Décision

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3428826 Canada Ltd. c. Cour du Québec

2022 QCCS 3180

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

montréal

 

No :

500-17-109453-194

 

DATE :

25 août 2022

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

AZIMUDDIN HUSSAIN, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

3428826 CANADA LTD.

Demanderesse

c.

COUR DU QUÉBEC

-et-

VILLE DE MONTRÉAL

Défenderesse

-et-

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU QUÉBEC

Mis en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

(CONTRÔLE JUDICIAIRE, TAXATION MUNICIPALE DES IMMEUBLES)

______________________________________________________________________


 

Table des matières

I. APERÇU ……………………………………………………………………………

II. ANALYSE ……………………………………………………………………………

A. LES NORMES À APPLIQUER PAR LA COUR DU QUÉBEC ET PAR LA COUR SUPÉRIEURE

B. LA DÉCISION DU TAQ ET LE CARACTÈRE RAISONNABLE DU JUGEMENT DE LA COUR DU QUÉBEC EN APPEL DE LA DÉCISION…………………….5

1. DÉCISION DU TAQ…………………………………………………………….5

2. JUGEMENT DE LA COUR DU QUÉBEC……………………………………8

a. Norme appliquée par la Cour du Québec……………………………8

b. Le caractère raisonnable du jugement de la Cour du Québec…….9

c. Critiques de la Cour du Québec à l’égard de la décision du TAQ.

III. CONCLUSION ………………………………………………………………………….

DISPOSITIF…………………………………………………………………………………….19

 

I.                    APERÇU

[1]                Ce pourvoi en contrôle judiciaire traite d’une question dans le domaine de la taxation municipale des immeubles. L’hôtel en question ferme ses portes au grand public un an pendant les rénovations majeures. C’est une trame factuelle apparemment inédite en jurisprudence qui mène à la question de savoir quelle est la catégorie de taxation applicable en vertu de la Loi sur la fiscalité municipale (LFM)[1] aux fins de l’évaluation foncière municipale pendant cette période.

[2]                La demanderesse 3428826 Canada Ltd. exploite l’hôtel Fairmont le Reine Élizabeth (« Hôtel »), immeuble situé au centre-ville de Montréal (« Immeuble »), dont la demanderesse est le propriétaire. L’Hôtel compte plus de 1000 chambres réparties sur 21 étages. L’Immeuble a été construit en 1958 et l’Hôtel est en activité constante jusqu’au début de ses rénovations en juin 2016.

[3]                La demanderesse conteste son inscription par la défenderesse Ville de Montréal (« Ville ») au rôle municipal d’évaluation foncière dans la catégorie immeuble non résidentiel (« INR ») pendant la durée des travaux majeurs dont l’Immeuble fait l’objet entre juin 2016 et le printemps 2017 alors que L’Hôtel est fermé.

[4]                La demanderesse plaide que l’Immeuble devrait être classé dans la catégorie dite résiduelle pour la période des travaux, et non dans la catégorie INR. Les immeubles tombant dans la catégorie résiduelle bénéficient d’un taux de taxation plus bas comparé au taux de la catégorie INR. La Ville est d’avis que l’Immeuble conserve les caractéristiques physiques requises pour maintenir son inscription au rôle dans la catégorie INR : il était un hôtel depuis sa construction et il le demeure après les travaux.

[5]                La demanderesse conteste l’inscription INR devant le Tribunal administratif du Québec—section des affaires immobilières (« TAQ »). Le TAQ rejette le recours de la demanderesse[2].

[6]                La Cour du Québec rejette l’appel de cette décision[3]. La demanderesse saisit la Cour supérieure d’un pourvoi en contrôle judiciaire du jugement de la Cour du Québec au motif que le jugement de la Cour du Québec est raisonnable. Pour les motifs élaborés ci-dessous, le Tribunal rejette le pourvoi.

II.                  ANALYSE

A.             LES NORMES À APPLIQUER PAR LA COUR DU QUÉBEC ET PAR LA COUR SUPÉRIEURE

[7]                Le dossier soulève une question quant à la norme appliquée par la Cour du Québec lors de l’appel par la demanderesse de la décision du TAQ, et la norme à appliquer au jugement de la Cour du Québec par la Cour supérieure siégeant en contrôle judiciaire.

[8]                Le juge de la Cour du Québec dans le présent dossier applique la norme de la décision raisonnable lorsqu’il siège en appel de la décision du TAQ. Or, après ce jugement, la Cour suprême du Canada émet son jugement dans l’affaire Vavilov [4], lequel procède à un remaniement du cadre d’analyse de la norme de contrôle en droit administratif.

[9]                Il s’avère que la norme appliquée par le juge n’est pas la bonne. Plutôt que la norme de la décision raisonnable, la Cour du Québec est censée appliquer la norme habituelle en matière d’appel[5], vu l’appel statutaire prévu à la Loi sur la justice administrative[6].

[10]           Donc, en matière d’appel d’une décision du TAQ, la Cour du Québec est censée appliquer la norme de décision correcte concernant les questions de droit, la norme d’erreur manifeste et déterminante concernant les questions de fait et la même norme concernant les questions mixtes de fait et de droit en l’absence d’un principe juridique facilement isolable[7].

[11]           Le juge de la Cour du Québec, ne sachant évidemment pas en août 2019, lors du jugement dans le présent dossier, que le droit administratif allait être remanié par la Cour suprême du Canada en décembre 2019, a donc appliqué ce qui se révèle dorénavant, la mauvaise norme.

[12]           La Cour supérieure, quant à elle, est censée aujourd’hui appliquer la norme de la décision raisonnable en contexte du pourvoi de contrôle judiciaire du jugement de la Cour du Québec[8]. Cependant, que faire lorsque le Tribunal constate l’erreur commise par la Cour du Québec au regard de la norme applicable? La Cour d’appel formule la question ainsi : « il faut se demander si la Cour du Québec a exercé sa fonction d’appel de manière raisonnable eu égard aux normes applicables en appel et à la nature des questions qu’elle devait trancher »[9].

[13]           Comme expliqué récemment par le juge Bélanger, lorsque le Tribunal constate l’erreur commise au regard de la norme appliquée par la Cour du Québec, il jouit d’un large pouvoir discrétionnaire en matière de réparation[10]. Il peut renvoyer le dossier à la Cour du Québec afin que soit appliquée la bonne norme de contrôle aux questions soulevées ou le Tribunal « peut favoriser le dénouement immédiat du différend et intervenir afin d’infirmer, de corriger ou de confirmer » le jugement de la Cour du Québec[11].

[14]           Bien que cette dernière option soit exceptionnelle, elle est à favoriser lorsque l’écoulement du temps et l’intérêt de la justice le justifient[12]. Par ailleurs, la Cour d’appel a déjà infirmé un jugement de la Cour supérieure qui prévoyait le renvoi du dossier à la Cour du Québec à la suite de l’application de la mauvaise norme de contrôle par cette dernière[13]. La Cour d’appel précise que même si le juge de la Cour du Québec a rendu son jugement avant Vavilov, « sa conclusion aurait été la même s’il avait appliqué strictement les normes des tribunaux d’appel et elle est donc raisonnable »[14].

[15]           Dans cette optique, le Tribunal conclut que l’écoulement du temps et l’intérêt de la justice justifient un dénouement immédiat du différend. Bien que la demanderesse fasse la demande de renvoi à la Cour du Québec pour que cette instance puisse appliquer les normes des tribunaux d’appel, comme la Cour suprême l’a affirmé dans Vavilov, le Tribunal estime qu’en l’instance l’application de ces normes ne produira pas une conclusion différente.

[16]           La question à trancher par le Tribunal dans ce dossier du pourvoi en contrôle judiciaire est donc de savoir si la Cour du Québec a exercé sa fonction d’appel de manière raisonnable, eu égard aux normes applicables en appel et à la nature des questions qu’elle devait trancher.

B. LA DÉCISION DU TAQ ET LE CARACTÈRE RAISONNABLE DU JUGEMENT DE LA COUR DU QUÉBEC EN APPEL DE LA DÉCISION

1. DÉCISION DU TAQ

[17]           Afin de comprendre le caractère raisonnable du jugement de la Cour du Québec, il faut d’abord analyser la décision du TAQ. Le TAQ, siégeant en formation de deux juges administratifs de la section des affaires immobilières, tranche la question de savoir si, par l’envergure des travaux ou l’abandon de son attestation d’hébergement, l’Immeuble demeure de catégorie INR ou devient catégorie résiduelle[15]. Le TAQ rejette la contestation par la demanderesse de la catégorie de taxation INR retenue par la Ville.

[18]           Le TAQ prend en compte le cadre législatif établi par la LFM et les deux dispositions clés quant à la catégorie de taxation applicable dans ce dossier, à savoir les articles 244.30 et 244.31 al. 1 (notre soulignement) :

244.30 Pour l’application de la présente section, les catégories d’immeubles sont :

    celle des immeubles non résidentiels;

    celle des immeubles industriels;

    celle des immeubles de six logements ou plus;

    celle des terrains vagues desservis;

4.0.1°   celle des immeubles forestiers;

4.1°    celle des immeubles agricoles;

    celle qui est résiduelle. 

244.31 Aux fins de déterminer la composition de la catégorie des immeubles non résidentiels, on tient compte du groupe comprenant les unités d’évaluation qui comportent un immeuble non résidentiel ou un immeuble résidentiel dont l’exploitant doit être le titulaire d’une attestation de classification délivrée en vertu de la Loi sur les établissements d’hébergement touristique (chapitre E-14.2) à l’égard d’un établissement autre qu’un établissement de pourvoirie ou de résidence principale.

[…]

[19]           On doit comprendre des deux volets de l’article 244.31 LFM que le concept de l’immeuble non résidentiel se définit par le terme lui-même ou bien comme un immeuble résidentiel devant détenir une attestation de classification d’établissement touristique. L’article 244.32, quant à lui, prévoit qu’on entend par immeuble non résidentiel « tout tel immeuble […] et tout immeuble résidentiel visé au premier alinéa de l’article 244.31 ». Cette définition est plutôt circulaire et elle ne fournit pas beaucoup de critères pour aider à comprendre ce qui constitue un immeuble résidentiel et un immeuble non résidentiel. Cette observation est pertinente pour déterminer si le TAQ a fait une erreur de droit dans sa compréhension du concept de l’immeuble non résidentiel. Nous y reviendrons.

[20]           L’attestation dont il est question dans le deuxième volet de l’article 244.31 LFM est celle prévue par la Loi sur les établissements d’hébergement touristique (LEHT)[16]. Pendant les travaux qui débutent en juin 2016, l’Hôtel abandonne son attestation de classification délivrée en vertu de la LEHT, par le fait même d’avoir cessé toute activité. Le TAQ conclut que la perte de l’attestation en vertu de la LEHT ne change rien à la nature de l’Immeuble en tant que INR sous l’article 244.30 LFM[17]. L’Hôtel n’a jamais été un immeuble résidentiel et ne le devient pas pendant que son attestation d’hébergement est suspendue ou abandonnée temporairement.

[21]           Toujours sur le plan statutaire et pour considérer les arguments de la demanderesse, le TAQ aborde la question, en vertu de la LFM, de la possibilité de modifier la catégorie de taxation de l’Immeuble en raison de travaux majeurs[18]. Il répond par la négative.

[22]           Le TAQ prend en compte l’article 174 paragraphe 6 LFM, mais il constate que cette disposition prévoit la modification de la valeur, et non de la catégorie de taxation, en cas de travaux majeurs[19]. Dans le même passage, le TAQ discute du paragraphe 13.1.1 de l’article 174 LFM. Il conclut que cette disposition ne prescrit pas de changement en cas de travaux majeurs.

[23]           Le TAQ fait référence à l’ancienne version de l’article 32 LFM mais conclut que la disposition n’appuie pas la position de la demanderesse[20]. La disposition permet qu’un bâtiment ne soit pas porté au rôle d’évaluation foncière lorsqu’il n’est pas « substantiellement terminé ou substantiellement occupé aux fins de sa destination initiale ou d’une nouvelle destination ». Le deuxième alinéa, abrogé depuis 1988, prévoyait l’application de l’article aussi à un bâtiment qui fait l’objet d’une modification ou d’une transformation.

[24]           Finalement, le TAQ considère[21] l’article 244.59 LFM, qui prévoit le droit à un dégrèvement au bénéfice du débiteur « tenant compte du fait que l’unité ou un local non résidentiel de celle-ci est vacant ». Cependant, la disposition exige que la municipalité adopte un règlement pour prévoir un tel dégrèvement. Aucun règlement de ce type ne serait applicable dans le présent dossier.

[25]           Voilà donc l’analyse faite par le TAQ du cadre législatif applicable à la question en litige. Quant à l’application de la LFM et de la jurisprudence pertinente de la Cour d’appel aux faits du dossier, le TAQ examine la vocation et la raison d’être de l’Immeuble afin de déterminer la réalité objective et l’utilisation effective de l’Immeuble[22].

[26]           Le TAQ prend en compte le fait que l’Immeuble est exploité depuis sa construction en 1958 dans le domaine de l’hôtellerie[23]. À cette fin, l’Immeuble fait l’objet de rénovations pratiquement aux sept ans[24].

[27]           Le TAQ prend acte du fait que les parties s’entendent pour dire qu’il ne faut pas se baser sur la destination future pour déterminer la catégorie de taxation de l’Immeuble[25]. Le TAQ ajoute « encore faut-il analyser la situation à la date d’évaluation en fonction de ce qui est connu et des prévisions du propriétaire »[26].

[28]           Quant à la preuve, le TAQ conclut que l’Immeuble « est un hôtel faisant l’objet de rénovations majeures ayant pour but de maintenir sa vocation et de lui redonner ses notes de noblesses dans l’industrie hôtelière »[27]. Il constate que l’Hôtel est « destiné à rouvrir incessamment »[28].

[29]           Après avoir traité du droit, de la preuve pertinente, et de l’application du droit à la preuve, le TAQ traite de l’argument dit d’équité. Il note la position de la demanderesse « qui trouve inéquitable qu’un immeuble à ce point dégarni et ne générant aucun revenu conserve le même taux de taxation que s’il était en activité »[29].

[30]           Pour préciser, les rénovations impliquent des travaux de dégarnissage et de reconstruction. Comme les experts de la demanderesse le décrivent dans une section non contestée de leur rapport d’expertise, « La quasi-totalité du bâtiment occupée par l’établissement est dégarni des aménagements existants »[30].

[31]           Le TAQ rappelle que si l’Hôtel était en activité, sa valeur serait beaucoup plus élevée que celle convenue entre les parties pour les rôles contestés[31]. La valeur de l’Immeuble est donc réduite pendant les travaux, bien que le taux de taxation ne le soit pas, vu la catégorie de taxation.

[32]           Toujours en lien avec l’argument d’équité, le TAQ commente une conséquence inéquitable de la position de la demanderesse. Il note que, s’il donne gain de cause à la demanderesse et qu’il déclare que l’Immeuble n’est pas considéré INR pendant les travaux, le fait de classer l’Immeuble dans la catégorie résiduelle prévue au paragraphe 5 de l’article 244.30 LFM entraînerait, à son tour, une iniquité envers les immeubles déjà classés dans la catégorie résiduelle. Ces immeubles, comme les propriétés résidentielles, demeurent dans la catégorie résiduelle malgré des travaux majeurs que leurs propriétaires pourraient entreprendre, et n’auront donc pas le bénéfice d’être classés à un taux encore inférieur de taxation.

[33]           Le fait d’accepter cet argument basé sur l’équité visant un reclassement à la catégorie résiduelle favoriserait donc les INR au détriment des immeubles déjà dans la catégorie résiduelle[32]. Le TAQ conclut qu’il « se doit de rendre une décision en droit et non en équité »[33].

[34]           Le TAQ rejette le recours de la demanderesse.

2. JUGEMENT DE LA COUR DU QUÉBEC

[35]           Le juge Piazza de la Cour du Québec tranche l’appel de la demanderesse en le rejetant après une analyse étoffée[34]. Ce faisant, et comme il est mentionné ci-dessus, le juge n’applique pas la bonne norme de contrôle à la lumière du jugement Vavilov. Il était censé appliquer la norme des tribunaux d’appel alors qu’il applique la norme de la décision raisonnable.

[36]           Dans l’analyse ci-dessous du jugement du juge Piazza, le Tribunal tient compte de la question formulée par la Cour d’appel dans le contexte d’un pourvoi en contrôle judiciaire, à savoir si la Cour du Québec a exercé sa fonction d’appel de manière raisonnable, eu égard aux normes applicables en appel et à la nature des questions qu’elle devait trancher[35].

a. Norme appliquée par la Cour du Québec

[37]           Bien que la Cour du Québec applique la norme de la décision raisonnable en examinant la décision du TAQ, alors qu’elle aurait dû appliquer les normes des tribunaux d’appel, le Tribunal est convaincu qu’elle a exercé sa fonction d’appel de manière raisonnable. À la lumière de la question à trancher et du raisonnement du TAQ menant à sa conclusion, la Cour du Québec aurait rejeté l’appel de la demanderesse même si les normes des tribunaux d’appel étaient appliquées.

[38]           Pour rappeler, la question en litige devant le TAQ était de savoir si, par l’envergure des travaux ou l’abandon de son attestation d’hébergement, l’Immeuble demeure de catégorie INR ou devient catégorie résiduelle[36]. C’est une question mixte de fait et de droit. La Cour suprême précise que les questions mixtes de fait et de droit « supposent l’application d’une norme juridique à un ensemble de faits »[37]. Dans le présent dossier, il faut appliquer les critères statutaires en vertu de la LFM et les principes jurisprudentiels pertinents à la situation factuelle de l’Immeuble pour arriver à une conclusion sur la catégorie de taxation applicable à celle-ci.

[39]           Lors de l’appel, la Cour du Québec est censée déterminer si le TAQ commet une erreur manifeste et déterminante quand elle tranche cette question mixte de fait et de droit. S’il y a un principe juridique facilement isolable de la question mixte, la Cour du Québec est alors censée appliquer la norme de décision correcte.

[40]           Après l’analyse du jugement de la Cour du Québec à la lumière des arguments exhaustifs de la demanderesse faisant référence aux faits et au droit, le Tribunal conclut qu’il n’y a aucune erreur manifeste et déterminante dans la décision du TAQ. La Cour du Québec ne pouvait donc pas repérer d’erreur. Il n’y a non plus aucune erreur de droit dans l’interprétation par le TAQ des dispositions statutaires et des enseignements jurisprudentiels applicables, si tant est que le principe juridique est facilement isolable de la question mixte.

b. Le caractère raisonnable du jugement de la Cour du Québec

[41]           Pour déterminer si la Cour du Québec a exercé sa fonction d’appel de manière raisonnable, le Tribunal ne se livre pas à une analyse de novo[38]. La déférence est de mise[39]. Le caractère raisonnable d’une décision implique qu’on doit être capable de comprendre le raisonnement sur le point central[40] et cette décision doit être justifiée au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents[41].

[42]           Le Tribunal note que le jugement de la Cour du Québec est encore plus exhaustif que la décision du TAQ. C’est un facteur qui joue dans l’appréciation de son caractère raisonnable.

[43]           Par exemple, le TAQ fait référence à l’arrêt Vigi Santé comme source de critères à appliquer en matière de qualification d’immeuble[42]. Or, la Cour du Québec cite un long extrait de l’arrêt en soulignant les mots clés qui peuvent servir à guider l’exercice de la qualification de l’Immeuble[43]. Elle enchaîne avec une discussion de la définition du dictionnaire des mots « résidence », « résidentiel » et « résider », pour ensuite arriver à la conclusion que le TAQ avait raison de conclure que l’Immeuble n’est pas résidentiel, ne l’a jamais été et ne le devient pas en raison de l’abandon de l’attestation délivrée en vertu de la LEHT[44].

[44]           Cette conclusion est faite dans le contexte de l’argument de la demanderesse misant beaucoup sur le deuxième volet de l’article 244.31 LFM, tel qu’il est souligné dans cet extrait : « immeuble non résidentiel ou immeuble résidentiel dont l’exploitant doit être le titulaire d’une attestation […] [en vertu de la LEHT] ». La demanderesse affirme que c’est ce deuxième volet qui s’applique à elle. L’essentiel de son argument se décline comme suit : puisqu’un immeuble résidentiel qui est obligé d’avoir l’attestation en vertu de la LEHT est un INR, alors a contrario, un immeuble qui n’est pas obligé de l’avoir (comme l’Hôtel pendant les travaux majeurs impliquant l’arrêt des activités de l’entreprise), est un immeuble résidentiel. Le TAQ et la Cour du Québec rejettent cet argument, à juste titre.

[45]           Puisque la demanderesse réitère ce même argument, et puisqu’elle conteste son rejet par  le TAQ et la Cour du Québec, le Tribunal s’y attarde pour exposer son absence de fondement.

[46]           D’abord, le deuxième volet de l’article 244.31 LFM exige qu’on soit en présence d’un immeuble résidentiel : « immeuble résidentiel dont […]». Ce n’est pas le cas, et la Cour du Québec explique pourquoi en invoquant les définitions du dictionnaire. C’est dans un deuxième temps qu’on détermine si cet immeuble résidentiel doit être le titulaire d’une attestation en vertu de la LEHT. Mais dans la mesure où on n’est pas en présence d’un immeuble résidentiel, il est sans pertinence que la demanderesse ait abandonné son attestation. L’abandon de l’attestation ne convertit pas l’immeuble en quelque chose qu’il n’a jamais été.

[47]           Ensuite, toujours dans le contexte de cet argument de la demanderesse, le Tribunal note les paragraphes 34.1-34.3 de son Pourvoi en contrôle judiciaire modifié. La demanderesse fait référence à son rapport d’expertise[45], rédigé par deux évaluateurs agréés, et affirme qu’on doit retenir du rapport que « les établissements hôteliers offrant uniquement des séjours de longue durée n’ont aucune obligation de détenir une attestation de classification et seront conséquemment inclus dans la catégorie résiduelle au sens de l’article 244.30 LFM en tant qu’immeuble résidentiel »[46].

[48]           On pourrait s’arrêter là : la preuve n’établit pas que l’Hôtel offre uniquement des séjours de longue durée, elle établit au contraire que les séjours sont aussi de courte durée, et le reste de l’affirmation citée ci-dessus est donc non pertinente. Par ailleurs, quand on consulte la page du rapport d’expertise à laquelle la demanderesse fait référence pour montrer qu’il y a des établissements hôteliers à Montréal offrant des « longs séjours », on voit que chacun de ces hôtels est inscrit dans la catégorie INR[47]. La référence à l’expertise se retourne donc contre la demanderesse et on ne voit pas comment son argument est plus convaincant à partir de ce passage de l’expertise.

[49]           La demanderesse persiste au paragraphe 34.2 de son Pourvoi: « Cela confirme donc la thèse de la demanderesse selon laquelle les hôtels sont des immeubles résidentiels par nature, mais qu’ils sont assujettis à la catégorie INR par la fiction légale de l’article 244.32 LFM ». C’est une conclusion qui ne découle pas logiquement de la prémisse qui la précède.

[50]           Si les établissements hôteliers offrant uniquement des séjours de longue durée sont inclus dans la catégorie résiduelle en tant qu’immeubles résidentiels, en quoi cela confirme-t-il que tous les hôtels sont des immeubles résidentiels par nature? Et comment cet état « par nature », une fausse description, serait-il modifié par « la fiction légale » de l’article 244.32 LFM?

[51]           Comme il est indiqué dans la section B.1 ci-dessus, l’article 244.32 LFM ne crée pas une fiction légale. La disposition ne fait pas l’exercice de « suppose[r] l’existence d’un fait ou d’une situation juridique différents de la réalité afin de pouvoir en tirer les conséquences juridiques »[48]. Au contraire - et le Tribunal le mentionne ci-dessus -, la disposition fournit une définition d’immeuble non résidentiel qui est plutôt circulaire[49] et ne suppose assurément pas l’existence d’une situation juridique différente de la réalité. Qui plus est, le fait de fournir une définition circulaire nécessite l’exercice entrepris par la Cour du Québec pour déceler le sens commun du concept en consultant la définition du dictionnaire. En d’autres mots, l’exercice implique la recherche du sens du concept juridique qui serait en phase avec la réalité et non différent de la réalité.

[52]           L’argument de la demanderesse portant sur la question de la durée du séjour et de l’attestation en vertu de la LEHT est dépourvu de logique interne, à sa lecture même. Tout ce qu’on peut conclure de la prémisse affirmée au paragraphe 34.1 du Pourvoi, si tant est que chaque composante de l’affirmation est exacte, c’est que les établissements offrant uniquement des séjours de longue durée sont des immeubles résidentiels par nature. L’argument ne convainc toujours pas car la preuve n’établit pas que l’Hôtel offre uniquement des séjours de longue durée.

[53]           Finalement, au paragraphe 34.3 de son Pourvoi, la demanderesse cite un extrait du témoignage de l’évaluateur de la Ville qui répond « oui » à la question de savoir si l’immeuble « devient » résidentiel s’il est sans attestation, que le propriétaire ne peut donc faire la location à court terme et qu’il fait alors la location à long terme. Ce n’est pas un aveu irréfutable et voici pourquoi.

[54]           Une fois de plus, la demanderesse ne réussit pas à établir que tous les hôtels sont des immeubles résidentiels par nature, à l’origine. Au contraire, quand on regarde l’échange du contre-interrogatoire avec le témoin dans son contexte, on constate que le point de départ dans le cas de figure discuté entre le témoin et l’avocat, c’est l’immeuble qui, à l’origine, est résidentiel. Cet immeuble devient commercial lorsqu’il reçoit son attestation. La demanderesse elle-même utilise le verbe « redevient » dans un échange avant le passage cité. On comprend pourquoi. Un immeuble qui était résidentiel mais qui est devenu INR avec l’attestation puisque son propriétaire fait la location à court terme, un tel immeuble redevient résidentiel s’il perd son attestation.

[55]           Mais encore faut-il qu’il ait été un immeuble résidentiel à l’origine. Retour à la case départ : la demanderesse ne réussit pas à établir que l’Immeuble, à l’origine, est résidentiel.

[56]           Enfin, il n’existe pas d’aveu en droit et l’opinion de l’évaluateur de la Ville, si tant est qu’on puisse donner une valeur probante à celle-ci, ne peut donc être retenue.

[57]           Le TAQ et la Cour du Québec ont raison de rejeter l’argument basé sur le deuxième volet de l’article 244.31 LFM. Le TAQ ne fait pas d’erreur dans l’application de cette disposition aux faits, et elle ne fait pas d’erreur de droit dans sa compréhension de cette disposition. La Cour du Québec conclut raisonnablement, voire correctement, que la question de l’abandon de l’attestation délivrée en vertu de la LEHT durant les travaux n’était pas pertinente au sujet de la catégorie de taxation[50]. La demanderesse en fait trop; son argument est basé sur un raisonnement dépourvu de logique interne.

[58]           On peut faire référence à un autre exemple de caractère exhaustif, et donc raisonnable, de l’analyse faite par la Cour du Québec.

[59]           Pour répondre à la plainte de la part de la demanderesse selon laquelle le TAQ passe sous silence deux autorités qui seraient clés pour les arguments de la demanderesse, la Cour du Québec aborde ces deux autorités directement.

[60]           Les deux autorités saillantes sur lesquelles la demanderesse s’appuie devant le TAQ sont des décisions antérieures du TAQ lui-même. Bien que ces décisions ne traitent pas d’une trame factuelle semblable à celle du présent dossier, la demanderesse tient à leur pertinence.

[61]           La Cour du Québec conclut que ces décisions n’appuient pas la position de la demanderesse[51], l’une qui contient une mise en garde explicite quant à son application à une trame factuelle différente (l’Affaire presbytère)[52], et l’autre qui a été infirmée par la Cour du Québec, d’ailleurs par le juge Piazza lui-même, quoique après la décision du TAQ dans le présent dossier (Kanasuta)[53].

[62]           L’analyse de la Cour du Québec des deux autorités sur lesquelles la demanderesse s’appuie autant est non seulement raisonnable comme étant l’une des issues possibles acceptables, mais le Tribunal est d’accord avec l’analyse, lestimant  juridiquement correcte et comme étant la seule issue possible. Puisque la demanderesse a aussi plaidé ces deux précédents devant le Tribunal, il est opportun d’ajouter à l’analyse faite par la Cour du Québec pour ainsi démontrer que les deux décisions ne sont pas d’un grand secours pour la demanderesse.

[63]           Dans l’Affaire presbytère, le TAQ radie la mention de l’immeuble dans la catégorie INR inscrite par la Ville. La demanderesse trouve une source d’appui dans le raisonnement du TAQ, notamment quand il dit que « l’immeuble en cause ne pouvait être un immeuble non résidentiel avant que les travaux majeurs de dégarnissage et de transformation n’aient été menés à terme »[54].

[64]           Le TAQ conclut dans l’Affaire presbytère qu’un immeuble qui ne peut être utilisé à quelque fin que ce soit pendant les travaux « n’est ni un immeuble résidentiel, ni un immeuble non résidentiel », c’est donc « un immeuble d’un type innommé »[55]. Or, il ne faut pas perdre de vue que cette conclusion est faite dans un contexte particulier.

[65]           Ce contexte particulier est que l’immeuble en question était résidentiel à l’origine[56], qu’il a été vacant quelques années et qu’ensuite il a été transformé à des fins commerciales. L’immeuble est vacant à cause, entre autres, de la présence d’amiante, qui rend impossible l’utilisation de l’immeuble à quelque fin que ce soit avant l’achat. Le nouveau propriétaire obtient, après l’achat, l’autorisation de l’arrondissement de construire une garderie au rez-de-chaussée et au sous-sol, et des bureaux à l’étage supérieur.

[66]           C’est la transformation de l’immeuble d’une destination à une autre qui constitue l’un des facteurs saillants qui distinguent l’Affaire presbytère du présent dossier. La Ville s’empresse de modifier la catégorie de taxation du presbytère au moment de l’achat, alors que la transformation n’est ni achevée, ni entamée, ni même autorisée. Le TAQ conclut, et c’est logique, que l’immeuble ne tombe pas dans la catégorie INR avant que les travaux soient « substantiellement terminés aux fins de sa nouvelle destination »[57].

[67]           C’est un contexte tout à fait distinct de l’Hôtel dans le présent dossier. L’Immeuble sert à l’activité d’hôtellerie avant les travaux et il sert aussi à cette activité après les travaux. Rien ne change quant à la destination. Le raisonnement du TAQ dans l’Affaire presbytère ne s’applique pas.

[68]           D’ailleurs, le TAQ lui-même énonce une mise en garde contre l’exercice auquel se livre la demanderesse. Sa mise en garde est claire : « Malgré le caractère très général de la question, le Tribunal n’a pas l’intention d’apporter une réponse universelle qui pourrait servir de guide dans tous les cas où un bâtiment fait l’objet de travaux majeurs »[58].

[69]           Comme indiqué plus haut, la Cour du Québec a raison de souligner cette mise en garde comme source de distinction, et le Tribunal est d’accord avec le juge Piazza que  d’autres distinctions évidentes font  en sorte que l’Affaire presbytère ne constitue pas une autorité clé pour la demanderesse.

[70]           Quant à l’affaire Kanasuta[59], aussi évoquée par la demanderesse, l’utilité est encore moins évidente. Le TAQ radie la classification INR pour des chalets à caractère résidentiel destinés à la location touristique et exploités comme tels. Cette radiation se fait parce que l’immeuble n’est pas titulaire d’une attestation délivrée en vertu de la LEHT.

[71]           Or, la Cour du Québec siégeant en appel de cette décision corrige le raisonnement en précisant que ce n’est pas le fait ou non d’être titulaire de l’attestation qui influence le choix de classification, mais c’est plutôt l’obligation légale incombant à ces chalets d’être titulaires de l’attestation qui anime la détermination de la catégorie de taxation. Lorsqu’il y a l’obligation légale d’être titulaire, dictée par le fait que l’immeuble originellement de caractère résidentiel est exploité à des fins de location touristique (c’est-à-dire à court séjour), il y a alors classification comme INR.

[72]           L’affaire Kanasuta n’appuie aucunement la position de la demanderesse. La Cour du Québec conclut dans cette affaire que l’obligation d’être titulaire de l’attestation dicte la classification en tant qu’INR. Cette conclusion ne permet pas à la demanderesse d’argumenter a contrario que, puisqu’elle n’était pas obligée d’avoir l’attestation pendant les travaux majeurs, l’absence d’obligation dicte la classification de catégorie résiduelle. La prémisse essentielle est manquante : l’Immeuble n’a jamais été résidentiel, alors que la question de l’attestation sous la LEHT est un facteur pertinent aux fins de classification seulement si l’immeuble en question est résidentiel à l’origine mais exploité par la suite à des fins de location touristique[60].

[73]           La Cour du Québec dans le présent dossier écarte donc avec raison les deux décisions sur lesquelles s’appuie la demanderesse, autorités que cette dernière cite pour tenter d’exposer les carences de la décision du TAQ. Le fait d’avoir omis de mentionner ces décisions ne constituait pas une erreur de droit pour le TAQ parce que ces décisions n’appuient pas la position de la demanderesse.

c. Critiques de la Cour du Québec à l’égard de la décision du TAQ

[74]           Le Tribunal se penche maintenant sur certaines critiques faites par la Cour du Québec à l’égard de la décision du TAQ.

[75]           La Cour du Québec qualifie de « boiteux »[61] le parallèle que fait le TAQ avec l’ancien article 32 LFM. Elle poursuit : « rien ne justifiait le TAQ de dire que le classement de l’immeuble sujet dans la catégorie résiduelle constituerait un traitement de faveur ou serait inique envers les autres contribuables »[62]. Le juge renchérit en qualifiant de « superflus ou maladroits, et au pire, carrément inappropriés »[63] certains commentaires du TAQ.

[76]           Cependant, la Cour du Québec conclut avec raison que « ces commentaires n’affectent pas le caractère raisonnable de sa conclusion selon laquelle l’immeuble n’appartient pas à la catégorie résiduelle »[64] et que cela « ne suffit pas pour dire que cette décision, à la suite d’un examen global des motifs qui la sous-tendent, ne fait pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »[65]. On peut déceler que le juge conclut qu’il n’y a ni erreur de droit ni erreur de fait ni erreur de fait et de droit qui entre en jeu dans le cheminement décisif du raisonnement du TAQ menant à sa conclusion.

[77]           Le Tribunal est d’accord avec la qualification de la Cour du Québec du parallèle fait par le TAQ avec l’ancienne version de l’article 32 LFM comme étant boiteux. L’ancienne version de l’article 32 LFM aurait apparemment permis le retrait de l’Immeuble du rôle pour la période des travaux. Or, la demanderesse ne cherche pas le retrait de l’Immeuble mais plutôt son reclassement à une catégorie inférieure de taxation.

[78]           Cependant, l’erreur est sans conséquence puisque le commentaire sur l’article 32 LFM est en marge du raisonnement du TAQ. En d’autres mots, même si le TAQ ne s’était pas aventuré dans une analyse de l’ancienne version de l’article 32 LFM, son raisonnement menant au rejet du recours de la demanderesse demeurerait le même.

[79]           En ce qui concerne la question de traitement de faveur, la Cour du Québec précise que « rien ne justifiait » le TAQ de dire que le classement de l’Immeuble dans la catégorie résiduelle constituerait un traitement de faveur ou serait inique « envers les autres contribuables »[66]. Or, le Tribunal décèle la justification de l’observation faite par le TAQ et considère trop sévère la critique que la Cour du Québec fait de cette partie de la décision du TAQ.

[80]           D’abord, il faut rappeler que le commentaire du TAQ quant au traitement de faveur est fait en marge du raisonnement menant à sa conclusion. C’est dans le contexte de l’exploration des possibilités de donner gain de cause à la demanderesse sur une base d’équité, et donc à l’écart de la loi statutaire et de la jurisprudence actuelle, que le TAQ émet son commentaire. Il dit essentiellement que, si le fait d’entreprendre des travaux majeurs permet aux immeubles de la catégorie INR d’être reclassés, il en découle une iniquité envers les immeubles déjà dans la catégorie résiduelle. Ces immeubles ne pourront pas, à leur tour, bénéficier d’un reclassement lors de travaux majeurs, faute d’absence de catégorie de taxation plus basse que la catégorie résiduelle.

[81]           Le raisonnement du TAQ est clair et logique, toujours dans le cadre de l’exploration de solution en équité. Selon le raisonnement, le désir d’accorder un traitement d’équité à un immeuble ne doit pas entrainer d’iniquité pour un autre. Il revient au législateur de modifier la LFM selon ses prérogatives, mais le TAQ nous dit qu’en tant que tribunal administratif, il ne peut pas appliquer une solution basée sur l’équité alors que le résultat peut déstabiliser l’équilibre entre les immeubles dans les catégories respectives de l’article 244.30 LFM. Voilà pourquoi la critique de la Cour du Québec à l’égard du point concernant l’équité est trop sévère.

[82]           On arrive maintenant aux mots de la Cour du Québec sur certains commentaires du TAQ qui seraient « superflus ou maladroits, et au pire, carrément inappropriés »[67]. Les mots sont plus sévères que précis car, sauf exception, le juge ne fournit pas de détails sur les commentaires auxquels il fait référence. Il cite plutôt les paragraphes de la décision du TAQ qui contiendraient les passages critiqués : les paragraphes 21, 32, 33, 37, 38, 39 et 40. Les paragraphes 37-40 abordent respectivement la question de l’ancien article 32 LFM et la question de l’équité, déjà traitées ci-dessus. Le Tribunal aborde les paragraphes 21-33 ci-dessous.

[83]           Le paragraphe 21 de la décision du TAQ prend acte de l’entente des parties selon laquelle il ne faut pas se baser sur la destination future pour déterminer la catégorie d’immeuble. Le TAQ ajoute qu’il faut analyser la situation « en fonction de ce qui est connu et des prévisions du propriétaire ». La Cour du Québec qualifie la démarche qui prend en compte les prévisions du propriétaire de « recours incorrect à une vision a posteriori »[68].

[84]           Le Tribunal ne voit pas en quoi le raisonnement du TAQ implique seulement une vision a posteriori, cela dit avec respect. Le raisonnement du TAQ prend en compte à la fois « ce qui est connu » et les « prévisions du propriétaire ». C’est une démarche cohérente avec l’enseignement de la Cour d’appel dans Vigi Santé, cité par le TAQ et la Cour du Québec, qui indique qu’il faut regarder la vocation et la raison d’être de l’immeuble[69].

[85]           Finalement, quant aux paragraphes 32 et 33 de la décision du TAQ, aussi critiqués par la Cour du Québec, le Tribunal ne voit pas en quoi les passages seraient « superflus ou maladroits, et au pire, carrément inappropriés ». Ces deux paragraphes traitent simplement de l’article 174 paragraphe 6 et paragraphe 13.1.1 LFM portant sur l’obligation pour l’évaluateur de modifier le rôle d’évaluation foncière dans certaines circonstances.

[86]           Il est vrai que l’analyse du TAQ par rapport à ces deux dispositions de l’article 174 LFM aurait pu être légèrement plus détaillée. Cependant, le détail dans les circonstances ne joue pas en faveur de la demanderesse. Regardons ce qu’il en est.

[87]           On peut d’emblée exclure le paragraphe 6 de l’article 174 LFM comme source pour une modification de catégorie de taxation. Le TAQ décrit le paragraphe 6 comme étant une disposition permettant de modifier la valeur de l’immeuble dans les circonstances de travaux majeurs[70]. Cette description générale est juste et donc elle n’est pas pertinente car les parties conviennent que la valeur est diminuée pendant les travaux en question. Certes, le TAQ aurait pu être plus précis. Le paragraphe 6 prévoit que la valeur de l’immeuble en question est modifiée pour refléter la diminution de valeur à la suite de la « démolition […] de tout ou partie d’un immeuble »[71]. Le paragraphe 6 ne mentionne pas de « travaux majeurs » en tant que tels.

[88]           Peu importe cette précision et bien que les travaux dans l’Immeuble semblent impliquer la démolition[72], la demanderesse cherche un changement de catégorie de taxation, ayant déjà obtenu une modification de valeur de l’Immeuble. Il n’y a rien dans la disposition qui indique qu’à la suite d’un changement de valeur, l’évaluateur est aussi censé modifier la catégorie de taxation. C’est au législateur d’y voir. Il n’y a donc pas de lien entre le paragraphe 6 et le paragraphe 13.1.1 de l’article 174 LFM.

[89]           Concernant le paragraphe 13.1.1 de l’article 174 LFM, c’est la disposition sur laquelle s’appuie la demanderesse pour son argument de changement de catégorie de taxation. Le TAQ décrit la disposition comme édictant « la modification des inscriptions au rôle lorsque survient un changement de catégorie d’un immeuble, il ne prescrit pas un changement en cas de travaux majeurs »[73].

[90]           La description générale de la disposition est juste, il n’y a pas d’erreur de droit quant à son interprétation et la Cour du Québec aurait pu faire cette constatation. Ici encore, la précision ne joue pas en faveur de la demanderesse. Le paragraphe 13.1.1 ne prescrit pas de changement de catégorie de taxation en cas de travaux majeurs. Il prévoit que si l’immeuble en question change de catégorie INR, c’est-à-dire qu’il devient visé par la catégorie ou cesse de l’être à la lumière de l’article 244.31 LFM, l’évaluateur est censé « ajouter une mention indûment omise ou supprimer une mention indûment inscrite » tenant compte de ce changement[74].

[91]           On peut faire fausse route si l’on omet de voir la différence entre le paragraphe 6 et le paragraphe 13.1.1 de l’article 174 LFM. Ils ne relèvent pas de la même nature. Le paragraphe 6 est autonome et il dicte à l’évaluateur un changement au rôle si certaines circonstances énumérées dans la disposition elle-même se réalisent. Or, le paragraphe 13.1.1 est distinct à cet égard. Il ne contient pas dans son libellé une énumération de critères qui imposent à l’évaluateur l’obligation de modifier le rôle. Au contraire, le paragraphe fait référence à une autre disposition, l’article 57.1.1, et prévoit que s’il y a un changement en fonction de cet article, il faudrait alors que l’évaluateur ajoute ou supprime la mention, le cas échéant.

[92]           D’ailleurs, le TAQ dans l’Affaire presbytère applique les paragraphes 6 et 13.1.1 de l’article 174 LFM d’une façon cohérente avec l’interprétation élaborée ci-dessus. Pour la question de la valeur de l’Immeuble, le TAQ fait référence aux travaux de dégarnissage constituant une démolition partielle de l’immeuble, ce qui justifierait une modification du rôle en vertu du paragraphe 6[75]. Mais pour le changement de catégorie de taxation, le paragraphe 13.1.1 n’est pas la source génératrice des critères pour déterminer le changement, c’est plutôt la disposition qui prévoit la modification au rôle lorsque le changement de catégorie est déterminé en fonction d’autres dispositions statutaires, des enseignements de la jurisprudence et des définitions de dictionnaire[76].

[93]           Pour revenir aux qualificatifs employés par la Cour du Québec par rapport à certains passages de la décision du TAQ, à savoir « boiteux », « rien ne justifiait », « superflus ou maladroits, et au pire, carrément inappropriés », le Tribunal conclut que ces qualificatifs étaient parfois mérités et parfois non mérités. Quand ils étaient mérités, il n’y avait cependant pas de lien avec le raisonnement du TAQ qui mène à sa conclusion de rejet du recours de la demanderesse. Quand ils n’étaient pas mérités, les passages de la décision du TAQ étaient justes et justifiés, les précisions possibles ne militant pas en faveur de la position de la demanderesse.

III.                CONCLUSION

[94]           En guise de résumé de la question de savoir si le Tribunal doit renvoyer l’affaire à la Cour du Québec sans trancher la question du caractère raisonnable du jugement du juge Piazza, il conclut par la négative. Un tel renvoi ne servirait à rien. Les parties conviennent que le dossier factuel qui serait présenté au juge de la Cour du Québec nouvellement assigné ne serait pas différent. Ceci étant, la conclusion du raisonnement du juge Piazza est inévitable. L’écoulement du temps et l’intérêt de la justice justifient le dénouement immédiat du différend[77].

[95]           Quant à la question du caractère raisonnable du jugement, le Tribunal conclut que la Cour du Québec a exercé sa fonction d’appel de manière raisonnable eu égard aux normes applicables en appel et à la nature des questions qu’elle devait trancher[78].

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[96]           REJETTE le Pourvoi en contrôle judiciaire modifié du 31 mars 2020;

[97]           AVEC frais de justice.

 

 

__________________________________ AZIMUDDIN HUSSAIN, J.C.S.

Me Louis St-Martin

Me Julien Sapinho

Therrien Couture Joli-Coeur sencrl

Avocats de la demanderesse

 

Me Louise Boutin

Gagnier Guay Biron

Avocate de la défenderesse

 

Date d’audience :

21 janvier 2022

 


[1]  RLRQ, c. F-2.1.

[2]  3428826 Canada Ltd. c. Ville de Montréal, 2017 QCTAQ 03596 (Décision TAQ).

[3]  3428826 Canada inc. c. Ville de Montréal, 2019 QCCQ 4935 (Jugement CQ).

[4]  Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov).

[5]  Id., par. 17.

[6]  RLRQ, c. J-3, art. 159. Après Vavilov, le législateur clarifie à l’article 83.1 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, RLRQ, c. T-16, les normes applicables à l’appel à la Cour du Québec.

[7]  Vavilov, préc. note 4, par. 37.

[8]  Ville de Montréal c. Société en commandite Locoshop Angus, 2021 QCCA 1217, par. 67-74 (Locoshop Angus); SGNT Blue Bird Property Management Inc./Gestion immobilière SGNT Blue Bird inc. c. Cour du Québec (division administrative et d’appel), 2021 QCCS 5158, par. 40-41 (Blue Bird).

[9]  Locoshop Angus, id., par. 74.

[10]  Blue Bird, préc. note 8, par. 42.

[11]  Id., par. 43-44.

[12]  Id., par. 44.

[13]  Dowd c. Binette, 2021 QCCA 1663, par. 74.

[14]  Id.

[15]  Décision TAQ, préc. note 2, par. 13.

[16]  Loi sur les établissements d’hébergement touristique, RLRQ, c. F-2.1.

[17]  Décision TAQ, préc. note 2, par. 27-30.

[18]  Id., par. 31-34.

[19]  Id., par. 32-33.

[20]  Id., par. 38.

[21]  Id., par. 41.

[22]  Id., par. 16, le TAQ cite Vigi Santé ltée c. Montréal (Ville de), 1999 CanLII 13626, R.J.Q. 2569 (C.A.) (Vigi Santé).

[23]  Décision TAQ, préc. note 2, par. 17.

[24]  Id., par. 19.

[25]  Id., par. 21.

[26]  Id.

[27]  Id., par. 22.

[28]  Id., par. 30.

[29]  Id., par. 35.

[30]  Pièce P-8, p. 24 (passage reproduit textuellement).

[31]  Décision TAQ, préc. note 2, par. 36.

[32]  Id., par. 40.

[33]  Id., par. 42.

[34]  Jugement CQ, préc. note 3; la permission d’appeler de la Décision TAQ était accordée par le juge Lareau : 3428826 Canada Ltd. c. Ville de Montréal, 2018 QCCQ 3500.

[35]  Locoshop Angus, préc. note 8, par. 74.

[36]  Décision TAQ, préc. note 2, par. 13.

[37]  Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, par. 26.

[38]  Vavilov, préc. note 4, par. 83.

[39]  Id., par. 12-13, 75, 82.

[40]  Id., par. 86-87, 102-104.

[41]  Id., par. 105.

[42]  Décision TAQ, préc. note 2, par. 16.

[43]  Décision CQ, préc. note 3, par. 10.

[44]  Id., par. 12.

[45]  Pièce P-8, p. 42, 45.

[46]  Pourvoi en contrôle judiciaire modifié, par. 34.1.

[47]  Pièce P-8, p. 42. À l’intérieur de la catégorie INR, il y a des classes 1-10 énumérées à l’article 244.32 LFM, préc. note 1, en fonction du pourcentage de la valeur de l’ensemble des immeubles non résidentiels dans l’unité.

[48]  Hubert REID, Dictionnaire de droit québécois et canadien, 5e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, « fiction », en ligne : http://dictionnairereid.caij.qc.ca.

[50]  Décision CQ, préc. note 3, par. 12.

[51]  Id., par. 21-23.

[52]  9203-6615 Québec inc. c. Montréal (Ville de), 2013 QCTAQ 10927 (l’Affaire presbytère).

[53]  Chalets Lac Kanasuta c. Rouyn-Noranda (Ville de), 2017 QCTAQ 07930, infirmé Ville de Rouyn-Noranda c. Chalets Lac Kanasuta inc., 2019 QCCQ 4596.

[54]  L’Affaire presbytère, préc. note 52, par. 73.

[55]  Id., par. 72.

[56]  Id., par. 60.

[57]  Id., par. 88.

[58]  Id., par. 47.

[59]  Kanasuta, préc. note 53.

[60]  Voir l’art. 244.31 LFM in fine : « [] un immeuble résidentiel dont l’exploitant doit être le titulaire d’une attestation [] », préc. note 1.

[61]  Jugement CQ, préc. note 3, par. 19.

[62]  Id.

[63]  Id., par. 20.

[64]  Id., par. 19.

[65]  Id., par. 20.

[66]  Id., par. 19.

[67]  Id., par. 20.

[68]  Id., par. 17.

[69]  Vigi Santé, préc. note 22, cité par le Jugement CQ, préc. note 3, par. 10 et la Décision TAQ, préc. note 2, par. 16.

[70]  Décision TAQ, préc. note 2, par. 33.

[71]  Les autres circonstances prévues au para. 6 étant l’incendie, la destruction ou la disparition de tout ou partie d’un immeuble.

[72]  Voir par ex. le rapport d’expertise de la demanderesse, Pièce P-8, p. 24.

[73]  Décision TAQ, préc. note 2, par. 32.

[74]  Le paragraphe 13.1.1 à son sous-paragraphe (a) fait référence à l’article 57.1.1 qui, à son tour, fait référence à l’article 244.31.

[75]  Affaire presbytère, préc. note 52, par. 83. La valeur n’était plus contestée et donc la question est théorique, id., par. 89.

[76]  Id., par. 45-73, 88.

[77]  Blue Bird, préc. note 8, par. 44-45.

[78]  Locoshop Angus, préc. note 8, par. 74.

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