Fortin et Provigo, division Loblaws Québec |
2010 QCCLP 8010 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 14 décembre 2009, madame Andréanne Fortin (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision et en révocation à l’encontre d’une décision rendue par notre tribunal, le 27 octobre 2009.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles confirme la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), le 19 décembre 2008, et déclare que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle, le ou vers le 1er mars 2008.
[3] La Commission des lésions professionnelles a tenu une audience à Saguenay, le 11 mars 2010. Les parties étaient présentes et représentées.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision rendue par notre tribunal, le 27 octobre 2009, au motif que cette décision comporte des vices de fond ou de procédure qui sont de nature à invalider la décision.
[5] Plus spécifiquement, on soutient que cette décision contient des erreurs manifestes et déterminantes sur l’issue du litige. En conséquence, la travailleuse demande donc au tribunal de réviser la décision et de déclarer qu’elle fut victime d’une lésion professionnelle, le ou vers le 1er mars 2008, lui donnant le droit de recevoir les prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Le membre issu des associations syndicales et celui issu des associations d’employeurs sont unanimes pour recommander à la Commission des lésions professionnelles d’accueillir la présente requête en révision et révocation, la décision attaquée comportant des erreurs manifestes et déterminantes.
[7] Plus spécifiquement, les membres concluent que le premier juge administratif commet une erreur de droit lorsqu’il confond la notion de prépondérance de preuve avec celle exigée en matière scientifique, c'est-à-dire une preuve hors de tout doute. De plus, ils ajoutent que la décision du premier juge administratif n’est pas motivée puisqu’il ne dispose pas d’une série de faits, non contestés, dont le premier juge administratif devait prendre en considération dans sa décision.
[8] Conséquemment, les membres recommandent à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision rendue et de déclarer que la travailleuse a bien subi une lésion professionnelle, le 1er mars 2008, lui donnant le droit de recevoir les prestations prévues par la loi.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[9] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la requête en révision ou révocation déposée par la travailleuse est bien fondée.
[10] Le législateur québécois a voulu s’assurer de la stabilité et de la sécurité juridique des parties, en prévoyant à l’article 429.49 de la loi, que la décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[11] Toutefois, l’article 429.56 de la loi permet au tribunal de réviser une de ses décisions, dans les circonstances qui y sont décrites.
[12] Dans le présent cas, la travailleuse invoque, devant le tribunal, que la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles est entachée d’erreurs manifestes et déterminantes équivalant à un vice de fond, au sens du troisième paragraphe de l'article 429.56 de la loi.
[13] La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles interprète la notion de vice de fond comme référant à une erreur manifeste de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur l’issue du litige[2].
[14] Le tribunal n’a pas à se demander s’il aurait rendu la même décision, mais doit se limiter à vérifier si la décision attaquée est entachée d’une erreur à ce point fondamentale, évidente et déterminante qu’elle doive entraîner sa nullité[3].
[15] Dans l'affaire Bourassa et C.L.P.[4], la Cour d’appel du Québec a donné son aval à la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles quant à la notion de vice de fond.
[16] Elle a pris cependant la peine de rappeler que, sous prétexte d’un vice de fond, le recours en révision ne doit pas constituer un appel déguisé sur la base des mêmes faits, ni une invitation faite à un juge administratif de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation, ni une occasion aux parties d’ajouter de nouveaux arguments.
[17] Dans d’autres arrêts[5], la Cour d’appel du Québec a très récemment affirmé de nouveau qu’une décision attaquée pour vice de fond ne peut pas faire l’objet d’une révision interne, à moins d’être entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant sont démontrés par la partie qui demande la révision. La Cour d’appel affirme qu’on doit reconnaître la primauté ou l’autorité de la première décision, de sorte que le tribunal siégeant en révision doit faire preuve d’une très grande retenue à l’égard de la décision contestée, notamment à cause de la finalité de la justice administrative.
[18] Des documents au dossier ainsi que de la décision rendue, la Commission des lésions professionnelles résumera les éléments pertinents au litige.
[19] Rappelons que le premier juge administratif était saisi d’une contestation portant sur une décision rendue par la CSST, en révision administrative, le 19 décembre 2008, par laquelle on rejetait la réclamation déposée par la travailleuse concernant une lésion professionnelle alléguée comme s’étant manifestée le 1er mars 2008.
[20] Plus spécifiquement, on parlait d’un diagnostic de rhinite due à l’exposition aux champignons et aux moisissures.
[21] D’entrée de jeu, le premier juge administratif énumère les différentes pièces déposées devant le tribunal, par les parties :
[4] La travailleuse a déposé devant le tribunal les pièces suivantes :
Ø le rapport d’intervention daté du 26 janvier 2009 réalisé par monsieur Rémi Pilote, inspecteur de la CSST, suite à une visite effectuée chez l’employeur le 8 janvier 2009, lequel rapport est coté comme pièce T-1;
Ø sept photographies qu’elle a prises de son environnement de travail au printemps de l’année 2008, lesquelles photos sont cotées en liasse comme pièce T-2;
Ø un billet médical daté du 12 janvier 2009 et les notes de consultation prises le même jour par la Dre Annie Côté, lesquels documents sont cotés en liasse comme pièce T-3;
Ø le rapport d’évaluation de la qualité de l’air intérieur concernant l’environnement de la tabagie de l’employeur réalisé par le Centre de santé et de services sociaux de Chicoutimi et daté du mois de février 2009, lequel rapport est coté comme pièce T-4.
[5] Pour sa part, l’employeur a communiqué les pièces suivantes :
Ø le rapport d’intervention, daté du 18 février 2009, rédigé par monsieur Rémi Pilote, inspecteur de la CSST à la suite d’une intervention faite le 30 janvier 2009, lequel rapport est coté comme pièce E-1;
Ø le rapport d’intervention, daté du 10 septembre 2008, rédigé par monsieur Rémi Pilote, inspecteur de la CSST, à la suite d’une visite effectuée le 2 septembre 2008, lequel rapport est coté comme pièce E-2.
[22] Le premier juge administratif poursuit donc sa décision en rapportant, à la section « Les faits », les éléments de preuve qui lui furent administrés.
[23] Le tribunal convient avec les parties qu’il s’agit d’un excellent résumé de la preuve offerte au premier juge administratif et qu’il contient tous les éléments pertinents de la preuve. En conséquence, le tribunal se rapporte à cette section tel quel :
[8] La travailleuse occupe un poste à la tabagie de l’un des magasins de l’employeur depuis 2006 à raison de 40 heures par semaine.
[9] Le 8 février 2007, un inspecteur de la CSST, monsieur Guy Maltais, se rend à l’établissement de l’employeur en raison de craintes concernant la santé des travailleurs. L’inspecteur prélève des échantillons sur un mur et le plafond de la tabagie pour déterminer la présence de moisissures ou de champignons, qui serait due à l’écoulement d’eau depuis la toiture.
[10] Les échantillons ont été analysés par le laboratoire de l’Institut de recherche en santé et sécurité du travail, dont les résultats se sont avérés négatifs. Dans son rapport daté du 14 mars 2007, l’inspecteur conclut que l’employeur ayant procédé rapidement au nettoyage après la fuite d’eau, « cela a permis d’enrayer la présence de moisissures ou [de] champignons. »
[11] La travailleuse soutient que ses problèmes de santé ont commencé vers la fin de l’année 2007 ou le début de l’année 2008.
[12] Le 27 mai 2008, un autre inspecteur de la CSST, monsieur Rémi Pilote, se rend sur les lieux du travail pour évaluer la qualité de l’air. Dans son rapport daté du 10 juin 2008, il constate la présence d’une odeur nauséabonde qui, selon lui, « peut être la conséquence de la prolifération d’organismes qui peuvent être des bactéries ou des champignons » de même que des traces d’infiltration d’eau sur les murs et au plafond. Il conclut que d’importants travaux de rénovation devront être entrepris de façon à s’assurer de l’étanchéité du toit et que les murs et le plafond devront être décontaminés et refaits. L’inspecteur n’effectue cependant aucun prélèvement.
[13] Dans son avis de correction, émis le 10 juin, l’inspecteur identifie les dérogations que l’employeur devra corriger, dans un délai de 60 jours :
L’employeur ne s’assure pas que de contrôler et d’éliminer les facteurs favorisant la prolifération de moisissures et autres microorganismes pouvant affecter la santé pulmonaire et des voi[e]s aériennes supérieures des travailleurs.
[14] Le 16 juin 2008, la travailleuse consulte le Dr Martin Fortin qui retient le diagnostic de rhinite, qu’il attribue à l’exposition aux champignons et moisissures en lien avec un événement qui serait survenu le 1er mars précédent. Il recommande l’affectation de la travailleuse à un autre poste et une assignation temporaire tant que les travaux de réfection n’auront pas été complétés. Dans ses notes de consultation, le médecin note la présence abondante de champignons sur les lieux du travail et que les symptômes de rhinite et d’écoulement nasal sont présents depuis le mois de mars 2008.
[15] Le 3 juillet 2008, la travailleuse signe une réclamation qu’elle adresse à la CSST relativement à un événement qui serait survenu le 1er mars 2008. Dans la section description de l’événement, elle se plaint de malaises qu’elle éprouverait depuis quelques mois et qu’elle associe aux mauvaises odeurs émanant des infiltrations d’eau sur les lieux du travail.
[16] La travailleuse consulte à nouveau le Dr Fortin le 14 juillet 2008 et ses notes de consultations indiquent la présence de céphalées et d’écoulement au niveau des yeux. La rhinite serait encore présente mais aurait diminué d’ampleur.
[17] Le 2 septembre 2008, l’inspecteur Pilote se rend de nouveau sur les lieux du travail afin de constater l’état de la situation. Dans un rapport daté du 10 septembre suivant, pièce E-2, il indique que le problème d’infiltration d’eau a été corrigé et que les réparations requises ont été effectuées.
[18] Le 8 septembre 2008, la CSST rend une décision par laquelle elle rejette la réclamation de la travailleuse au motif qu’elle n’aurait pas subi de lésion professionnelle. Le 19 décembre 2008, la CSST confirme cette décision à la suite d’une révision administrative.
[19] Le 8 janvier 2009, l’inspecteur Pilote retourne sur les lieux du travail, en raison d’une plainte concernant la qualité de l’air. Il est accompagné de monsieur Bernard Larouche, technicien en santé et sécurité du travail au CLSC de Chicoutimi. Dans son rapport daté du 26 janvier, pièce T-1, il constate que les murs et plafonds ont des traces d’infiltration d’eau, quoique moins importantes qu’en 2008. Il aurait également été informé que les désinfections n’auraient pas été effectuées selon les règles de l’art, telles qu’exigées. Il note que :
En aucun moment on a défait le présentoir des cigarettes et les murs n’ont pas été ouverts. On a simplement plastré et repeint après avoir éliminé les fuites.
[20] L’inspecteur aurait défait une partie du présentoir à cigarettes et il aurait découvert la présence de taches noires. L’analyse des échantillons prélevés révèle la présence de moisissures de type Stachybotrys sp dont la densité est élevée, telle qu’en fait foi l’évaluation de la qualité de l’air intérieur réalisée par le CSSS de Chicoutimi en février 2009, pièce T-4. Dans un avis de correction daté du 26 janvier 2009, l’inspecteur oblige l’employeur a corrigé la dérogation suivante dans les 60 jours :
L’employeur ne s’assure pas que de contrôler et d’éliminer les facteurs favorisant la prolifération de moisissures et autres microorganismes pouvant affecter la santé pulmonaire et des voies aériennes supérieures des travailleurs.
[21] Le 12 janvier 2009, la travailleuse consulte la Dre Annie Côté qui diagnostique une récidive des symptômes de rhinosynovite, pièce T-3.
[22] Le 30 janvier 2009, l’inspecteur Pilote se rend de nouveau chez l’employeur en compagnie de monsieur Larouche. Dans son rapport daté du 18 février 2009, pièce E-1, il constate que le mur à l’arrière de la caisse a été refait et que les tuiles endommagées du plafond ont été remplacées. Un antifongique aurait été appliqué et le mur reconstruit et les matériaux restants ne présenteraient pas de signes de moisissures. Il conclut que la situation est sous contrôle. Finalement, les résultats d’un test de poussière se sont avérés négatifs.
[23] La travailleuse énumère à l’audience les problèmes de santé qu’elle a éprouvés, soit de la fatigue, des migraines constantes, des problèmes aux sinus, des douleurs aux os du visage, aux yeux et des écoulements nasaux abondants.
[24] Entre les mois de juin 2008 et février 2009, la travailleuse a été assignée à quelques reprises à un autre poste. Selon ses dires, ses symptômes se résorbaient lorsqu’elle était affectée à un autre poste et réapparaissaient graduellement lorsqu’elle réintégrait son poste à la tabagie.
[25] D’autre part, elle déclare qu’elle n’a jamais souffert de quelconques allergies.
[26] Finalement, les photographies prises par la travailleuse au printemps de 2008, pièce T-2, de son environnement de travail révèle la présence de taches noires sur les murs, de traces d’infiltration d’eau et des panneaux au plafond qui ont été retirés.
[24] Le premier juge administratif poursuit sa décision en rapportant l’avis des membres.
[25] Le tribunal constate que les deux membres, c'est-à-dire le membre issu des associations d’employeurs et celui issu des associations syndicales, sont unanimes pour recommander au tribunal d’accueillir la contestation de la travailleuse et de reconnaître que celle-ci fut victime d’une lésion professionnelle, particulièrement d’une maladie professionnelle.
[26] En effet, les deux membres, de façon unanime concluent que selon eux la prépondérance de preuve qui fut offerte dans ce dossier rendait fort probable la présence de moisissures ou de champignons dès l’année 2007.
[27] Une fois cela dit, le tribunal constate que le premier juge administratif a bien précisé les éléments juridiques dont il devait disposer quant à la notion même de lésion professionnelle, tout particulièrement de maladie professionnelle conformément aux définitions apportées à cette expression aux articles 2 et 30 de la loi.
[28] D’ailleurs, sous cet angle, le premier juge administratif précise que la seule notion contenue à l’article 30 pouvant s’appliquer est la notion de risques particuliers que l’on peut retrouver dans le milieu de travail de la travailleuse.
[29] Finalement, du paragraphe 35 au paragraphe 39 de sa décision, le premier juge administratif dispose de la question en litige de la façon suivante :
[35] Les symptômes de la travailleuse apparaissent vers la fin de l’année 2007 ou le début de l’année 2008 et la preuve ne démontre pas, par balance des probabilités, la présence concomitante de champignons ou de moisissures sur les murs ou le plafond de la tabagie.
[36] En effet, l’analyse des échantillons prélevés par un inspecteur de la CSST, lors d’une première visite effectuée le 8 février 2007, a infirmé la présence de moisissures ou de champignons. Une seconde inspection survient, le 27 mai 2008, mais aucun prélèvement n’est effectué. L’inspecteur constate la présence d’une odeur nauséabonde et émet l’hypothèse qu’elle « peut être la conséquence de la prolifération d’organisme qui peuvent être des bactéries ou des champignons. » (sic) Cette hypothèse n’est toutefois pas validée par une preuve prépondérante vu l’absence de prélèvement et d’analyse qui la confirme.
[37] La première confirmation de la présence de moisissures survient après la troisième visite d’un inspecteur, effectuée le 8 janvier 2009, dont l’analyse des prélèvements s’avère positive.
[38] La présence de moisissures en 2009 ne peut être reliée aux symptômes de la travailleuse qui sont apparus vers la fin de l’année 2007 ou au début de 2008 et, à cet égard, le tribunal écarte l’opinion du Dr Fortin.
[39] Étant donné qu’aucune autre preuve ne démontre de façon prépondérante l’existence d’un lien entre la pathologie de la travailleuse et les infiltrations d’eau survenues en 2007 et 2008, la requête de la travailleuse ne peut être accueillie.
[30] Le présent litige porte essentiellement sur ces paragraphes 35 à 39 de la décision rendue par le premier juge administratif.
[31] En effet, dans un premier temps, les représentants de la travailleuse soulignent que le premier juge administratif a mésestimé le niveau de preuve exigée en application de la loi, c'est-à-dire de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
[32] Bien que le premier juge administratif, au paragraphe 35, parle de la balance des probabilités, donc de la notion de prépondérance de preuve, on doit constater que dans l’application qu’il en fait, il exige une preuve de nature scientifique quant à la présence des champignons et des moisissures, c'est-à-dire une preuve qui confine à la notion de hors de tout doute.
[33] La Commission des lésions professionnelles tient à rappeler que notre tribunal ainsi que les tribunaux supérieurs se sont prononcés à de multiples occasions pour distinguer entre ces deux critères ou niveau de preuve que l’on retrouve dans nos sociétés.
[34] Dans le monde judiciaire, lorsque l’on parle de prépondérance de preuve, on parle d’une notion de probabilité, notion qui permet de retenir ou de rejeter des conclusions recherchées à partir de l’étude d’un ensemble factuel constitué par la preuve.
[35] Chacun de ces éléments de la preuve doit donc être considéré en lui-même et on doit en disposer, de façon motivée.
[36] C’est de cet ensemble que se dégagera une notion de probabilité par rapport aux simples possibilités.
[37] Il en est bien autrement dans le domaine scientifique où, à partir de la méthode scientifique, un processus doit être suivi, une expérimentation réalisée pour finalement énoncer une théorie, un constat, qui devrait être de nature indiscutable.
[38] Cette notion de preuve scientifique s’approche et se confond de la notion juridique de preuve hors de tout doute.
[39] La lecture du paragraphe 36 de la décision attaquée convainc le tribunal que le premier juge administratif motive toute sa décision sur un seul élément, c'est-à-dire la preuve scientifique dont il disposait quant aux inspections réalisées chez l’employeur.
[40] En effet, il établit la présence ou non de champignons et de moisissures ainsi que la chronologie de cette présence à partir des seules visites effectuées par les inspecteurs de la CSST et des tests ou de l’absence des tests qui y furent faits.
[41] Il faut conclure que le premier juge administratif fondait une conclusion essentielle à la décision à rendre sur l’application des critères de preuve qui confinent à la notion ou au niveau de preuve requise pour une preuve hors de tout doute.
[42] Il commet donc une erreur manifeste et déterminante, en droit.
[43] Bien plus, le tribunal constate que la décision rendue par le premier juge administratif, avec tout le respect que le présent tribunal a pour celui-ci, ne possède pas de ligne rationnelle entre la preuve qui lui fut administrée et les conclusions retenues.
[44] Dans l’affaire Rodrigue[6], la Cour supérieure rappelait :
Le droit
[29] Il est bien établi que les principes de justice naturelle requièrent que tout tribunal quasi judiciaire motive ses décisions(3). Cette obligation est d'autant plus lourde lorsqu'il existe, comme en l'espèce, avec l'article 429.50 de LATMP, impose une obligation statutaire au tribunal inférieur. Dans ces cas, les tribunaux judiciaires voient à leur application d'autant plus stricte.
[30] L'honorable Danielle Grenier dans Ozanam c. Commission municipale du Québec(4), rappelle qu'un jugement ne peut se réduire à une sèche démonstration abstraite qui ne mène à aucun raisonnement juridique, puisque l'absence ou l'insuffisance de motivation engendre l'arbitraire. Elle y écrit:
[…] Sans exiger du décideur qu'il livre tous les méandres de sa réflexion, on s'attend à ce qu'il s'exprime intelligiblement, de façon à permettre aux justiciables et aux plaideurs de comprendre le processus décisionnel et aux tribunaux supérieurs d'exercer adéquatement leurs pouvoirs de contrôle et de surveillance.
[…] Un organisme administratif ne peut, sans trahir la loi qu'il est chargé d'appliquer ou d'interpréter, se contenter de conclure sans expliquer.
[…]
P. 374: Une décision doit donc traiter des faits pertinents et déterminants; elle doit les qualifier afin d'éviter l'arbitraire. La qualification des faits fait nécessairement intervenir les facultés cognitives, la compréhension, le raisonnement, le jugement. Le décideur applique donc le droit positif en s'inspirant de la logique. Sa décision doit être intelligible, c'est-à-dire qu'elle doit disposer des faits et du raisonnement, de manière telle que le justiciable puisse en comprendre le sens. Il ne s'agit certes pas de confondre l'absence de motivation avec la faiblesse du raisonnement. Ce n'est pas le fondement de la décision qui est en cause; l'intervention judiciaire ne s'intéresse ici qu'à la formulation. Tout système juridique doit viser la transparence.»
[31] Ces mêmes principes sont repris par l'honorable juge Carole Hallée dans l'affaire Union des employés du transport local et industries diverses, section locale 931 c. Imbeau(5).
[32] Elle y rappelle que le Code du travail stipule que la sentence arbitrale doit être motivée et rendue par écrit. Il s'agit là d'une condition essentielle à la validité d'une décision, puisque l'absence ou l'insuffisance de motivation peut engendrer l'arbitraire. Cela contrevient de plus aux règles de justice naturelle, puisque le justiciable doit être en mesure de comprendre le processus de décision.
[33] Cette même règle d'obligation d'équité procédurale qui requiert une explication écrite de la décision, est évoquée par Madame la juge L'Heureux-Dubé, dans l'affaire Baker c. Canada(6).
[34] Enfin, l'affaire Gaulin c. Commission des lésions professionnelles(7) rappelle que l'absence ou l'insuffisance de motivation constitue en soi un motif de révision judiciaire.
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(3) Voir Patrice Garant, Droit administratif, 2e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 1985, p. 748,749.
(4) Société des services Ozanam inc. c. Commission municipale du Québec, [1994], R.J.Q. 364 , p. 372 (C.S.).
(5) Union des employés du transport local et industries diverses, section locale 931 c. Imbeau, 2006 QCCS 5370 .
(6) Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2. R.C.S. 817, p. 638.
(7) Gaulin c. Commission des lésions professionnelles, 2006 QCCS 3248 .
[45] Comme le précise lui-même le premier juge administratif, à sa section « Les faits », il disposait d’une série de faits démontrés dont il devait disposer de façon motivée.
[46] Le premier de ces faits est qu’il est établi qu’il y a eu une infiltration d’eau vers le mois de janvier ou février 2007 ayant requis la présence d’un inspecteur de la CSST sur les lieux de travail.
[47] Il est vrai qu’un premier test fut réalisé, test se révélant négatif quant à la présence de moisissures, dans un contexte où l’inspecteur conclut que le nettoyage s’est fait de façon rapide et complète.
[48] Or, la preuve établira que ces réparations et ce nettoyage ne furent pas faits de façon complète puisque l’on n’a pas procédé à défaire une partie du présentoir à cigarettes, endroit où l’on a découvert la présence de taches noires, de moisissures et de champignons de type Stachybotrys sp, en 2009.
[49] En second lieu, conformément aux déclarations non contredites de la travailleuse, celle-ci a commencé à présenter des symptômes vers la fin de l’année 2007, début de l’année 2008.
[50] Sur ce sujet, le tribunal tient à souligner que la travailleuse travaille chez cet employeur, à ce poste, depuis avril 2002. Elle n’a aucun antécédent pertinent à la lésion identifiée.
[51] Comme troisième fait, la travailleuse a déposé des photographies prises au printemps 2008 et démontrant la présence de taches noires sur les murs ainsi que de traces d’infiltration d’eau.
[52] Cet élément de preuve indique donc que le problème d’infiltration n’était pas réglé, qu’à la limite il était récurrent.
[53] D’ailleurs, comme autre fait, le ou vers le 27 mai 2008, un inspecteur de la CSST, monsieur Rémi Pilote, a procédé à une visite des lieux concernant toujours le même problème. Il constate la présence d’odeurs nauséabondes et émet l’hypothèse quant à la prolifération possible de bactéries ou de champignons.
[54] Or, cet inspecteur n’a pas procédé à un échantillonnage ni à des tests dans le contexte d’une méthode scientifique.
[55] Malgré cela, l’inspecteur émet une dérogation à partir des constats qu’il fait, de la manière suivante :
L’employeur ne s’assure pas de contrôler et d’éliminer les facteurs favorisant la prolifération de moisissures et autres microorganismes pouvant affecter la santé pulmonaire et des voies aériennes supérieures des travailleurs.
[56] Il y aura avis de correction.
[57] De façon concomitante, la travailleuse consulte son médecin traitant, le docteur Fortin, le ou vers le 16 juin 2008.
[58] Ce médecin, après examen de la travailleuse et dans le contexte factuel précisé à cette époque, conclut que la travailleuse présente une rhinite causée suite à une exposition aux champignons et moisissures.
[59] Il retient comme date du début d’exposition le 1er mars.
[60] Le tribunal constate qu’il s’agit donc d’un avis médical émis par un professionnel de la santé.
[61] Pour émettre cet avis, ce médecin a procédé à un examen clinique de la travailleuse et pris en considération une série de faits évoqués devant lui.
[62] Comme autre fait, on peut constater que la travailleuse fut assignée temporairement à d’autres endroits, dans un autre secteur d’activités dans l’entreprise.
[63] Or, la preuve non contredite démontre que la travailleuse, lorsqu’elle est retirée de son poste de travail, présente une amélioration de son état. Il s’agit d’un autre élément factuel à prendre en considération.
[64] D’ailleurs, après la production de la réclamation de la travailleuse, le suivi médical sera effectué par le docteur Fortin, le diagnostic de rhinite étant maintenu, le tout en notant une évolution favorable.
[65] Le ou vers le 10 septembre 2008, l’inspecteur Pilote produit un rapport d’intervention suite à sa visite du 2 septembre 2008. Il est bon de souligner que cet inspecteur prend strictement note que les travaux ont été effectués par l’employeur sans que l’on puisse préciser de façon exacte l’étendue de ces travaux. Il ne procèdera pas, à ce moment, à un échantillonnage afin de vérifier la présence ou l’absence de moisissures ou de champignons.
[66] Or, dès le 8 janvier 2009, l’inspecteur Pilote est rappelé sur les lieux, toujours dans le même contexte, la même problématique.
[67] C’est seulement à ce moment que l’on défait un présentoir à cigarettes et que l’on observe des taches noires qui, subséquemment aux tests effectués, révèleront la présence de moisissures, de champignons, à haute densité.
[68] Il appert donc clairement au tribunal qu’il y avait présence de moisissures avant le 8 janvier 2009, puisque celles-ci se sont développées sur une période de temps relativement longue pour en expliquer la haute densité.
[69] À tous ces éléments de faits qui pointent dans une seule direction, le premier juge administratif les rejette, du revers de la main, en mésestimant le niveau de preuve exigée quant à la présence ou non de moisissures.
[70] Il s’agit du seul argument qu’il retient pour disposer de cette preuve.
[71] Comme on l’a vu, l’argument du premier juge administratif se fonde sur une erreur de droit. Il en ressort donc qu’il faut bien constater qu’il n’y a aucun motif raisonnable, rationnel et intelligible pour rejeter cette série de faits.
[72] Ceci constitue une erreur manifeste et déterminante.
[73] Agissant en révision, le présent tribunal conclut que la prépondérance de preuve offerte par la travailleuse démontre qu’il était probable que depuis le début de l’année 2007, son poste de travail, à la tabagie, était affecté par la présence de Stachybotrys sp.
[74] Sans reprendre chacun des éléments factuels précités, le tribunal conclut qu’au niveau scientifique, on ne peut plus douter, à partir du 8 janvier 2009, de la présence de ces microorganismes, de ces champignons.
[75] D’autre part, depuis 2007, on note, de façon récurrente, des infiltrations d’eau ayant requis de multiples interventions des inspecteurs de la CSST.
[76] La preuve a établi que les travaux de nettoyage ou de réfection n’ont pas été faits de façon parfaite puisqu’aucun des présentoirs à cigarettes ne fut défait avant le mois de janvier 2009.
[77] Soulignons que c’est l’endroit où l’on a retrouvé les champignons et les moisissures.
[78] Bien plus, la preuve photographique ainsi que les suspicions de l’inspecteur, dès 2008, sont corroborées en janvier 2009, ce qui démontre la présence de ces microorganismes dès le printemps 2008.
[79] Finalement, quant à la présence en 2007 de ces microorganismes, bien que les tests qui furent réalisés furent négatifs, l’on ne peut exclure qu’il y ait eu infiltration d’eau et qu’il n’y ait pas eu de correction au niveau des présentoirs.
[80] La prépondérance de preuve indique qu’il est plus probable que le problème de moisissures soit apparu à ce moment si l’on prend en considération l’apparition des premiers symptômes présentés par la travailleuse ainsi que l’histoire de sa symptomatologie.
[81] Tous ces éléments pointent dans une seule direction, vers une probabilité, c’est que la travailleuse fut victime d’une lésion professionnelle sous les notions contenues à l’article 30 de la loi quant au fait qu’elle fut exposée à des risques particuliers mis en relation de cause à effet avec l’apparition des lésions identifiées par le professionnel de la santé.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête en révision et en révocation déposée par madame Andréanne Fortin, la travailleuse, le 14 décembre 2009;
RÉVISE la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 27 janvier 2009;
ACCUEILLE la contestation déposée par madame Andréanne Fortin, le 20 janvier 2009;
INFIRME la décision émise par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 19 décembre 2008;
DÉCLARE que madame Andréanne Fortin a subi une lésion professionnelle, le 1er mars 2008, lui donnant le droit de recevoir les prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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PIERRE SIMARD |
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Monsieur Jean-François Lapointe |
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C.S.N. |
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Représentant de la partie requérante |
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Me François Bouchard |
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LANGLOIS KRONSTRÖM DESJARDINS |
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Représentant de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Produits forestiers Donohue et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .
[3] CSST et Jean-Guy Simard et fils inc., C.A.L.P. 85891-02-9702, 21 janvier 1999, J.-L. Rivard.
[4] [2003] C.L.P. 601 (C.A.). Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée le 22 janvier 2004, dossier 30009.
[5] CSST c. Fontaine, [2005] C.L.P. 626 (C.A.); CSST et Touloumi, C.A. Montréal, 500-09-0105132-046, 6 octobre 2005, jj. Robert, Morissette et Bich (05LP-159).
[6] Rodrigue c. Commission des lésions professionnelles, [2007] C.L.P. 1926 .
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