Sofio c. Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) |
2015 QCCA 1820 |
COUR D'APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
No : |
500-09-024727-141 |
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(500-06-000653-135) |
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PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE |
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DATE : |
Le 6 novembre 2015 |
CORAM : LES HONORABLES |
MARIE-FRANCE BICH, J.C.A. |
APPELANT |
AVOCAT |
PAUL SOFIO
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Me louis demers (Clément Davignon)
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INTIMÉ |
AVOCATS |
ORGANISME CANADIEN DE RÉGLEMENTATION DU COMMERCE DES VALEURS MOBILIÈRES (OCRCVM)
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Me ROBERT E. CHARBONNEAU Me EMMANUELLE ROLLAND Me ANNE MERMINOD (Borden Ladner Gervais, s.e.n.c.r.l., s.r.l.)
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En appel d'un jugement rendu le 20 août 2014 par l'honorable André Prévost de la Cour supérieure, district de Montréal. |
NATURE DE L'APPEL : |
Recours collectif - autorisation refusée - perte d’un ordinateur portable - renseignements personnels. |
Greffier d’audience : Mihary Andrianaivo |
Salle : Pierre-Basile-Mignault |
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AUDITION |
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9 h 25 |
Début de l'audience. Suite de l’audition du 3 novembre 2015. Les avocats sont dispensés de se présenter. PAR LA COUR: Arrêt - voir page 3. |
9 h 26 |
Fin de l'audience. |
Mihary Andrianaivo |
Greffier d’audience |
PAR LA COUR
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ARRÊT |
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[1] Au début de 2013, un employé de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (Organisme) perd son ordinateur portable, lequel contient des renseignements personnels sur des clients de firmes de courtage, dont l’appelant. Celui-ci demande l’autorisation d’exercer un recours collectif pour le compte des personnes dont les renseignements personnels ont ainsi été perdus.
[2] Il soutient que l’Organisme a commis une faute en égarant l’ordinateur, en n’assurant pas la protection maximale des renseignements personnels contenus dans l’ordinateur et en tardant à en aviser les clients concernés. L’appelant réclame, pour lui-même et pour chacun des membres du groupe, une somme de 1 000 $ à titre de dommages compensatoires à la suite de « stress, inconvénients et démarches rendues nécessaires […] » en raison des fautes reprochées. Il ne réclame pas de dommages punitifs.
[3]
Le juge de première instance rejette la requête en autorisation[1].
Il estime que les conditions fixées à l’article
[4]
L’appelant se pourvoit. Il dépose également une requête en vue de
présenter de nouveaux éléments de preuve en appel, en vertu des
articles
[5] Pour les motifs qui suivent, il y a lieu de rejeter la requête pour preuve nouvelle et le pourvoi.
La preuve nouvelle
[6] À la suite de l’audition de la requête en autorisation d’exercer un recours collectif, l’appelant apprend que l’un des membres potentiels du groupe qu’il cherche à représenter, aurait été victime d’un vol d’identité en avril 2015, ce qui, selon ce membre, serait relié à la perte de l’ordinateur de l’Organisme survenu en février 2013. Il sollicite la permission de déposer la déclaration sous serment de ce dernier faisant état du vol d’identité dont il a été victime et de ses conséquences.
[7] Les conditions à remplir pour que soit autorisée la présentation d’une preuve nouvelle sont connues et se résument comme suit[2] :
(1) la preuve doit être vraiment nouvelle;
(2) elle doit être indispensable;
(3) on doit être en présence de circonstances exceptionnelles;
(4) la production de cette preuve indispensable est requise aux fins de la justice.
[8] En l’espèce, les éléments de preuve contenus à la déclaration sous serment soumise au soutien de la requête sont nouveaux puisqu’ils réfèrent à un vol d’identité connu de la victime uniquement au mois d’avril 2015, soit postérieurement au jugement entrepris. L’appelant n’en prend connaissance qu’après avoir inscrit son appel, dans des circonstances que le dossier ne révèle pas.
[9] Toutefois, ces éléments de preuve ne sont pas indispensables ni requis aux fins de la justice. Même en tenant pour avéré que le vol d’identité, dont l’auteur de la déclaration sous serment a été victime, est en lien avec la perte de l’ordinateur de l’Organisme, ce qui n’appert pas clairement de la lecture de la déclaration, cette preuve n’est pas susceptible d’entraîner un jugement différent.
[10]
À l’étape de l’autorisation, le juge devait déterminer si les conditions
de l’article
[11] Il ne saurait non plus être question, à l’étape de l’appel, de permettre cette preuve dans le but de substituer l’auteur de la déclaration sous serment à l’appelant à titre de requérant à la requête en autorisation ou encore, de l’ajouter à titre de co-requérant. Une telle substitution ou un tel ajout requerrait un amendement à la requête (amendement, par ailleurs, que l’appelant ne demande pas) et donnerait lieu à une analyse différente du critère du paragraphe 1003b). Une demande d’amendement en appel est exceptionnelle et ne peut permettre que soit engagé un débat qui n’était pas présent lors de l’instruction en première instance[4]. Pour paraphraser le juge Pelletier dans Del Guidice c. Honda Canada inc.[5], il ne revient pas à la Cour de se prononcer en première ligne sur le respect d’une des exigences préalables à l’autorisation.
[12]
Cette déclaration sous serment ne peut non plus justifier le retour du
dossier en première instance, comme le suggère l’appelant lors de l’audience
devant la Cour. Si l’auteur de la déclaration sous serment prétend que sa
situation remplit les conditions de l’article
[13] Il n’est donc pas dans l’intérêt de la justice d’autoriser la présentation de cette preuve nouvelle.
L’existence d’un préjudice
[14]
Comme déjà mentionné, le rejet de la requête en autorisation repose
exclusivement sur la conclusion du juge voulant que la condition du
paragraphe
[15] Celui-ci reproche au juge d’avoir procédé à une analyse des faits comme s’il était saisi du fond du litige plutôt que de se limiter à déterminer si, prima facie, les faits allégués et les pièces déposées au soutien de la requête en autorisation établissaient, de façon adéquate, l’existence d’un préjudice. Selon lui, l’intervention de la Cour est requise puisque le jugement attaqué a pour effet de fermer la porte à toute requête en autorisation d’exercer un recours collectif lorsque le requérant allègue exclusivement l’existence d’un préjudice moral à la suite de la perte ou du vol de ses renseignements personnels en raison de la faute d’un tiers si, par ailleurs, il n’a pas été victime par la suite d’un vol d’identité.
[16] L’appelant a tort, le jugement n’ayant pas la portée qu’il veut lui accorder. Voyons ce qui en est.
[17]
Les conditions de l’article
[18] Les allégations de fait contenues à la requête amendée en autorisation eu égard, entre autres, au préjudice allégué par l’appelant sont formulées en termes extrêmement généraux. Retenons que l’ordinateur qui a été perdu par un employé de l’Organisme contenait diverses informations personnelles à son sujet, soit son nom, son adresse, la date de sa naissance, le nom du courtier en placement avec lequel il transige et les numéros des comptes ouverts chez ce dernier. L’Organisme l’informe de cette perte le 24 avril 2013, tout en énumérant les mesures prises pour « […] atténuer tout risque potentiel auquel [il] pourrait être exposé » et celles qu’il pourrait prendre pour protéger ses renseignements. Une deuxième lettre, faisant état de nouvelles mesures mises en place par l’Organisme, lui est transmise le 30 avril 2013. Le même jour, il dépose sa requête en autorisation d’exercer un recours collectif que le juge lui permettra d’amender le 4 décembre 2013 afin, notamment, de préciser les dommages subis. Ceux-ci, de nature strictement compensatoires, se divisent en trois catégories, le stress découlant de la perte des informations, le temps consacré à suivre ses activités financières afin de s’assurer qu’il n’est pas victime d’une fraude et les démarches effectuées auprès de deux entreprises, Équifax et TransUnion, pour obtenir les services de surveillance de son crédit, aux frais de l’Organisme.
[19] Le juge étudie chacune d’elles. Il note que l’appelant allègue avoir subi un stress, mais sans fournir aucun autre détail (paragr. 47). Il estime que la description que fait l’appelant du suivi des activités financières (vérification de ses comptes bancaires et de ses relevés de carte de crédit, surveillance de son courrier, non-divulgation de ses renseignements personnels à un inconnu) correspond tout bonnement aux gestes généralement posés par une personne détentrice d’un compte bancaire ou d’une carte de crédit, même lorsque ses renseignements personnels n’ont pas fait l’objet d’une divulgation illégitime. Aux yeux du juge, l’appelant n’allègue, ni plus ni moins, que le suivi auquel on peut s’attendre d’une personne raisonnable afin de protéger ses actifs. On n’allègue en effet aucun surcroît de vigilance ou de mesures de vérification additionnelles ou autres démarches (paragr. 41 à 44). Finalement, quant aux démarches effectuées auprès des entreprises de crédit, le juge retient, à la seule lecture des pièces déposées, qu’elles s’expliquent en raison d’un problème de communication entre les premières et l’appelant (paragr. 45-46).
[20] Le juge considère les faits allégués. Même tenus pour avérés, il estime prima facie que, malgré la faute de l’Organisme, l’appelant n’a pas établi l’existence d’un préjudice moral tangible et susceptible de compensation monétaire. Il conclut certes à des allégations démontrant l’existence de contrariétés, sans pour autant y voir là un préjudice compensable au sens de l’arrêt Mustapha c. Culligan du Canada Ltée[7].
[21] Nul n’est besoin de dire qu’une faute ne cause pas ipso facto un préjudice, même moral. Il en est de même de la perte fautive de renseignements personnels bien qu’elle soit susceptible de porter atteinte au droit à la vie privée des victimes. Les auteurs Baudouin et Renaud écrivent[8] :
[…] L’on ne saurait imputer des dommages extrapatrimoniaux du seul fait qu’il y a eu atteinte à un droit garanti par la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., c. C-12). L’allocation de dommages et intérêts symboliques n’est pas non plus justifiée quand les tribunaux veulent sanctionner la violation d’un droit subjectif qui produira le plus souvent un préjudice minime; cela irait à l’encontre des principes de responsabilité civile. […]
[22] Les dommages-intérêts ne sont pas accordés en fonction de la gravité de la faute, mais plutôt du préjudice qui en découle. Une faute grave peut ne pas entraîner de préjudice, ou encore donner lieu à un préjudice minime. L’inverse est également vrai. Tout est une question de faits, faits que le requérant doit justement alléguer dans sa requête en autorisation aux fins de l’étude du critère édicté au paragraphe 1003b).
[23] En l’occurrence, à la lumière des allégations de la requête en autorisation, l’appelant ne démontre pas que l’appréciation que fait le juge du critère énoncé au paragraphe 1003b) C.p.c. est manifestement erronée.
[24] Il est vrai que le Code de procédure civile n’impose pas un fardeau onéreux à un requérant au stade de l’autorisation; il doit établir l’existence d’une « apparence sérieuse de droit », « d’une cause défendable »[9]. Mais aussi peu élevé que soit ce seuil, le rôle de filtrage que doit exercer le juge autorisateur demeure et doit être exercé, même si, à cette étape, il ne tranche qu’une question procédurale et ne doit pas se pencher sur le fond du dossier. Dans Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello[10], les juges LeBel et Wagner rappellent que ce filtrage est nécessaire « […] pour éviter que les parties défenderesses doivent se défendre au fond contre des réclamations insoutenables ». Telle est la conclusion du juge en l’occurrence.
[25] Ce n’est pas dire, précisons-le, qu’en matière de perte ou de vol de renseignements personnels, dans un contexte comme celui de l’espèce ou celui de l’affaire Zuckerman[11], il n’y aurait de préjudice indemnisable que si la perte ou le vol en question entraîne de facto l’usurpation ou la tentative d’usurpation de l’identité du requérant ou la commission d’une fraude ou tentative de fraude à son endroit. Ce n’est pas le cas. Le problème, en l’espèce, tient cependant au fait que les allégations de la requête en autorisation, tenues pour avérées, ne révèlent tout simplement pas de préjudice, même simplement moral : on invoque un stress dont la nature, l’ampleur, l’intensité ou les effets ne sont nullement détaillés et l’on décrit comme un préjudice des activités de vérification tout à fait routinières et habituelles, voire banales, chez la personne raisonnable qui est titulaire d’un compte bancaire ou détient une carte de crédit ou de débit. S’il y a plus, la requête ne le dit pas. Certes, il ne s’agit pas d’inviter ici les requérants ou les demandeurs à dramatiser la présentation de leurs allégations ou gonfler le descriptif de leur préjudice, mais il faut néanmoins un minimum factuel, qui n’est pas présent ici.
[26] Rappelons finalement que le véhicule procédural que constitue le recours collectif poursuit divers objectifs, dont, entre autres : « […] faciliter l’accès à la justice, modifier des comportements préjudiciables et économiser des ressources judiciaires »[12]. Il n’est pas là pour permettre que se retrouvent devant les tribunaux des recours qui, par ailleurs, n’ont aucune raison d’y être. Ceux-ci consacreraient à ces dossiers du temps qui pourrait être autrement utilisé pour le bénéfice d’autres justiciables, nuisant ainsi, dans une perspective globale, à l’accès à la justice et à l’utilisation efficiente des ressources judiciaires.
[27] En conclusion, l’appelant ne démontre pas l’existence d’une erreur dans l’analyse du juge justifiant l’intervention de la Cour.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[28] REJETTE l’appel, avec dépens.
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MARIE-FRANCE BICH, J.C.A. |
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MANON SAVARD, J.C.A. |
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MARK SCHRAGER, J.C.A. |
[1]
Sofio c. Organisme canadien de règlement du commerce des valeurs
mobilières (OCRCVM),
[2]
Deraspe c. Zinc électrolytique du Canada
Corporation ltée,
[3]
Option Consommateurs c. Fédération des caisses Desjardins du
Québec,
[4]
Del Guidice c. Honda Canada inc.,
[5] Ibid., paragr. 31.
[6]
Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello,
[7]
Mustapha c. Culligan du Canada Ltée,
[8]
Jean-Louis Baudouin et Yvon Renaud,
[9] Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, supra, note 6, paragr. 37; Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, supra, note 6, paragr. 124, 125.
[10] Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, ibid.
[11] Zuckerman c. Target Corporation, C.A. Montréal, no 500-09-025191-156, 6 novembre 2015, jj. Bich. Savard et Schrager.
[12] Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, ibid., paragr. 1.
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