Fortin et 9072-0103 Québec inc. |
2015 QCCLP 6526 |
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Dossier 567139-62C-1503
[1] Le 10 mars 2015, madame Murielle Fortin (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 4 mars 2015, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme en partie celle qu’elle a initialement rendue le 19 décembre 2014 et infirme celle qu’elle a rendue le 20 janvier 2015. Elle déclare, qu’en vertu de l’article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), il y a lieu de suspendre les indemnités de remplacement du revenu (IRR) à la travailleuse, du 26 décembre 2014 au 19 janvier 2015, puisqu’elle a, sans raison valable, omis ou refusé de se soumettre à l’examen médical demandé par son employeur. Par contre, elle ne se considère pas justifiée de lui recouvrer un montant de 457,47 $, correspondant à l’IRR versée pour la période du 17 décembre au 25 décembre 2014.
Dossier 574632-62C-1505
[3] Le 19 mai 2015, la travailleuse dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la CSST rendue le 8 mai 2015, à la suite d’une révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST lui réclame la somme de 864,11 $ qu’elle considère lui avoir versée en trop, pour la période du 3 au 19 janvier 2015, puisque pendant cette période ses IRR avaient été suspendues.
[5] À l’audience tenue le 2 décembre 2015, à Salaberry-de-Valleyfield, la travailleuse et son représentant sont présents. Le représentant de 9072-0103 Québec inc. (l’employeur) est absent et il a fait parvenir une argumentation écrite au soutien de ses prétentions.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[6] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la CSST n’était pas justifiée de suspendre ses IRR ni lui réclamer quelque somme d’argent que ce soit, car elle a un motif valable de ne pas s’être soumis à l’examen médical du médecin désigné par l’employeur prévu le 17 décembre 2014.
L’AVIS DES MEMBRES
[7] Les membres issues des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis d’accueillir les requêtes de la travailleuse. Elles considèrent que la travailleuse n’a pas refusé de se présenter à l’examen médical demandé par son employeur. Elle est plutôt arrivée en retard et c’est le médecin qui a refusé de l’examiner. Donc, la CSST n’était pas justifiée de suspendre le versement de l’IRR en vertu de l’article 142 de la loi.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[8] La Commission des lésions professionnelles doit décider si, en vertu de l’article 142 de la loi, la CSST était justifiée de suspendre le versement de l’IRR ou de réclamer une somme d’argent à la travailleuse pour la période du 17 décembre 2014 au 19 janvier 2015.
[9] L’article 142 de la loi prévoit que la CSST peut réduire ou suspendre le paiement d’une indemnité si un travailleur, sans raison valable, entrave un examen médical prévu à la loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen.
[10] Pour sa part, les articles 209 et 211 de la loi prévoient qu’un employeur peut exiger qu’un travailleur se soumette à l’examen du professionnel de la santé qu’il désigne, chaque fois que le médecin qui a charge fournit à la CSST un rapport portant sur les sujets de l’article 212 de la loi et que, dans une telle situation, le travailleur doit s’y soumettre.
[11] En l’espèce, le 26 novembre 2014, l’employeur a dûment convoqué la travailleuse à un examen médical pour le 9 décembre 2014, au 5199 rue Sherbrooke Est à Montréal. Toutefois, l’employeur a avisé la travailleuse qu’il annulait cet examen. Donc, la travailleuse ne s’y est pas présentée.
[12] Le 2 décembre 2014, l’employeur a convoqué de nouveau la travailleuse à un examen médical pour le 17 décembre 2014 à 13 h 00, toujours au 5199 rue Sherbrooke Est à Montréal.
[13] La travailleuse témoigne s’être rendue, ce jour-là du 17 décembre 2014, au 5199 rue Sherbrooke. Elle pense être partie de sa résidence à Vaudreuil vers midi. Comme elle ne connaît pas beaucoup Montréal, elle a programmé son GPS pour qu’il lui montre le chemin à suivre. À l’audience, elle a apporté son appareil et a fait une démonstration pour que le tribunal puisse constater que cela l’a amené à Ville Lachine plutôt que Montréal. D’abord, elle a entré le code postal. Ensuite, elle a indiqué la rue de sa destination, soit Sherbrooke. La durée du trajet le plus rapide est indiquée être de 32 minutes. Elle s’est fiée aux indications du GPS pour se diriger. Une demi-heure plus tard environ, cela l’amène sur la rue Sherbrooke à Ville Lachine, devant une école. Elle constate alors que ce n’est pas l’endroit où elle devrait être. Ne possédant pas de cellulaire, elle s’est dirigée vers un commerce. Après lui avoir expliqué la raison de sa présence, elle a demandé à une personne si elle pouvait utiliser leur téléphone. Cette permission lui ayant été accordée, elle a téléphoné au numéro sans frais se trouvant sur la lettre de convocation qu’elle avait en sa possession. Il s’agissait du numéro de téléphone de la Mutuelle de prévention qui représente l’employeur et non celui du médecin qui devait l’examiner. Après lui avoir raconté son histoire, la personne qui lui a répondu lui a donné le numéro de téléphone du docteur qui devait l’examiner.
[14] La travailleuse appelle alors à la clinique médicale Plexo. Elle parle à une secrétaire. Après lui avoir raconté, à elle aussi, toute son histoire, elle l’informe qu’elle va certainement arriver en retard. Elle pense qu’il est alors 12 h 30, mais elle n’en est pas certaine, car elle n’a pas de montre. Voyant alors que, lorsqu’elle a entré l’information de la rue Sherbrooke, cela ne l’a pas amené au bon endroit, elle entre plutôt la rue Papineau à Montréal pour se rendre à destination. Sa nièce demeurant au coin de la rue Papineau-Sherbrooke, elle se dit que cela va l’amener tout près de sa destination. Elle arrive à la clinique médicale vers 13 h 30. Elle se stationne dans la rue, ne sachant pas trop si cela est permis. Mais, c’est l’endroit le plus près de la clinique et, s’il le faut, elle est prête à se faire donner une contravention.
[15] À son arrivée à la clinique médicale, une réceptionniste l’accueille. Elle lui signale qu’elle est une demi-heure en retard et que le médecin vient de partir. Donc, elle l’informe qu’elle ne sera pas examinée. Afin de confirmer qu’elle s’est bien rendue à la clinique, la travailleuse lui demande une lettre où y serait indiqué qu’elle s’est bien présentée. La réceptionniste lui remet une telle lettre. La travailleuse la dépose à l’audience, afin que le tribunal puisse en prendre connaissance. Il y est écrit qu’elle s’est présentée, le 17 décembre 2014 à 12 h 30 et que, malheureusement, elle avait 30 minutes de retard et que le médecin n’était plus présent. Le tribunal constate qu’il y a certainement une erreur puisqu’elle était convoquée pour 13 heures. Donc, si elle est arrivée avec une demi-heure de retard, ce serait plutôt vers 13 h 30, l’heure à laquelle la travailleuse évalue effectivement son arrivée. Le représentant de l’employeur a aussi déposé une copie d’un courriel échangé entre l’adjointe administrative de Plexo à la gestionnaire des réclamations de la Mutuelle de prévention, où elle l’informe que la travailleuse s’est présentée avec une demi-heure de retard à son rendez-vous, précisant que le médecin l’a attendue 20 minutes et qu’il est parti. Elle précise que la travailleuse n’a donc pas été rencontrée en expertise et qu’elle s’est perdue à cause de son GPS. Donc, elle est revenue chez elle, sans avoir été examinée. Le lendemain, la travailleuse a appelé son agent de la CSST pour l’en aviser. La note suivante au dossier de la travailleuse confirme la conversation qu’elle a eue avec l’agent de la CSST :
18-12-2015
Titre : Appel de la travailleuse- absence à l’expertise médicale.
Travailleuse me dit que son GPS l’a rapporté à la mauvaise adresse et qu’elle est donc arrivée en retard à son rendez-vous. Je lui explique que la CSST a deux clients et que nous devons les respecter les deux.
[16] Le 17 décembre 2014, l’employeur adresse une lettre à la CSST demandant de suspendre les indemnités de remplacement du revenu, en vertu de l’article 142 de la loi, car la travailleuse s’est présentée à son rendez-vous avec 30 minutes de retard. Il précise qu’elle aurait pu effectuer son trajet en autobus, en métro ou en taxi ou tout simplement prévoir un délai plus long pour s’y rendre et que le motif qu’elle invoque, s’être perdue à cause de son GPS, n’est pas une raison valable.
[17] Le 19 décembre 2014, la CSST rend une décision, où elle suspend les IRR de la travailleuse, en vertu de l’article 142 de la loi, considérant qu’elle a, sans raison valable, omis ou refusé de se soumettre à l’examen médical demandé par son employeur. D’autres décisions de la CSST seront rendues concernant les sommes d’argent que la travailleuse doit rembourser et la période où ses IRR sont suspendues. Ces décisions de la CSST ont fait l’objet de révisions administratives, d’où les présentes contestations de la travailleuse à la Commission des lésions professionnelles.
[18] Le 6 janvier 2015, l’employeur a reconvoqué la travailleuse au même endroit sur la rue Sherbrooke Est à Montréal, pour un examen à être tenue le 20 janvier 2015 et, cette fois, la travailleuse s’y est présentée à l’heure demandée et le docteur Bonin l’a examinée.
[19] Avec respect pour l’opinion contraire, la Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’il n’y avait ici nullement lieu de suspendre les IRR de la travailleuse pour quelque période que ce soit.
[20] L’article 142 de la loi doit être interprété restrictivement puisque cette mesure constitue une dérogation au droit d’un travailleur aux indemnités prévues par la loi en raison de sa lésion professionnelle[2].
[21] Dans la présente cause, la Commission des lésions professionnelles considère que la travailleuse n’a pas entravé ni omis ou refusé de se soumettre à un examen médical prévu à la loi. Bien au contraire, le 17 décembre 2014, elle s’est présentée à ce rendez-vous, mais avec un retard d’une demi-heure dû à mauvaise orientation de son GPS. Elle a fait la démonstration des entrées qu’elle a faites avec son GPS. Le tribunal est à même de constater qu’elle a inscrit le nom de la rue, sans le point cardinal, ce qui l’a amené à Ville Lachine plutôt que Montréal. Lorsque le tribunal le lui a fait remarquer, elle a précisé qu’elle n’avait pas vu cette erreur, se fiant au fait qu’avant d’indiquer la rue, elle avait entré le code postal, supposant alors que le GPS l’amènerait au bon endroit. Mais, tel n’a pas été le cas. Certains diront qu’elle n’a pas pris assez de précautions pour se rendre à l’endroit voulu, qu’elle aurait dû se fier à une carte géographique, demander son chemin avant de partir ou partir plus tôt. Le tribunal en convient. Mais, elle a démontré sa bonne foi puisqu’elle s’y est tout de même rendue et le médecin ne s’y trouvait plus après l’avoir attendue 20 minutes.
[22] Suspendre les IRR de la travailleuse, tel que l’a fait la CSST, ou lui réclamer des sommes d’argent, prétendant qu’elle n’avait pas droit à ses IRR pendant une certaine période, est une pénalité beaucoup trop sévère dans les circonstances. Elle est même littéralement non fondée si on s’en tient au libellé même de l’article 142 de la loi puisque la travailleuse n’a pas omis ou refuser de se soumettre à l’examen médical demandé par son employeur
[23] De plus, la Commission des lésions professionnelles considère que le motif invoqué par la travailleuse pour justifier son retard est une raison valable et que la suspension de ses IRR était injustifiée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE les requêtes de la travailleuse, madame Murielle Fortin;
INFIRME les décisions de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 4 mars et 8 mai 2015, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail n’était nullement justifiée de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu;
DÉCLARE que madame Murielle Fortin avait droit aux indemnités de remplacement du revenu du 17 décembre 2014 au 19 janvier 2015 et, qu’en conséquence, elle ne doit aucune somme d’argent à la Commission de la santé et de la sécurité du travail.
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Nicole Blanchard |
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Monsieur Michel Julien |
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G.M.S. Consultants |
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Représentant de la partie requérante |
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Monsieur Yves Brassard |
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MUTUELLE DE PRÉVENTION DES TRANSPORTEURS PAR AUTOBUS |
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Représentant de la partie intéressée |
AVIS :
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