Lapierre c. Sormany |
2012 QCCS 4190 |
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JY 0067 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-068098-113 |
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DATE : |
Le 6 septembre 2012 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
MICHEL YERGEAU, j.c.s. |
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JEAN C. LAPIERRE |
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Demandeur |
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c.
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PIERRE SORMANY |
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Défendeur |
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JUGEMENT |
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"L'homme peut être indifférent pour la gloire, mais il ne lui est pas permis de l'être pour l'honneur". Gabriel Girard, 1734
INTRODUCTION*
[1] La Charte des droits et libertés de la personne[1] énonce que toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation. Sur cette base, Lapierre poursuit Sormany pour obtenir redressement et réparation.
[2] Lapierre réclame de Sormany 250 000 $ de dommages compensatoires et 100 000 $ de dommages punitifs.
[3] Le premier, un commentateur politique bien connu des ondes, fut tour à tour ministre du gouvernement canadien et co-fondateur du Bloc Québécois. Le second, bien que moins connu du grand public, est un journaliste influent qui a occupé des postes importants au sein de la Société Radio-Canada.
[4] Lapierre prétend qu’un texte publié par Sormany, sous son nom, sur un babillard Facebook, et qui est demeuré en ligne pendant quatre jours, a terni sa réputation. Il ajoute que les moyens de défense soulevés par ce dernier, puis un commentaire qu’il a fait sur les ondes de la radio et les propos de sa procureure en cours d'audience ont ajouté l’insulte à l’injure. Mis bout à bout, ils démontreraient une intention.
[5] Sormany confesse sa faute mais soutient qu'il y a eu erreur de sa part et plaide que l’honneur et la réputation de Lapierre sont intacts.
[6] Le Tribunal doit décider i) si le commentaire de Sormany a eu l’impact sur sa réputation que Lapierre prétend ou un impact moindre et en établir la valeur, ii) si le défendeur a de nouveau porté ombrage à la réputation du demandeur par ses moyens de défense ou autrement et iii) si Sormany a agi de manière intentionnelle.
[7] Après analyse, le Tribunal en vient à la conclusion que la faute commise par Sormany n’a pas mis à mal la réputation de Lapierre au point où celui-ci l'allègue. Le demandeur n'y a perdu ni son honneur, ni sa réputation. L'un et l'autre ont néanmoins été entachés. Un préjudice a donc été causé à Lapierre qui appelle une compensation. Le Tribunal conclut aussi que les moyens de défense soulevés par Sormany, malgré leur maladresse, n’ont eu aucun impact justifiant compensation pas plus qu’un commentaire qu’il a fait sur les ondes ou les propos de la procureure du défendeur n’en ont eu. Enfin, il n'y a pas eu intention en droit permettant de conclure à l'octroi de dommages punitifs. Voici pourquoi.
[8] L’enchaînement des faits et leur importance relative varient, comme c’est si souvent le cas, selon qu’ils sont vus par le demandeur ou le défendeur. Le Tribunal a donc choisi de les diviser en deux sous-sections distinctes regroupant successivement les faits marquants relevés par le demandeur et l’interprétation qu’il en donne et les faits importants relevés par le défendeur. Pour éviter la redondance, les faits objectifs déjà relatés dans la première sous-section ne seront pas repris dans la deuxième[2].
[9] Les faits mis en preuve par Lapierre, dont ceux à partir desquels il souhaite inférer un comportement de Sormany, s’articulent autour de trois dates charnières, soit les 26 et 30 septembre et 1er novembre 2011, précédées d’un préambule qui s’est joué le 25 septembre 2011. Suivons donc le cours des événements dans l’ordre où ils se sont déroulés.
[10] L’élément déclencheur de cette saga est une entrevue que M. Jacques Duchesneau donne le dimanche 25 septembre 2011 à l’émission Tout le monde en parle, sur les ondes de Radio-Canada[3].
[11] Celle-ci survient peu après qu’un rapport de l’Unité anti-collusion du Ministère des Transports du Québec eut fait l’objet d’une fuite dans les médias. M. Duchesneau déclare alors :
« (…) La question qu’on doit se poser, c’est à qui sert le fait que certaines personnes, certains reporters ciblent toujours l’Unité anti-collusion. En fait, on l’a vu dans le passé.
(…)
Puis:
Quand vous écoutez un reportage, écoutez qui le dit, comment il le dit et quel est le vrai message que vous devez entendre. Ça, ça fait partie des tactiques d’intimidation. On a de l’intimidation sur les chantiers, on a eu de l’intimidation dans notre travail. C’est drôle qu’on avait, par exemple, des visites de chantiers qui étaient effectuées et le lendemain, on avait la présence d’un reporter par hasard comme ça.
(…) »
[Le Tribunal souligne]
Et plus loin, M. Duchesneau ajoute :
« Mais regardez la subtilité. On dit une journée que j’ai joué au golf avec François Legault, j’ai jamais rencontré François Legault de ma vie. Et le lendemain, on revient avec la nouvelle et on dit « on a vérifié finalement même Legault ne le veut pas ». Donc, quand je dis « regardez quel est le message quand des gens vous parle, soit disant crédibles ». Faut qu’on allume nos lumières, il y a une pancarte au Ministère des transports quand on rentre dans un tunnel « ouvrez vos lumières ». Il faut qu’on fasse ça comme société. »[4]
[12] Ces propos ont tôt fait de provoquer des remous dans le public et le milieu journalistique comme sur la blogosphère.
[13] En effet, dès le lendemain, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) publie un communiqué sous le titre : Jacques Duchesneau doit préciser ses accusations contre les médias[5]. Après s’être dite « préoccupée par les propos formulés par Jacques Duchesneau », la FPJQ concluait son communiqué de la sorte : « Si M. Duchesneau a des griefs ou des doléances à adresser à des journalistes en particulier, qu’il les nomme et qu’il justifie son propos ». [Le Tribunal souligne]
[14] Dans la foulée de l’effervescence créée par l’entrevue de M. Duchesneau du 25 septembre et du communiqué de la FPJQ, une journaliste de la Presse canadienne, Mme Lise Millette, publie le 26 septembre, vraisemblablement à 20h44, sur sa page Facebook, le commentaire suivant à l’attention de ses « amis Facebook » :
« Je ne peux que souscrire à cette demande de ma Fédération : Jacques Duchesneau doit préciser ses accusations contre les médias. "Ces allégations sont graves, mais elles sont si vagues qu’elles doivent être précisées". » [6]
[15] C’est ce commentaire de Mme Lise Millette qui entraîne l’acte fautif reproché au défendeur qui inscrit, vraisemblablement à 23h02 le même jour, le texte suivant sur le babillard de la page Facebook de cette dernière :
« Pierre Sormany Je peux les préciser pour lui, si ça te tarabiscote… L’intermédiaire, c’est Jean Lapierre, ancien politicien et animateur choc de TVA et de LCN, mais qui offre aussi ses services conseils en relations publiques et qui a parmi ses clients nul autre que son « ami » l’entrepreneur Antonio Accurso. Rien d’illégal là dedans, mais Duchesneau enquêtait de très près sur l’organisation du "Fabulous Fortheen" (sic), ce réseau de grands entrepreneurs parmi lesquels M. Accurso jouait un rôle important. Duchesneau affirme avoir alors subi de l’intimidation. Et, comme par hasard, le journaliste de TVA Paul Laroque (sic) a ressorti le lendemain de vieilles allégations (non fondées en fin de compte) de financement illégal de la campagne de Duchesneau à la mairie de Montréal, M Duchesneau croit que ce n’est pas une coïncidence. Allez donc savoir! Faute de preuve formelle, il s’est contenté de mentionner de manière vague une "job de bras" qu’auraient entrepris certains médias. Mais il visait clairement TVA et sa filiale LCN. »[7]
[16] Ce message est rédigé par le défendeur en 10 minutes environ et envoyé à Mme Lise Millette, une journaliste de la Presse canadienne et une amie avec laquelle Sormany avait déjà collaboré au magazine de la FPJQ Le Trente et avec qui il est demeuré en contact.
[17] Il s'avère que Sormany ne possède pas de grandes habiletés technologiques en matière de communication électronique. C’est ce qui ressort de son témoignage et de celui de son fils, M. Jean-Sylvain Sormany, diplômé en génie informatique de l’École polytechnique de Montréal et président d’une compagnie d’informatique spécialisée dans les applications multimédias et le développement de jeux vidéos. D'ailleurs, le défendeur utilise l’ancien équipement informatique de son fils et celui-ci est fréquemment appelé à prêter main-forte à son père pour le dépanner. C’est lui qui a monté la page Facebook de la famille et non son père.
[18] Sormany ne pense pas qu’il inscrit alors un message accessible à tous les « amis Facebook » de Mme Millette. Il est convaincu qu'il fait parvenir un message individuel à cette dernière, accessible à elle seule, comme il l'avait fait à plusieurs reprises dans le passé.
[19] Lapierre conteste cette prétention en soulignant qu’un journaliste professionnel ne prend pas la peine, dans un message envoyé à une autre journaliste professionnelle, de préciser qui est le demandeur en ajoutant « ancien politicien et animateur choc de TVA et de LCN ». De plus, un autre journaliste, M. René Lewandowski, avait inscrit un premier commentaire sur le même "mur" Facebook qu’aurait dû voir le défendeur avant d’envoyer le sien. Sormany affirme n’avoir pas pris connaissance du commentaire de M. Lewandowski au moment d'écrire le sien. Aucune preuve d'expert du fonctionnement du serveur Facebook n'a été administrée par les parties.
[20] Le lendemain matin, vers 10 heures, avant que ne débute une séance de travail de l’équipe de l’émission Enquête, une collaboratrice, Mme Marie-Maude Denis, dit à Sormany, en entrant dans la salle de réunion : « Tu t’es laissé aller sur Facebook ». Il réalise alors son erreur. Selon lui, « Ce message était une catastrophe ».
[21] Après cette réunion, revenu à son bureau, il consulte le babillard Facebook de Mme Lise Millette pour constater que son message est accessible à tous les amis Facebook de cette dernière.
[22] Par la suite, il va sur Twitter, y fait une recherche par mots-clés pour constater qu’aucun message tweet ne réfère à son texte. Il s’en trouve rassuré : « Si je suis chanceux, c’est disparu du radar », affirme-t-il s’être dit.
[23] Par contre, un peu plus tard, il reçoit un message de Mme Michèle Ouimet, journaliste au journal La Presse, dont le but était de lui demander s'il l'autorisait à citer son message inscrit sur le «mur» Facebook. Il refuse mais comprend alors, que si cette journaliste a vu son commentaire, d’autres qu’elle le verraient et « que ça sortirait dans les journaux ». Il comprend dès lors que sa carrière à Radio-Canada est compromise.
[24] Le 28 septembre, il lit tous les quotidiens. Il constate, à son grand soulagement, qu’aucun d’eux ne parle du fameux message.
[25] En parallèle, Lapierre reçoit le 27 septembre une communication de M. Vincent Marissal de La Presse l’informant que : « Sormany te fait une job de bras ». Lapierre ignore à ce moment qui est le Sormany en question et fait une recherche sur Google pour en savoir plus, sans grand succès.
[26] Le 28 septembre, c’est Mme Chantal Hébert, une amie, qui lui apprend qui est le défendeur et les responsabilités qui sont les siennes au sein de la Société Radio-Canada. Ni M. Marissal, ni Mme Hébert n’ont été appelés à témoigner à l'audience. Leurs propos ont été rapportés par Lapierre.
[27] Lapierre soutient que le passage incriminant du message de Sormany laisse entendre qu'il offre ses services-conseils en matière de relations publiques, entre autres, à un entrepreneur dont le nom est souvent cité dans les médias, M. Antonio Accurso. Selon Lapierre, offrir de tels services serait incompatible avec ses fonctions de commentateur politique. Comment en effet, soutient-il, lui serait-il possible de livrer des commentaires détachés de tout intérêt alors qu’il compterait des clients parmi les personnes dont les noms reviennent fréquemment dans l’actualité. Il ajoute, à l’instar de sa conjointe, Mme Nicole Beaulieu, dans son propre témoignage, que ce serait-là « parler des deux bords du micro ».
[28] De plus, en l’associant à Accurso et en reliant celui-ci à un groupe d’entrepreneurs en construction aux pratiques douteuses mises en lumière par les médias en 2010[8], Lapierre prétend avoir été associé à la mafia, bien que ce mot ne se retrouve nulle part dans le commentaire de Sormany.
[29] En 2011, le nom de M. Accurso revient de façon récurrente dans les médias d’information dans le cadre de divers reportages et chroniques relatifs aux soupçons de collusion prévalant dans l’industrie de la construction. Lapierre affirme avoir rencontré celui-ci une première fois et l'avoir invité à déjeuner pour le convaincre de participer à une de ses émissions d’affaires publiques, invitation que déclinera l'intéressé. D’autres repas suivront. D'ailleurs, au cours d’un de ces repas, M. Jacques Duchesneau s’approchera de leur table pour les saluer. Lapierre se défend toutefois de compter M. Accurso comme un ami.
[30] La journée du 30 septembre s’avère riche en rebondissements se télescopant les uns les autres. Reprenons-les dans l’ordre chronologique.
[31] Cette journée-là est publié dans La Presse et sur Cyberpresse un article signé de Mme Michèle Ouimet sous le titre « Entrevue avec Jacques Duchesneau : confidences d’un tough »[9]. Cet article mentionne entre autres choses :
« De l’intimidation? Oui, répond Duchesneau. Et il donne encore des noms : Paul Larocque, Jean Lapierre, Andrew McIntosh, TVA, Le Journal de Montréal, L’Agence QMI. Duchesneau accuse sans détour. Avec des faits, des dates. » (Pièce P-7)
[32] Et encore :
« Duchesneau n’en démord pas. Paul Larocque, Jean Lapierre et Le Journal de Montréal ont tenté de salir sa réputation et de faire dérailler l’Unité anticollusion. «Ils m’envoyaient un message : " T’es pas si clean que ça!" . Ils voulaient me discréditer. Même chose quand mon rapport a été coulé dans les médias.» »
[Le Tribunal souligne]
[33] Avant de publier cet article, la journaliste Michèle Ouimet prend soin de communiquer avec Lapierre, ce qui permet à celui-ci de nier l’allégation d’intimidation avancée par M. Duchesneau. Dans son article, Mme Ouimet cite Lapierre dans les termes suivants :
« Jamais je ne me suis livré à ça, ce n’est pas mon genre. Je vous invite à écouter toutes mes chroniques. Je vous mets au défi d’en trouver une seule qui soit intimidante. Pourquoi j’intimiderais Duchesneau? Quel serait mon intérêt? ».
Le demandeur confirme avoir bien tenu ces propos à Mme Ouimet.
[34] Le Tribunal ne peut que constater que M. Jacques Duchesneau a du même fait élucidé, tel que le souhaitait la FPJQ, les propos énigmatiques tenus le 25 septembre à l’émission Tout le monde en parle. Lapierre et son co-animateur Paul Larocque y sont maintenant nommément désignés.
[35] Le même jour, Lapierre identifie finalement la source de rumeurs dont il avait eu vent dans les jours précédents. Le député Denis Coderre l’appelle très tôt le matin pour lui dire : « As-tu vu la job de bras qu’on te fait sur le mur Facebook de Lise Millette? Il faut que tu t’occupes de cela ».
[36] Ce matin-là, en arrivant aux studios TVA, il retrace, grâce à l’aide technique d’un tiers, la page Facebook de Mme Millette. C’est alors, et alors seulement dit-il, qu’il prend connaissance du commentaire de Sormany. À l’époque, Lapierre n'est pas familier avec Facebook. Il le deviendra depuis lors.
[37] Au cours de la journée, Lapierre rencontre, parfois à plus d'une reprise : M. Paul Arcand, l’animateur du matin à 98,5 FM, M. Réal Germain, vice-président chez Cogeco, M. Serge Fortin, vice-président chez TVA et Me Marc Tremblay, avocat de TVA, qui tous lui demandent si ce qu'affirme Sormany est exact. Il nie fermement auprès de chacun; « totalement faux », dit-il à M. Arcand. Le contraire aurait entraîné son départ des ondes du 98,5 FM selon ce dernier. En bout de piste, ces personnes semblent s'être satisfaites de sa dénégation et ne poussent pas l'affaire plus loin.
[38] Un peu plus tard, TVA émet un communiqué de presse niant certaines des affirmations contenues dans l’article de La Presse du même jour et fait aussi parvenir une mise en demeure à M. Jacques Duchesneau.
[39] Notons qu’aucune poursuite ne sera intentée contre M. Duchesneau malgré la mise en demeure et qu’aucune mise en demeure ne sera envoyée à La Presse ou à Mme Michèle Ouimet. Pourtant, les propos de M. Duchesneau à son égard étaient faux, répétera Lapierre.
[40] En soirée, au cours des bulletins de nouvelles du réseau TVA, messieurs Lapierre et Larocque nient d'une même voix avoir intimidé M. Jacques Duchesneau ou des membres de l’Unité anti-collusion.
[41] Enfin, durant cette même soirée, contrairement à la croyance qu’il en avait, Sormany constate qu’il peut intervenir sur le babillard Facebook de Mme Millette, en cliquant avec son curseur sur une icône évanescente, pour effacer lui-même son commentaire du 26 septembre. Ce qu’il fait. Une saisie d’écran postérieure indique bien que le commentaire reproché à Sormany ne s’y retrouve plus. Son texte sera donc demeuré disponible aux amis Facebook de Mme Millette pendant quatre jours.
[42] Il n’y a aucune preuve voulant que le message soit par la suite twitté[10] dans son intégralité par les amis Facebook de Mme Millette ou mis en ligne par d’autres moyens. Les recherches par mots-clés faites par Sormany sur Twitter les 27 et 28 septembre lui permettent de constater que son commentaire du 26 septembre n’a pas eu d’écho.
[43] Enfin, après que Lapierre eût donné à son procureur le mandat de prendre action « au plus coupant », celui-ci fait signifier à Sormany une requête introductive d’instance. Le Tribunal note toutefois qu'elle porte la date du 29 septembre 2011, soit la veille de la date où Lapierre affirme avoir pris connaissance pour la première fois du texte litigieux.
[44] Selon Lapierre, Sormany ajoute alors l’insulte à l’injure, faisant ainsi la preuve, d'après lui, de sa «malice».
[45] Lapierre reproche à Sormany d’avoir avivé la plaie en faisant mention du conflit l’opposant à Lapierre dans le cadre d’une émission d’affaires publiques animée par M. Benoît Dutrizac sur les ondes de la station radiophonique 98,5 FM, celle-là même à laquelle il contribue dans le cadre d’émissions animées par messieurs Paul Arcand et Paul Houde, le matin et en fin d'après-midi.
[46] À cette occasion, M. Dutrizac accueille Sormany pour traiter de la notion d’information exclusive qui serait utilisée à tort et à travers par les médias du Québec. L'entrevue n’a pas pour objet premier le conflit qui l’oppose à Sormany. Dans le cadre de considérations plus larges portant sur la guerre que se livrent les grands réseaux d’information, Sormany se voit néanmoins entraîné, en marge du sujet principal, à aborder l’objet de la poursuite intentée par Lapierre. À cette occasion, il tient les propos suivants :
Q. « Et vous vous êtes fait poigner à avoir écrit un message qui était sensé être personnel sur Facebook, ça s’est ramassé sur Twitter, aviez-vous sous-estimé la puissance, la rapidité eh, des médias sociaux? » (par l’animateur)
R. « Sous-estimer, pas nécessaire… c’est sûr que ce message là, c’est une erreur, puis d’ailleurs, il avait été destiné à une personne, y s’est ramassé sur Facebook, je l’ai réalisé seulement le lendemain, puis le mal était fait. »
Q. « C’est assez tragique, parce que c’est une opinion personnelle, c’est un message personnel qui se ramasse dans la sphère publique, eh… »
R. « C’était un message pertinent d’intérêt public par ailleurs, mais il n’était pas destiné pour publication. Donc, j’aurais surveillé les mots un peu plus (…) »
Q. « Oui.
R. « Si j’avais su que c’était, que ç'allait être public. »[11]
[Le Tribunal souligne]
[47] Lapierre affirme que les mots : « C’était un message pertinent d’intérêt public », référant selon lui au commentaire publié le 26 septembre, se voulaient une provocation supplémentaire et sont la manifestation d’un manque flagrant de contrition de la part de Sormany.
[48] Pourtant, le Tribunal note que ni l’animateur de l’émission, ni le défendeur n’ont rappelé, ni précisé, ni repris lors de cette entrevue les informations qualifiées par Lapierre de diffamatoires contenues dans le commentaire de Sormany du 26 septembre. L'animateur y réfère mais sans rapporter de quoi il s'agissait. Le nom de Lapierre n’est pas prononcé dans le passage de l’entrevue invoqué par le demandeur. Seuls les initiés pouvaient faire le lien.
[49] Lapierre tente d'établir une trame factuelle démontrant selon lui l’effet viral du texte reproché à Sormany. Ainsi, La Presse publie le 8 octobre 2011 un article qui associe le lobby du camionnage au nom de Lapierre à la suite d’une conférence que celui-ci donnait en septembre 2011 à l’Association du camionnage du Québec. Au cours de cette communication, il avait tourné en dérision une suggestion formulée par une membre de l’Assemblée nationale voulant que seuls les camions puissent être astreints au péage sur le Pont Champlain[12].
[50] Cet article ne fait aucune référence à la teneur du texte de Sormany du 26 septembre. Il fait toutefois mention de la poursuite en diffamation intentée par Lapierre.
[51] Puisqu’un des trois signataires de l’article de La Presse est M. Fabrice de Pierrebourg, celui-là même, selon Lapierre, qui a souscrit le 27 septembre un commentaire défavorable à son sujet sur le babillard Facebook de Mme Millette[13], il y voit là une preuve d’une machination entre journalistes à son égard.
[52] Le Tribunal voit toutefois mal comment on peut faire de cet article, au demeurant cinglant, un motif de reproche à l’encontre de Sormany et ne parvient pas à déceler un rapport de cause à effet entre le commentaire de ce dernier du 26 septembre et l’article de La Presse du 8 octobre qui lui permettrait de conclure à l’effet viral du commentaire souscrit par Sormany le 26 septembre.
[53] Il en va de même d’un tweet que M. Stéphane Gobeil, connu du demandeur comme étant un rédacteur de discours professionnel, écrit le 8 novembre 2011[14]. Ce tweet associe le nom de Lapierre à ceux de messieurs Antonio Accurso et Bernard Poulin. Ce dernier est de fait un ami de longue date de Lapierre rencontré dans les cercles politiques. Là encore, le Tribunal ne peut se convaincre du lien de cause à effet entre le texte de Sormany du 26 septembre et ce tweet de M. Gobeil, d’autant plus que le commentaire de Sormany ne réfère aucunement à M. Poulin.
[54] Dans la même veine, un tweet du 6 juin 2012 de M. Christian Chauret associant Lapierre et la mafia, un autre du même jour émanant d’un certain Martin établissant un lien entre le demandeur et messieurs Gagliano et Accurso et deux autres tweets, toujours du 6 juin, émanant de Mme Simone Lorenz allant dans le même sens[15] témoignent, aux dires de Lapierre, de l’effet viral du commentaire de Sormany du 26 septembre.
[55] Ces cinq tweets constituent, selon lui, la preuve de l'effet viral du commentaire de Sormany, de l'effet rampant de la calomnie, de l'effet insidieux de la diffamation.
[56] Notons qu'aucun des tweets du 6 juin 2012 ne réfère au commentaire reproché à Sormany, ni directement, ni indirectement. Sept mois séparent cette série de tweets de celui de M. Stéphane Gobeil. Par contre, ces nouveaux tweets correspondent à un tweet de Lapierre du même jour destiné à ses abonnés (followers) dans lequel il attaquait le député Amir Khadir : « Khadir arrêté : Tant mieux! »[16]. C'est l'attaquant attaqué.
[57] Par contre, « Le blog de Paul Sauvé », mis en ligne le 3 octobre 2011[17], réfère directement à certains éléments du commentaire de Sormany du 26 septembre pour y associer des propos peu flatteurs à Lapierre :
«(…) Jean Lapierre serait-il assez têteux pour prendre des mandats «on the side» pour son «ami» Accurso? Ça ne me surprendrait pas. Il aurait pu se contenter d’en répondre devant les médias, il a tout l’espace médiatique nécessaire pour s’exprimer ad nauseam. Mais un procès, c’est bien plus drastique, et c’est ça qui me donne une envie totale et complète de vomir sur Jean Lapierre aujourd’hui. (…) Est-ce que le statut de «journaliste» donne le droit de salir la réputation de quelqu’un comme M. Duchesneau, mais, en revanche, empêche M. Duchesneau ou M. Sormany de remettre en question le travail du dit (sic) journaliste et ses relations dans le milieu de la construction? (…)».
[58] Il y a matière à croire que ce commentaire découle de celui de Sormany du 26 septembre. S'il relève du droit d'opinion de son signataire, il n'en paraphrase pas moins le propos de Sormany.
[59] Dans un autre ordre d'idées, Lapierre prétend que les moyens de défense soulevés par Sormany constituent en eux-mêmes une faute en ce qu’ils ont terni un peu plus sa réputation et atteint à son honneur. Il est utile de citer au long ces moyens de défense datés respectivement des 8 et 21 novembre 2011 :
« MOYENS DE DÉFENSE
L’opinion émise par le défendeur le 26 septembre 2011 a été diffusée accidentellement. Le défendeur n’a jamais eu l’intention de diffuser ces propos de la sorte. Sous réserves (sic), les propos du défendeur constitue (sic) l’émission d’une opinion honnête qui pouvait être énoncée compte tenu de l’identité du demandeur, de ses activités, et de ses gestes et propos antérieurs, et compte tenu des propos de Jacques Duchesneau le 25 septembre 2011 à TLMEP (Tout le monde en parle). Le demandeur a admis qu’il avait mangé avec Antonio Accurco (sic) et que Jacques Duchesneau avait parlé de lui lorsque M. Duchesneau racontait avoir subi de l’intimidation pendant son enquête. La croyance de M. Duchesneau est une question d’intérêt public. Jacques Duchesneau a confirmé le 30 septembre 2011 qu’il visait le demandeur quand il a affirmé avoir subit (sic) de l’intimidation, ce que le demandeur n’a jamais nié publiquement.
Le demandeur n’a subit (sic) aucun dommage économique ou à sa réputation, que ce soit personnellement ou via son entreprise « L’Heure juste communications/stratégies ».
[60] Et deux semaines plus tard :
« MOYENS DE DÉFENSE AMENDÉE
Le demandeur (sic) admet qu’il a commis une faute par la rédaction de son texte du 26 septembre 2011, et sa transmission à Lise Millette et sur le « mur » facebook© de cette dernière. Le défendeur n’avait pas l’intention de diffamer le demandeur. L’opinion émise par le défendeur le 26 septembre 2011 a été diffusée accidentellement. Le défendeur n’a jamais eu l’intention de diffuser ces propos de la sorte.
La croyance de M. Duchesneau était une question d’intérêt public.
Le défendeur n’a pas eu l’intention de diffamer le demandeur en mentionnant dans ses Moyens de défense du 8 novembre 2011 « Le demandeur n’a subi aucun dommage économique ou à sa réputation, que ce soit personnellement ou via son entreprise "L’Heure juste communications/stratégie" » et il nie que ces mots étaient diffamatoires.
Le défendeur conteste l’évaluation des dommages subis par le demandeur. Le demandeur (sic) nie qu’il devrait être condamné à des dommages exemplaires. »
[61] Lapierre soutient que non seulement il n'a jamais été à la tête d’une entreprise s’appelant L'Heure juste communications/stratégies, mais que cette affirmation avait pour effet de confirmer qu’il offrait des services professionnels contre rémunération en matière de relations publiques, ce qui est inexact. Ce moyen de défense selon lui aurait terni un peu plus sa réputation.
[62] Sormany, de son côté, prétend que ce moyen de défense avait pour seul but de répondre à la requête introductive d’instance du 29 septembre 2011 dans laquelle Lapierre réclamait de lui non seulement des dommages moraux mais aussi des dommages économiques, qu’il chiffrait au total à 200 000 $.
[63] Le 10 novembre 2011, deux jours après le dépôt des moyens de défense initiaux de Sormany, Lapierre modifie sa demande pour limiter ses dommages à un préjudice moral, gommant ainsi toute référence à des dommages économiques.
[64] Cela dit, Lapierre témoigne abondamment de sa bonne réputation, de son travail acharné et de son parcours personnel qui l’aura mené des Iles-de-la-Madeleine jusqu’à un poste de député à Ottawa, puis de ministre, avant de cofonder le Bloc Québécois et par la suite, de devenir un commentateur politique connu et influent. Son parcours est impressionnant. Il précise que son intégrité a été rarement mise en doute mais que lorsqu’elle le fut, il en est sorti blanchi.
[65] De son témoignage et de celui de sa conjointe, le Tribunal comprend qu’il a été ébranlé par le contenu du texte publié par Sormany sur le babillard Facebook de Mme Millette au point de voir sa joie de vivre affectée, son plaisir d’être en société diminué et sa confiance en lui-même ébranlée, allant même jusqu’à refuser certaines apparitions au réseau TVA.
[66] Il dit avoir craint pour la pérennité de ses activités de commentateur de la vie politique et ressentir encore aujourd’hui les effets du commentaire de Sormany. Il ne sait jamais, dira-t-il, ce que ses interlocuteurs pensent vraiment de lui depuis le 26 septembre 2011.
[67] Mme Nicole Beaulieu, sa conjointe, corrobore le témoignage de Lapierre sur l’état de nervosité du demandeur dans les semaines qui ont suivi le moment où il a pris connaissance du babillard Facebook de Mme Millette et à nouveau après l’entrevue de Sormany à l'émission de M. Benoît Dutrizac. Il n'est plus le même homme, selon elle.
[68] Enfin, le Tribunal constate que, bien que Lapierre soutienne n’avoir jamais eu d’entreprise de relations publiques, contrairement à ce que dit Sormany, il n’a de cesse d’être en relation avec des figures connues du public, pour nourrir son réseau d‘information et lui permettre de mieux faire son travail de chroniqueur politique. C’est ce qui explique qu'il déjeune à l'occasion avec M. Antonio Accurso et pourquoi il compte sur l'amitié de M. Bernard Poulin, de M. Lucien Bouchard ou de Mme Chantal Hébert, comme de bien d’autres.
[69] Cependant, Lapierre se défend d’être un journaliste et donc d’être lié par les règles de gouvernance qui en régissent le travail. Il n’est, selon lui, ni journaliste, ni lobbyiste.
[70] Au cours des années, il a peaufiné son rôle de commentateur politique, ce qui le place à l'interface de l’activité journalistique et du divertissement où il exploite son côté frondeur voire provocateur, pour reprendre ses propres mots[18]. Politicien d’expérience, figure publique qui ne craint ni la polémique, ni d'être montré du doigt, se voir l’objet d’attaques est pour lui affaire de routine. Mais être l’objet d’attaques sur son intégrité lui est insupportable.
[71] De son côté, Sormany admet commettre une faute en inscrivant son commentaire sur le babillard Facebook de Mme Millette le 26 septembre 2011 sans avoir au préalable procédé à des vérifications. Cela s'avère certainement contraire aux méthodes de travail attendues d’un journaliste professionnel d’expérience jouissant d’une réputation comme la sienne; cependant, Sormany n’invoque pas avoir agi en cette qualité en formulant son commentaire. Cela dit, les fonctions qu’il occupait alors lui prêtaient une aura professionnelle et lui conféraient un prestige indiscutable au sein de la communauté journalistique, ce qu’il ne nie pas.
[72] Sormany insiste qu’il n’a jamais eu d’intention malicieuse à l’endroit de Lapierre, qu’il ne connaissait pas personnellement, et que son but était de répondre au questionnement de Mme Millette sans savoir qu’il le faisait dans un message accessible à tous les « amis Facebook » de cette dernière.
[73] Les maladresses de Sormany sont néanmoins nombreuses. Il publie son commentaire du 26 septembre 2011 sur le babillard Facebook de Mme Millette plutôt que d’envoyer un message personnel à cette dernière. Il y affirme que Lapierre offrait des services-conseils en relations publiques et qu’il comptait parmi ses clients M. Antonio Accurso, qui serait un ” ami ”, ce qui s'avère inexact. Il identifie L'Heure juste communications/stratégies comme l’entreprise de relations publiques de Lapierre en sachant que son adresse ne correspondait pas à celle du demandeur[19]. Il se laisse entraîner par M. Benoît Dutrizac à commenter le litige l’opposant à Lapierre malgré le fait qu’il aurait prévenu ce dernier au préalable qu’il ne voulait aucunement aborder ce sujet en ondes.
[74] Lapierre y voit une machination orchestrée. Sormany invoque une cascade de gaucheries.
[75] Chose certaine, ce dernier mesure rapidement l’ampleur de sa bévue initiale lorsque Mme Michèle Ouimet le contacte le 28 septembre après avoir lu son commentaire sur Facebook.
[76] En effet, en journaliste d’expérience, il sait très bien qu’on ne peut risquer une information voulant i) que Lapierre offre des services-conseils contre rémunération en relations publiques et ii) que M. Antonio Accurso, dont les médias d’information faisaient alors quotidiennement mention, compte parmi ses clients, sans s’être assuré que ces informations sont exactes. Sa position de directeur des émissions d’affaires publiques à la télévision à la Société Radio-Canada et, à ce titre, de responsable de l’émission Enquête, donnait à ce double impair un relief particulier avec pour résultat qu'il offre, le 7 octobre 2011, sa démission et propose de devancer le moment de sa retraite[20]. Sa démission acceptée le 12 octobre, il quitte la SRC le 1er novembre 2011.
[77] Malgré sa démission, Sormany reste encore aujourd’hui actif dans le domaine de l’information.
[78] Il admet avoir les ressources financières pour payer le montant des dommages-intérêts punitifs réclamés par Lapierre, le cas échéant.
[79] Tant en demande qu’en défense, le Tribunal a été saisi de procédures laconiques, plus impressionnistes qu’explicites. L’enchaînement des faits n’est apparu que durant l’enquête, laquelle a été ponctuée par la production séance tenante de nombreuses pièces supplémentaires.
[80] Dans ce contexte, on ne se surprendra pas que l’exposé des faits qui précède soit assez élaboré puisque la majeure partie de la trame factuelle n'a pas été exposée dans les procédures. La demande a tenté de relier ces faits entre eux pour démontrer une intention malicieuse que nie par ailleurs la défense, d'où l'importance de les relater.
[81]
Étant donné que le Tribunal doit décider de la demande, conformément à
l’article
[82] Ce faisant, le Tribunal rappelle les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Hill c. Église de scientologie de Toronto[21], lorsque, sous la plume du juge Cory, elle écrit : « Comme dans toute action pour libelle, le contexte factuel est extrêmement important et doit être exposé dans les détails ».
[83] Traçons avant d'aller plus loin un tableau des préceptes de droit applicables en telle matière.
[84] Dans l’arrêt Prud’homme c. Prud’homme[22], la Cour suprême a consacré la définition de la diffamation, telle que formulée par la Cour d’appel dans Société Radio-Canada c. Radio Sept-Îles inc.[23] :
« Génériquement, la diffamation consiste dans la communication de propos ou d’écrits qui font perdre l’estime ou la considération de quelqu’un ou qui, encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables. (…) Elle implique une atteinte injuste à la réputation d’une personne, par le mal que l’on dit d’elle ou la haine, le mépris ou le ridicule auxquels on l’expose. »
[85] En droit civil, contrairement au droit anglais, il importe peu que l’affirmation diffamatoire soit conforme à la vérité ou non. Si la véracité peut constituer, dans la mesure où l’intérêt public est en jeu, un moyen de défense, la vérité mal administrée peut devenir une allégation diffamatoire. En somme, si la calomnie est synonyme de diffamation, il peut en être de même de la médisance.
[86] Au Québec, la Charte des droits et libertés de la personne prévoit à l’article 4 que : « Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation. ».
[87] Quant à la sauvegarde de la réputation en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés[24], la Cour suprême, dans l’arrêt Hill c. Église de scientologie de Toronto[25], affirme ce qui suit :
«Bien qu’elle ne soit pas expressément mentionnée dans la Charte, la bonne réputation de l’individu représente et reflète sa dignité inhérente, concept qui sous-tend tous les droits garantis par la Charte. La protection de la bonne réputation d’un individu est donc d’importance fondamentale dans notre société démocratique.»
[88] Le Code civil du Québec de son côté, à l’article 3, énonce que :
« Art. 3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l’inviolabilité et à l’intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.
Ces droits sont incessibles. »
[89]
Et à l’article
«Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.»
[90] Enfin, dans sa Disposition préliminaire, le Code prévoit aussi que :
«Le Code civil du Québec régit, en harmonie avec la Charte des droits et libertés de la personne et les principes généraux du droit, les personnes, les rapports entre les personnes, ainsi que les biens. »
[91] Il est donc acquis que la sauvegarde de la réputation comme la protection de l’honneur et de la dignité sont inscrites au fronton des droits fondamentaux auxquels souscrit la collectivité canadienne. Il s’agit-là du respect sacro-saint de l’individu. Associée de près à la protection de la vie privée, la sauvegarde de la réputation ne partage pas la même fin même si les deux se rejoignent pour dresser un barrage contre l’altération publique de la personnalité de la victime[26].
[92] En cas d’atteinte à un droit reconnu par la Charte québécoise, son article 49, prévoit deux types de sanction, soit i) le droit d’obtenir la cessation de l’atteinte illicite à ce droit et la réparation intégrale du préjudice moral ou matériel qui en résulte et ii) la condamnation de son auteur à des dommages-intérêts punitifs en cas d’atteinte illicite et intentionnelle. Il est maintenant établi que ces derniers n’ont pas de fonction compensatoire et qu’ils visent plutôt à atteindre le double objectif de punition et de dissuasion, tel que l'énonce l’arrêt Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc.[27].
[93] Si d’aucuns ont soutenu que la violation d’une disposition de la Charte québécoise pouvait en soi générer un dommage sans égard à la notion traditionnelle de faute, la Cour suprême, dans ce dernier arrêt, a décidé que la violation d’un droit protégé par la Charte équivaut à une faute civile puisqu’il y a alors contravention aux normes de conduite édictées par cette dernière et à une norme élémentaire de comportement.
[94] La Cour suprême consacre ainsi l’intégration des règles de droit civil dans le cas de violation à la Charte québécoise :
« Ainsi, il
est manifeste que la violation d’un droit protégé par la Charte équivaut à une
faute civile. La Charte formalise en effet des normes de conduite, qui
s’imposent à l’ensemble des citoyens. (…) La violation d’un des droits garantis
constitue donc un comportement fautif, qui (…) contrevient au devoir général de
bonne conduite. (…) D’ailleurs, l’art.
[95] Et, toujours sous la plume du juge Gonthier, la Cour suprême conclut de la sorte :
« Je suis donc d’avis que le recours offert par l’art. 49 de la Charte, dans la mesure où il confère la faculté de réclamer des dommages-intérêts compensatoires et exemplaires, est un recours en responsabilité civile. » (par. 128)
[96] Ceci donne effet à la disposition préliminaire du Code civil du Québec qui vise à harmoniser ce dernier et la Charte des droits et libertés de la personne.
[97]
L’action en justice pour diffamation se voit donc régie par l’article
« 1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.
Elle est, lorsqu’elle est douée de raison et qu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu’elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel. (…). »
[98] Ceci a pour corollaire, comme le rappelle la Cour d’appel dans l’affaire Chenail c. Lavigne[28], sous la plume de la juge Duval-Hesler, que :
« La partie demanderesse doit prouver, selon la prépondérance de la preuve, qu’une faute lui a causé un préjudice. Ces trois éléments, soit la faute, le préjudice et le lien causal entre les deux, sont essentiels au maintien du recours. L’évaluation des dommages constitue un exercice séparé, bien qu’il ne faille certes pas le détacher de la gravité de la faute, puisque l’étendue de la contribution de la partie fautive aux dommages demeure pertinente. »
[99] Depuis l’arrêt Prud’homme, il est établi que le recours systématique aux défenses de Common Law s'avère inutile en droit québécois.
[100] Cependant, il ne suffit pas qu’une information soit fausse pour entraîner automatiquement la responsabilité de celui qui la diffuse, même privément. Comme le souligne la Cour d’appel dans la décision Radio Sept-Iles[29] : « S’il y a atteinte à la réputation, cette atteinte ne peut être source de responsabilité civile que lorsqu’elle est fautive ».
[101] Par contre, ne peuvent être qualifiés de diffamatoires que les propos qui deviennent publics pour avoir été diffusés, c’est-à-dire « communiqués à au moins une personne autre que le demandeur »[30].
[102] La forme du propos importe peu lorsque vient le temps de déterminer s’il y a eu faute. Il peut être verbal ou écrit, public ou privé, par voie d’affirmation ou de sous-entendu, par voie électronique, sur les ondes ou dans les journaux. Pour peu qu’il entraîne un dommage, celui-ci doit recevoir compensation.
[103] Le juge Senécal, dans l'affaire Beaudoin c. La Presse[31], écrivait ce qui suit relativement à la démarche à suivre pour déterminer si des propos revêtent un caractère diffamatoire:
«La forme d'expression du libelle importe peu; c'est le résultat obtenu dans l'esprit du lecteur qui crée le délit»11. L'allégation ou l'imputation diffamatoire peut être directe comme elle peut être indirecte «par voie de simple allusion, d'insinuation ou d'ironie, ou se produire sous une forme conditionnelle, dubitative, hypothétique»12. Il arrive souvent que l'allégation ou l'imputation «soit transmise au lecteur par le biais d'une simple insinuation, d'une phrase interrogative, du rappel d'une rumeur, de la mention de renseignements qui ont filtré dans le public, de juxtaposition de faits divers qui ont ensemble une semblance de rapport entre eux »13
Les mots doivent d'autre part s'interpréter dans leur contexte. Ainsi «il n'est pas possible d'isoler un passage dans un texte pour s'en plaindre, si l'ensemble jette un éclairage différent sur cet extrait»14. À l'inverse «il importe peu que les éléments qui le composent soient véridiques si l'ensemble d'un texte divulgue un message oppose (sic) à la réalité»15. On peut de fait déformer la vérité ou la réalité par des demi-vérités, des montages tendancieux, des omissions, etc. «Il faut considérer un article de journal ou une émission de radio comme un tout, les phrases et les mots devant d'interpréter les uns par rapport aux autres16. »
11 Adjutor RIVARD, De la liberté de la presse, Québec, Librairie Garneau, 1923, p. 56 et 57.
12 Ibid, p. 56.
13 Fabien
c. Dimanche Matin Ltée,
14 Nicole VALLIÈRES, La presse et la diffamation, Montréal, Wilson & Lafleur, 1985, p. 37.
15 McGregor
c. Montreal Gazette Ltd,
16 Nicole VALLIÈRES, La presse et la diffamation, Montréal, Wilson & Lafleur, 1985, p. 37.
[104] Dans le cas sous étude, une partie du propos reproché à Sormany insinue plus qu’il n’affirme en reliant Lapierre à M. Accurso et celui-ci à un réseau d’entrepreneurs sur lequel aurait enquêté M. Duchesneau. La Cour d’appel s’exprimait ainsi en 2007 sur les insinuations diffamatoires :
« Il s’agit d’une notion que le dictionnaire définit comme « ce que l’on donne à entendre sans l’exprimer ouvertement », une « action ou manière adroite, subtile, de faire entendre une chose qu’on n’affirme pas positivement.
Encore faut-il, cependant, qu’il y ait de la part du locuteur une volonté de communiquer implicitement un message diffamatoire ou, à tout le moins, une insouciance ou incurie quant à l’impact probable sur une personne ordinaire du propos objectivement porteur d’insinuations. »[32]
[105] Dans un tel cas, les insinuations doivent être suffisamment péjoratives et fortes pour qu’une personne ordinaire donne vraisemblablement au propos un sens qui déconsidère la victime.
[106] Par contre, en matière de diffamation, il convient de maintenir l’équilibre entre la protection de la réputation et la liberté de parole. Il ne faut pas que la première serve de prétexte pour hypothéquer la seconde.
[107] Comme le soulignait la juge Lemelin dans l’affaire Jacques Saada c. Les Publications Léonardo ltée et David Léonardo[33] :
« [43] Le droit à la réputation est un
droit fondamental protégé par le C.c.Q. (articles
3
et
35
) ainsi que la Charte
québécoise (article 4). Le Tribunal doit aussi assurer le respect du droit à la
liberté d’expression également protégé par l’article
[44] L’exercice de ces droits n’est pas absolu même si leur importance est indéniable et reconnue dans nos lois. »
[108] Ces propos font écho à ce qu’écrivait la Cour suprême dans l’arrêt Prud’homme[34]:
« Dans tous les cas, l’appréciation de la faute demeure une question contextuelle de faits et de circonstances. À cet égard, il importe de rappeler que le recours en diffamation met en jeu deux valeurs fondamentales, soit la liberté d’expression et le droit à la réputation. »
[109] Il est donc important d’analyser la nature diffamatoire des propos reprochés selon une norme objective. Comme le soulignait la Cour suprême, sous la plume des juges LeBel et L’Heureux-Dubé, dans Prud’homme :
« Il faut, en d’autres termes, se demander si un citoyen ordinaire estimerait que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation d’un tiers. À cet égard, il convient de préciser que des paroles peuvent être diffamatoires par l’idée qu’elles expriment explicitement ou encore par les insinuations qui s’en dégagent. » (par. 34)
[110] Enfin, il est maintenant acquis que les propos diffamatoires peuvent être exacerbés par les procédures produites au dossier dans le cadre d’une poursuite en diffamation ou encore lors du procès qui s’ensuit. Mais des critères spécifiques s’appliquent alors.
[111] À ce propos, déjà en 1948, l’auteur Pierre Beullac énonçait ce qui suit :
« La diffamation dans un acte de procédure donne lieu à un recours en dommage-intérêts, mais seulement à la condition d’établir que les allégations diffamatoires non seulement sont fausses, mais encore qu’elles n’étaient pas pertinentes au litige, qu’elles ont été faites malicieusement ou du moins, avec une témérité telle qu’elles équivalaient à malice et qu’il n’y avait aucune "cause raisonnable ni probable" de les faire. »[35]
[112] La Cour d’appel a repris à son compte cet énoncé dans plusieurs décisions. Ainsi, dans l’affaire Terreault c. Bigras[36], on peut lire :
« [7] La Cour s’est prononcée à quelques reprises sur la possibilité de diffamation dans les actes de procédures. À chaque occasion, elle s’est appuyée sur les principes énoncées par Pierre Beullac : (…) »
[113] C’est aussi la position adoptée par la Cour suprême dans l’arrêt Hill c. Église de scientologie de Toronto[37], maintes fois cité par l'avocat de Lapierre et sur lequel le Tribunal reviendra dans le cadre de son analyse.
[114] Quant à l’octroi de dommages-intérêts compensatoires, il ne suffit pas d’établir l’existence d’un comportement fautif de la part du défendeur. Si cet élément est essentiel, il est par ailleurs insuffisant si le plaignant n’a pas démontré aussi un préjudice et son étendue de même qu’un lien direct entre celui-ci et le comportement fautif. C’est ce que précise la Cour d’appel, sous la plume du juge Dalphond, dans Genex Communications inc. c. Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo[38] :
« [69] La quantification du montant approprié pour la compensation du préjudice découlant de la diffamation ou de l’injure demeure une étape difficile, qui fait appel à des paramètres imprécis laissant une bonne marge de manœuvre au juge du procès. Comme le mentionnent souvent la doctrine et la jurisprudence, le préjudice moral n’est pas aisément monnayable. (…) »
[115] Mais ces
dommages-intérêts demeurent régis par l’article
[116] La règle fondamentale à ce propos veut que la somme octroyée doit démontrer à la communauté que la réputation de la personne diffamée est restaurée.
[117] En 2003, dans la décision Graf c. Duhaime[39], la juge St-Pierre, alors à cette Cour, reprenait à son compte les huit critères d'évaluation identifiés par le juge Chevalier dans la décision qu'il rendait en 1979 dans l'affaire Fabien c. Dimanche-Matin ltée[40]:
« [263] Huit critères guident le Tribunal dans l'évaluation de la réclamation et du quantum à accorder: (1) la gravité intrinsèque de l'acte, (2) sa portée particulière sur celui ou celle qui en a été la victime, (3) l'importance de la diffusion, (4) l'identité des personnes qui en ont pris connaissance et les effets que l'écrit a provoqués chez ces personnes, (5) le degré de déchéance plus ou moins considérable à laquelle la diffamation a réduit la victime par comparaison à son statut antérieur, (6) la durée raisonnablement prévisible du dommage causé et de la déchéance subie, (7) la contribution possible de la victime par sa conduite ou ses attitudes et, finalement, (8) les circonstances extérieures qui, de toute façon et indépendamment de l'acte fautif, constituent des causes probables du préjudice allégué ou de partie de ce préjudice.»[41]
[118] Dans la décision qu’elle rendait le 10 avril 2012 dans le dossier 9080-5128 Québec inc. c. Morin-Ogilvy[42], la juge Langlois dresse à son tour une liste d’éléments à prendre en considération dans l’évaluation du préjudice : gravité de l’acte, intention de l’auteur, diffusion de la diffamation, condition des parties, portée de la diffamation sur la victime et ses proches et durée de l’atteinte et de ses effets.
[119] Si les tribunaux ont refusé d’établir un plafond en matière de dommages moraux, ils doivent néanmoins demeurer circonspects de manière à calibrer ceux-ci en fonction du préjudice réel subi par la victime.
[120] Or, la preuve de ce préjudice revient à cette dernière qui ne bénéficie pas d’une présomption particulière du fait que le propos aurait été diffusé par le biais d’un réseau que l’on dit social, Facebook, Twitter, Youtube, My Space ou autre. S'il est vrai qu'«Internet est un puissant outil de diffusion» et que ceux «qui parlent ou écrivent sur Internet doivent le réaliser»[43], la publication d'un commentaire sur les réseaux sociaux ne dispense pas le demandeur de faire la preuve du préjudice subi même s'il est admis que le message peut se transmettre plus vite et plus loin que lorsque publié par des moyens plus traditionnels. Comme le soulignait Me Frédéric Letendre, en 2010, ces « plateformes peuvent facilement devenir des lieux de “dérapage incontrôlé” »[44], mais encore l'octroi de dommages-intérêts punitifs faut-il en faire la preuve. Le Tribunal reviendra sur cet aspect.
[121] Quant aux
dommages-intérêts punitifs, appelés aussi exemplaires, la règle diffère, comme
le précise l’article
« 1621. Lorsque la loi prévoit l’attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.
Ils s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers les créanciers, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers. »
[Le Tribunal souligne]
[122] Le but des dommages-intérêts punitifs n’est plus alors de compenser le préjudice causé à la victime mais de décourager toute personne d’agir de telle manière.
[123] Le Tribunal ajoute que cette fonction préventive lui apparaît en droit civil être l’élément capital à prendre en compte au moment d’établir la qualité des dommages-intérêts dits punitifs. En effet, le Code civil ne prévoit, malgré le nom de «punitifs» qu'il leur donne, qu'une seule fonction à ce type de dommages-intérêts, soit la prévention. Leur but certes est de punir mais l'objet de telle punition n'est pas tant de venger la victime que de décourager l'auteur de la diffamation de recommencer.
[124] En effet, dans la mesure où la personne diffamée a été compensée par le moyen des dommages moraux ou matériels, elle ne peut jouir d’une portion supplémentaire de dommages au seul motif cette fois de « punir » l’auteur du propos diffamatoire. En ce sens, vaut donc mieux parler de dommages exemplaires. Après tout, le montant des dommages-intérêts punitifs est versé le cas échéant non pas à l’État, comme le serait une amende, mais à la victime diffamée et déjà compensée par des dommages moraux et/ou matériels.
[125] Enfin, un
dernier élément à prendre en compte. Dans l’arrêt Québec (Curateur public)
c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand,[45] la
Cour suprême a précisé les conditions qui doivent être réunies pour qu’il y ait
une « atteinte illicite et intentionnelle » au sens de
l’article
« [121] En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l’art. 49 de la Charte lorsque l’auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. Ce critère est moins strict que l’intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère. »
[126] Les parties ont pour l'essentiel plaidé ce qui suit.
[127] Lapierre soutient que le commentaire de Sormany, à partir du moment où il a été diffusé sur le babillard Facebook de Mme Millette, lui a causé un préjudice aux proportions considérables compte tenu de l’effet viral des communications électroniques. Selon lui, après avoir livré à l'audience un survol de sa carrière depuis son enfance désargentée aux Iles-de-la-Madeleine jusqu'à aujourd'hui, Sormany est venu « détruire tout ce que j’ai bâti dans une vie quand j’ai travaillé comme un chien ».
[128] Il plaide aussi qu’en faisant référence à L'Heure juste communications/stratégies dans ses moyens de défense, Sormany a de façon délibérée cherché à étayer son propos antérieur voulant qu'il offre des services-conseils en relations publiques. Ce faisant, selon lui, l'auteur indiquait au public avec plus de précision, par quel véhicule il était « acoquiné avec Accurso », en montrant du doigt « l’endroit où les chèques sont faits ».
[129] Les nombreuses maladresses ou erreurs de Sormany sont aux yeux de Lapierre la preuve d’une intention aussi perverse que malicieuse justifiant l’octroi de dommages-intérêts punitifs. En somme, le commentaire de Sormany aurait entaché sa réputation alors que son travail et son gagne-pain sont basés sur sa crédibilité.
[130] Il plaide que l'auteur du commentaire doit assumer toutes les conséquences d’un geste fait de propos délibéré, même s’il est admis de part et d’autre que les parties ne se connaissaient pas et qu’elles n’avaient aucune raison de se nuire l’une et l’autre.
[131] Il s'appuie sur une abondante jurisprudence traitant de l’effet démultiplicateur des réseaux, qu’on qualifie de sociaux, pour conclure à l’effet viral incontournable de tout propos diffamatoire affiché sur un babillard Facebook.
[132] Lapierre insiste beaucoup sur l’importance qu'il y a de lui accorder des dommages moraux importants puisque seuls ceux-ci seront en mesure d’assurer la réparation complète (restitutio in integrum) notamment des effets subjectifs ressentis suite aux propos diffamatoires véhiculés par le commentaire de Sormany du 26 septembre 2011 et par ses moyens de défense.
[133] Pour ce qui est des dommages moraux compensatoires, ceux-ci se décomposent selon Lapierre de la façon suivante, en se fondant sur sa requête introductive d’instance («R.I.I.») et ses versions amendées :
i) Pour avoir publié le commentaire du 26 septembre 2011 sur le babillard de la page Facebook de Mme Lise Millette : |
200 000,00 $ (R.I.I., 29 septembre 2011) |
ii) Pour avoir publié ce commentaire et pour avoir en plus, dans sa défense orale, fait référence à L'Heure juste communications/stratégies : |
250 000,00 $ (R.I.I. amendée, 10 novembre 2011) |
iii) Pour avoir publié ce commentaire, pour avoir référé à L'Heure juste communications/stratégies dans sa défense orale, pour avoir affirmé faussement que Lapierre n’avait jamais nié publiquement ces propos, pour avoir affirmé, à l’émission de M. Benoît Dutrizac, le 1er novembre 2011, que son commentaire du 26 septembre constituait un « message pertinent d’intérêt public », pour avoir réitéré dans sa défense amendée du 21 novembre le nom de L’Heure juste communications/stratégies et pour certains propos de la procureure de Sormany à l’enquête : |
250 000,00 $ (R.I.I. réamendée, 28 juin 2012)
|
[134] Quant aux dommages-intérêts punitifs, Lapierre les chiffrait initialement à 50 000 $ pour les porter à 100 000 $ le 10 novembre 2011. On doit donc comprendre que le demandeur estime que les allégations supplémentaires ajoutées les 10 novembre 2011 et 28 juin 2012 à sa requête introductive d’instance représentent à ses yeux 50 000 $ supplémentaires par rapport à sa demande initiale.
4.2 Quant au défendeur
[135] Sormany de son côté, après avoir admis sa faute, plaide que son intention n’a jamais été de diffamer publiquement Lapierre, que son propos du 26 septembre 2011 n’était destiné qu’à Mme Millette et que ses moyens de défense initiaux n’avaient d’autre but que de répondre à la requête introductive d’instance.
[136] Selon lui, la bonne foi se présumant, c’est à Lapierre qu’il revient de prouver l’intention de porter préjudice pour prétendre à des dommages-intérêts punitifs, ce qu’il n’a pas fait.
[137] Sormany s’inscrit aussi en faux contre la proposition qui voudrait que du moment qu’un texte diffamatoire devient public, alors sa diffusion s'avère intentionnelle. Il plaide qu’une telle présomption ne se retrouve ni dans la loi, ni dans la jurisprudence.
[138] Enfin, il réfute la proposition de Lapierre voulant qu’il ait été victime d’une conspiration de journalistes professionnels qui se seraient ligués, par action ou par omission, pour atteindre à sa réputation.
[139] En somme, le défendeur soutient que sa faute ne va pas au-delà d’une erreur d’usage de la technologie propre à Facebook liée à son peu d’habileté technologique, tel que corroboré par son fils.
[140] Pour lui, l’absence de motif qu’il avait de s’en prendre à Lapierre et le fait qu’il ne le connaissait pas personnellement militent contre la conclusion d’intention malicieuse que Lapierre invite le Tribunal à inférer d’une série de faits qui sont sans rapport entre eux.
[141] Comment la preuve présentée de part et d’autre, les conclusions recherchées par Lapierre, les arguments plaidés et les préceptes exposés précédemment se conjuguent-ils? C’est à cette question que le Tribunal s’emploiera maintenant à répondre.
[142] Le Tribunal conclut que la faute admise par Sormany et les autres motifs de reproche que soumet Lapierre ont eu un impact sur l’honneur et la réputation de Lapierre. Cet impact a toutefois été de portée limitée et de moindre ampleur que ce que le demandeur prétend.
[143] Le Tribunal abordera tour à tour les dommages moraux et les dommages punitifs, étant acquis que la faute entraînant la responsabilité de Sormany a été admise par ce dernier dans ses moyens de défense amendée du 21 novembre 2011 et que cette admission de faute a été réitérée à l’audience.
[144] Le Tribunal retient de la faute admise par le défendeur que celle-ci se compose de deux éléments, soit i) l’absence de vérification de certains faits énoncés dans le commentaire du 26 septembre 2011 et ii) le fait d’avoir placé celui-ci sur le babillard Facebook de Mme Millette, rendant ainsi le commentaire accessible aux « amis Facebook » de cette dernière.
[145] Mais Lapierre va plus loin et soutient que c’est de propos délibéré et de façon malicieuse ou par aveugle incurie que ce commentaire a été porté à l’attention de tous.
[146] Abordons tour à tour les dommages rattachés au message de Sormany mis en ligne le 26 septembre 2011, aux commentaires formulés par Sormany le 1er novembre 2011 à la suite d’une question de M. Benoît Dutrizac, à ses moyens de défense et aux propos de sa procureure.
[147] L’admission de faute par Sormany porte à la fois sur la rédaction de ce texte et sa transmission sur le mur Facebook de Mme Millette. Cette admission ne porte pas sur les autres éléments que Lapierre décrit comme autant de fautes.
[148] Ce commentaire s'avère-t-il diffamatoire à la lumière des enseignements de la jurisprudence? Reprenons-en le texte.
[149] Le propos de Sormany répondait de toute évidence au questionnement de Mme Millette de 20h44 : « Je peux les préciser pour lui, si ça te tarabiscote… » commence par écrire le défendeur.
[150] Il enchaîne : « L’intermédiaire, c’est Jean Lapierre, ancien politicien et animateur choc de TVA et LCN (…) ». Lapierre voit dans cette formulation la preuve que ce message était destiné au grand public puisqu’entre journalistes, soutient-il, il n'est nul besoin d'une telle présentation. Il en conclut que le texte de Sormany n’était pas destiné privément à Mme Millette. Toutefois, rien dans la preuve n’autorise le Tribunal à partager cette assertion. Il s’agit de pure spéculation.
[151] Suit le passage qui se révèle à proprement parler diffamatoire selon Lapierre : « mais qui offre aussi ses services-conseils en relations publiques et qui a parmi ses clients nul autre que son « ami » l’entrepreneur Antonio Accurso. Rien d’illégal là dedans, (…) ».
[152] Les deux éléments de cette affirmation sont faux puisque Lapierre selon la preuve n’offre pas ses services-conseils en matière de relations publiques et qu'il ne compte pas M. Accurso parmi ses clients mais plutôt parmi ses connaissances.
[153] Même si Sormany ajoute : « rien d’illégal là dedans », il n’en demeure pas moins qu’affirmer, sans vérification préalable comme on s'y serait attendu de la part d’un journaliste chevronné, qu’un commentateur politique de premier plan entretient une relation d’affaires avec une personne objet de controverses et à propos de laquelle Lapierre était appelé à commenter, est une accusation sérieuse, capable en elle-même, pour peu qu’un lecteur s’y arrête, d’affecter la crédibilité de Lapierre et sa réputation. Cette affirmation aurait-elle été vraie que Lapierre aurait été placé en situation de conflit d’intérêts lorsque venait le temps pour lui de traiter de l'actualité.
[154] Comme le soulignait le juge Senécal dans l’affaire Beaudoin c. La Presse Ltée[46] : « C’est le résultat obtenu dans l’esprit du lecteur qui crée le délit ».
[155] Il ne fait aucun doute que les propos de Sormany ont pu déconsidérer sur le moment la réputation de Lapierre comme commentateur de la scène politique. En effet, en 2011, les rumeurs de malversation dans l’industrie de la construction occupent une bonne place dans l’espace médiatique. Le demandeur est appelé à commenter ces rumeurs. Un des noms importants qui revient sans cesse est celui de M. Antonio Accurso. Prétendre que celui-ci était non seulement un ami mais un client de Lapierre était de nature à susciter à l’égard de ce dernier « des sentiments défavorables ou désagréables », pour reprendre les mots de la Cour d’appel dans la décision de Radio Sept-Îles[47].
[156] Le Tribunal en conclut que ces propos étaient diffamatoires et fautifs. Donc illicites.
[157] Le commentaire du défendeur ne s’arrête pas là. Il ajoute : « mais Duchesneau enquêtait de très près sur l’organisation du « Fabulous Fortheen » (sic), ce réseau de grands entrepreneurs parmi lesquels M Accurso jouait un rôle important ».
[158] À l’époque, les médias utilisaient cette expression des « Fabulous Fourteen »[48] et ce terme n’était pas neutre. Il avait une signification péjorative.
[159] En associant le nom de Lapierre à celui de M. Accurso et en rattachant celui-ci aux « Fabulous Fourteen », Sormany, par voie d’insinuation et de juxtaposition, élargissait le caractère diffamatoire de son propos.
[160] À ce sujet, rappelons ce que la Cour d’appel écrivait, sous la plume du juge Morissette, dans l’affaire Deschamps c. Ghorayeb[49], à propos de l’insinuation :
« Dans ces conditions, une insinuation sera diffamatoire si elle est porteuse de connotations suffisamment péjoratives et suffisamment fortes pour qu’une personne ordinaire donne vraisemblablement au propos un sens qui déconsidère la victime. »
[161] Le
Tribunal prend en considération que le dossier met à nouveau en jeu deux
valeurs fondamentales, soit la liberté d’expression et le droit à la
réputation. La liberté d’opinion et le droit à la sauvegarde de sa dignité, de
son honneur et de sa réputation sont garantis respectivement par les articles
[162] Le Tribunal estime que Sormany, en ne procédant pas à des vérifications préliminaires, ne s’est pas comporté en homme raisonnable et a, dans la partie de son commentaire du 26 septembre déjà citée, diffamé Lapierre en tenant des propos qui vont au-delà de ce que la liberté d’expression autorise. Il a agi de façon illicite.
[163] Sormany ne tient pas ce propos en tant que journaliste à l’emploi de la Société Radio-Canada mais à titre personnel. On ne peut toutefois mettre de côté sa profession et son expérience dans l’appréciation globale du contexte dans lequel ces propos ont été tenus. Le moins qu’on puisse dire est qu’on se serait attendu à plus de rigueur de la part d’un journaliste de tant d’expérience même s’il exprimait des propos de nature privée, comme il le prétend.
[164] Cela dit, le commentaire de Sormany se poursuit dans les termes suivants :
« Et, comme par hasard, le journaliste de TVA Paul Laroque (sic) a ressorti le lendemain de vieilles allégations (non fondées en fin de compte) de financement illégal de la campagne de Ducheseneau (sic) à la mairie de Montréal. M. Duchesneau croit que ce n’est pas une coïncidence. Allez donc savoir! Faute de preuve formelle, il s’est contenté de mentionner de manière vague une « job de bras » qu’auraient entrepris certains médias. Mais il visait clairement TVA et sa filiale LNC (sic). »
[165] On sait que le 25 septembre, M. Duchesneau se dira victime d’intimidation de la part de journalistes et que dans le cadre de l’entrevue qu’il donnait à La Presse le 30 septembre, il mentionnera nommément messieurs Lapierre et Larocque comme comptant parmi ceux se livrant à de l’intimidation.
[166] Le Tribunal ne trouve aucun caractère diffamatoire à l’égard de Lapierre à ce dernier passage du commentaire de Sormany du 26 septembre.
[167] La jurisprudence a souligné maintes fois qu’il est difficile de chiffrer un dommage moral. Sur cette question, le Tribunal retient les propos empreints de sagesse du juge Dalphond, dans l’affaire Larose c. Fleury[50] :
« [69] Les dommages-intérêts
compensatoires, qu’ils soient d’ordre moral ou économique, visent à rétablir
la victime dans sa position n’eût été la faute commise à son égard (art.
[Le Tribunal souligne]
[168] Dans l’arrêt Hill, la Cour suprême écrivait :
« Les démocraties ont toujours reconnu et révéré l’importance fondamentale de la personne. Cette importance doit, à son tour, reposer sur la bonne réputation. Cette bonne réputation, qui rehausse le sens de valeur et de dignité d’une personne, peut également être très rapidement et complètement détruite par de fausses allégations. Et une réputation ternie par le libelle peut rarement regagner son lustre passé. Une société démocratique a donc intérêt à s’assurer que ses membres puissent jouir d’une bonne réputation et la protéger aussi longtemps qu’ils en sont dignes. » (par. 108)
[169] Dans cette décision, le demandeur, l’avocat S. Casey Hill, devenu juge par la suite, avait été l’objet d’une attaque frontale à sa réputation professionnelle dans le cadre de procédures judiciaires complexes impliquant l’Église de scientologie de Toronto. Hill, en sa qualité de substitut du Procureur général de l’Ontario, a été accusé d’avoir induit un juge en erreur et d'avoir enfreint des ordonnances de mise sous scellé de certains documents. La dénonciation des gestes reprochés à Hill s’est faite sur les marches d’Osgoode Hall dans le cadre d’une conférence de presse animée par le procureur de l’Église de façon à marquer le coup. La presse du Canada toute entière y a fait écho.
[170] L’Église de scientologie, par le biais d’une procédure en outrage au tribunal, réclamait de Hill une amende ou une peine d’emprisonnement. Au final, tout cela s’est avéré faux et l'édifice construit par celle-ci s'est effondré.
[171] Les montants en dommages-intérêts moraux et punitifs octroyés à Hill par un jury pour le préjudice causé ont été considérables. Ils ont été maintenus par la Cour d’appel et la Cour suprême. Celle-ci rappelle qu’il s’agissait d’une affaire exceptionnelle, démontrant une malveillance « insidieuse, pernicieuse et persistante », après qu’ait été lancée « une campagne incessante et (…) irrépressible pour détruire Casey Hill et sa réputation ». Les dommages causés à la réputation de Hill, tant par la teneur des propos que par la mise en scène élaborée par l’Église de scientologie et son procureur pour rendre publics les faits reprochés à ce dernier, ont eu pour résultat que sa réputation aurait pu être gravement compromise, voire détruite par ces fausses allégations. Il n'en a pas moins été nommé juge par la suite.
[172] Le Tribunal a cru bon s’arrêter à l’arrêt Hill parce que l'avocat du demandeur y a accordé une grande importance et y a référé à plusieurs reprises pour asseoir la position de son client devant le Tribunal.
[173] Par contre, si les principes énoncés par la Cour suprême dans cet arrêt demeurent d’actualité, l’échelle de la diffamation est sans commune mesure avec celle du dossier sous étude. Entre traiter publiquement un substitut du Procureur général de l’Ontario de menteur dans le cadre d'une véritable mise en scène, de l’accuser publiquement d’avoir trompé un juge et de persister dans cette voie à la Cour suprême même après avoir été débouté en première instance et en appel, d'une part, et affirmer d'autre part qu’un commentateur politique, qui se dit lui-même enclin à une certaine audace en ondes, offre des services-conseils en relations publiques avant d’associer son nom à celui de M. Antonio Accurso et au groupe dit des « Fabulous Fourteen », il y a non seulement une différence d’échelle mais une différence de nature quant à la faute commise et à son impact.
[174] Le même commentaire vaut pour l’arrêt Gilles E. Néron Communication Marketing inc. c. Chambre des notaires du Québec[51] cité à plusieurs reprises au soutien de la position de Lapierre.
[175] La réputation de Lapierre n’a certainement pas été «détruite» par le commentaire de Sormany du 26 septembre 2011. On retrouve dans les propos de Lapierre lors de son interrogatoire après défense et à l’enquête un caractère emphatique lorsque vient le temps pour lui de décrire l'impact des propos de Sormany sur sa carrière de commentateur politique qui ne collent pas à la réalité des faits mis en preuve.
[176] Lorsqu’on compare la situation du demandeur à la suite du commentaire de Sormany à celle qu’elle aurait été n’eut été la faute de ce dernier, le Tribunal en conclut que le préjudice subi par Lapierre est de portée limitée, à mille lieues de ce qu’il prétend lorsqu’il dit que sa réputation a été « totalement entachée », que « les points d’interrogation sont dans le visage de tout le monde (qu’il) rencontre » ou que « quelqu’un vient essayer de tout détruire ça », en parlant de sa carrière. La gravité intrinsèque de l'acte reproché à Sormany n'est pas celle que prétend Lapierre.
[177] En effet, les personnes en autorité chez Cogeco et TVA, préoccupées lorsque informées des propos de Sormany, ont demandé à Lapierre si l’allégation voulant qu’il offre des conseils en relations publiques était fondée et se sont satisfaites de sa ferme dénégation sans pousser plus loin leur enquête.
[178] Par ailleurs, Lapierre a continué à jouer son rôle de commentateur politique sur les ondes de tous les réseaux où il officiait déjà, même s’il est vrai qu'il a pu craindre à un moment donné que le commentaire de Sormany ne fasse boule de neige. Le nombre d’invitations qu’il reçoit pour donner des conférences n’a pas baissé.
[179] De fait, les parts de marché ou les cotes d’écoute du demandeur n’ont pas été affectées. Malgré le commentaire de Sormany, TVA lui a offert de participer à certaines émissions d’affaires publiques, offres qu’il a parfois déclinées peu après l'incident au centre du présent litige. Ni TVA, ni les autres réseaux de radio ou de télévision n’ont de leur propre chef réduit son temps d’antenne.
[180] Son nombre d’abonnés Twitter n’a cessé d’augmenter au point d’avoir plus que doublé entre septembre 2011 et juin 2012.
[181] Voilà autant d'indicateurs qui montrent que la crédibilité du demandeur n'a pas été affectée par le commentaire de Sormany. Si Lapierre en a été blessé, son public ne lui a pas tourné le dos. En somme, le propos de Sormany est tombé à plat.
[182] Si la crédibilité de Lapierre avait pu être affectée par Sormany, il y a tout lieu de croire qu’elle l’aurait été autant sinon plus par les révélations de M. Duchesneau à Mme Ouimet publiées dans l’édition du 30 septembre 2011 de La Presse, dans le cadre desquelles M. Duchesneau dénonçait nommément M. Jean Lapierre et son co-animateur, M. Paul Larocque, comme étant ceux qui faisaient de l’intimidation auprès de lui et de l’Unité anti-collusion. Pourtant, tout indique que ce ne fut pas le cas.
[183] Cette accusation, si elle est fausse comme le prétend Lapierre, venant d’un homme de la stature de M. Duchesneau, était non seulement grave mais virtuellement dommageable. Comme l'étaient les propos de M. Richard Martineau lorsqu'il écrivait, quelques années plus tôt, dans l'hebdomadaire Voir, que certains observateurs disaient de Lapierre qu'il était « un conflit d'intérêts ambulant, qui se sert de son micro pour consolider ses alliances »[52]. Ces propos n'ont manifestement pas affecté Lapierre dont la carrière de commentateur politique se poursuit sans fléchir.
[184] Par ailleurs, le demandeur prétend que le défendeur a agi par « malice » plutôt que par maladresse en affichant son commentaire sur le babillard Facebook de Mme Millette. Il prétend qu’ipso facto, c’est-à-dire en rendant son texte public, la diffusion s'avère intentionnelle. « Quand on diffame, on a l’intention de diffamer », plaide-t-il.
[185] Telle que formulée, cette proposition de l'avocat du demandeur équivaudrait à créer une présomption qu’il appartiendrait au défendeur de renverser. Le Tribunal n’a rien retrouvé de tel dans la loi. Aucune décision de jurisprudence de nos cours ne vient étayer cette proposition. Suivre Lapierre dans cette voie mènerait à l'attribution de dommages moraux (et économiques, le cas échéant) et punitifs dans tous les dossiers de diffamation. L'intention dont il est question doit être pesée à l'aulne de l'arrêt St-Ferdinand. Il ne s'agit pas que d'un acte volitif, encore faut-il, au plan juridique, que cet acte se double d'un dessein, d'un état d'esprit qui aspire à provoquer les conséquences de la conduite fautive.
[186] Sormany désirait faire parvenir son commentaire du 26 septembre directement à Mme Millette sous forme de message personnel par un mode de communication qu’il avait utilisé avec cette dernière à diverses reprises. C’est par inadvertance qu’il a placé son commentaire sur le mur Facebook ouvert aux amis Facebook de Mme Millette puisqu'il jouissait d’habiletés limitées dans ce domaine, comme l'explique son fils.
[187] Contre-interrogé à ce propos par le procureur du demandeur, Sormany a maintenu sa version des faits comme il l’avait fait lors de son interrogatoire après défense du 23 novembre 2011[53]. Malgré l'intention clairement exprimée[54], l'avocat du demandeur n’a pas pu démontrer que Sormany était « une personne familière avec les réseaux sociaux généralement, et particulièrement avec Facebook ». À ce sujet, un texte signé de Sormany et invoqué par Lapierre n'est rien d'autre qu'une réflexion sur le journalisme à l'ère d'Internet, et non pas un exposé technique sur le fonctionnement et l'usage des réseaux sociaux ou des forums de discussion[55].
[188] De plus, la preuve démontre qu'on peut confondre l’accès au babillard Facebook et la partie message de Facebook, puisque l’environnement visuel de l’un et de l’autre est semblable[56]. Aucune preuve détaillée, il est bon de le rappeler, n’a été offerte par le demandeur du fonctionnement du serveur Facebook qui viendrait démontrer le contraire. Rien ne permet au Tribunal de remettre en question l’affirmation de Sormany voulant qu’il ait confondu l’espace public et l’espace privé du réseau.
[189] En plus, Sormany n'a pas cherché à se cacher sous le couvert de l'anonymat, d'un pseudonyme ou d'un avatar comme c'est fréquemment le cas. L'auteur David A. Potts, dans son livre Cyberlibel ― Information Warfare in the 21st Century?[57], écrit d'ailleurs à ce propos:
« Many individuals post their defamatory messages anonymously on the Internet. One of the most common problems the plaintiff faces in a cyberlibel action is tracing and determining the identity and address of the defendant prior to commencing proceedings. »
Rien de semblable dans le cas présent.
[190] Le Tribunal retient donc la version de Sormany voulant qu’il n’ait jamais eu l’intention de communiquer à d'autres qu'à Mme Millette les propos, par ailleurs erronés et diffamatoires, qui ont été affichés sur le babillard de celle-ci.
[191] Lapierre fait grand cas du fait que les propos reprochés à Sormany aient été diffusés sur le réseau social Facebook. Il plaide l’effet insaisissable de l’utilisation de ce mode de communication et l’effet viral qui résulte du renvoi en cascade non seulement via Facebook mais via Twitter.
[192] A l’appui de cette prétention, Lapierre, dans ses notes et autorités, cite le passage suivant de l’arrêt Crookes c. Newton[58] de la Cour suprême :
«(…)Parce qu’il constitue un moyen d’expression si puissant, l’Internet peut s’avérer un véhicule extrêmement efficace pour exprimer des propos diffamatoires. Dans Barrick Gold Corp. c. Lopehandia (2004), 71 O.R. (3d) 416 (C.A.), par. 32, le juge Blair a reconnu [traduction] «l’énorme pouvoir» de l’Internet de porter atteinte à la réputation, citant avec approbation le passage suivant d’un article de Lyrissa Barnett Lidsky, «Silencing John Doe : Defamation & Discourse in Cyberspace» (2000), 49 Duke L.J. 855, p. 863-864 :
[traduction] Bien que, du point de vue de l’exactitude, elles puissent avoir les qualités éphémères du commérage, les communications par Internet sont transmises par le biais d’un médium beaucoup plus répandu que la presse écrite, et c’est ce qui leur confère l’énorme pouvoir de porter atteinte à la réputation de quelqu’un. Une fois lancé dans le cyberespace, un message peut être lu par des millions d’individus dans le monde entier. Même si le message est affiché dans un forum de discussion qui n’est fréquenté que par un nombre restreint de personnes, chacune d’elles peut le diffuser à son tour en l’imprimant ou - ce qui est plus probable - en le transmettant instantanément à un autre forum de discussion. Et si le message est suffisamment provocateur, il peut être diffusé à répétition. La capacité extraordinaire de l’Internet de reproduire presqu’à l’infini n’importe quel message diffamatoire vient renforcer la notion selon laquelle «la vérité rattrape rarement le mensonge». Le problème qui se pose, du point de vue du droit relatif à la diffamation, est donc de savoir comment protéger la réputation sans détruire le potentiel de l’Internet en tant qu’espace de débat public.»
[193] Cet extrait décrit bien une des réalités de ce qu’offrent les réseaux dits sociaux. Contrairement aux courriels, que seuls leurs destinataires peuvent lire, les messages affichés sur un babillard Facebook peuvent être vus et repris par tous les « amis » qui visitent la page Web, comme le rappelait la Cour suprême de l’Ontario dans l’affaire Leduc c. Roman[59].
[194] Affirmer, à l’instar de la Cour suprême dans l’arrêt Crookes, que « l’Internet peut s’avérer un véhicule extrêmement efficace pour exprimer des propos diffamatoires », ne suffit pas. Encore faut-il que la preuve démontre que le commentaire de Sormany du 26 septembre ait voyagé dans le cyberespace et qu’il ait été lu et retransmis largement par les Internautes. Si la calomnie a des effets rampants et pernicieux, comme le soulignait si éloquemment Beaumarchais, il ne suffit pas d'invoquer ceux-ci pour relever le plaideur de son obligation de prouver le dommage du seul fait qu'ils ont été publiés par la voie électronique.
[195] Or, la preuve ne pointe pas dans cette direction. Tout au plus existe-t-il quelques tweets et un forum de discussion (blogue) pointant du doigt Lapierre, sans qu’il soit possible d’établir une relation de cause à effet entre le texte reproché à Sormany et les textes affichés sur Twitter[60].
[196] Notons que le demandeur a certes mis en preuve la liste des « amis Facebook » du défendeur[61] mais que c’est plutôt la liste des « amis Facebook » de Mme Millette qui aurait été utile pour mesurer l’effet viral invoqué par le demandeur. Cette dernière avait été assignée comme témoin devant le Tribunal mais n’a pas été appelée à témoigner. Rien ne révèle non plus que le commentaire de Sormany ait été communiqué à ses propres « amis Facebook ».
[197] Qui plus est, Sormany, inquiet de constater que son commentaire avait été placé sur le babillard Facebook de Mme Millette, a lui-même procédé à une recherche par mots-clés sur Twitter (il donne des exemples : Lapierre, Sormany, Tout le monde en parle, TLMP, Duchesneau) après s’être fait dire, le matin du 27 septembre par Mme Marie-Maude Denis que « ton texte a été twitté ». Il n’a rien retrouvé sur Twitter reprenant son commentaire de la veille.
[198] Enfin, Lapierre a contribué lui-même à diffuser, à travers son compte Twitter, le litige l’opposant à Sormany dans des circonstances sur lesquelles le Tribunal reviendra.
[199] Le Tribunal ne remet aucunement en question le fait que les réseaux sociaux et Internet sont des outils puissants pour saper, voire détruire, souvent sous le couvert de l’anonymat, des réputations. Les exemples en sont innombrables. La nature même des réseaux sociaux, leur caractère volatil et souvent capricieux, la possibilité de diffuser à un large auditoire un texte préjudiciable à quelqu’un en l’attachant à son propre commentaire ont des effets multiplicateurs et démultiplicateurs qui donnent froid dans le dos quand on y réfléchit.
[200] Sauf que l’effet délétère sur la réputation de Lapierre n’a pas été démontré, pas plus que l'ampleur à large échelle de la diffusion du texte de Sormany.
[201] En terminant l’analyse du préjudice moral causé à Lapierre du seul fait de la publication du commentaire de Sormany du 26 septembre 2011, le Tribunal prend en considération l’angoisse, l’inquiétude, les problèmes de sommeil et les difficultés qui ont été causés au demandeur et à son entourage, dont à sa conjointe, Mme Nicole Beaulieu. Il prend en considération que le demandeur a eu tendance à s’isoler au point même, tel qu’en témoignera M. Serge Fortin, de refuser de participer à certaines émissions du réseau TVA pour y commenter l’actualité. Comme Lapierre est payé à l’acte, il en est résulté à l’occasion des pertes de revenus, qui ne sont toutefois pas réclamées.
[202] La preuve veut aussi que Lapierre soit devenu plus impatient, qu’il ait eu tendance à s’isoler et à être moins sociable, ce qui veut dire, pour une figure publique aussi connue qui fait son miel des nombreuses relations qu’il entretient entre autres dans les milieux politiques, une perte de contact avec l’effervescence quotidienne qui à son tour nourrit ses commentaires en ondes.
[203] En plus, Lapierre s’est abstenu, contrairement à son habitude, de participer à certains événements mondains courus et c’est avec réticence qu’il s’est joint à certains autres rendez-vous politiques peu après les faits reprochés.
[204] En somme, le texte de Sormany du 26 septembre, la crainte que sa diffusion n’entache sa crédibilité et par là, son gagne-pain, et la peur de voir son intégrité mise en doute, ont affecté le demandeur dans sa vie de tous les jours, professionnelle comme personnelle.
[205] Par contre, le commentaire est resté en ligne pendant quatre jours uniquement, pour être retiré à l’initiative de Sormany, le 30 septembre au soir. Aucune preuve de l’effet viral du commentaire du défendeur n’a été apportée et Lapierre ne peut invoquer quelque présomption résultant du fait que les propos de Sormany ont été affichés par le biais d’un réseau social.
[206] De plus, les mots utilisés par Sormany dans son commentaire n’ont pas la virulence de bien des propos jugés diffamatoires ou dégradants dont est tapissée la jurisprudence d'où le Tribunal tire ci-après quelques exemples. Sans que cela l'excuse, Sormany prétendait soulever d’abord et avant tout une question d’ordre déontologique à propos d’une personne qui se défend bien d’être un journaliste, et de l’avoir jamais été, et qui se défend aussi d’être liée par les règles déontologiques qui lient les journalistes de métier.
[207] À titre comparatif, citons, outre les affaires Néron et Bélisle-Heurtel c. Tardif[62], l’affaire Lanctôt c. Giguère[63]. Dans ce dernier dossier, le tribunal condamne les défendeurs à des dommages-intérêts moraux et punitifs (50 000$ et 25 000$), pour avoir qualifié en ondes les demandeurs, à plus de trente reprises, d’incompétents, de cabochons, d’insignifiants, de mafieux, de simples d’esprit, de baveux, fantoches, malades mentaux, de «potée de niaiseux» et les avoir surtout accusés de dilapider les fonds publics, de recevoir des pots-de-vin et de s’approprier les fonds publics à leurs fins personnelles. Cette liste de quolibets et d'accusations n’est pas exhaustive.
[208] Dans Barrière c. Filion[64], les défendeurs sont condamnés à verser des dommages-intérêts moraux et punitifs (150 000 $ et 50 000 $) pour avoir affirmé, sur les ondes de la radio, que le demandeur, un juge de la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, avait payé pour obtenir des faveurs sexuelles d’une prostituée elle-même appelée comme témoin dans le procès pour meurtre de M. Denis Filion, un des défendeurs dans cette affaire. La chose a fait grand bruit à l’époque et a été reprise dans la presse écrite. Au final, elle s'est avérée sans fondement aucun.
[209] Dans The Protestant School Board of Greater Montreal c. Williams[65], la Cour d’appel a condamné l’appelante à verser à l’intimé 170 000 $ à titre de dommages-intérêts compensatoires et 25 000 $ de dommages-intérêts punitifs, pour avoir atteint à la réputation de Williams en portant une fausse accusation de harcèlement sexuel, laquelle a conduit à sa rétrogradation au sein de la commission scolaire, à son départ de celle-ci et à un état dépressif sérieux. Or, cette accusation était fausse. Après que la plainte eut été rejetée, la Commission a de plus refusé d’en informer la communauté scolaire, laissant le demandeur brisé et sans moyen.
[210] Dans l’affaire Bertrand c. Proulx[66], le défendeur et Radiomédia inc. furent condamnés à verser des dommages-intérêts moraux et exemplaires de même que le remboursement d’honoraires et débours extraordinaires (64 500 $ et 10 000 $) pour avoir qualifié le demandeur, l’avocat Guy Bertrand, dans le cadre d’une émission diffusée à travers le Québec, de menteur, de fanatique, d'hystérique, de manipulateur, de méphistophélique et de malade mental et avoir déclaré qu’un tel homme ne devait pas être laissé en liberté.
[211] Dans l’affaire 9080-5128 Québec inc. c. Morin-Ogilvy[67], le tribunal, dans un jugement du 10 avril 2012, condamnait la défenderesse à payer aux demanderesses des dommages-intérêts compensatoires et punitifs (5 000 $ et 5 000 $) pour avoir publié des propos jugés diffamatoires (exemples : «famille Lavigueur», nouveaux riches sans classe, gens mentalement dérangés, etc.) sur sa page Facebook accessible à ses 426 « amis Facebook ». Aucune preuve n’est venue établir la diffusion de ces propos sur d’autres sites. Ils sont restés en ligne deux jours avant d’être retirés.
[212] En 2011, le Cour d’appel, dans l’affaire Chenail c. Lavigne[68], a réduit à 7 000 $ les dommages-intérêts moraux que la juge de première instance avait établis à 50 000 $, et annulé la condamnation à des dommages-intérêts exemplaires. Dans ce dossier, la demanderesse, mairesse de Sainte-Clotilde, se plaignait d’une lettre ouverte, signée par le défendeur Chenail, publiée dans le journal local sous le titre La mairesse de Sainte-Clotilde fait passer ses intérêts personnels avant ceux de la communauté. Elle déplorait le tort fait ainsi à sa réputation et d’avoir fait l’objet de railleries et de quolibets à la suite de la publication de la lettre.
[213] Les affaires qui précèdent sont évidemment tous des cas d’espèce tirés de l’importante jurisprudence des dernières années en matière de diffamation. Elles soulignent que la diffamation et l'atteinte à l'honneur empruntent fréquemment le chemin de l'injure, ce qui n'est pas le cas dans le présent dossier même si l'effet peut être le même, soit déconsidérer la victime aux yeux du public. Elles permettent de relativiser les choses et de mettre en perspective les mots utilisés par Sormany dans son commentaire du 26 septembre 2011.
[214] Le Tribunal a pris aussi connaissance de plusieurs autres décisions soumises par l'avocat de Lapierre[69]. Le Tribunal note que les faits à la source de ces différentes décisions sont dans tous les cas bien différents et d’une portée autrement plus préjudiciable que celle du dossier à l’étude.
[215] En conséquence, prenant en considération tous les éléments pertinents et les critères énoncés dans les affaires Fabien et Graf déjà citées, de même que l'analyse par tableaux comparatifs dressée par la juge Blondin dans l'affaire Corriveau c. Canoë inc[70], le Tribunal estime que la compensation pour le préjudice moral causé à Lapierre par le commentaire de Sormany du 26 septembre 2011 s'établit à 22 000,00 $.
[216] Venons-en maintenant aux motifs supplémentaires invoqués par Lapierre dans sa déclaration introductive d’instance amendée du 10 novembre 2011.
[217] Le 8 novembre, Sormany consignait ses moyens de défense orale en soulignant que le demandeur n’avait subi aucun dommage économique que ce soit « personnellement ou via son entreprise “L’Heure juste communications/stratégies ” ».
[218] Le 10 novembre 2011, le demandeur se fondait sur cette dernière affirmation pour modifier sa requête introductive d’instance et majorer à la fois le montant des dommages compensatoires et le montant des dommages exemplaires réclamés. Mais il profitait aussi de l'occasion pour retirer toute allégation de perte économique.
[219] Notons que les procédures au dossier de part et d’autre sont laconiques, c’est le moins qu’on puisse dire. À titre d’exemple, le paragraphe 7 de la requête introductive initiale ne faisait mention que de dommages moraux et économiques, sans fournir aucune autre information quant à la nature ou la ventilation de ces derniers. Il n’était fait mention d’aucun préjudice économique dans les conclusions.
[220] Sormany a témoigné qu'il voulait démontrer que Lapierre n’a subi aucun préjudice économique. Son intention n’était de ce fait aucunement de diffamer Lapierre ou de renchérir sur le fait que ce dernier fournissait des services-conseils en matière de relations publiques.
[221] Pour être en mesure de présenter éventuellement une preuve, Sormany a mené des recherches qui l’ont conduit à associer un certain Jean Lapierre, qui n’est pas le demandeur, à une entreprise nommée L'Heure juste communications/stratégies, avec laquelle ce dernier n’a aucun lien. Il est plutôt à la tête d’une société de gestion qui lui verse un salaire et qui l’aide à « préparer ses vieux jours ».
[222] D'une part, le Tribunal constate qu’il était normal dans les moyens de défense initiaux de Sormany d’introduire une allégation lui permettant le moment venu de faire échec à une preuve de dommages économiques. Le défendeur a mené sa recherche gauchement et a identifié la mauvaise entreprise. Doit-on pour autant conclure à diffamation supplémentaire de ce seul fait? Une réponse négative s'impose. En effet, il n’y a rien dans ce moyen de défense qui soit de nature à déconsidérer Lapierre ou à susciter à son égard des sentiments défavorables ou désagréables, pour reprendre les éléments de la définition de ce que constitue la diffamation. Il ne comporte ni sous-entendu, ni insinuation fautifs. Cela suffit à disposer de cette prétention de Lapierre.
[223] D’autre part, cette allégation quant à L’Heure juste communications/stratégies ne se retrouve que dans les moyens de défense de Sormany; elle n’a pas été diffusée par lui, ni par Internet, ni autrement.
[224] C’est plutôt l’édition du 12 novembre 2011 du Journal de Montréal, sous la signature de Mme Michelle Coudé-Lord, qui a rendu publique cette information[71], après avoir pris connaissance de la requête introductive d’instance amendée du demandeur du 10 novembre. Cet article reposait uniquement sur cette dernière sans référer aux moyens de défense de Sormany. Le titre de l'article n'était de fait pas flatteur pour ce dernier: « Sormany s'est trompé d'adresse ».
[225] Certes, le dépôt d'une procédure judiciaire constitue une publication mais par la suite, c'est Lapierre lui-même qui a choisi de démultiplier cet article du Journal de Montréal et le contenu des moyens de défense qu’il reproche à Sormany en l’attachant à un de ses propres Tweets, par voie d'hyperlien. Il ne peut aujourd'hui travestir un moyen de défense légitime en diffamation et invoquer à l'encontre de Sormany l'effet viral qu'il a lui-même enclenché via Twitter.
[226] En ce sens, l'auteur Robert Danay, dans un texte publié en 2010, après une étude comparative des jurisprudences de Common Law et de droit civil, concluait ainsi, dans la section titrée A Prescription for Reform: A Move from Caricature to Context :
« Quebec's civil law approach to defamation points the way forward to a more balanced approach to cyber-libel adjudication in Canadian common law courts. In attempting to transplant the civil law defamation methodology into the common law context, the prescription is simple: courts must treat each and every cyber-libel case on its own merits without relying on any sweeping generalizations about the broad reach and dangers of Internet publications.[72]
[227] Bref, bien que la référence à L'Heure juste communications/stratégies introduite dans les moyens de défense de Sormany, dans le but de contrer une allégation de préjudice économique et non dans le but de corroborer son propre commentaire du 26 septembre 2011, constitue une erreur, son contenu n'était pas diffamatoire. Ainsi, la diffusion par le biais d'un article du Journal de Montréal, qui ne fait aucune référence à la défense de Sormany mais plutôt à la réplique qu'y apporte Lapierre dans sa requête introductive d'instance amendée, ne permet pas de conclure à une faute du défendeur.
[228] À ce chapitre, le Tribunal ne peut conclure à la mauvaise foi de Sormany comme l'y invite Lapierre.
[229] Bien que la jurisprudence reconnaisse que les pièces de procédure ou l’attitude en cours de procès peuvent être assimilées à de la diffamation, l’arrêt Hill en est un exemple éloquent, tel n'est pas le cas en l'espèce.
[230] Les moyens de défense initiaux visaient à contrer une allégation de perte économique. L’explication donnée par Sormany pour y introduire L’Heure juste communications/stratégies est plausible et mérite d'être retenue. Son intention était de démontrer le moment venu que Lapierre ne subissait aucune perte économique. Il y avait donc pertinence à introduire un tel moyen de défense, malgré l'erreur de Sormany qui l’a amené à associer le demandeur à un autre Jean Lapierre.
[231] En somme, les critères énoncés par Beullac et repris maintes fois par la Cour d’appel ne sont pas réunis pour permettre au Tribunal de conclure à diffamation dans le cadre des moyens de défense de Sormany.
[232] Le Tribunal en conclut que cette référence, même erronée, à L'Heure juste communications/stratégies n’a pas contribué à diffamer Lapierre.
[233] Lapierre fait aussi reproche au défendeur d’avoir réitéré sa référence à L'Heure juste communications/stratégies dans ses moyens de défense amendés du 21 novembre 2011. Comme on l’a vu antérieurement, Sormany ne fait, au troisième paragraphe, que citer le second paragraphe de ses moyens de défense initiaux pour préciser qu’il n’avait jamais eu l’intention de diffamer Lapierre en y mentionnant L’Heure juste communications/stratégies. Il n’y a certainement pas dans ce renvoi un acte de diffamation. Aucune preuve de la diffusion des moyens de défense amendés de Sormany n'a d'ailleurs été faite.
[234] Le Tribunal conclut ici encore que le troisième paragraphe des moyens de défense amendés ne constitue pas de la diffamation et qu'il n'y a pas faute de la part du défendeur.
[235] Lapierre invoque, dans sa requête introductive d’instance réamendée, le fait que, par les propos de son avocate durant l’audience, Sormany aurait laissé entendre qu'il aurait eu, comme client en matière de relations publiques, l’Association des camionneurs du Québec et que l’intégrité du demandeur avait à l’époque été remise en question pour des activités de lobbyisme.
[236] De fait, des questions à ce propos ont été posées par l'avocate de Sormany dans le cadre du contre-interrogatoire de Lapierre. Mais ces questions ne dépassaient certainement pas ce qui est attendu d’un avocat appelé à défendre les intérêts d'une partie dans une procédure judiciaire de la nature de celle de l'instance. Suivre le procureur du demandeur dans cette voie mènerait à priver la défense de ses moyens, voire à la bâillonner.
[237] Dans les circonstances, le Tribunal, qui a évidemment été témoin des propos reprochés, conclut que les interventions faites alors n'ont pas dépassé la mesure attendue dans le contexte et ne peuvent être considérées comme des propos diffamatoires fautifs exprimés dans le cadre des procédures.
[238] Lapierre reproche à Sormany d’avoir affirmé, le 1er novembre 2011, sur les ondes du 98,5 FM, que ses propos sur Facebook constituaient un “message pertinent d’intérêt public”.
[239] Le Tribunal a déjà cité in extenso les paroles reprochées à Sormany. Il rappelle que contrairement à ce que prétend Lapierre dans sa requête introductive d’instance réamendée, Sormany n’a alors ni réitéré son commentaire du 26 septembre, ni même précisé que c’est de Lapierre dont il s’agissait alors.
[240] Il suffit d’écouter la bande audio de cette entrevue[73] pour constater que les mots reprochés à Sormany l’ont été sur un ton neutre et non dans le but d’attaquer ou de blesser Lapierre.
[241] Que Sormany, en novembre 2011, ait estimé que son commentaire du 26 septembre était d’intérêt public et pertinent, ne faisait que rappeler le tollé soulevé par les propos de M. Jacques Duchesneau du 25 septembre à l’émission Tout le monde en parle. Après tout, ce même M. Duchesneau, cinq jours plus tard, affirmera haut et fort qu’il visait nommément messieurs Lapierre et Larocque lorsqu’il parlait de personnes qui cherchaient à l’intimider et à intimider l’Unité anti-collusion du ministère des Transports.
[242] Dans ce contexte, le Tribunal ne peut raisonnablement conclure que les mots utilisés par Sormany dans le cadre de l'entrevue qu'il donnait à M. Dutrizac s'avéraient fautifs et qu'ils avaient pour effet de déconsidérer Lapierre dans le public.
[243] Reste à disposer des conclusions de la demande relatives à des dommages-intérêts punitifs.
[244] Au départ, Lapierre demandait que Sormany soit à ce titre condamné à lui verser 50 000 $. Le 10 novembre 2011, il portera cette somme à 100 000 $, qu’il maintiendra dans la version réamendée.
[245] Le
deuxième paragraphe de l’article
« En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs. »
[246] Cet
article doit être lu en conjonction avec l’article
[247] Dans le cas présent, Sormany reconnaît sa faute. Le commentaire du 26 septembre 2011 était diffamatoire et a porté atteinte à la réputation de Lapierre, quoique dans une mesure moindre que ce que celui-ci prétend, engageant ainsi la responsabilité civile du défendeur.
[248] Par contre, pour obtenir des dommages punitifs, il faut la démonstration d'une faute caractérisée. Il faut que celle-ci ait été non seulement illicite mais intentionnelle.
[249] Ce second critère, soit celui de l’intentionnalité, a généré une controverse à la fois dans la jurisprudence et la littérature. Cette controverse s’est poursuivie jusqu’en 1996 avec l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand[74].
[250] Dans cet arrêt, la Cour suprême, sous la plume de la juge L’Heureux-Dubé, enseigne, à l’instar de ce que faisait la juge Deschamps (alors à la Cour d’appel), dans l’arrêt Augustus c. Gosset[75], que pour être intentionnelle, l’atteinte illicite ne doit pas résulter de la simple négligence ou insouciance de son auteur, mais plutôt qu'elle doit avoir lieu dans des conditions indiquant une volonté déterminée de causer le préjudice. La juge L’Heureux-Dubé cite à ce propos avec approbation la juge Deschamps :
« Le législateur a choisi de ne retenir, comme passibles de dommages exemplaires, que les atteintes réellement intentionnelles et c’est sûrement aussi par choix qu’il n’y a pas inclus les atteintes insouciantes et négligentes quelle que soit la gravité de cette insouciance ou cette négligence. La distinction ne peut avoir échappé au législateur et je dois la respecter. »
[251] Poursuivant son raisonnement, la juge L’Heureux-Dubé ajoute :
« [117] Contrairement aux dommages compensatoires, l’octroi de dommages exemplaires prévu au deuxième alinéa de l’art. 49 de la Charte ne dépend pas de la mesure du préjudice résultant de l’atteinte illicite, mais du caractère intentionnel de cette atteinte. Or, une atteinte illicite étant, comme je l’ai déjà mentionné, le résultat d’un comportement fautif qui viole un droit protégé par la Charte, c’est donc le résultat de ce comportement qui doit être intentionnel. En d’autres termes, pour qu’une atteinte illicite soit qualifiée d’« intentionnelle », l’auteur de cette atteinte doit avoir voulu les conséquences que son comportement fautif produira.
[118] Dans cette perspective, afin d’interpréter l’expression « atteinte illicite et intentionnelle », il importe de ne pas confondre le fait de vouloir commettre un acte fautif et celui de vouloir les conséquences de cet acte. À cet égard, le deuxième alinéa de l’art. 49 de la Charte ne pourrait être plus clair : c’est l’atteinte illicite — et non la faute — qui doit être intentionnelle. En conséquence, bien que certaines analogies soient possibles, je crois qu’il faille néanmoins résister à la tentation d’assimiler la notion d’ « atteinte illicite et intentionnelle » propre à la Charte aux concepts traditionnellement reconnus de « faute lourde », « faute dolosive » ou même « faute intentionnelle ». »
[252] Enfin,
après avoir rappelé que les dommages exemplaires prévus à l’article
« [120] En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l’art. 49 de la Charte lorsque l’auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer des conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. Ce critère est moins strict que l’intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère. »
Et le tribunal d’ajouter :
[123] Dans le cas qui nous intéresse, la majorité de la Cour d’appel a été d’avis que « [p]our être intentionnelle, il faut que l’atteinte soit commise dans des circonstances qui indiquent une volonté déterminée de causer le dommage résultant de la violation ». Il n’y a pas eu ici d’erreur de droit puisque la volonté de causer le préjudice, conformément au critère proposé ci-dessus, constitue une atteinte intentionnelle aux termes de la Charte. »
[253] Plus récemment, la Cour suprême, dans l’arrêt Montigny c. Brossard[76], sous la plume du juge LeBel, circonscrit les objectifs poursuivis par l'octroi de dommages exemplaires :
«[47] Contrairement aux dommages compensatoires, dont la raison d’être est la réparation du préjudice résultant d’une faute, les dommages exemplaires existent, quant à eux, pour une autre fin. L’octroi de ces dommages a pour but de marquer la désapprobation particulière dont la conduite visée fait l’objet. Il est rattaché à l’appréciation judiciaire d’une conduite, non à la mesure des indemnités destinées à réparer un préjudice réel, pécuniaire ou non. […]
[48] Le régime des dommages exemplaires conserve, en droit
québécois, un caractère d’exception. En effet, l’art.
[49] En raison du caractère exceptionnel de ce droit, les
tribunaux québécois ont, jusqu’à maintenant, mis en œuvre de façon assez
stricte la fonction préventive que donne aux dommages exemplaires l’art.
[254] Plus récemment encore, après avoir appliqué les préceptes énoncés aux arrêts St-Ferdinand et Montigny, le juge Godbout, le 21 juin 2012, concluait ainsi dans l’affaire Spieser c. Procureur général du Canada[77] :
[711] «En effet, même si l'on qualifie le comportement des préposés des défendeurs «d'insouciant», la preuve ne démontre pas que les défendeurs et leurs préposés ont agi dans «un état d'esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences (de leur conduite fautive) ou encore (qu'ils ont agi) en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probable, que cette conduite engendrera».
[255] C’est à une conclusion semblable qu’arrivait le juge Jacques dans le jugement qu’il rendait en 2009 dans l’affaire GIFRIC c. Corporation Sun Media (Journal de Québec)[78].
[256] Dans ce dossier, les demandeurs réclamaient des défendeurs 450 000 $ en dommages moraux et exemplaires à la suite de la publication dans le Journal de Québec d’une chronique qu’ils qualifiaient de diffamatoire à leur égard.
[257] Après avoir conclu que « le défendeur Samson a agi de façon imprudente à l’égard des demandeurs », lui, un journaliste influent à la feuille de route « impressionnante », le juge Jacques affirme quant aux dommages-intérêts punitifs :
«[363] Le Tribunal ne peut se convaincre que le défendeur, malgré son imprudence, a agi de façon intentionnelle et de mauvaise foi de manière à nuire spécifiquement à des gens qu’il ne connaissait pas et que malheureusement il n’avait jamais rencontré avant l’audience.
(…)
[365] Dans les circonstances, la réclamation pour dommages punitifs doit être rejetée.»
[258] Lapierre soumet que Sormany ne peut prétendre que la conséquence de son commentaire n'était pas voulue, compte tenu des propos utilisés et de ses connaissances comme journaliste, professeur et écrivain d'un livre comportant un volet sur Internet.
[259] Le Tribunal ne partage pas cet avis. En effet, en reprenant les critères de ce que constitue l’intentionnalité au sens de l’art. 49 de la Charte et pour paraphraser la juge L’Heureux-Dubé, rien dans l’enchainement des faits mis en preuve ne démontre que Sormany avait le désir et la volonté de porter préjudice à la réputation de Lapierre ou qu'il ait voulu à dessein et de mauvaise foi les conséquences que son comportement illicite pouvait provoquer.
[260] En somme, Sormany n'a pas agi de manière intentionnelle au sens de la loi. Voilà pourquoi le Tribunal n'accorde pas de dommages punitifs.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[261] ACCUEILLE en partie l’action du demandeur;
[262] CONDAMNE
Pierre Sormany à payer à Jean Lapierre la somme de 22 000,00 $ à titre
de compensation pour le préjudice moral causé, plus les intérêts au taux légal
et l’indemnité additionnelle prévue à l’article
[263] AVEC DÉPENS.
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__________________________________ L’HL’L’MICHEL YERGEAU, j.c.s. |
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Me Jacques Jeansonne et Me Marie-France Tozzi Deslauriers Jeansonne, s.n.c. |
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Procureurs du demandeur |
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Me Julie Chenette et Me Sarah Simard Chenette, Boutique de litige inc. |
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Procureures du défendeur |
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Dates d’audience : |
Le 26, 27, 28, 29 juin 2012 |
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PLAN
PAR.
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INTRODUCTION.................................................................................................... [1] |
1 |
LES FAITS............................................................................................................... [8] 1.1 Le point de vue du demandeur...................................................................... [9] 1.1.1 Le dimanche, 25 septembre 2011...................................................... [10] 1.1.2 Le lundi, 26 septembre 2011............................................................... [13] 1.1.3 Le vendredi, 30 septembre 2011........................................................ [30] 1.1.4 Le mardi, 1er novembre 2011............................................................. [44] 1.1.5 D'autres faits.......................................................................................... [49] 1.2 Le point de vue du défendeur........................................................................ [71] |
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2 |
LES PROCÉDURES............................................................................................. [79] |
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3 |
LE DROIT [83] 3.1 La notion de diffamation................................................................................ [84] 3.2 Les Chartes et le Code civil du Québec..................................................... [86] 3.3 Dommages compensatoires et dommages punitifs.................................. [92] 3.4 Harmonisation de la Charte et du Code civil du Québec.......................... [96] 3.5 La forme du propos diffamatoire.................................................................. [100] 3.6 Liberté de parole et protection de la réputation.......................................... [106] 3.7 La diffamation dans le cadre de procédures judiciaires............................ [110] 3.8 L'évaluation des dommages-intérêts compensatoires.............................. [114] 3.9 Absence d'une présomption.......................................................................... [120] 3.10 L'octroi de dommages-intérêts punitifs........................................................ [121] 3.11 L'intention en droit........................................................................................... [125] |
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4 |
POSITION DES PARTIES.................................................................................... [126] 4.1 Quant au demandeur...................................................................................... [127] 4.2 Quant au défendeur........................................................................................ [135] |
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5 |
ANALYSE [141] 5.1 Le préjudice moral et sa compensation....................................................... [146] 5.1.1 Le message du 26 septembre 2011................................................. [147] 5.1.2 Le caractère diffamatoire du propos................................................. [148] 5.1.3 L'indemnité........................................................................................... [167] 5.1.4 La requête introductive d'instance amendée du 10 novembre 2011.......................................................................... [216] 5.1.5 La requête introductive d'instance réamendée du 28 juin 2012..................................................................................... [233] 5.1.6 Les propos de l'avocate de Sormany à l'audience.......................... [235] 5.1.7 L'entrevue donnée par Sormany à M. Benoît Dutrizac..................... [238] 5.2 Les dommages-intérêts punitifs.................................................................... [243] |
* Un plan du présent jugement est joint en annexe.
[1] L.R.Q., chapitre C-12, ci-après, la « Charte québécoise » ou « la Charte ».
[2] Cette recension des faits n’est pas exhaustive. Elle souligne les grands traits du dossier. Le Tribunal réfère à d’autres faits et documents dans le corps de son analyse.
[3] Pièce D-16.
[4] La Pièce D-16 est constituée d’une transcription de l’entrevue de M. Jacques Duchesneau réalisée par les soins de la procureure du défendeur. Cette pièce a été produite en preuve avec l'assentiment du procureur du demandeur.
[5] Pièce P-6.
[6] Engagement 3 du défendeur lors de son interrogatoire après défense, le 23 novembre 2011, document marqué PS-1.
[7] Pièce P-1.
[8] Pièce P-11.
[9] Pièce P-7.
[10] Le Tribunal a choisi par clarté d'utiliser ce néologisme plutôt que gazouilli .
[11] Pièce P-9, minutes 11:15 et suivantes.
[12] Pièce P-8.
[13] Pièce P-1A.
[14] Pièce P-3.
[15] Pièce P-4, en liasse.
[16] Pièce P-4.
[17] Engagement E-2 du demandeur dans le cadre de son interrogatoire après défense, pièce D-7.
[18] Pièce D-7, p. 103.
[19] Pièce D-1.
[20] Pièce E-3.
[21]
[22]
[23]
[24] Loi constitutionnelle de 1982, Partie I, L.C., 1982.
[25] Voir note 21, par. 120.
[26] Voir à ce propos, Pierre KAYSER, La protection de la vie privée par le droit. Protection du secret de la vie privée, 3e éd., Aix-en-Provence, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 1995.
[27]
[28]
[29] Voir note 23, par. 44.
[30]
Grant c. Torstar Corp.,
[31]
[32]
Deschamps c. Ghorayeb,
[33]
[34] Voir note 22, par. 38.
[35] Pierre BEULLAC, La Responsabilité civile dans le droit de la province de Québec, Montréal, Wilson & Lafleur, 1948, à la page 113.
[36]
[37] Voir note 21.
[38] 2009 QCCA 2201 , par. 68.
[39]
[40]
[41]
Ces critères ont été repris par le juge Duchesne de cette Cour dans le
jugement qu'il rendait récemment, soit le 28 juin 2012, dans l'affaire Laforest
c. Collins,
[42]
[43] Voir note 39, par. 248.
[44] Frédéric LETENDRE, « De Gutenberg à Twitter : supports différents, même combat - La diffamation et les médias sociaux » dans Développements récents en droit de la propriété intellectuelle (2010), Service de la formation continue du Barreau du Québec, vol. 328, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, p. 281, à la page 313.
[45]
[46] Voir note 31, à la page 13
[47] Voir note 23, par. 35.
[48] Pièce P-11.
[49]
[50]
[51]
[52] Pièce P-16.
[53] Pièce P-2.
[54] Pièce P-2, pp. 34 et 35.
[55] Engagement E-1 de Sormany lors de son interrogatoire après défense.
[56] Pièces D-18 et D-19.
[57] David A. POTTS, Cyberlibel - Information Warfare in the 21st Century, Irwin Law, 2011, Toronto, p. 135.
[58] [2001] 3 R.C.S. 269, par. 37.
[59] [2009] O.J. No. 681, par. 20.
[60] Voir par. 53 à 57.
[61] Pièces E-3, pp. 88 et suivantes.
[62]
[63]
[64]
[65]
[66]
[67]
[68]
[69]
Noël Daigle et Publicité Promobile (1984) inc. c. Jean-Paul Burniaux et
als,
[70] 200-17-009070-079, 30 juillet 2010. Maintenu en appel.
[71] Pièce P-13.
[72] Robert DANAY, The Medium is not the Message: Reconciling Reputation and Free Expression in Cases of Internet Defamation, (2010) 56: 1 RDM McGill 1, à la page 33.
[73] Pièce P-9.
[74]
[75]
[76]
[77] 200-06-000038-037. Décision portée en appel.
[78]
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.