Gestions Jean Leblond ltée |
2012 QCCLP 4539 |
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[1] Le 24 décembre 2011, l’employeur, Gestions Jean Leblond ltée, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue le 7 novembre 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST réitère celle qu’elle a initialement rendue le 19 août 2011 et déclare que le coût des prestations reliées à l’accident du travail subi par le travailleur, monsieur Ghislain Bergeron, le 7 juillet 2011, doit être imputé au dossier de l’employeur.
[3] Une audience est tenue à Saint-Jérôme le 13 juin 2012. L’employeur est dûment représenté.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande au tribunal de déclarer qu’il doit être imputé uniquement de la partie de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur, monsieur Ghislain Bergeron, en fonction du salaire brut qu’il gagnait le 7 juillet 2011.
QUESTION PRÉLIMINAIRE
[5] Tel que précisé précédemment, la requête de l’employeur fut déposée au tribunal le 24 décembre 2011, soit un samedi et 48 jours après la date présumée de sa notification. La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prévoit que la requête à l’encontre d’une décision de la CSST doit être reçue dans les 45 jours de sa notification :
359. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358 peut la contester devant la Commission des lésions professionnelles dans les 45 jours de sa notification.
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1985, c. 6, a. 359; 1992, c. 11, a. 32; 1997, c. 27, a. 16.
[6] La requête a manifestement été déposée au tribunal en dehors du délai prévu à la loi.
[7] Par ailleurs, la loi prévoit qu’une personne peut être relevée de son défaut si elle fournit un motif raisonnable démontrant qu’elle n’a pu respecter ce délai :
429.19. La Commission des lésions professionnelles peut prolonger un délai ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que celle-ci n'a pu respecter le délai prescrit pour un motif raisonnable et si, à son avis, aucune autre partie n'en subit de préjudice grave.
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1997, c. 27, a. 24.
[8] Il est de connaissance d’office que le délai postal de transmission et de réception d’une décision, telle celle qui fait l’objet du présent litige, est de trois à quatre jours[2].
[9] De nombreuses décisions du tribunal retiennent également que le délai postal peut varier de trois à cinq jours, ce qui permet notamment de prendre en considération les réalités régionales[3].
[10] En l’espèce, la décision rendue par la CSST à la suite d’une révision administrative est datée du 7 novembre 2011, soit un lundi. Il s’agit de la date où elle est rendue et non nécessairement de celle où elle a été mise à la poste ou encore à celle où elle a pu être notifiée.
[11] Si l’on considère un délai postal de trois à cinq jours comme possible date de notification de cette décision, on peut présumer que celle-ci a pu être notifiée, si on ne tient pas compte de la fin de semaine qui a suivi, entre le 10 et le 14 décembre 2011.
[12] Ce faisant, l’employeur en déposant sa requête au tribunal le 24 décembre 2011, le délai de 45 jours de la notification de la décision de la CSST est respecté, puisque le 45e jour à compter du 10 novembre 2011 tombe le jour de Noël, soit le 25 décembre 2011. Il n’y a donc pas lieu d’évaluer l’existence d’un motif raisonnable pour prolonger le délai ou relever l’employeur de son défaut de le respecter.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[13] Le tribunal doit essentiellement décider si la partie de l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur, correspondant au salaire que celui-ci gagnait chez un autre employeur, doit être imputée au dossier financier de l’employeur au présent dossier en application de l’article 326 de la loi qui édicte ce qui suit :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[14] Dans les faits en l’espèce, le travailleur occupe à temps partiel, chez l’employeur, un poste de journalier depuis mai 2011 dans le cadre d’un programme d’intégration au travail. Il reçoit alors entre autres des indemnités de remplacement du revenu réduites en relation avec une lésion professionnelle survenue chez un autre employeur et établies à partir d’un salaire revalorisé de 49 905,59 $.
[15] Il perçoit à titre de salaire chez l’employeur un revenu de 772 $ par deux semaines ou quatorze jours selon les informations apparaissant au formulaire intitulé « Avis de l’employeur et demande de remboursement ».
[16] Le 7 juillet 2011, l’employeur informe le travailleur de ne pas se présenter au travail le dimanche et le lundi suivants, car celui-ci veut vérifier si le programme d’intégration au travail se poursuit, car la terminaison est prévue le 8 juillet 2011.
[17] Une heure après cet échange, le travailleur indique à l’employeur ressentir une douleur au dos après avoir peint la base d’un lampadaire en position accroupie. Le diagnostic retenu au dossier est une entorse lombaire. La CSST procède au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu en appliquant l’article 73 de la loi qui édicte ce qui suit :
73. Le revenu brut d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle alors qu'il reçoit une indemnité de remplacement du revenu est le plus élevé de celui, revalorisé, qui a servi de base au calcul de son indemnité initiale et de celui qu'il tire de son nouvel emploi.
L'indemnité de remplacement du revenu que reçoit ce travailleur alors qu'il est victime d'une lésion professionnelle cesse de lui être versée et sa nouvelle indemnité ne peut excéder celle qui est calculée sur la base du maximum annuel assurable en vigueur lorsque se manifeste sa nouvelle lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 73.
[18] Cette façon de calculer permet au travailleur de recevoir une seule indemnité de remplacement du revenu qui tient compte des conséquences de la lésion professionnelle survenue chez l’employeur précédent et lui permet, s’il occupe un emploi plus rémunérateur au moment de sa nouvelle lésion professionnelle, de recevoir une indemnité de remplacement du revenu plus élevée.
[19] L’employeur ne peut contester la base salariale retenue en l’instance de 49 905,59 $, car celle-ci a été établie en application de l’article 73 de la loi. Par ailleurs, ce dernier demande que la CSST ne lui impute à son dossier que la portion de l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur qui correspond au salaire brut retenu pour son emploi au sein de son entreprise.
[20] Dans l’affaire J.M Bouchard & Fils inc.[4], le tribunal précisait ce qui suit quant au fait de ne pas soustraire la portion du coût des prestations du dossier financier de l’employeur dans les circonstances semblables :
[47] En tout respect, le soussigné n’est pas d’accord avec cette interprétation qui est le résultat d’une analyse essentiellement grammaticale des dispositions applicables.
[48] L’article
41.1. Les dispositions d'une loi s'interprètent les unes par les autres en donnant à chacune le sens qui résulte de l'ensemble et qui lui donne effet.
1992, c. 57, a. 603.
[49] L’interprétation retenue jusqu’ici ignore un principe fondamental en matière d’imputation des coûts, celui voulant qu’un employeur doit supporter ceux qui lui sont attribuables. Le législateur a créé des mécanismes particuliers très détaillés qui ont précisément cet objectif.
[50] Quand un travailleur souffre d’une maladie professionnelle, l’article 328 oblige la CSST à imputer le coût des prestations à tous les employeurs pour qui ce travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie. L’article 328 prévoit même les critères qui doivent être utilisés pour refléter le plus fidèlement possible de la responsabilité de chaque employeur :
328. Dans le cas d'une maladie professionnelle, la Commission impute le coût des prestations à l'employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer cette maladie.
Si le travailleur a exercé un tel travail pour plus d'un employeur, la Commission impute le coût des prestations à tous les employeurs pour qui le travailleur a exercé ce travail, proportionnellement à la durée de ce travail pour chacun de ces employeurs et à l'importance du danger que présentait ce travail chez chacun de ces employeurs par rapport à la maladie professionnelle du travailleur.
Lorsque l'imputation à un employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle n'est pas possible en raison de la disparition de cet employeur ou lorsque cette imputation aurait pour effet d'obérer injustement cet employeur, la Commission impute le coût des prestations imputable à cet employeur aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités ou à la réserve prévue par le paragraphe 2° de l'article 312.
1985, c. 6, a. 328.
[51] L’article 329 permet à un employeur d’obtenir un allègement de son pourcentage d’imputation lorsqu’une lésion professionnelle a été facilitée ou aggravée au niveau de ses conséquences en raison d’un handicap préexistant :
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[52] Avec l’article 327, le législateur veut s’assurer qu’un employeur ne supporte pas les coûts de lésions survenues dans des situations qui échappent à son contrôle, ce qui est le cas lorsqu’une lésion résulte de soins reçus pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins. Il en va de même d’une lésion qui survient dans le cadre de traitements médicaux ou d’un plan individualisé de réadaptation :
327. La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations:
1° dues en raison d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31;
2° d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion.
1985, c. 6, a. 327.
31. Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion:
1° des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;
2° d'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.
Cependant, le premier alinéa ne s'applique pas si la blessure ou la maladie donne lieu à une indemnisation en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25), de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) ou de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6).
[53] Enfin, l’article 326 permet à l’employeur d’être exonéré des coûts d’un accident du travail attribuable à un tiers ou dont l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de l’obérer injustement :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[54] Ces dispositions démontrent l’objectif clair et compréhensif du législateur de s’assurer que la CSST impute les coûts en fonction du critère de l’imputabilité réelle. Elles ont aussi pour objectif d'assurer l'équité entre les employeurs.
[55] Dans le présent dossier, ces principes ne sont pas respectés et l’employeur est justifié de prétendre que l’imputation retenue par la CSST lui fait supporter des coûts qui ne découlent pas d’une lésion survenue à son service.
[56] N’eut été de l’accident du travail survenu chez un autre employeur le 14 février 2000, l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur aurait été calculée en fonction du salaire réellement gagné au moment du deuxième accident du travail le 24 octobre 2005, soit 15 850,56 $.
[57] Si le travailleur a droit à une indemnité plus importante, c’est parce que la méthode de calcul de sa nouvelle indemnité tient compte de l’indemnité réduite dont il bénéficiait en conséquence de l’accident du travail survenu le 14 février 2000.
[58] Quand le législateur précise au 2e alinéa de l’article 73 que l’'indemnité de remplacement du revenu que reçoit déjà un travailleur cesse de lui être versée, ce n’est pas parce qu’il perd le droit à celle-ci, mais plutôt parce qu’elle est incluse dans la méthode de calcul prévue au 1er alinéa.
[59] L’employeur a donc raison de prétendre qu’on impute à son dossier financier des coûts qui résultent directement d'un accident du travail survenu alors que le travailleur était à l’emploi d’un autre employeur. Cette décision ne respecte donc pas la règle générale édictée au 1er paragraphe de l’article 326.
[60] La politique d’imputation de la CSST ne constitue ni plus ni moins qu’un transfert d’imputation d’un employeur à un autre, et ce, sans aucune justification rationnelle. Selon le soussigné, il faudrait une disposition spécifique pour permettre une telle entorse à la règle générale de l’article 326.
[61] Le tribunal a déjà reconnu qu’il est possible d’accorder un transfert d’imputation partiel en se basant sur le premier alinéa de l’article 326 lorsque la preuve démontre que certaines prestations ne sont pas attribuables à un accident du travail survenu chez l’employeur . Dans la décision Les Systèmes Erin ltée et CSST , notre collègue, madame Louise Desbois, écrit ce qui suit :
[31] Il importe cependant de préciser qu’il est possible, en application de l’article 326 (mais alinéa 1), de ne pas imputer à l’employeur une partie du coût des prestations versées au travailleur, pour autant que cette partie du coût ne soit pas due en raison de l’accident du travail. Un bon exemple de cette situation est la survenance d’une maladie personnelle intercurrente (par exemple, le travailleur fait un infarctus, ce qui retarde la consolidation ou la réadaptation liée à la lésion professionnelle) : les prestations sont alors versées par la CSST, mais comme elles ne sont pas directement attribuables à l’accident du travail elles ne doivent, par conséquent, pas être imputées à l’employeur. L’article 326, 1er alinéa prévoit en effet que c’est le coût des prestations dues en raison de l’accident du travail qui est imputé à l’employeur.
[62] Le soussigné est en désaccord avec la position majoritaire pour un autre motif : l’interprétation retenue est susceptible d’entraîner des conséquences défavorables à l’égard des travailleurs réadaptés.
[63] La réadaptation professionnelle occupe une place de première importance dans la loi. Les travailleurs qui y ont droit sont ceux qui, malheureusement, sont victimes des lésions professionnelles les plus graves. En effet, ce qui donne droit à la réadaptation professionnelle, c’est l’existence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles qui empêchent un travailleur de reprendre son emploi habituel. Est-il nécessaire de décrire l’effet traumatisant que peut avoir cette situation pour un travailleur ? Non seulement il est atteint dans son intégrité physique mais, en plus, il perd l’emploi et, même souvent, le métier qu’il connaissait jusqu’à maintenant.
[64] C’est pour pallier à cette situation très difficile et en atténuer les conséquences que le législateur a adopté une multitude de mesures pour aider les travailleurs à se réadapter et à se trouver éventuellement un autre emploi :
167. Un programme de réadaptation professionnelle peut comprendre notamment:
1° un programme de recyclage;
2° des services d'évaluation des possibilités professionnelles;
3° un programme de formation professionnelle;
4° des services de support en recherche d'emploi;
5° le paiement de subventions à un employeur pour favoriser l'embauche du travailleur qui a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique;
6° l'adaptation d'un poste de travail;
7° le paiement de frais pour explorer un marché d'emplois ou pour déménager près d'un nouveau lieu de travail;
8° le paiement de subventions au travailleur.
1985, c. 6, a. 167.
[65] Nous avons déjà expliqué de quelle façon la politique d’imputation de la CSST dans les situations visées par l’article 73 entraîne un fardeau financier supplémentaire pour l’employeur qui utilise les services d’un travailleur ayant droit à une indemnité réduite.
[66] Quel employeur, sachant ou apprenant qu’il va devoir assumer ce fardeau additionnel advenant une lésion professionnelle, acceptera, en toute connaissance de cause, d’embaucher ou de conserver à son emploi un travailleur bénéficiant d’une indemnité réduite ?
[67] L’employeur qui apprend, suite à une lésion professionnelle, qu’il doit assumer le fardeau additionnel de l’indemnité réduite ne sera-t-il pas tenté de mettre fin à l’emploi du travailleur ?
[68] Poser ces questions, c’est aussi y répondre. L’employabilité d’un travailleur réadapté est déjà défavorisée du fait qu’il présente des limitations fonctionnelles. Le soussigné ne peut concevoir que le législateur ait voulu qu’on ajoute à ce désavantage celui d’un fardeau financier supplémentaire aux éventuels employeurs.
[69] Il faut ajouter que le fardeau additionnel que représente l’indemnité réduite peut, dans certains cas, être excessivement lourd. Ce sera le cas si, au moment de la lésion initiale, le travailleur gagnait le salaire maximum annuel assurable (qui est de 62 500 $ en 2010 ) et que, au moment de la nouvelle lésion professionnelle, il gagne un salaire se rapprochant du salaire minimum (ce qui donne un salaire annuel inférieur à 20 000 $). De tels cas existent.
[70] La loi prévoit des mesures particulières pour inciter les employeurs à embaucher des travailleurs réadaptés. L’article 175 permet notamment d’octroyer des subventions.
175. La Commission peut, aux conditions qu'elle détermine et qu'elle publie à la Gazette officielle du Québec 30 jours avant leur mise en application, octroyer à l'employeur qui embauche un travailleur victime d'une lésion professionnelle une subvention pour la période, n'excédant pas un an, pendant laquelle ce travailleur ne peut satisfaire aux exigences normales de l'emploi.
Cette subvention a pour but d'assurer au travailleur une période de réadaptation à son emploi, d'adaptation à son nouvel emploi ou de lui permettre d'acquérir une nouvelle compétence professionnelle.
1985, c. 6, a. 175.
[71] L’article 176 permet aussi à la CSST de rembourser les frais d’adaptation d’un poste de travail lorsqu’un employeur embauche un travailleur réadapté :
176. La Commission peut rembourser les frais d'adaptation d'un poste de travail si cette adaptation permet au travailleur qui a subi une atteinte permanente à son intégrité physique en raison de sa lésion professionnelle d'exercer son emploi, un emploi équivalent ou un emploi convenable.
Ces frais comprennent le coût d'achat et d'installation des matériaux et équipements nécessaires à l'adaptation du poste de travail et ils ne peuvent être remboursés qu'à la personne qui les a engagés après avoir obtenu l'autorisation préalable de la Commission à cette fin.
1985, c. 6, a. 176.
[72] Il est difficile de concevoir que le législateur veuille d’une part favoriser l’embauche d’un travailleur réadapté en octroyant des avantages financiers à un employeur, et qu’il soit d’accord avec une politique d’imputation dont l’effet est de le pénaliser financièrement dans l’éventualité où ce même travailleur subit une lésion professionnelle.
[73] Il y a là une incohérence manifeste qui s’accorde mal avec la présomption selon laquelle le législateur est censé être rationnel et cohérent dans sa législation. Le législateur est en effet présumé être logique avec lui-même et vouloir que les dispositions d’une loi s’harmonisent entre elles et non qu’elles se heurtent.
[74] Dans son ouvrage intitulé Interprétation des lois , Pierre-André Côté écrit ce qui suit :
Comme la méthode littérale est fondée sur la présomption de l’aptitude du législateur à transmettre correctement sa pensée par le truchement de la formule légale, la méthode systématique et logique s’appuie sur l’idée que le l’auteur de la loi est un être rationnel : la loi qui manifeste la pensée du législateur rationnel, est donc réputée refléter une pensée cohérente et logique et l’interprète doit préférer le sens d’une disposition qui confirme le postulat de la rationalité du législateur plutôt que celui qui crée des incohérences, des illogismes ou des antinomies dans le loi.
[75] Selon le soussigné, l’approche retenue jusqu’ici par le tribunal est certes défendable sur le plan de l’analyse grammaticale. Elle ne l’est pas, pour les raisons déjà expliquées, lorsqu’on la soumet à la méthode d’interprétation contextuelle préconisée par les plus hautes juridictions. [sic]
[21] La soussignée souscrit entièrement à ce raisonnement et juge pertinent d’ajouter, comme le tribunal le précisait dans l’affaire Rôtisserie St-Hubert (10520 Lajeunesse)[5], que cette analyse est en tout point conforme à ce qui se dégage des nombreuses dispositions concernant le régime de financement notamment aux dispositions suivantes :
283. La Commission tient des comptes distincts pour chaque employeur, mais l'actif du Fonds est indivisible pour le paiement des prestations.
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1985, c. 6, a. 283; 1996, c. 70, a. 8; 2002, c. 76, a. 30.
284. La Commission choisit son mode de financement d'après la méthode qu'elle estime appropriée pour lui permettre de faire face à ses dépenses au fur et à mesure de leur échéance et d'éviter que les employeurs soient injustement obérés par la suite à cause des paiements à faire pour des lésions professionnelles survenues auparavant.
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1985, c. 6, a. 284; 1988, c. 34, a. 1.
285. La Commission évalue à la fin de chaque année le montant de la réserve actuarielle requise compte tenu du mode de financement qu'elle a choisi.
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1985, c. 6, a. 285.
286. L'évaluation de la réserve actuarielle et les expertises actuarielles visées aux articles 304, 314 et 454 sont faites par un actuaire membre de l'Institut canadien des actuaires qui a le titre de « fellow » ou un statut que cet institut reconnaît comme équivalent.
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1985, c. 6, a. 286; 1989, c. 74, a. 1.
[nos soulignements]
[22] Le tribunal indiquait alors ce qui suit :
[35] Il appert de ces dispositions que le législateur fait clairement une différence entre les lésions imputables à l’employeur et les lésions antérieures imputables aux autres employeurs. Il est donc tout à fait injuste de faire supporter au présent employeur le coût des prestations déjà imputées à un autre employeur, pour lesquelles la CSST a déjà facturé à cet employeur avec des provisions actuarielles nécessaires au paiement des prestations versées.
[36] Les dispositions ayant trait au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu font partie d’un objectif distinct de la loi visant la réparation des conséquences d’une lésion professionnelle. Les dispositions quant au financement visent plutôt à imputer les prestations qui sont attribuables aux lésions professionnelles au dossier de l’employeur responsable.
[37] À l’instar de la décision dans l’affaire J.M. Bouchard et Fils , le présent tribunal se distingue également de la thèse majoritaire en ce qu’une telle interprétation ne tient pas compte du contexte global des dispositions relativement au financement du régime dans son interprétation de la notion de prestations à l’alinéa 1 de l’article 326 de la loi.
[38] Au surplus, une telle interprétation entraîne un effet pervers allant à l’encontre de l’objectif de réadaptation prévu à la loi. En effet, il est déjà difficile pour un travailleur de se trouver un emploi convenable lorsqu’il a des limitations fonctionnelles. Si on impose un possible fardeau financier à un employeur subséquent en lui imputant les indemnités de remplacement du revenu réduites résultant d’un accident du travail dont il n’est pas responsable, on ne facilitera pas la tâche du travailleur dans la recherche d’un emploi sur le marché du travail.
[39] Cette façon de faire peut entraîner des craintes chez un employeur éventuel qu’elles soient expressément manifestées ou non.
[40] À cet égard, la Commission des lésions professionnelles a déjà soulevé dans l’affaire Groupe Morrisette autos inc. , certains propos qui soutiennent le raisonnement du présent tribunal, et ce, bien que la question en litige dans ce dossier diffère. Le tribunal estime pertinent d’en citer quelques extraits :
[51] En effet, la CSST cotise chaque année les employeurs pour couvrir les dépenses qu’elle encourra dans l’avenir, au regard des lésions professionnelles survenant dans l’année de cotisation.
(…)
[53] La tenue de comptes distincts et la juste imputation des coûts au dossier des employeurs, dans le respect des règles instaurées, sont des éléments fondamentaux pour garantir l’équité entre les employeurs cotisant au régime d’assurance.
[54] En effet, tel que le prévoit l’article 284 de la loi, la CSST doit faire face à ses dépenses au fur et à mesure de leur échéance pour éviter que les employeurs soient injustement obérés par la suite à cause des paiements à faire pour des lésions professionnelles survenues auparavant.
(…)
[55] Ainsi, chaque génération d’employeurs ne doit supporter que les coûts qui lui sont propres. Le législateur a mis en place diverses règles pour atteindre cet objectif. À cet effet, il a notamment prévu qu’un employeur bénéficie d’un délai limité de trois ans pour présenter une demande d’imputation des coûts d’une lésion professionnelle, en vertu de l’article 329 de la loi.
[41] Le tribunal ne croit donc pas que la notion de prestations prévue à l’article 326 de la loi alinéa 1, inclut les prestations versées pour une lésion professionnelle qui n’est pas attribuable au présent employeur. Au surplus, la situation précise du présent dossier entraîne une situation d’injustice, c’est-à-dire une situation étrangère aux risques que l’employeur doit supporter étant donné que la majeure partie de la portion des indemnités de remplacement du revenu qui lui sont imputées relève d’une lésion professionnelle antérieure chez un autre employeur. Cette proportion des coûts est attribuable à cette situation d’injustice et est significative par rapport aux coûts découlant de l’indemnité de remplacement du revenu versée dans l’accident en cause.
[42] Par ailleurs, la CSST a déjà facturé l’employeur précédent et effectué les provisions actuarielles nécessaires en tenant compte des dispositions de la loi.
[23] Ainsi, compte tenu de ce qui précède, le tribunal conclut que la CSST doit imputer au dossier financier de l’employeur uniquement les indemnités de remplacement du revenu calculées sur la base salariale établie en raison de l’emploi qu’exerçait alors le travailleur chez celui-ci le 7 juillet 2011.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de l’employeur, Gestions Jean Leblond ltée ;
INFIRME la décision de la CSST rendue le 7 novembre 2011 à la suite d’une révision administrative ;
DÉCLARE que la CSST doit imputer au dossier financier de l’employeur, Gestions Jean Leblond ltée, uniquement la partie de l’indemnité de remplacement du revenu versée à monsieur Ghislain Bergeron, le travailleur, qui correspond au salaire que celui-ci gagnait lorsqu’il a subi un accident du travail à son service le 7 juillet 2011.
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Sylvie Moreau |
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Me Nicolas Dallaire |
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NDC Soutien juridique aux employeurs |
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Représentant de la partie requérante |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Shink et Transforce inc., C.L.P.
[3] Bond et O.T.J. Rivière-au-Renard inc., C.L.P.,
[4] C.L.P.
[5] C.L.P. 461361-71-1007, 8 mars 2011, C. Burdett.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.