un relevé de compte du Festival (Caisse Desjardins d’Arvida-Kénogami), pour la période du 1er au 31 mars 2012, une copie du chèque 1273 du Festival, émis au nom de Fabien Hovington, démontre que ce dernier s’est fait rembourser une somme de 231 $ pour des dépenses faites à l’occasion d’une rencontre avec le ministre Laurent Lessard.
[10]. Des représentants du Festival ont fait plusieurs voyages dans le passé, tant au Québec qu’à l’extérieur du pays, pour voir des festivals semblables ou de genres différents. En plus d’un voyage en Allemagne en 2010, au cours duquel monsieur Hovington aurait rencontré madame Koning, des personnes ont visité le Festival d’été de Québec et le championnat des hommes forts à Warwick.
[11]. Pièce P-21.
[12]. Pièce P-20.
[13]. Pièce I-1.
[14]. Facture, pièces P-19 et P-19a.
[15]. Pièce P-20.
[16]. Id.
[17]. Id.
[18]. Pièce P-10.
[19]. Pièce P-19.
[20] . Rencontre dont monsieur Hovington nie avoir discuté avec lui.
[21]. Selon monsieur Hovington, la photo aurait été prise à Monaco. En analysant les documents obtenus au cours de l’enquête, la Commission constate, à partir du relevé de la carte Visa de madame Bélanger, leur présence à Monaco le 12 septembre et à Cannes le 13 septembre 2012, ce qui atteste la version de monsieur Barrette.
[22]. Côté, Charron et Massé, CMQ-64733, CMQ-64734 et CMQ-64735, 20 mars 2014.
[23]. Benedetti, CMQ-64360, 20 février 2013.
[24]. Il a fait cette déclaration à la journaliste Véronique Dubé, de Radio-Canada, le 5 février 2014 (pièce P-29). Lors de son témoignage, monsieur Barrette a admis avoir bel et bien fait cette déclaration.
[25]. Le petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, nouv. éd. du Petit Robert, texte remanié et amplifié sous la direction de Josette Rey-Debove et Alain Rey, Paris, Le Robert, c2013, 2837 p.
[26] . Factures P-19 et P-19a.
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