Service d'entretien Distinction inc. |
2012 QCCLP 5263 |
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Dossier 446591-71-1108
[1] Le 11 août 2011, Service d’entretien Distinction inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 4 août 2011 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 18 mai 2011 et déclare que le coût des prestations versées pour l’accident du travail survenu le 31 décembre 2009 à monsieur Roger Lapointe (le travailleur) doit demeurer imputé au dossier financier de l’employeur.
Dossier 470258-71-1204
[3] Le 25 avril 2012, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 13 avril 2012 à la suite d’une révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 18 mai 2011 et déclare que le coût des prestations versées pour l’accident du travail survenu le 31 décembre 2009 au travailleur demeure inchangé.
[5] L’employeur a transmis une argumentation écrite le 17 mai 2012 demandant de rendre la décision à partir des éléments colligés au dossier et de son argumentation. La cause est mise en délibéré à cette date.
L’OBJET DES CONTESTATIONS
Dossier 446591-71-1108
[6] L’employeur demande de déclarer que la totalité du coût des prestations versées pour la période du 4 mai au 27 novembre 2010 doit être transférée à l’ensemble des employeurs au motif qu’il est obéré injustement au sens du deuxième alinéa de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la Loi).
Dossier 470258-71-1204
[7] L’employeur demande de déclarer que le travailleur était déjà handicapé lorsque sa lésion professionnelle est survenue, donnant ainsi ouverture à un partage du coût des prestations en vertu de l’article 329 de la Loi. Il demande un partage du coût des prestations dans une proportion de 10 % pour l’employeur et de 90 % pour les employeurs de toutes les unités.
LES FAITS
[8] Le travailleur, né le […] 1948, est donc âgé de 61 ans lorsqu’il est victime d’un accident du travail le 31 décembre 2009.
[9] En reculant, il glisse sur « le dos position assis ayant le réflexe de me protéger le visage » [sic].
[10] Il consulte un médecin le 10 janvier 2010 et un diagnostic d’entorse lombaire est retenu. Le médecin recommande un arrêt de travail pour une semaine.
[11] Le 25 février 2010, la docteure Jacqueline Chan, physiatre, remplit un formulaire d’assignation temporaire.
[12] Le 3 mai 2010, le docteur Carl Giasson examine le travailleur à la demande de l’employeur. Celui-ci ne constate aucune évidence clinique d’une lésion de type entorse lombaire et conclut, selon l’histoire, à une lésion contusionnelle du rachis, qui est résolue.
[13] Il constate que les douleurs résiduelles éprouvées par le travailleur découlent de conditions dégénératives préexistantes et conclut que la lésion professionnelle est consolidée en date de son examen, soit le 3 mai 2010, sans nécessité de traitements, sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.
[14] Le 22 juin 2010, le travailleur subit une chirurgie pour une hernie inguinale. Un certificat médical justifie une absence pour ce motif du 22 juin au 20 juillet 2010.
[15] Le 24 août 2010, l’examen par résonance magnétique réalisé par le docteur Guilbault, radiologiste, révèle des changements dégénératifs sous forme d’un pincement important de l’espace intersomatique L1-L2 associé à un complexe disco-ostéophytique important antérieur et moins important en postérieur, le tout causant des sténoses foraminales modérées bilatéralement. Aussi, on retrouve, en L5-S1, une légère hernie discale postérieure associée à une arthrose facettaire postérieure gauche qui cause une sténose importante en foraminale gauche et plus modérée en foraminale droite. Il y a une très légère sténose centrale.
[16] Le 5 octobre 2010, le docteur Radhakrishna administre quatre infiltrations à la région lombaire inférieure pour des blocs facettaires.
[17] Le 27 octobre 2010, le docteur Théodore Nault, chirurgien orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale, examine le travailleur.
[18] Le docteur Nault conclut à un diagnostic d’entorse lombaire, consolidée en date du 3 mai 2010, sans nécessité de traitements, sans atteinte permanente, ni limitations fonctionnelles. Il indique, au soutien de son diagnostic d’entorse lombaire :
Nous sommes d’avis qu’il y a effectivement eu une chute avec un mécanisme ayant provoqué une entorse lombaire.
[19] Sur la date de consolidation retenue, il indique :
Pour la période de consolidation d’une entorse lombaire, selon la médecine probante, est de 3 à 4 mois. Par conséquent, nous sommes d’avis que la date de consolidation se situe effectivement lors de l’évaluation du docteur Giasson, soit le 3 mai 2010 ceci concorde avec nos évaluations qui sont superposables.
Cependant, monsieur Lapointe présente des douleurs lombaires qui semblent vouloir se chroniciser et qui sont dues, à notre avis, à la condition de dégénérescence discale multi-étagée telle qu’identifiée à la résonance magnétique du mois d’août 2010.
[20] Le 28 mars 2011, le docteur John W. Osterman émet une opinion médicale à la demande de l’employeur quant à la possibilité d’un partage du coût des prestations, selon l’article 329 de la Loi.
[21] Le docteur Osterman est d’avis que le travailleur était porteur d’un handicap, à savoir, que les sténoses foraminales, la hernie discale et les complexes disco-ostéophytiques constituent une déviation de la norme biomédicale.
[22] Il émet l’opinion que ces changements d’origine personnelle et dégénérative étaient présents avant l’incident du 31 décembre 2009 et qu’il s’agit donc d’un handicap préexistant.
[23] Enfin, il conclut que le handicap préexistant du travailleur a contribué à une importante prolongation de la période de consolidation qui est normalement de cinq semaines pour une entorse lombaire ainsi qu’à la survenance de sa lésion professionnelle, considérant le fait accidentel suffisamment banal pour que le travailleur continue de travailler pendant les deux jours suivant l’accident.
[24] Le 19 avril 2011, l’employeur fait une demande de partage de l’imputation des coûts en vertu de l’article 329 de la Loi en se fondant sur l’expertise du docteur Osterman.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[25] La Commission des lésions professionnelles doit d’abord déterminer s’il y a lieu d’accorder un transfert du coût de toutes les prestations versées après le 3 mai 2010 puisque la lésion professionnelle est consolidée à une date rétroactive, sans nécessité de traitements, sans déficit anatomo-physiologique ni limitations fonctionnelles.
[26] Notons ici qu’il ne s’agit pas de l’application de l’exception sur la notion d’obérer injustement énoncée au deuxième alinéa de l’article 326 de la Loi, tel que demandé par l’employeur, qui est en cause ici, mais plutôt du premier alinéa de l’article 326 de la Loi, à savoir si les prestations sont dues en raison de l’accident du travail.
[27] En ce qui concerne le coût des prestations versées pour les soins et les traitements et pour l’indemnité de remplacement du revenu, étant donné les conclusions spécifiques de la CSST dans sa décision émise le 6 janvier 2011, il doit être retiré du dossier financier de l’employeur. Voici les conclusions :
La Révision administrative est liée par l’avis du BEM du 27 octobre 2010 (et non du 18 novembre 2010) quant au diagnostic d’entorse lombaire, à la date de consolidation du 3 mai 2010, à la suffisance des soins et traitements, à l’atteinte permanente évaluée à 0 % et à l’absence de limitations fonctionnelles.
En conséquence, la Révision administrative:
CONFIRME la décision du 30 novembre 2010; et
DÉCLARE qu’à compter du 27 novembre 2010, le travailleur est capable d’exercer son emploi et qu’il n’a plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu puisque la lésion est consolidée sans limitations fonctionnelles. En ce qui a trait à l’indemnité de remplacement du revenu reçue par le travailleur pour la période du 3 mai 2010 au 26 novembre 2010, la Commission est justifiée de ne pas recouvrer cette somme étant donné la bonne foi du travailleur.
DÉCLARE que la Commission doit cesser de payer les soins et les traitements puisqu’ils ne sont plus justifiés.
[28] Demeure la question des services de professionnels de la santé (les visites médicales).
[29] L’article 326 de la Loi édicte :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
[…]
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[30] Dans une décision récente[2] rendue par une formation de trois juges administratifs, dont la soussignée, la Commission des lésions professionnelles a analysé la question concernant l’imputation du coût des prestations pour des visites médicales effectuées alors que la lésion professionnelle sera consolidée à une date rétroactive, sans déficit anatomo-physiologique ni limitations fonctionnelles.
[31] De façon unanime, la Commission des lésions professionnelles estime qu’étant donné les dispositions de la Loi, une visite médicale constitue une prestation au sens de la Loi et qu’il y a une distinction entre une visite médicale et des soins ou des traitements :
[359] De même, il ressort des articles de loi cités précédemment que les frais relatifs aux visites médicales effectuées à la suite et en raison d’une lésion professionnelle constituent des prestations au sens de l’article 2 de la loi. Cette conclusion fait l’objet d’un consensus dans la jurisprudence, peu importe le courant adopté.
[…]
[361] Maintenant le tribunal remarque que l’article 189 de la loi énumère divers éléments constituant l’assistance médicale à laquelle le travailleur a droit en raison de sa lésion professionnelle.
[362] Ce sont les services de professionnels de la santé, les soins ou les traitements fournis par un établissement, les médicaments et les autres produits pharmaceutiques, les prothèses ou les orthèses et les soins, les traitements, les aides techniques et les frais autres que ceux décrits dans les paragraphes précédents.
[363] Le législateur distingue donc les services des professionnels de la santé des soins ou des traitements, à tout le moins en ce qui concerne la loi qui nous occupe.
[364] De plus, la notion de soins ou de traitements réfère à une réalité certes complémentaire, mais différente de la fourniture des services des professionnels de la santé. Ainsi, selon l’article 9 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, les services offerts par un professionnel de la santé comprennent, entre autres, les examens réalisés par ce professionnel sans égard à la prescription d’une investigation, de médicaments, de soins ou de traitements. Un service de cet ordre peut donc exister sans nécessairement conduire à l’imposition d’un soin ou d’un traitement.
[365] De même, selon le sens ordinaire de ces termes, le mot « soins » renvoie aux « moyens par lesquels on s’efforce de rendre la santé à un malade »52 alors que le traitement est l’ « ensemble des moyens mis en œuvre pour guérir ou soulager une maladie, des symptômes »53. Ces expressions présupposent donc l’existence d’un problème de santé auquel le médecin désire remédier. Or, une consultation médicale peut avoir lieu de façon préventive ou afin de faire le point sur son état de santé sans qu’il en résulte des soins ou des traitements.
[366] Il n’y a donc pas lieu de confondre les services d’un professionnel de la santé et les soins ou les traitements prescrits ou prodigués par celui-ci.
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52 Le petit Larousse illustré 2005, Paris, Larousse, p. 947.
53 Précitée, note 52, p. 1024.
[Nos soulignements]
[32] L’opinion majoritaire conclut que la consolidation d’une lésion professionnelle sans nécessité de traitements, sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles entraîne la fin de l’imputation du coût des prestations au dossier d’expérience des employeurs.
[33] Le fardeau de la preuve qui incombe à l’employeur est de démontrer que le coût des prestations dont il requiert le retrait de son dossier d’expérience est généré après la date de la consolidation de la lésion professionnelle sans nécessité de traitements additionnels, sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.
[34] La soussignée, dans une opinion dissidente, considère plutôt que l’on ne peut conclure à l’absence de relation entre des visites médicales et un accident du travail pour la seule raison qu’une lésion professionnelle est consolidée sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles. Il y a toujours lieu d’examiner si la visite médicale a bel et bien été effectuée « en raison de l’accident du travail », tel que le prescrit le premier alinéa de l’article 326 de la Loi pour déterminer si son coût peut être imputé à l’employeur.
[35] Le fondement de cette position réside d’abord dans le fait que la notion de consolidation d’une lésion est essentiellement médicale alors que la détermination d’une prestation, au sens du premier alinéa de l’article 326 de la Loi, est une notion essentiellement juridique :
[472] D’autre part, comme la Cour supérieure a eu l’occasion de le rappeler « la notion de consolidation est essentiellement médicale »72. La question de la consolidation d’une lésion doit être tranchée sur la base de considérations médicales73.
[473] Ces mêmes remarques s’appliquent à l’égard des conclusions relatives à l’absence de la nécessité des soins ou traitements, l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles.
[474] Toutefois, au contraire, la détermination qu’une prestation est due en raison d’un accident du travail relève essentiellement de l’ordre juridique, car il s’agit alors de vérifier l’existence ou l’absence d’une relation de cause à effet (lien causal) entre l’accident du travail et, en l’occurrence, la visite médicale.
[475] Je ne crois pas que des conclusions essentiellement médicales doivent automatiquement emporter le sort d’une question essentiellement juridique.
[476] Avec respect pour l’opinion contraire, je suis donc d’avis que l’on ne peut conclure à l’absence de relation entre des services de professionnels de la santé et un accident du travail pour la seule raison qu’une lésion professionnelle est consolidée sans déficit anatomo-physiologique ni limitation fonctionnelle. Cela explique ma dissidence avec les conclusions émises par le tribunal aux paragraphes i) et j).
[477] À mon avis, il y a toujours lieu d’examiner si la visite médicale est bel et bien effectuée « en raison de la lésion » pour déterminer si son coût peut être imputé à l’employeur parce qu’il est alors dû « en raison de l’accident du travail ».
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72 CSN Construction, Fédération des employées et employés de service public CSN et Confédération des syndicats nationaux c. CLP, [2000] C.L.P. 43 (C.S.), appel rejeté, C.A. Montréal, 500-09-009666-009, 14 janvier 2003, jj. Brossard, Morin, Rayle. Voir au même effet : Union des producteurs agricoles et Tremblay, C.L.P. 287221-01A-0604, 27 mars 2008, M. Racine.
73 C.S.S.S. de la vieille Capitale et Beaupré, 2011 QCCLP 858 .
[36] Le fondement de cette opinion réside ensuite dans le fait que si l’on accepte le fait que les visites médicales se distinguent des soins et des traitements et forment deux entités dans la Loi, on doit donner le sort que reconnaît la Loi pour ces deux entités, à savoir que la première est toujours permise et n’est pas contestable alors que la deuxième est contestable et a une fin prévue juridiquement :
[483] En ce qui concerne les conclusions médicales contestables, celles-ci sont décrites à l’article 212 de la loi :
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
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1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.
[484] On remarque que les services de professionnels de la santé prévus à titre d’assistance médicale n’y figurent pas. Peut-on assimiler les services d’un professionnel de la santé, ici une visite médicale, aux termes « soins ou traitements administrés ou prescrits » que l’on retrouve au troisième alinéa de l’article 212 ?
[485] Dans la Loi médicale74, l’article 31 énonce en quoi consiste l’exercice de la médecine :
31. L'exercice de la médecine consiste à évaluer et à diagnostiquer toute déficience de la santé de l'être humain, à prévenir et à traiter les maladies dans le but de maintenir la santé ou de la rétablir.
Dans le cadre de l'exercice de la médecine, les activités réservées au médecin sont les suivantes:
1° diagnostiquer les maladies ;
2° prescrire les examens diagnostiques;
3° utiliser les techniques diagnostiques invasives ou présentant des risques de préjudice;
4° déterminer le traitement médical;
5° prescrire les médicaments et les autres substances;
6° prescrire les traitements;
7° utiliser les techniques ou appliquer les traitements, invasifs ou présentant des risques de préjudice, incluant les interventions esthétiques;
8° exercer une surveillance clinique de la condition des personnes malades dont l'état de santé présente des risques;
9° effectuer le suivi de la grossesse et pratiquer les accouchements;
10° décider de l'utilisation des mesures de contention.
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1973, c. 46, a. 29; 2002, c. 33, a. 17.
[486] On comprend que lors d’une visite médicale, le médecin peut poser une foule d’actes différents. Notamment, il peut prescrire un traitement qu’il prodiguera lui-même. Il apparaît donc clairement, qu’une visite médicale ne peut être assimilable à un soin ou traitement. D’ailleurs, la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles, à laquelle se rallie le tribunal, considère que le législateur, lorsqu’il traite des « services de professionnels de la santé » à l’article 189 de la loi et des « soins et traitements » à l’article 212, fait appel à deux notions distinctes, non assimilables.
[487] La soussignée estime qu’il faut donc tenir compte de cette distinction et non simplement la constater et déclarer ensuite « qu’il s’agit de deux entités » mais qu’elles doivent connaître le même sort.
[488] Si le législateur avait voulu qu’on confonde ces deux notions ou qu’on les traite pareillement, il n’aurait eu qu’à inclure les visites médicales avec les soins et traitements au point 3 des éléments médicaux contestables énoncés à l’article 212 de la loi. Ou, il n’aurait eu qu’à indiquer, au chapitre de l’Assistance médicale, qu’un travailleur n’a plus droit aux services de professionnels de la santé lorsque sa lésion est consolidée et même y préciser que ceci s’applique que lors d’une consolidation sans déficit anatomo-physiologique ni limitation fonctionnelle.
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74 L.R.Q., c. M-9.
[Nos soulignements]
[37] Enfin, sur le fardeau de preuve, la soussignée estime qu’un rapport médical au dossier attestant que la visite a bel et bien eu lieu en raison de la lésion, même si celle-ci n’est parfois pas alors bien déterminée, permet de conclure qu’il s’agit d’une « prestation due en raison de l’accident du travail » et le coût de cette visite médicale doit demeurer au dossier financier de l’employeur.
[38] Dans le cas qui nous occupe, l’employeur demande le transfert du coût de toutes les visites médicales effectuées après le 5 mai 2010 sans autre précision. On ne sait pas à quelle visite il réfère.
[39] La Commission des lésions professionnelles constate qu’il existe au dossier des rapports médicaux en relation avec le diagnostic d’entorse lombaire en date du 21 juillet 2010, du 18 août 2010, du 22 septembre 2010 - ce dernier étant accompagné d’un avis motivé complété par le médecin qui a charge à la demande de la CSST- du 5 octobre 2010, du 24 novembre 2010, du 9 février et du 23 mars 2011.
[40] Le coût de ces visites doit demeurer imputé au dossier financier de l’employeur, car elles ont été effectuées en raison de l’accident du travail.
[41] Si d’autres visites ont eu lieu, la Commission des lésions professionnelles ne peut conclure que c’est « en raison de l’accident du travail » et le coût de ces visites doit être retiré du dossier puisque le dossier fourni par la CSST ne contient pas de rapports médicaux.
[42] La Commission des lésions professionnelles doit maintenant déterminer si le travailleur souffre d’un handicap antérieur à la lésion professionnelle donnant ainsi droit à un partage du coût des prestations.
[43] À ce titre, rappelons que par exception, le législateur a prévu qu’un employeur peut demander un partage du coût des prestations lorsqu’un travailleur est déjà handicapé au moment où se manifeste sa lésion professionnelle :
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[44] Pour qu’une demande de partage du coût des prestations soit accordée, l’employeur doit établir de façon prépondérante deux éléments : d’abord la présence d’un handicap préexistant à la lésion professionnelle, ensuite une relation entre ce handicap et la lésion professionnelle subie, soit parce que ce handicap a influencé sa survenance ou parce qu’il a influencé ses conséquences.
[45] Sur l’établissement du premier élément, il ressort de manière fortement majoritaire au sein de la Commission des lésions professionnelles depuis la décision rendue dans l’affaire Municipalité Petite-Rivière-St-François et CSST[3] que, pour qu’un travailleur soit considéré comme déjà handicapé au moment de la survenance de la lésion professionnelle, il doit être porteur d’une insuffisance ou d’une déficience significative, (congénitale ou acquise) de ses capacités physiques ou mentales qui peut ou non s’être manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle :
La première étape consiste donc à vérifier si le travailleur présente une déficience physique ou psychique. Sur ce point, il est utile de se référer à la Classification internationale des handicaps élaborée par l’Organisation mondiale de la santé (Paris, CTNERHI-Inserm, 1998) parce que ce manuel a l’avantage de représenter un consensus de la communauté médicale internationale sur ce que constitue un handicap. Selon cet ouvrage, une déficience constitue une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique et correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Cette déficience peut être congénitale ou acquise. Finalement, pour reprendre le courant de jurisprudence avec lequel la soussignée adhère, la déficience peut ou non se traduire par une limitation des capacités du travailleur de fonctionner normalement. La déficience peut aussi exister à l’état latent, sans qu’elle se soit manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle.
[46] On constate de cet extrait que la déficience physique ou psychique constitue une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique qui correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. La déviation par rapport à la norme biomédicale doit être démontrée par une preuve prépondérante[4].
[47] Notons que, selon la définition plus récente que donne l’Organisation mondiale de la santé[5], la déficience est une perte ou une anomalie d’une structure anatomique ou d’une fonction organique. On précise que, dans ce contexte, le terme anomalie est utilisé pour désigner un écart important par rapport à des normes statistiques établies, c’est-à-dire un écart par rapport à la moyenne de la population dans le cadre de normes mesurées.
[48] Comme l’a indiquée la juge administrative Lajoie dans une décision récente[6], cette définition reprend essentiellement celle déjà retenue par le tribunal. Il y a donc lieu de conclure que la notion de déficience, telle qu’appliquée, n’est pas dépassée.
[49] Sur l’établissement du deuxième élément, il faut démontrer que le handicap a joué ou bien un rôle déterminant dans le phénomène qui a provoqué la lésion, ou bien qu’il a agi sur les conséquences de cette lésion, soit en prolongeant de façon appréciable la période de consolidation de la lésion, soit en contribuant à augmenter la gravité de la lésion professionnelle ou encore à augmenter considérablement les coûts de la réparation.
[50] Dans l’affaire Hôpital Général de Montréal[7], la Commission des lésions professionnelles retient que, pour conclure à la nécessaire relation entre ce handicap et les conséquences qui en découlent, on peut considérer certains critères comme la gravité du fait accidentel, le diagnostic de la lésion professionnelle, la durée de la période de consolidation de la lésion, la nature des soins ou des traitements, l’existence ou non de séquelles découlant de la lésion professionnelle et l’âge du travailleur. Elle y précise qu’aucun de ces éléments n’est, à lui seul, péremptoire ou décisif mais, pris ensemble, ils peuvent permettre au décideur de se prononcer sur le bien-fondé de la demande de l’employeur.
[51] Dans le cas qui nous occupe, le docteur Osterman indique que la condition du travailleur, à savoir la présence de sténoses foraminales, d’une hernie discale et des complexes disco-ostéophytiques, constitue une déviation de la norme biomédicale et que ces conditions sont antérieures à la survenance de la lésion professionnelle, ce qui est conforme aux données médicales.
[52] Sur le lien de causalité, la Commission des lésions professionnelles estime que le docteur Osterman fait une affirmation sans explications suffisantes à son soutien.
[53] D’une part, le fait de tomber en position assise sur les fesses, même si le travailleur a cessé de travailler deux jours après, ne constitue pas un fait banal et est susceptible de causer une entorse lombaire comme l’indique clairement le docteur Nault dans son avis médical.
[54] D’autre part, la Commission des lésions professionnelles constate que dès le 25 février 2010, des travaux légers ont été assignés au travailleur, ce dernier poursuivant ses traitements de physiothérapie et d’ergothérapie, ce qui a pu retarder la consolidation.
[55] Par ailleurs, quoique la table de consolidation de la CSST indique une moyenne de cinq semaines pour une entorse, le docteur Nault indique que « selon la médecine probante » la période de consolidation est plutôt de trois à quatre mois, affirmation que la Commission des lésions professionnelles est en mesure de constater comme étant exacte dans les dossiers qu’elle a à traiter. Par ailleurs, le docteur Nault indique clairement que les soins qu’a reçus le travailleur jusqu’au mois de mai étaient pour sa lésion professionnelle.
[56] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles estime la preuve insuffisante pour conclure que la condition hors norme biomédicale et antérieure à la survenance d’une lésion professionnelle ait eu un impact sur la lésion professionnelle. On ne peut donc conclure à un handicap au sens de la Loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier 446591-71-1108
ACCUEILLE sur certains points la requête de Service d’entretien Distinction inc., l’employeur;
MODIFIE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 4 août 2011 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le coût versé pour les soins et traitements et l’indemnité de remplacement du revenu de monsieur Roger Lapointe, le travailleur, après le 3 mai 2010 doit être retiré du dossier financier de l’employeur;
DÉCLARE que le coût versé pour les visites médicales ayant eu lieu le 21 juillet 2010, le 18 août 2010, le 22 septembre 2010 ce dernier étant accompagné d’un avis motivé complété par le médecin qui a charge à la demande de la CSST, le 5 octobre 2010, le 24 novembre 2010, le 9 février et le 23 mars 2011 doit demeurer au dossier financier de l’employeur.
Dossier 470258-71-1204
REJETTE la requête de Service d’entretien Distinction inc., l’employeur;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 13 avril 2012 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le coût des prestations versées pour l’accident du travail survenu le 31 décembre 2009 à monsieur Roger Lapointe, le travailleur, doit être imputé au dossier financier de l’employeur.
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Pauline Perron |
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Me Marie-Claude Perreault |
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LAVERY DE BILLY |
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Représentante de la partie requérante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Centre hospitalier de l’université de Montréal-Pavillon Mailloux et als, 2012 QCCLP 2553 .
[3] [1999] C.L.P. 779 .
[4] Clermont Chevrolet Oldsmobile inc., [2003] C.L.P. 6 ; Piscines Trévi inc., C.L.P. 162579-61-0106, 8 janvier 2003, G. Morin; Sodexho Canada inc., C.L.P. 149700-32-0011, 9 mai 2001, C. Racine; Services de réadaptation l’Intégrale et CSST, [2001] C.L.P. 181 .
[5] ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ, Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé, CIF, Organisation mondiale de la santé, 2001.
[6] Les Créations Morin inc., C.L.P. 388032-04B-0909, 8 décembre 2010, D. Lajoie.
[7] [1999] C.L.P. 891 .
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