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JS 0709 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT D’ |
ABITIBI |
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N° : |
615-05-000809-024 |
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DATE : |
11 avril 2002 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
IVAN ST-JULIEN, J.C.S. |
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ALAIN GENEST, domicilié et résidant au 360, des Vétérans à Val-d'Or, district d’Abitibi, province de Québec, J9P 6T5, |
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Requérant |
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c. |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES, ayant une place d’affaires au 1, rue du Terminus Est, 1er étage à Rouyn-Noranda, district de Rouyn-Noranda, province de Québec, |
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Intimée |
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et |
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COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL DE L’ABITIBI-TÉMISCAMINGUE, ayant une place d’affaires au 33, rue Gamble Ouest à Rouyn-Noranda, district de Rouyn-Noranda, province de Québec, J9X 2R3 |
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Mise en cause |
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JUGEMENT |
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[1] Il s’agit d’une requête en révision judiciaire d’une décision rendue le 3 janvier 2002 par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (R-11).
[2] Le Tribunal a pris connaissance des notes sténographiques des deux auditions tenues les 14 mars 2001 et 22 octobre 2001, notamment des témoignages de monsieur GENEST, son procureur du temps, Me Labranche, monsieur Farenté, enquêteur auprès de la CSST et finalement, des deux personnes chargées de faire enquête sur les prétendues activités de travail au noir de GENEST.
[3] Le requérant GENEST demande l’annulation de la décision rendue par la Commission le 3 janvier 2002 laquelle confirmait une autre décision du 17 décembre 1996 déclarant que la CSST était justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu le 22 février 1996 et que le motif de cette suspension existait encore le 3 janvier 2002. Dans cette même décision, la Commission décidait de retourner le dossier à la CSST pour que soit rendue une décision sur la suspension ou la poursuite du plan de réadaptation.
[4] GENEST prétend par sa requête qu’il y a eu erreur manifestement déraisonnable de la part de l’intimée, la CLP, se basant surtout sur l’insuffisance de preuves, le résultat injuste ou insolite et le manquement au devoir d’agir de façon équitable.
[5] En décembre 1994, la CSST accueillit une réclamation de GENEST pour une rechute, récidive ou aggravation survenue le 10 septembre 1994.
[6] Le 11 juillet 1995, le médecin en charge consolida et conclua que GENEST avait une atteinte permanente à son intégrité physique et des limitations fonctionnelles.
[7] Entre octobre 1995 et février 1996, plusieurs médecins examinèrent GENEST dont le Dr Letendre, Dr Guimont et Dr Landry.
[8] Le 15 janvier 1996, le Dr Landry référa le dossier de GENEST au bureau d’évaluation médicale pour déterminer ses limitations fonctionnelles. Suite à cette évaluation, la CSST rendit une décision le 8 février 1996 qui stipulait :
Compte tenu de la date de consolidation de votre lésion et de vos limitations fonctionnelles, nous concluons que vous avez droit à des indemnités de remplacement de revenu jusqu’à ce que nous nous soyons prononcé sur votre capacité d’exercer un emploi.
[9] Le 5 février 1996, par citation à comparaître, l’enquêteur de la CSST (M. Farenté) convoqua GENEST à une rencontre le 16 février 1996, lui demandant d’apporter avec lui une confirmation des salaires reçus pour l’exécution du travail d’entretien ménager effectué depuis plusieurs mois dans certains commerces de Val-d'Or. GENEST se rendit à cette rencontre assisté de son procureur de l’époque, Me Sylvain Labranche.
[10] À cette rencontre du 16 février 1996, étaient présents GENEST, son procureur, l’enquêteur et le procureur de la CSST. Lorsqu’on demanda à GENEST s’il accomplissait des travaux d’entretien ménager depuis septembre 1994, il répondit dans la négative. GENEST signa une déclaration dans laquelle il déclarait ne pas avoir exécuté des travaux d’entretien ménager ou tout autre travail contre rémunération ou avantage depuis septembre 1994.
[11] Le même jour, les intervenants au dossier de la CSST, dont l’enquêteur et le procureur, décidèrent de suspendre les indemnités de remplacement du revenu jusqu’à ce que GENEST leur fournisse les informations demandées par la citation à comparaître déjà acheminée.
[12] le 22 février 1996, la CSST, par lettre (R-1), informa GENEST qu’elle suspendait le versement de ses indemnités selon les dispositions de l’article 142 (1) a et 1 (b) de la Loi sur les accidents du travail et des maladies professionnelles. Cette lettre, à son deuxième paragraphe, mentionnait:
1 a) vous avez fourni des renseignements inexacts; et/ou
2 b) vous avez refusé ou négligé de fournir à la Commission des renseignements qu’elle requiert ou de donner l’autorisation nécessaire pour l’obtention de ces renseignements.
[13] Le 28 février 1996, GENEST contesta cette décision au bureau de révision paritaire (R-2).
[14] Le 24 septembre 1996, Me Labranche avisa la CSST qu’il ne représentait plus les intérêts de GENEST.
[15] Le 25 novembre 1996, le Bureau de révision tint une audition à laquelle furent présents GENEST et sa nouvelle procureure, Me Lemoine. Suite à cette audition, le 17 décembre 1996, le Bureau de révision rejeta la demande de révision de GENEST et confirma la décision rendue le 22 février 1996 tout en déclarant que la CSST était justifiée de suspendre ses indemnités de remplacement du revenu au 22 février 1996 (R-3).
[16] Le 8 janvier 1997, GENEST produisit une déclaration d’appel de cette décision (R-4).
[17] Le 8 avril 1997, GENEST, par son procureur, demanda par écrit à la CSST de rendre une décision suite aux informations transmises dans le cadre de l’audition en révision (R-5).
[18] Le 26 mai 1997, GENEST, par son procureur, fit parvenir à la CSST un affidavit (R-6).
[19] Le 22 mai 1998, GENEST, par son procureur, achemina une lettre à la CSST afin d’obtenir une décision suite à l’information transmise un an auparavant (R-7).
[20] Le 29 mai 1998, la CSST refusa de lever la suspension (R-8).
[21] Le 16 juin 1998, GENEST contesta cette décision du 29 mai 1998 (R-9).
[22] Le 29 mai 2000, le service de la révision de la CSST rendit une décision en révision administrative qui maintenait la suspension des indemnités (R-10).
[23] Plusieurs auditions ont eu lieu entre le 14 mars 2001 et le 22 octobre 2001 suite auxquelles une décision fut finalement rendue le 3 janvier 2002 par le Commissaire, Me Pierre Prégent, assisté des membres Normand Ouimet et Jean-Pierre Valiquette (R-11).
[24] Dans les faits, deux décisions furent rendues mais seulement qu’une d’entre elles est visée par la présente requête en révision judiciaire. La décision rendue dans l’autre dossier (141184-08-0006) ne fait pas l’objet d’une demande en révision judiciaire.
[25] Cette décision du 3 janvier 2002 déclarait que la CSST était justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu le 22 février 1996, que le motif de la suspension existait encore le 3 janvier 2002 et retournait le dossier à la CSST pour que soit rendue une décision sur la suspension ou la poursuite du plan de réadaptation (R-11).
[26] La raison pour laquelle GENEST avait été convoqué à une rencontre avec l’enquêteur de la CSST en février 1996 était suite à une information anonyme par laquelle on prétendait que GENEST travaillait au noir. Dans les faits, deux enquêteurs avaient été chargés par M. Farenté de faire un suivi de GENEST ce qui fut fait en décembre 1995 et en janvier 1996. Les témoignages de ces deux enquêteurs figurent aux notes sténographiques. D’ailleurs, le commissaire résume très bien les témoignages des enquêteurs aux paragraphes [26] à [31] de la pièce (R-11). Ce même commissaire relate aussi, aux paragraphes [33], [34] et [35] de sa décision, la citation à comparaître et la rencontre avec GENEST et son avocat, Me Labranche. Il est à propos de reproduire ce qui suit de la décision du commissaire :
[77] Le travailleur nie avoir exercé des travaux d’entretien ménager au Bar Ritz contre rémunération. Il déclare avoir effectué de menues tâches dans un esprit d’entraide et de loisir. C’est contraire aux éléments de l’enquête. Dans un contexte de travail au noir, le procureur admet qu’il est impossible de prouver que les travaux ont été exécutés contre rémunération et avantage vu le comportement du travailleur et des propriétaires du Bar Ritz.
[78] La suspension était donc justifiée jusqu’à ce que le travailleur fournisse les renseignements requis comme le lui oblige la loi. Quant à l’affidavit signé par le travailleur, il est incomplet et il ne justifie pas à lui seul la levée de la suspension. En effet, il ne décrit que des tâches peu exigeantes physiquement. Le travailleur omet d’y décrire des tâches plus exigeantes telles que constatées par les enquêteurs. Donc, le travailleur cache des éléments pertinents sur sa capacité à exercer un travail physique sur une base régulière. Sa persistance à nier les faits lui vaut à ce jour la suspension du versement des indemnités de remplacement du revenu.
…
[94] Malgré qu’il n’a pas été mis en preuve qu’une rémunération quelconque a été versée au travailleur ni la durée du versement d’une telle rémunération, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que le travailleur devait informer la CSST de la nature des activités qu’il exerçait au Bar Ritz, de leurs exigences physiques et de toute autre condition associée au travail d’entretien ménager qu’il y exerçait.
[95] Dans un contexte de travail au noir, sans la collaboration du travailleur et des propriétaires de l’établissement, il est très difficile, voire impossible, de démontrer qu’une rémunération a été versée au travailleur.
[96] L’impossibilité de présenter une telle preuve n’a pas pour effet de faire disparaître l’obligation légale faite au travailleur de déclarer la rémunération ou les avantages reçus pour la prestation de ses services au Bar Ritz.
…
[99] Il s’empresse de contacter un avocat. Il lui cache certaines informations pertinentes. Il nie toutes activités de travail et toute rémunération en sa présence devant la CSST. Puis, un an plus tard, il affirme dans un affidavit qu’il a exercé certaines activités de nature physique peu exigeantes. Or, la preuve prépondérante démontre que cet affidavit s’avère incomplet.
[100] Devant l’absence de collaboration du travailleur à la saine administration de son dossier, la CSST, de l’avis de la Commission des lésions professionnelles, était justifiée de recourir aux dispositions de l’article 142 de la loi dont le texte suit :
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d’une indemnité :
1 si le bénéficiaire :
a) fournit des renseignements inexacts;
b) refuse ou néglige de fournir les renseignements qu’elle requiert ou de donner l’autorisation nécessaire pour leur obtention.
…
[102] La représentante du travailleur requiert la levée de la suspension au motif qu’elle ne peut durer de façon indéfinie. La Commission des lésions professionnelles partage cette opinion. Une suspension ne peut durer indéfiniment. La jurisprudence sur cette question est constante. Ce n’est pas le droit à l’indemnité de remplacement du revenu qui peut être suspendu par l’article 142 (1) (a) et (b), mais uniquement le paiement de cette indemnité.
…
[105] Or, dans la présente affaire, le travailleur a toujours nié, même devant le Commissaire des lésions professionnelles, qu’il a exécuté des travaux d’entretien ménager au Bar Ritz malgré une preuve prépondérante contraire. La Commission des lésions professionnelles conclut donc que le motif de la suspension du versement des indemnités de remplacement du revenu est encore présent.
[27] Le Tribunal doit décider si la décision du commissaire Prégent du 3 janvier 2002 (R-11) est manifestement déraisonnable justifiant notre intervention.
[28] Les trois procureurs nous ont présenté leur plan d’argumentation respectif accompagné de la jurisprudence appropriée. Tous sont d’accord à dire que notre Cour doit intervenir s’il y a erreur manifestement déraisonnable.
[29] Quelle est la portée de la norme de l’erreur manifestement déraisonnable? les tribunaux supérieurs, tel que décidé par de très nombreuses jurisprudences, doivent faire preuve d’une extrême retenue lorsqu’une partie attaque les conclusions de faits du tribunal administratif. Ils ne doivent pas revoir les faits ni apprécier de nouveau la preuve. Leur intervention ne sera justifiée que si la preuve examinée raisonnablement ne peut servir de fondement aux conclusions du tribunal.
[30] Dans l’arrêt Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O[1] la Cour suprême énonçait ceci :
Il a été jugé qu’une conclusion ne reposant sur « aucune preuve » est manifestement déraisonnable. Cependant, il est clair que la cour ne devrait pas intervenir lorsque la preuve est simplement insuffisante.
…
… Il faut se rappeler que, même si la cour de justice n’est pas d’accord avec la façon dont le tribunal administratif a apprécié la preuve et tiré ses conclusions, c’est uniquement dans le cas où la preuve, appréciée raisonnablement, est incapable d’étayer les conclusions du tribunal que la cour peut substituer son opinion à celle du tribunal. (pp. 507-509).
[31] Dans une autre cause CSST c. Chiasson et al[2], la Cour d’appel reprend les critères d’intervention :
16. En révision judiciaire, le juge ne siège pas en appel. Il ne doit donc pas refaire l’enquête. Son rôle se limite strictement à un double questionnement. Le premier est de vérifier la compétence de l’organisme administratif pour savoir si oui ou non celui-ci avait le pouvoir juridique de rendre la décision. Cette première interrogation n’est pas en cause ici, la CSST ayant manifestement compétence en la matière.
17. En effet, la détermination de l’existence d’une lésion professionnelle au sens de la loi est une question intrajuridictionnelle au cœur de la compétence spécialisée de l’instance administrative (Domtar inc. c. Québec [1993] 2 R.C.S. 756 .).
18. Dans Sartorio c. C.A.S., J.E. 99-124 (C.A.), mon collègue, M. le juge André Forget, dans une affaire qui portait précisément sur la relation causale entre un accident d’automobile et le développement d’une fibromyalgie écrivait :
La décision prononcée par la Commission des affaires sociales (CAS) est au cœur de sa compétence : le lien de causalité entre l’accident d’automobile et la fibromyalgie dont souffrirait Madame Monique Sartorio.
19. Le second est d’appliquer le critère maintenant bien connu et sévère du caractère manifestement déraisonnable de la décision, critère élaboré entre autres par la Cour suprême dans les arrêts U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1998] 2 R.C.S. 1048; Caimaw c. Paccar of Canada Ltd [1989] 2 R.C.S. 983 ; Canada c. Alliance de la fonction publique, [1993] 1 R.C.S. 941 ; J.M Asbestos inc. c. C.A.L.P., [1998] 1 R.C.S. 135 » .
20. L’application rigoureuse de ce standard de révision ne permet donc pas aux instances judiciaires de refaire le débat et de décider si, dans les souliers de l’organisme administratif, le juge serait parvenu à la même conclusion. La barre est beaucoup plus haute et le rôle de la Cour se limite strictement à évaluer non pas si la décision est bonne, si elle est valable en droit, mais seulement si, oui ou non, elle est manifestement déraisonnable. Que la Cour soit d’accord ou non avec elle n’a aucune importance. N’a pas non plus d’importance le fait que la décision soit erronée. Le tribunal administratif a en effet droit à l’erreur, à condition bien sûr que celle-ci n’ait pas pour effet de conférer à sa décision un caractère manifestement déraisonnable au sens donné à cette expression par la jurisprudence citée plus haut, donc d’en faire un jugement clairement irrationnel.
21. La plus grande retenue judiciaire s’imposait ici eu égard, d’une part, au caractère final de la décision administrative (Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., c. A-3.001, art. 405 ) et, d’autre part, à la clause privative complète dont jouit l’instance administrative (art. 409).
[32] Tenant compte des principes énoncés plus avant, le Tribunal conclut que dans le présent cas, la requête en révision judiciaire se doit d’être rejetée.
[33] Par ces motifs, le Tribunal :
[34] REJETTE la requête en révision judiciaire;
[35] LE TOUT, sans frais.
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__________________________________ IVAN ST-JULIEN, J.C.S. |
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Me Renée Lemoine |
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Chabot, Kirouac, Lemoine |
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Procureurs du requérant |
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Me Virginie Brisebois |
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Levasseur, Verge |
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Procureurs de l’intimée CLP |
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Me Louis Cossette |
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Panneton, Lessard |
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Procureurs de la mis en cause CSST |
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Date d’audience : |
2 avril 2002 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.