Décision

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Gabarit CMQ

Commission municipale du Québec

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Date :

  7 janvier 2016

 

 

 

 

 

Dossier :

CMQ-65456   (29181-16)

 

                                                                                           

 

 

 

Juges administratifs :

Thierry Usclat, vice-président

 

Sylvie Piérard

 

 

 

 

 

 

 

 

Personne visée par l’enquête :    Jacqueline Gremaud

                                                           Conseillère de la Ville de Montréal
arrondissement Outremont

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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ENQUÊTE EN ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE

EN MATIÈRE MUNICIPALE

 

DÉCISION SUR REQUÊTE EN IRRECEVABILITÉ

 

 

 

 


LA DEMANDE

[1]           La Commission municipale du Québec est saisie d’une demande d’enquête en éthique et déontologie transmise par le ministre des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire le 30 juin 2015, conformément à l’article 22 de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale[1] (LEDMM).

[2]           Cette demande allègue que Jacqueline Gremaud, conseillère municipale de la Ville de Montréal, arrondissement Outremont, a eu une conduite dérogatoire au Code d’éthique et de conduite des membres du conseil de la Ville et des conseils d’arrondissement de la Ville de Montréal[2]. Plus précisément, la demande lui reproche d’avoir contrevenu à l’article 6 du Code d’éthique en ne dévoilant pas un intérêt pécuniaire à l’occasion du vote au conseil d’arrondissement sur trois résolutions portant respectivement les numéros CA 14 16 1139, CA 15 16 0147 et CA 15 16 0188.

[3]           Selon le plaignant, l’intérêt pécuniaire particulier de madame Gremaud est indirect et provient d’une part de l’effet négatif sur la valeur des condominiums situés au 950, Champagneur, que pourrait entraîner  la réalisation d’un projet de logements sociaux et, d’autre part, de l’effet positif qui pourrait découler de l’aménagement d’un espace vert à l’arrière de l’immeuble.

[4]           Plus spécifiquement selon le plaignant, l’intérêt pécuniaire de madame Gremaud provient du fait que monsieur Éric Gagnon, le conjoint de madame Gremaud, est actionnaire majoritaire de la personne morale portant le nom de Docteur Éric Gagnon inc., qui est propriétaire d’une unité de copropriété divise située au 950, Champagneur.

LA REQUÊTE EN IRRECEVABILITÉ

[5]           Le 17 août 2015, le procureur de madame Gremaud, Me François Tremblay, dépose une requête en irrecevabilité alléguant l’absence de fondement en droit supposé même que les faits allégués soient vrais.

[6]           Le 28 octobre 2015, la Commission entend les représentations sur ces moyens préliminaires.

LES REPRÉSENTATIONS

[7]           Le procureur de Jacqueline Gremaud, Me François Tremblay, est d’avis que même en tenant les faits allégués pour véridiques, il est manifeste que la demande d’enquête est non fondée en droit et n’a aucune chance de succès. Il est donc inutile de tenir l’enquête.

[8]           À cette fin, il précise que ce n’est pas l’arrondissement mais plutôt la Ville qui devra donner les autorisations pour la vente du terrain et le projet de logements sociaux.

[9]           Selon lui, les résolutions de l’arrondissement d’Outremont n’empêchent pas la vente d’un terrain et la réalisation d’un projet de logements sociaux.

[10]        Les résolutions de l’arrondissement qui sont en cause prévoient la création d’un espace vert reliant le secteur visé à la future zone de parc linéaire de l’ancienne voie ferrée.

[11]        L’intérêt pécuniaire de madame Gremaud ne peut être qu’indirect et serait relié à la valeur de l’unité de condominium de la personne morale dont son conjoint est actionnaire majoritaire.

[12]        Si cette augmentation ou diminution de valeur devait exister, elle ne pourrait être que marginale étant donné que la superficie du condominium en cause ne représente que 70,8 mètres carrés, de sorte que l’intérêt n’est pas réel et palpable.

[13]        S’il y avait augmentation de valeur, elle ne serait pas distincte de celle de toutes les habitations du secteur. Elle ne serait pas suffisante pour influencer madame Gremaud dans l’exercice de ses fonctions et n’affecterait pas l’impartialité de ses décisions.

[14]        Il n’y a donc pas, selon Me Tremblay, de conflit d’intérêts réel.

[15]        Le procureur indépendant de la Commission, Me Nicolas Dallaire, rappelle tout d’abord que la Commission doit faire preuve de prudence lorsqu’elle rend une décision dans le cadre d’une requête en rejet pour absence de fondement.

[16]        Il précise que si elle rejette la requête, aucun questionnement ne doit subsister.

[17]        Il ajoute que la valeur de l’unité à la suite des changements proposés doit être déterminée au terme d’une audience et non être l’objet d’une preuve dans le cadre d’une requête en irrecevabilité.

[18]        Si la Commission est d’avis qu’il y a une possibilité que madame Gremaud ait un intérêt pécuniaire particulier, une enquête plus poussée est nécessaire afin de déterminer qu’elle est la valeur de cet intérêt.

[19]        En examinant les différentes déclarations déposées au soutien de la plainte, le procureur de la Commission conclut qu’il y a lieu de vérifier les allégations de la plainte lors d’une audience.

[20]        Selon lui, il est prématuré de considérer que la demande d’enquête n’a aucune chance de succès et qu’elle est abusive, frivole ou manifestement mal fondée.

L’ANALYSE

[21]        La présente demande d’enquête est déposée en vertu de la LEDMM. Dans l’exercice de cette compétence, le mandat de la Commission est d’enquêter afin de déterminer si un élu a commis ou non un manquement à son code d’éthique et de déontologie et, le cas échant, de le sanctionner.

[22]        Comme elle l’a établi dans l’affaire Dépatie, la Commission a le pouvoir de rejeter des plaintes à un stade préliminaire si, en tenant pour avérés les faits énoncés dans la demande, elle est convaincue qu’il n’y a aucune chance de conclure à un acte dérogatoire de l’élu et qu’il est inutile de tenir une enquête :

« [8]      La Commission a le pouvoir de rejeter des plaintes à un stade préliminaire, même si elles ont passé le test de l’examen préalable du ministre des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire, selon l’article 20 de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale (la Loi).

[9]         Toutefois, elle doit être convaincue, à la lecture des plaintes, que celles-ci n’ont aucune chance de succès et qu’il est inutile de tenir une enquête. […] »[3]

[23]        La Commission a récemment rappelé que dans l’intérêt public, le rejet à un stade préliminaire d’une demande d’enquête est assujetti à des critères rigoureux[4].

[24]        Sur ce point, la Cour d’appel[5] s’exprime ainsi :

« [10]    En l’espèce, les moyens d’irrecevabilité retenus par le juge de première instance se présentaient sous l’apparence de questions de droit pur. En réalité, cependant, il n’était pas possible de répondre à ces questions de manière complète et finale sans qu’une preuve soit administrée en rapport avec certaines des allégations de la requête introductive d’instance.

[11]       En effet, même en tenant pour avérés les faits allégués dans cette requête et ceux qui ressortent des pièces, on sait finalement assez peu de choses sur le programme Accès Condos et, surtout, sur son fonctionnement et sur les rapports qui s’établissent dans ce cadre entre l’intimée et les différents entrepreneurs avec lesquels elle fait affaire; on sait également peu de choses sur les activités de l’intimée à cet égard et la façon dont elle les mène. L’absence d’une preuve détaillée à ce sujet fait en sorte qu’on peut difficilement résoudre de façon adéquate, au stade préliminaire où nous en sommes, les questions de droit soulevées par l’affaire. »

[25]        La procédure en matière d’éthique et de déontologie s’apparente à une procédure disciplinaire, un droit sui generis autonome, mais qui emprunte des notions à la fois au droit civil et au droit criminel[6].

[26]        En matière disciplinaire, le Conseil de discipline du Barreau du Québec[7] précise que pour rejeter une plainte au stade préliminaire, il faut conclure à la lecture de celle‑ci, qu’elle est abusive, frivole et manifestement mal fondée.

[27]        Dans le présent dossier, Me Tremblay qualifie de minime l’intérêt particulier en invitant le tribunal à effectuer un calcul.

[28]        Lorsque le Tribunal est saisi d’une requête en irrecevabilité, il doit pour statuer sur celle‑ci, se baser uniquement sur les faits allégués dans la demande d’enquête qu’il doit prendre pour avérés. Il ne peut tenir compte d’aucun autre élément, d’aucune évaluation ou hypothèse.

[29]        À ce stade-ci et même si la demande allègue que le docteur Gagnon est actionnaire d’Éric Gagnon inc., rien n’indique quels sont les autres actionnaires de cette compagnie et si madame Gremaud est actionnaire ou détient quelques droits que ce soit dans la compagnie; la demande d’enquête ne précise pas non plus si madame Gremaud habite ou non l’unité avec son conjoint.

[30]        Dans les circonstances et après analyse, seule l’instruction de la demande permettra à la Commission de déterminer si madame Gremaud a commis ou non un manquement à son Code d’éthique. La demande n’est pas abusive ou frivole et l’absence de fondement juridique n’apparaît pas de façon manifeste.

[31]        La Commission conclut qu’à ce stade de l’enquête, le moyen préliminaire doit être rejeté.

EN CONSÉQUENCE, LA COMMISSION MUNICIPALE DU QUÉBEC :

-       REJETTE la requête préliminaire en irrecevabilité.

 

 

 

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                                                                                    THIERRY USCLAT, vice-président et
                                                                                    Juge administratif

 

 

 

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                                                                                    SYLVIE PIERARD
                                                                                    Juge administrative

 

TU/SP/lg

 

Me François Tremblay

TREMBLAY SAVOIE LAPIERRE

Pour Jacqueline Gremaud

 

Me Nicolas Dallaire

D’ARAGON DALLAIRE

Pour la Commission municipale du Québec

 



[1].   RLRQ, chapitre E-15.1.0.1.

[2].   Règlement 11-031.

[3].   Dépatie, CMQ-65090, 30 septembre 2014.

[4].   Jolin, CMQ-65314, 19 mai 2015, par. 27 et 28.

[5].   Association provinciale des constructeurs d’habitation du Québec inc. c. Société d’habitation et de développement de Montréal, C.A. 500-09-020962-106, 6 juin 2011.

[6].   Jolin, préc. note 4.

[7].   Bérubé c. Panet-Raymond, Conseil de discipline, Barreau du Québec, 2008 QCCDBQ148. Voir également Association provinciale des constructeurs d’habitation du Québec inc. c. Société d’habitation et de développement de Montréal, 2011 QCCA 1033.

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