Décision

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Syndicat des fonctionnaires municipaux de Québec (FISA) c. Ménard

2014 QCCS 2293

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

N° :

200-17-019403-138

 

DATE :

14 mai 2014

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

MARTIN DALLAIRE, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

SYNDICAT DES FONCTIONNAIRES MUNICIPAUX DE QUÉBEC [FISA]

600, boul. Pierre-Bertrand, bureau 205, Québec (Québec) G1M 3W5

 

Demandeur

c.

Me JEAN-GUY MÉNARD

53, rue du Parc de Viny, Québec (Québec) G1C 3L3

 

Défendeur

 

et

VILLE DE QUÉBEC

2, rue des Jardins, Québec (Québec) G1R 4S9

 

            Mise en causse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR REQUÊTE EN RÉVISION JUDICIAIRE

______________________________________________________________________

 

[1]           Le syndicat des fonctionnaires municipaux de Québec [FISA] souhaite réviser une décision de l’arbitre Jean-Guy Ménard prononcée le 29 octobre 2013 qui rejette un grief visant un affichage de poste pour la Ville de Québec [Ville] requérant la connaissance de l’anglais.

 

LES FAITS

[2]           Les faits sont simples et se résument de la façon suivante. La Ville est liée avec FISA par une convention collective [pièce P-1] qui y stipule à son article 1.02 que l’employeur ne doit pas faire de discrimination « en raison… de sa langue… », et ce, en sus des dispositions législatives de la Charte de la langue française[1] à ses articles 46 et 50.

[3]           La Ville exploite dans son Service des finances une division des revenus qui nécessite des agents de perception. À cet effet, le 14 septembre 2012, elle affiche un poste d’agent ou d’agente de perception qui contient l’exigence « d’une bonne connaissance de la langue anglaise parlée et écrite » [pièce P-2].

[4]           La Ville explique cette exigence au fait que bien que possédant une population anglophone de 1.6% au dernier recensement 2006, plusieurs entreprises affichées au rôle d’évaluation ont leur adresse ou siège social hors Québec, soit 2700 hors Québec et plus ou moins 800 aux États-Unis.

[5]           Dans l’analyse pointue d’un dossier de perception, et en raison des exigences d’échanges intenses avec le contribuable situé hors Québec, il faut maitriser la langue anglaise puisque ce sont souvent des questions complexes qui impliquent les deniers de la Ville.

[6]           Règle générale, bon an mal an, il y a une cinquantaine de cas à traiter par année, soit environ un cas par semaine.

[7]           Dans le passé, le traitement de ces dossiers d’examen se faisait sur un appel volontaire à une agente ou à la coordonnatrice de la section facturation qui possédait la maitrise de la langue anglaise.

[8]           Or, ces volontaires sont aujourd’hui à la retraite et la nouvelle coordonnatrice de la Ville, après analyse avec ses supérieurs, requiert donc cette exigence qui de la sorte se retrouve dans l’affichage du poste.

[9]           Au moment de la décision, cet affichage ne vise qu’un seul poste, mais s‘applique à un deuxième poste par mutation.

[10]        Le processus d’embauche comporte une présélection de six candidats. Parmi ceux-ci, trois rencontrent les exigences de la tâche. Après un test d’entretien téléphonique bilingue, deux de ces personnes obtiennent le poste.

[11]        Certains autres postes à la Ville voient une semblable exigence, notamment les postes d’agent en secrétariat à l’Office du tourisme, quelques postes professionnels à Expo-Cité et un poste d’agent de protocole classe IV du commissariat aux relations internationales.

DÉCISION DE L’ARBITRE MÉNARD

[12]        L’arbitre Ménard rejette le grief logé par le Syndicat qui vise à déclarer que l’employeur n’a pas respecté les dispositions de la convention collective et de la Charte de la langue française.

[13]        Pour en conclure de la sorte, l’arbitre Ménard résume d’abord la preuve essentiellement livrée par la Ville et dont il tient les informations comme pertinentes et avérées.

[14]        Par la suite, il se livre à l’analyse de jurisprudences en semblable matière et retient donc qu’il faille répondre positivement à deux critères. Le premier étant que l’exigence doit être nécessaire et qu’accessoirement, une fois la nécessité démontrée, celle-ci n’est pas discriminatoire, abusive ou déraisonnable.

[15]        Procédant à l’analyse des caractéristiques de la nécessité, il affirme à son paragraphe 26 les éléments suivants :

 [26] J'ai attentivement examiné la jurisprudence qu'on m'a soumise au regard de situations qui, comme en la présente affaire, représentaient des cas où on avait exigé la connaissance de l'anglais pour occuper une fonction. On peut difficilement dire qu'il s'en dégage un courant dominant puisque, dépendant des espèces, soit on s'est plus particulièrement arrêté à la notion de "nécessité" pour lui reconnaître une compréhension plus ouverte en l'associant par ailleurs à la règle de la raisonnabilité, soit on en a fait une lecture fermée et strictement en lien avec le préambule de la Charte de la langue française, soit on a vu dans l'exception prévue à l'article 46 de la Charte de la langue française une occasion d'invoquer la défense d'exigence professionnelle justifiée (EPJ) applicable en matière de discrimination, soit on s'en est remis à des facteurs qualitatifs et/ou quantitatifs pour décider du caractère de nécessité.

[Références omises]

[16]        Il rappelle la primauté des objectifs de la loi à son paragraphe 31 :

[31] Tout comme l'a par inférence reconnu l'arbitre Boivin dans l'affaire Université de Montréal et tout comme l'a spécifiquement plaidé le Syndicat, on ne peut ici faire abstraction du préambule de la Charte de la langue française qui consacre le principe que le français est la "langue de l'État et de la Loi aussi bien que la langue normale et habituelle du travail, de l'enseignement, des communications, du commerce et des affaires".                                                                [Référence omise]

[17]        Aux paragraphes 33 et 34, il précise sa pensée quant aux critères de nécessité :

[33] À mon avis, on ne peut pas réduire le sens et la portée de cette exception au point d'en ramener l'application à une stricte question de statistiques (cf.  proportion de la clientèle anglophone potentiellement desservie, proportion de la tâche à accomplir en langue anglaise, par exemple) ou, encore pire, à des notions aussi étroites ou restrictives que celles retenues par l'arbitre Turcotte quand il écrit que "la nécessité requise (…) existe dans tous les cas où la maîtrise d'une langue autre que le français est partie intégrante de l'essence même du poste où on l'exige, par exemple, un poste de traducteur, ou lorsque cet élément est imposé par une loi d'ordre public, par exemple l'article 15 de la Loi sur les services de santé et services sociaux".

[34] Je suis plutôt d'opinion qu'il n'existe pas de facteur unique ou même dominant pour évaluer la connaissance de la langue anglaise à un niveau spécifique et nécessaire à l'accomplissement d'une tâche. Comme l'a clairement exprimé l'arbitre Boivin, l'occasion ou l'utilité ne correspondent pas à l'idée de nécessité évoquée à l'article 46 de la Charte de la langue française. Cela dit, il importe toutefois de constater que cet arbitre a rajouté, à juste titre à mon sens, que "seule l'analyse de faits plus précis peut permettre de décider si la connaissance de l'anglais, dans un poste donné, est nécessaire à l'accomplissement de la tâche". C'est incidemment la même position qu'a prise le collègue Jean-Guy Clément en écrivant qu'il ne s'agit pas "de quantifier la proportion du temps où une autre langue est utilisée", mais plutôt "de déterminer si, pour l'accomplissement de la tâche, nécessairement dans son ensemble", l'usage de cette langue est nécessaire pour que la tâche en cause soit exécutée  "de façon efficace et normale.

[Références omises]

[18]        Après avoir conclu sur l’exigence de nécessité, il rappelle à son paragraphe 37 l’analyse de la preuve :

[37] À l'examen de la preuve, il ressort certains points que je tiens pour déterminants eu égard à la décision qu'il me faut rendre. Ils se présentent comme suit :

37.1      Jusqu'en 2010, et même 2012 pour partie, l'Employeur a pu répondre aux besoins en termes de services parce que des personnes salariées autres que des agentes ou agents de perception se sont volontairement montrées disponibles pour le faire. Depuis 2010 et 2012, selon les cas, il ne pouvait plus compter sur ce volontariat, pas plus d'ailleurs que sur celui des agentes et agents de perception en faction. Étant donné qu'il lui était carrément impossible d'exiger de personnes salariées autres que des personnes détentrices de l'un ou l'autre de ces postes qu'elles effectuent du travail relevant de cette classification, il ne pouvait adresser son attente qu'auxdites personnes détentrices.

37.2      Le travail en question qui en est un qui appartient, à n'en pas douter, au titre d'agente ou d'agent de perception comporte un niveau de complexité bien précis, d'autant qu'il est en lien étroit avec l'objectif de percevoir les dus dans le meilleur délai possible. Il faut non seulement posséder chaque dossier discuté dans toutes ses composantes, savoir dégager des pistes de solution, mais aussi faire le nécessaire pour en convaincre son interlocuteur, ce qui exige une capacité d'expliciter chaque détail, au besoin.

37.3      Ce travail revêt une importance évidente par sa nature et également par ses effets ou ses conséquences, selon que les discussions aboutissent à un règlement ou non. De fait, l'intervention de l'agente ou de l'agent de perception représente pour un compte en souffrance la dernière étape avant qu'il soit référé au processus judiciaire. D'où ce mandat qu'elle ou il a de chercher à lui trouver une solution et d'où l'intérêt qu'elle ou il doit avoir de bien faire comprendre à ses interlocuteurs tous les tenants et aboutissants de la situation dans laquelle ils se retrouvent.

37.4      Si l'on ne peut pas parler d'une fréquence élevée, puisqu'il n'y aurait qu'une cinquantaine d'occurrences du genre par année, on doit par contre constater qu'il y a là une récurrence qui, jointe à la complexité des problématiques qu'elles comportent, laisse deviner l'existence d'une situation pour le moins particulière.

[19]        En terminant, soucieux de signaler à la Ville ce qui serait un caractère déraisonnable pour les postes en question, il rappelle :

[40] Si l'on se fie à l'effet produit par l'affichage contesté, on doit en comprendre que l'exigence du bilinguisme a été appliquée à ce jour au comblement des deux (2) des huit (8) postes existants d'agente ou d'agent de perception. Par ailleurs, on sait qu'au préambule de l'avis pertinent on a précisé qu'il devait en être de même pour les "autres postes similaires qui deviendr(aie)nt vacants au cours des deux (2) prochaines années", ce qui mènerait au 14 septembre 2014. Prenant pour acquis que la fréquence démontrée exige tout au plus qu'on se préoccupe de couvrir l’horaire régulier et de pallier aux absences autorisées des détentrices de chacun de ces postes par elles-mêmes, j'estime qu'on dérogerait à l'article 46 de la Charte de la langue française si on appliquait cette exigence du bilinguisme à d'autres postes d'agente ou agent de perception que ceux qui ont ici été comblés sans ajouter à la preuve dont on m'a saisi.

[20]        Ainsi, son message est clair à savoir, qu’il y a lieu pour l’employeur de ne pas imposer ce critère à l’ensemble des postes.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

[21]        Le syndicat soutient que l’arbitre a erronément interprété les courants jurisprudentiels dans l’analyse de sa réflexion au paragraphe 25 de sa décision.

[22]        Selon lui, il n’existe pas de controverse jurisprudentielle concernant les critères applicables à l’article 46 de la Charte.

[23]        L’analyse de la jurisprudence révèle plutôt que les critères d’analyse sont modulés en fonction de ce qui est réellement contesté.

[24]        Toujours selon le syndicat, le défendeur a erronément renversé le fardeau de preuve et l’a placé sur les épaules du demandeur. Pour asseoir une semblable argumentation, on se réfère au paragraphe 36 de sa décision :

[36] Tenant compte de toutes ces observations, il m'apparaît que j'ai ici plus précisément à décider si l'Employeur a démontré de manière prépondérante si une "bonne connaissance de la langue anglaise parlée et écrite" est de nature à permettre l'accomplissement adéquat des postes d'agente ou agent de perception visés ou encore si l'accomplissement de ces tâches exigeait cette connaissance. Il va sans dire que cet exercice doit se compléter à l'enseigne de la prudence puisqu'il ne s'agit pas d'effectuer un contrôle d'opportunité au regard de la décision contestée, mais bien de vérifier si elle ne comporte pas un quelconque caractère abusif, déraisonnable ou discriminatoire.

[Soulignement ajouté]

[25]        Compte tenu de ce renversement de fardeau, l’arbitre a erré de manière déraisonnable et a erronément appliqué le renversement du fardeau de preuve. À partir de son analyse, la conclusion qui en découle devrait nécessairement être qualifiée de déraisonnable.

[26]        Pour la Ville, au contraire, celle-ci soutient que l’arbitre a fait une analyse adéquate de la jurisprudence qui, bien qu’indiquant un caractère de nécessité, se réfère à ce qui est nécessaire selon chaque cas d’espèce.

[27]        Quant au renversement du fardeau de preuve, la Ville nie cette prétention tout en ajoutant qu’au contraire, l’arbitre a dû se convaincre que l’exigence de l’anglais était nécessaire, et par la suite, celle-ci n’était pas déraisonnable.

[28]        Finalement, étant donné que l’arbitre agit dans sa sphère de compétence, le tribunal doit traiter avec déférence sa conclusion puisqu’il s’agit là d’une issue possible et acceptable.

DISPOSITIONS

[29]        Les dispositions légales et conventionnelles applicables sont les suivantes.


A)         La Charte de la langue française (chapitre C-11)

"PRÉAMBULE

             Langue distinctive d'un peuple majoritairement francophone, la langue française permet au peuple québécois d'exprimer son identité.

             L'Assemblée nationale reconnaît la volonté des Québécois d'assurer la qualité et le rayonnement de la langue française. Elle est donc résolue à faire du français la langue de l'État et de la Loi aussi bien que la langue normale et habituelle du travail, de l'enseignement, des communications, du commerce et des affaires.

             L'Assemblée nationale entend poursuivre cet objectif dans un esprit de justice et d'ouverture, dans le respect des institutions de la communauté québécoise d'expression anglaise et celui des minorités ethniques, dont elle reconnaît l'apport précieux au développement du Québec.

             (…)

46.        Il est interdit à un employeur d'exiger pour l'accès à un emploi ou à un poste la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d'une langue autre que la langue officielle, à moins que l'accomplissement de la tâche ne nécessite une telle connaissance.

                         (…)

Il incombe à l'employeur de démontrer à la Commission ou à l'arbitre que l'accomplissement de la tâche nécessite la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d'une langue autre que le français." 

B)         La convention collective

"1.01    L'objet de la convention est de maintenir et de promouvoir les bonnes relations qui existent entre l'Employeur et ses employés représentés par le Syndicat et de régir les conditions de travail des employés couverts par le certificat d'accréditation détenu par le Syndicat.

Les parties conviennent que leur objectif commun et prioritaire est le service aux citoyens de la Ville de Québec."

NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[30]        Les procureurs conviennent que la norme applicable est celle du critère de la décision raisonnable.

[31]        Bien que dans les faits le tribunal ne soit pas lié par cette admission, il souscrit aux propos des procureurs, et ce, en raison du fait que l’intégration des dispositions de la Charte, spécifiquement rattachées aux dispositions de la convention collective, fait en sorte que l’arbitre, lorsqu’il statue sur les exigences de la langue anglaise pour les fins d’un travail donné, agit dans sa sphère de compétence à titre d’arbitre spécialisé en la matière.

[32]        Or, comme il agit dans sa sphère distinctive, la seule intervention que pourrait se permettre le présent tribunal serait d’en venir à la conclusion qu’il s’agit d’une décision déraisonnable.

ANALYSE ET DÉCISION

[33]        L’argument soulevé par le syndicat quant au renversement du fardeau de preuve est séduisant. Force est de conclure, si celui-ci a raison dans ses prétentions, qu’il s’agit d’une décision déraisonnable puisque l’arbitre aurait inversé un fardeau de preuve qui appartient à la Ville.

[34]        Qu’en est-il en l’espèce?

[35]        D’abord, l’arbitre, en précisant la tendance jurisprudentielle sur la nécessité, analyse un principe qui, selon les décisions soumises, n’est pas évident.

[36]        Ainsi, tous conviennent que le critère de nécessité doit être rencontré et démontré par l’employeur. Mais, qu’est-ce qui est nécessaire?

[37]        Dans certains cas, il peut s’avérer que l’arbitre se réfère à des normes statistiques et quantitatives sur une base de données. Par ailleurs, il peut s’agir d’une affectation qualitative, à savoir que les dossiers sont rares, mais importants. Enfin, il peut aussi s’agir d’une affectation de rattachement, à savoir qu’elle découle des fonctions inhérentes de la tâche ou par dévolution ou ce que d’aucuns appellent le critère d’exigence professionnelle justifié.

[38]        Chaque cas est un cas d’espèce et d’ailleurs c’est ce que soutenait l’arbitre Jean-Roch Boivin[2], repris par l’arbitre Ménard dans sa décision au paragraphe 29 :

[29] …

"Si on poussait à l'extrême l'argument du procureur patronal, il pourrait vouloir dire que l'exigence de la langue anglaise est nécessaire dès que quelques communications doivent être faites par un commis dans une autre langue que le français au cours d'une année complète.

Je ne peux accepter cet argument. En effet, le législateur, en adoptant la Charte de la langue française savait certainement qu'au Québec, les titulaires de nombreux postes, tant dans l'entreprise privée que dans les secteurs publics et parapublics, peuvent, à l'occasion, être appelés dans et à l'occasion de l'exécution de leurs fonctions, à communiquer dans la langue anglaise. Est-ce à dire que la connaissance de cette langue soit alors nécessaire à tous ces titulaires pour accomplir leur tâche? Il est évident que le législateur n'a pas voulu un tel résultant.

Le législateur a employé, à l'article 46, le mot "nécessaire" et non le mot "utile". Comme il n'est pas censé parler pour ne rien dire, ce serait semble-t-il dénaturer la lettre et l'esprit du texte législatif que de conclure au bien-fondé de l'exigence de la langue anglaise dans tous les cas où un employé est appelé à employer l'anglais à l'occasion. Seule l'analyse de faits plus précis peut permettre de décider si la connaissance de l'anglais, dans un poste donné, est nécessaire à l'accomplissement de la tâche."

[39]        En analysant attentivement le dispositif de la décision de l’arbitre, le tribunal n’est pas convaincu que celui-ci a inféré et renversé un fardeau de preuve obligeant le syndicat à démontrer la nécessité.

[40]        Le tribunal est à même de constater que seule la Ville a présenté une preuve dans ce dossier et que l’arbitre estime cette preuve pertinente et probante.

[41]        Certes, on peut ne pas être d’accord sur son appréciation qualitative et quantitative, mais c’est suite à son analyse de la preuve qu’il retient cette conclusion.

[42]        Or, il lui appartient de filtrer ce qu’il estime juste et raisonnable dans les circonstances.

[43]        Le tribunal peut concevoir que deux postes, plutôt qu’un, affectés pour le traitement d’un dossier par semaine n’est pas important et nécessaire, mais tout est relatif. Si ce dossier implique des sommes en jeu de plusieurs millions de dollars, la Ville n’a guère le choix. Il s’agit là d’une importance vitale reliée à l’impact de ses opérations.

[44]        Le tribunal rappelle également qu’il s’agit d’une issue possible et acceptable, car il peut exister plus d’une issue raisonnable.

[45]        En l'occurrence, le juge Binnie, au nom des juges majoritaires de la Cour suprême, dans l'arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa[3] adresse cette mise en garde :

[59] La raisonnabilité constitue une norme unique qui s’adapte au contexte.  L’arrêt Dunsmuir avait notamment pour objectif de libérer les cours saisies d’une demande de contrôle judiciaire de ce que l’on est venu à considérer comme une complexité et un formalisme excessifs.  Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, elle commande la déférence.  Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles-mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle-ci fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47).  Il peut exister plus d’une issue raisonnable.  Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

             [Soulignement ajouté]

[46]        Convaincu de ces critères dans la décision qu’on cherche à réviser, le tribunal rejette la requête.

[47]        POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[48]        REJETTE la requête en révision judiciaire;

[49]        LE TOUT, avec dépens.

 

 

__________________________________

MARTIN DALLAIRE

Juge à la Cour supérieure

 

Me Sophie Cloutier

Mes Poudrier Bradet [casier 122]

Procureurs du demandeur

 

Me Jean-Guy Ménard

Défendeur

 

Me Mélanie Tremblay

Mes Giasson et associés [casier 13]

Procureurs de la mise en cause

 

Date d’audience :

10 avril 2014

 



[1]     Charte de la langue française, RLRQ Chap. C-11.

[2]     Université de Montréal et Syndicat des employés de l'Université de Montréal, SOQUIJ AZ-87142025, arbitre : Me Jean-Roch Boivin.

[3]     [2009] 1 R.C.S. 339.

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