Lavigne c. Poirier |
2008 QCCQ 7458 |
||||||
COUR DU QUÉBEC |
|||||||
« Division des petites créances » |
|||||||
CANADA |
|||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
|||||||
DISTRICT DE |
RIMOUSKI |
||||||
LOCALITÉ DE |
MATANE |
||||||
« Chambre civile » |
|||||||
N° : |
125-32-001742-079 |
||||||
|
|||||||
DATE : |
3 septembre 2008 |
||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
PIERRE LABBÉ, J.C.Q. |
|||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
|
|||||||
PIERRE LAVIGNE, |
|||||||
Demandeur et défendeur reconventionnel |
|||||||
c. |
|||||||
MICHEL POIRIER, |
|||||||
Défendeur et demandeur reconventionnel et CENTRE COMMUNAUTAIRE JURIDIQUE DU BAS ST-LAURENT, Appelée |
|||||||
|
|||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
JUGEMENT |
|||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
[1] Le demandeur réclame au défendeur 7 000 $ en dommages, alléguant que le défendeur a commis des fautes professionnelles lorsqu'il l'a représenté à titre d'avocat.
[2] Le défendeur conteste la demande. Il a appelé en garantie le Centre communautaire juridique du Bas St-Laurent qui était son employeur à l'époque pertinente. Le Centre communautaire juridique a pris fait et cause pour le défendeur et il conteste la demande.
[3] Le défendeur fait une demande reconventionnelle de 5 500 $, alléguant réception de l'indu à l'endroit du demandeur.
LES FAITS
[4] Le défendeur a commencé, en janvier 2003, à pratiquer le droit au Centre communautaire juridique du Bas St-Laurent. Le 7 mars 2003, il a été consulté par le demandeur pour un problème de vices cachés relatif à un immeuble. Le demandeur avait acheté l'immeuble en question en copropriété avec sa conjointe Augustine Goupil en vertu d'un contrat notarié passé le 25 juillet 2002. Le demandeur se plaignait de la présence de champignons dans la toiture qui occasionnaient aux occupants des problèmes de santé.
[5] L'acte de vente contenait la clause suivante :
EXCLUSION DE GARANTIE RELATIVE À L'ÉTAT DU BÂTIMENT
Cette vente est faite avec la pleine garantie du droit de propriété tel que stipulé aux articles 1723 à 1725 du Code civil du Québec, mais sans aucune garantie quelconque relativement à l'état physique de la propriété présentement vendue, les parties déclarant avoir exclu de consentement mutuel toute garantie de qualité relativement à ladite propriété et l'acquéreur reconnaissant l'acquérir à ses risques et périls, en dégageant expressément le vendeur de toute responsabilité à cet égard.
[6] Le défendeur a ensuite envoyé une mise en demeure au vendeur Louis Deroy. Le procureur de ce dernier a nié responsabilité, invoquant l'exclusion de garantie stipulée au contrat.
[7] Plus tard, le demandeur et sa conjointe ont vécu une séparation. Le défendeur représentait madame Goupil dans le cadre de ce dossier. Il admet à l'audition qu'il était en conflit d'intérêts à l'époque.
[8] Le demandeur a été déclaré admissible à l'aide juridique pour son recours de vices cachés. N'étant pas familier avec les dossiers de nature civile, le défendeur a trompé le demandeur en lui laissant croire que son recours était enclenché. Devant l'insistance du demandeur qui désirait, les mois passant, savoir ce qu'il advenait de son dossier, le défendeur lui a affirmé qu'un jugement avait été rendu et qu'il avait obtenu pour lui et sa conjointe 36 000 $. De son côté, Augustine Goupil, ayant été informée de ce fait, exigeait du défendeur sa part, soit 18 000 $.
[9] Le défendeur, pour rendre plus crédible ses représentations fausses, et pour calmer le demandeur qui se faisait insistant, à juste titre, a déposé 5 500 $ de ses fonds personnels dans le compte du demandeur le 1er août 2006. Selon le demandeur, le défendeur lui disait de ne pas en parler à madame Goupil. Le demandeur a utilisé cette somme pour des dépenses courantes et pour acquitter certaines dettes. Il n'a pas remis à madame Goupil une partie de cette somme.
[10] Le demandeur et sa conjointe ont revendu l'immeuble le 9 décembre 2004. L'acte de vente contient la clause suivante :
GARANTIE
Cette vente est faite avec la garantie légale, sauf en ce qui concerne les problèmes découlant de la structure de la toiture et des autres items à être remplacés tels qu'énumérés dans le rapport de Groupe Babin, du trois décembre deux mille trois (2003) dont l'acheteur déclare avoir pris connaissance et il libère le vendeur de toute responsabilité à cet égard.
[11] Le rapport du Groupe Babin mentionné dans cette clause a été produit en preuve.
[12] Le demandeur a déménagé ensuite dans la région de St-Jérôme. Il a retenu les services d'un avocat de Sainte-Thérèse, Me Alain Grégoire, afin d'obtenir des résultats du défendeur.
[13] La situation devenant intenable pour le défendeur, il a avoué l'état réel de la situation à ses clients en octobre 2006. Il a été sanctionné par le Barreau du Québec le 21 décembre 2006.
[14] Le demandeur n'a reçu aucune indemnité du Barreau du Québec ou d'une assurance responsabilité professionnelle.
[15] Le demandeur reproche au défendeur d'avoir laissé prescrire son recours pour vices cachés et de lui avoir causé des dommages financiers et moraux par ses fautes professionnelles. Il produit deux notes d'honoraires de Me Alain Grégoire, à savoir :
1) Celle du 18 octobre 2006 de 1 569,41 $;
2) Celle du 8 mars 2007 de 988,24 $
Sous-total : 2 557,65 $.
[16] Les services rendus par Me Grégoire ont trait au dossier que le demandeur avait confié au défendeur.
[17] Le demandeur a témoigné que le comportement du défendeur lui avait occasionné des inquiétudes et du stress. Sa situation financière était précaire. Il avait besoin d'argent, d'où son insistance auprès du défendeur.
[18] Me Leblond, pour le Centre communautaire juridique, affirme au Tribunal que le défendeur sera appelé à rembourser tout montant que le Centre communautaire juridique pourrait être appelé à payer.
ANALYSE
[19] Les obligations contractuelles du défendeur envers le demandeur étaient de la nature d'une obligation de moyen. Il est manifeste que le défendeur a commis une faute professionnelle en laissant prescrire le recours pour vices cachés du demandeur et de sa conjointe. Le défendeur avait été consulté le 7 mars 2003 et en mars 2006, il n'avait entrepris aucun recours pour interrompre le cours de la prescription de trois ans. Le Tribunal doit aussi examiner si ce recours était bien fondé, c'est-à-dire s'il avait des chances raisonnables de réussir devant un tribunal. La réponse est négative à cause de l'exclusion de garantie prévue dans le contrat de vente et que permettaient les articles 1732 et 1733 C.c.Q., Louis Deroy n'étant pas un vendeur professionnel :
1732. Les parties peuvent, dans leur contrat, ajouter aux obligations de la garantie légale, en diminuer les effets, ou l'exclure entièrement, mais le vendeur ne peut, en aucun cas, se dégager de ses faits personnels.
1733. Le vendeur ne peut exclure ni limiter sa responsabilité s'il n'a pas révélé les vices qu'il connaissait ou ne pouvait ignorer et qui affectent le droit de propriété ou la qualité du bien.
Cette règle reçoit exception lorsque l'acheteur achète à ses risques et périls d'un vendeur non professionnel.
[20] Cette faute du défendeur n'a donc causé aucun dommage au demandeur. Le fait que le demandeur et madame Goupil aient revendu l'immeuble à un prix moindre que celui payé n'a pas de lien de causalité avec la faute du défendeur.
[21] Le défendeur a aussi été fautif en laissant croire au demandeur qu'il avait entrepris un recours, qu'un jugement avait été obtenu et qu'il avait reçu une somme d'argent pour lui. Ce comportement du défendeur, que l'on peut qualifier de mascarade, a duré presque trois ans et a causé des dommages au demandeur.
[22] Le demandeur a vécu cette période avec inquiétude et un stress certain. Il vivait en plus une séparation. Sa situation financière était précaire et il avait besoin de l'argent que le défendeur lui faisait miroiter. Il a dû avoir recours aux services d'un autre avocat. Selon l'arrêt Viel[1] de la Cour d'appel du Québec, le comportement du défendeur constitue, de l'avis du Tribunal, un abus de droit sur le fond et le demandeur a droit, à titre de dommages, d'être remboursé des honoraires extrajudiciaires de son procureur. Il a aussi subi des dommages moraux. Après analyse de la preuve, le Tribunal lui accorde à ce poste la somme de 2 000 $. Le demandeur a donc droit à la somme totale de 4 557,65 $.
[23] Le recours en garantie du défendeur contre le Centre communautaire juridique sera aussi accueilli, ce dernier ayant pris fait et cause pour le défendeur.
[24] La demande reconventionnelle est fondée sur la réception de l'indu. Les dispositions pertinentes du Code civil du Québec sont les articles 1491 et 1554 :
1491. Le paiement fait par erreur, ou simplement pour éviter un préjudice à celui qui le fait en protestant qu'il ne doit rien, oblige celui qui l'a reçu à le restituer.
Toutefois, il n'y a pas lieu à la restitution lorsque, par suite du paiement, celui qui a reçu de bonne foi a désormais une créance prescrite, a détruit son titre ou s'est privé d'une sûreté, sauf le recours de celui qui a payé contre le véritable débiteur.
1554. Tout paiement suppose une obligation: ce qui a été payé sans qu'il existe une obligation est sujet à répétition.
La répétition n'est cependant pas admise à l'égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées.
[25] Le paiement de 5 500 $, fait par le défendeur au demandeur le 1er août 2006, à même ses fonds personnels, est de la nature d'une obligation naturelle de l'avis du Tribunal.
[26] Dans le contexte des relations qui existaient entre les parties, la somme de 5 500 $ représentait un versement partiel d'une somme supérieure, mais fictive, que le défendeur disait avoir obtenue de Louis Deroy. Le défendeur a cependant fait croire au demandeur qu'il avait ainsi exécuté une partie de ses obligations et le demandeur était justifié de croire que c'était la réalité. Dans l'optique du défendeur, et pour paraphraser les auteurs Planiol et Ripert que cite la Cour suprême du Canada dans Pesant c. Pesant[2], il s'est senti, au regard de sa propre conscience, obligé d'agir comme il l'a fait par le sentiment d'un devoir.
[27] Dans une affaire où le défendeur, courtier en placements et ancien conjoint de fait de la demanderesse, avait écrit à l'endroit de celle-ci : « comme je te l'ai écrit, je vais te rembourser, même si je ne suis pas obligé. », la juge Nicole Mallette de la Cour du Québec y a vu une obligation naturelle et a condamné le défendeur à payer la somme qu'il s'était engagé à payer en vertu de ce document[3].
[28] Au sujet de l'obligation naturelle, les auteurs Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin écrivent[4] :
La jurisprudence reconnaît elle aussi, en dehors de textes précis, l'existence d'obligations naturelles, la plupart du temps dans des cas où ces obligations ont servi de base à une promesse civile subséquente. Elle sanctionne alors le devoir de conscience en lui donnant certains effets civils. Il en est ainsi de l'obligation de pourvoir à la sépulture d'un proche, même lorsqu'on n'est pas héritier, de l'obligation d'acquitter une dette éteinte par prescription, de l'obligation de celui qui a fait faillite et qui a été libéré de dédommager ses anciens créanciers, de l'obligation d'indemniser autrui d'un préjudice causé alors que la loi ne l'y contraint pas.
Tout le régime juridique de l'obligation naturelle s'explique par le fait que le droit considère que celui qui acquitte volontairement une telle obligation paye une véritable dette. L'obligation naturelle emporte une série d'effets. D'abord, tel que déjà mentionné, le paiement volontaire ne permet pas au débiteur de répéter subséquemment la somme payée. Ensuite, elle peut servir de raison valable ou de cause à un engagement civil. Ainsi, le billet promissoire ou le chèque donné en reconnaissance d'une obligation naturelle constitue une créance civile valide. L'engagement d'acquitter et l'acquittement d'une obligation naturelle ne sont pas considérés comme une donation, qui serait assujettie aux formalités prescrites par la loi.
[Soulignements ajoutés]
[29] Le Tribunal conclut que le défendeur a exécuté volontairement une obligation naturelle envers le demandeur et en vertu de l'article 1554 C.c.Q., elle n'est pas sujette à répétition. Sa demande reconventionnelle doit donc être rejetée. Le Tribunal ajoute, à titre subsidiaire, que s'il n'avait pas conclu que le défendeur avait exécuté une obligation naturelle, il aurait qualifié le geste du défendeur de donation[5].
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[30] CONDAMNE le défendeur à payer au demandeur la somme de 4 557,65 $, avec les intérêts au taux de 5 % l'an, et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., à compter de l'assignation;
[31] CONDAMNE le défendeur à payer au demandeur les frais judiciaires de 151 $;
[32] CONDAMNE le Centre communautaire juridique du Bas St-Laurent à indemniser le défendeur de la condamnation prononcée contre lui dans la demande principale, en capital, intérêts et frais;
[33] REJETTE la demande reconventionnelle.
|
||
|
__________________________________ PIERRE LABBÉ, J.C.Q. |
|
|
||
|
||
|
||
Date d’audience : |
16 juin 2008 |
|
[1] Viel c. Entreprises immobilières du terroir ltée, [2002] R.J.Q. 1262 .
[2] [1934] R.C.S. 249 ; Cloutier (Succession de), AZ-50368776 , J.E. 2006-1055 , 2006 QCCS 2102 .
[3] Audet c. Grenon, AZ-50335126 , B.E. 2006BE-167 .
[4] Jean-Louis BEAUDOIN et Pierre-Gabriel JOBIN, Les Obligations, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, p. 29.
[5] Auger c. Equity Account Buyers Ltd, [1976] C.S. 279 .
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.