Centre Hospitalier de l'Université de Montréal (St-Luc) |
2008 QCCLP 3214 |
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[1] Le 12 janvier 2007, le Centre Hospitalier de l’Université de Montréal (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste la décision rendue le 30 novembre 2006, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle rendue initialement le 21 septembre 2006 et déclare que le coût des indemnités de remplacement du revenu versées à madame Danielle Guertin (la travailleuse) du 4 au 6 avril 2004 doit lui être imputé.
[3] L’employeur est absent à l’audience convoquée le 14 mai 2008, à Longueuil. Sa procureure avait toutefois informé la Commission des lésions professionnelles de son absence tout en soumettant une argumentation écrite au soutien de ses prétentions.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande de ne pas être imputé du coût de l’assistance médicale dans le dossier de la travailleuse, et ce, en application de l’article 327 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la loi)[1].
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit à un transfert du coût des prestations en vertu du premier alinéa de l’article 327 de la loi.
[6] Cet article se lit comme suit :
327. La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations :
1° dues en raison d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31 ;
2° d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion.
[7] Pour avoir droit à un tel transfert, l’employeur doit démontrer que la travailleuse a été victime d’une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la loi. Cet article se lit comme suit :
31. Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion :
1° des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;
2° d'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.
Cependant, le premier alinéa ne s'applique pas si la blessure ou la maladie donne lieu à une indemnisation en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25), de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) ou de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6).
[8] Le tribunal retient que pour donner droit à un tel transfert, l’employeur doit démontrer à la Commission des lésions professionnelles, que la travailleuse pour laquelle il demande le transfert a été victime d’une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la loi.
[9] Le seul fait que la CSST n’ait pas rendu de décision à ce sujet ne prive pas l’employeur de son recours. Il doit cependant faire la preuve qu’une telle lésion est survenue.
[10] Qu’en est-il en l’espèce?
[11] Le 3 avril 2004, la travailleuse, une infirmière, est exposée à des liquides biologiques par une aiguille, lors de l’installation d’un cathéter, et ce, chez une patiente connue comme porteuse d’une hépatite immune.
[12] Le même jour, la travailleuse se rend à l’urgence de l’hôpital où le médecin consulté prescrit une médication antirétrovirale. Il prescrit un arrêt de travail d’une semaine si la travailleuse présente des effets secondaires à la prise de ces médicaments.
[13] Le 5 avril 2004, le docteur Dufresne pose un diagnostic de piqûre accidentelle. Il indique que les médicaments antirétroviraux ont été prescrits le 3 avril 2004. La prise de ces médicaments a cessé cette journée-là. Il rapporte des effets secondaires importants. Il prescrit un arrêt de travail jusqu’au 7 avril 2004. Dans les notes d’évolution du dossier de la travailleuse, le médecin rapporte cesser les médicaments en raison des effets secondaires importants observés chez la travailleuse tels fatigue, diarrhée, nausée, vomissement.
[14] Le 8 avril 2004, le docteur Baril note que la travailleuse a été incapable de travailler du 4 au 6 avril 2004 inclusivement, en raison des effets secondaires médicamenteux.
[15] Le 22 avril 2004, l’employeur demande un transfert du coût des prestations en vertu de l’article 327 de la loi.
[16] Le 21 septembre 2006, la CSST conclut qu’une nouvelle lésion est survenue à l’occasion des soins prodigués à la travailleuse pour sa lésion professionnelle. Elle informe l’employeur que le coût des indemnités de remplacement du revenu versées à la travailleuse du 4 au 6 avril 2004 serait imputé à tous les employeurs.
[17] Le tribunal retient des notes évolutives de la CSST que l’agent au dossier s’appuie sur l’opinion du médecin régional pour conclure à l’existence d’une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la loi. De plus, il précise qu’en application d’une politique interne à la CSST applicable lors d’effets secondaires à la trithérapie pour contrer l’infection au VIH ou à l’hépatite, le coût des indemnités de remplacement du revenu versées à la travailleuse ne sera pas imputé à l’employeur pour la période du 4 au 6 avril 2004.
[18] Le 21 octobre 2004, le docteur Baril produit un rapport final consolidant la lésion à cette date sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle.
[19] Le 24 octobre 2006, l’employeur demande la révision de la décision rendue le 21 septembre 2006 en invoquant le fait que le coût de l’assistance médicale est toujours imputé à son dossier.
[20] Le 30 novembre 2006, la CSST, à la suite d’une révision administrative, confirme la décision rendue le 21 septembre 2006.
[21] Dans son argumentation, la procureure de l’employeur demande que non seulement le coût des indemnités de remplacement du revenu ne soit pas imputé à l’employeur, mais également que le coût de l’assistance médicale de ce dossier ne lui soit pas imputé.
[22] La procureure soumet au soutien de son argumentation, plusieurs décisions[2] de la Commission des lésions professionnelles accordant un tel transfert dans des circonstances similaires.
[23] Avec respect pour l’opinion contraire, le tribunal est d’avis de faire droit à la requête de l’employeur.
La loi définit ainsi le mot « prestation » :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« prestation » : une indemnité versée en argent, une assistance financière ou un service fourni en vertu de la présente loi;
[24] L’article 189 de la loi définit en quoi consiste l’assistance médicale à quoi a droit un travailleur victime d’une lésion professionnelle.
189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit :
1° les services de professionnels de la santé;
2° les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5);
3° les médicaments et autres produits pharmaceutiques;
4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes, des tissus, des gamètes et des embryons et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;
5° les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.
[25] Le tribunal note que dans le présent dossier, la CSST a reconnu que la travailleuse avait subi une lésion attribuable aux soins reçus pour une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la loi.
[26] Malgré cette reconnaissance, l’agent au dossier convient de transférer uniquement le coût associé au versement des indemnités de remplacement du revenu. Le coût de l’assistance médicale engendré par les visites médicales effectuées pour les soins découlant de la trithérapie demeure imputé à l’employeur.
[27] Le tribunal note que la politique sur laquelle s’appuie la CSST n’est pas au dossier et n’a pas été soumise en preuve.
[28] Le tribunal retient que l’employeur ne remet pas en cause le transfert d’imputation accordé, il demande que le même traitement soit accordé aux frais d’assistance médicale occasionnés par cette lésion attribuable aux soins.
[29] L’employeur demande que les coûts associés aux visites médicales et aux traitements reçus par la travailleuse soient imputés à tous les employeurs.
[30] Le tribunal estime ne pouvoir donner raison entièrement à l’employeur pour les motifs suivants.
[31] La soussignée partage la position adoptée dans la décision CHUM Campus St-Luc précitée, à l’effet qu’au titre de l’assistance médicale, on peut inclure le coût des médicaments reçus par la travailleuse et que l’assistance médicale peut être incluse dans le terme prestation. Le tribunal partage en effet la position soutenue dans cette décision[3], à l’effet que si la CSST peut recouvrer d’un travailleur, les frais des médicaments et des frais de déplacement lorsqu’une lésion professionnelle d’abord reconnue est ensuite refusée, parce que ces montants sont compris dans la définition de prestation, on peut donc penser que le même sens doit être donné à ce terme lorsqu’il s’agit d’appliquer l’article 327 de la loi.
[32] Cependant, la soussignée n’est pas entièrement en accord avec la position adoptée dans cette décision ni dans certaines autres produites par la procureure de l’employeur concernant le type des coûts qui doivent être imputés à tous les employeurs, dans le cas d’application des articles 31 et 327 de la loi. S’il est vrai que toutes les prestations imputables ou découlant d’une lésion professionnelle reconnue par application de l’article 31 de la loi ne doivent pas être imputées à l’employeur, il faut s’assurer que seulement ces prestations soient transférées à tous les employeurs en application de l’article 327 de la loi et non celles imputables à la lésion professionnelle initiale.
[33] En effet, le tribunal estime que le coût des visites médicales postérieures au 3 avril 2004 sauf, celle du 21 octobre 2004 où le médecin produit le rapport final consolidant la lésion à cette date sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle, doit être imputé à tous les employeurs.
[34] Le tribunal estime également que la preuve au dossier démontre que ces visites médicales ont été rendues nécessaires en raison des effets secondaires occasionnés par les soins prodigués pour la lésion professionnelle initiale. C’est d’ailleurs ces effets secondaires, soit les nausées, la fatigue, les vomissements, qui sont considérés comme la lésion attribuable aux soins.
[35] Cependant, la soussignée ne peut transférer le coût des médicaments prescrits à la travailleuse en prophylaxie, soit la trithérapie. En effet, le tribunal est d’avis que c’est en raison de la lésion professionnelle initiale, soit la piqûre à l’index, que ces médicaments ont été prescrits à la travailleuse. Ils sont donc en lien avec la lésion professionnelle initiale. Ces médicaments ne sont pas imputables à la lésion découlant des soins reçus par la travailleuse pour sa lésion professionnelle initiale. La soussignée s’écarte donc de la position adoptée par la Commission des lésions professionnelles dans certaines[4] des décisions déposées par la procureure de l’employeur.
[36] L’article 327 de la loi prévoit que les coûts engendrés par la lésion professionnelle reconnue par le biais de l’article 31 de la loi doivent être transférés à tous les employeurs.
[37] Cet article ne précise pas que tous les coûts découlant de la lésion professionnelle initiale ainsi que ceux engendrés par la lésion au sens de l’article 31 doivent être transférés à tous les employeurs.
[38] Le tribunal note également que nulle part à l’article 327 de la loi, on n’indique que seuls les coûts engendrés par le versement des indemnités de remplacement du revenu doivent être transférés à tous les employeurs. Le tribunal s’explique donc mal, la supposée politique de la CSST à cet effet.
[39] Par ailleurs, dans sa décision rendue à la suite d’une révision administrative, le réviseur au dossier convient ne pouvoir accorder le transfert des coûts d’assistance médicale parce qu’il suppose que les visites médicales effectuées après le 3 avril 2004 l’ont été en partie, en raison de la lésion professionnelle initiale.
[40] Il est possible que cette situation prévale dans certains dossiers, cependant la preuve soumise en l’espèce n’est pas de cet ordre.
[41] Lors de la visite du 3 avril 2004, à la suite de la lésion professionnelle initiale, soit la piqûre, le médecin recommande un arrêt de travail si les effets secondaires à la trithérapie sont trop importants. Les notes d’évolution du dossier médical de la travailleuse ainsi que les rapports des 4, 5 et 8 avril 2004 ont tous trait aux conséquences physiques de la prise de ces médicaments. On ne retrouve pas de mention que ces visites ont été rendues nécessaires pour le traitement de la piqûre au doigt, comme telle. On peut donc affirmer que ces visites médicales sont en lien avec la lésion reconnue par le biais de l’article 31 de la loi.
[42] Le tribunal estime de plus, que comme la visite médicale du 21 octobre 2004 visait à consolider la lésion professionnelle initiale, soit la piqûre à l’index, cette visite médicale doit demeurer imputée à l’employeur.
[43] Il y a donc lieu de faire droit en partie à la requête de l’employeur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête du Centre Hospitalier de l’Université de Montréal, l’employeur;
INFIRME la décision rendue le 30 novembre 2006, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que les coûts relatifs aux visites médicales effectuées par madame Danielle Guertin, les 4, 5 et 8 avril 2004 doivent être imputés à tous les employeurs.
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Lucie Couture, avocate |
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Commissaire |
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Me Isabelle Auclair |
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MONETTE, BARAKETT |
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Procureure de la partie requérante |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Service de Police de la CUM, C.L.P. 175548-63-0112, 23 mai 2002, J.M. Charette; CHUM (Pavillon Hôtel-Dieu), CHUM (Hôpital St-Luc) et CHUM (Pavillon Notre-Dame), C.L.P. 154029-62-0101, 166065-63-0107, 166177-61-0107, 167871-63-0108, 169284-64-0109, 29 avril 2002, M. Denis; CHUM (Campus St-Luc), C.L.P. 255332-63-0502, 28 septembre 2005, D. Beauregard; Rodrigue et Centre d’accueil D’Orléans, C.L.P. 188057-32-0207, 16 décembre 2002, C. Lessard, D’Amico et Industries Davie inc., C.L.P. 100510-03B-9804, 29 janvier 1999, M. Cusson; CHUM, C.L.P. 234965-72-0405, 7 décembre 2004, M. Denis; CHUM (Hôpital St-Luc), C.L.P. 303541-61-0611, 24 juillet 2007, L. Nadeau; CHUM (Hôpital St-Luc), C.L.P. 325600-71-0708, 28 avril 2008, C. Racine
[3] Cette position est d’ailleurs tirée des décisions Rodrigue et Centre d’accueil D’Orléans et D’amico et Industries Davie inc., également déposées par la procureure de l’employeur (voir note 2 précitée)
[4] CHUM (Pavillon Hôtel-Dieu), CHUM (Hôpital St-Luc) et CHUM (Pavillon Notre-Dame), C.L.P. 154029-62-0101, 166065-63-0107, 166177-61-0107, 167871-63-0108, 169284-64-0109, 29 avril 2002, M. Denis; CHUM (Campus St-Luc), C.L.P. 255332-63-0502, 28 septembre 2005, D. Beauregard
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