Turgeon et Sintra inc. (travaux de génie) |
2013 QCCLP 7102 |
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[1] Le 15 mars 2012, monsieur Joël Turgeon (le travailleur) dépose une requête devant la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 7 mars 2012 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle initialement rendue le 21 février 2012 et déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 18 novembre 2011 et n’a donc pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[3] Le travailleur est présent et représenté à l’audience tenue devant la Commission des lésions professionnelles siégeant à Saint-Joseph-de-Beauce, le 4 novembre 2013. Construction B.M.L. - Québec (division de Sintra inc.) (l'employeur) est représenté par Me Philippe Béliveau, tout comme les entreprises Construction Polaris inc., Roxboro excavation inc. et Sintra inc. (travaux de génie). Ogesco Construction inc. a informé le tribunal par écrit de son absence à l’audience, tout comme Les structures de Beauce inc. Quant aux entreprises A. Quirion excavation inc., La brique Gaston Poulin inc., Construction Raoul Pelletier (1997) inc., Les constructions Binet inc., Ferme forestière A.D. Roy et Fernand Gilbert ltée, elles sont absentes, bien que dûment convoquées. La cause est mise en délibéré le jour de l’audience.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a subi une lésion professionnelle le 18 novembre 2011, soit une hernie discale L4 - L5, sous l’angle d’une maladie reliée aux risques particuliers du travail d’opérateur de machinerie lourde, comme il l’exerçait chez l’ensemble des employeurs où il a œuvré depuis son entrée sur le marché du travail.
[5] Subsidiairement, si le tribunal en vient à la conclusion que le travailleur n’a pas démontré le développement d’une maladie professionnelle dans l’exercice de ses tâches d’opérateur de machinerie lourde, celui-ci demande de déclarer qu’il a subi un accident du travail au sens élargi de cette notion, soit à la suite de microtraumatismes causés par de la machinerie comportant un siège défectueux et n’étant pas munie d’un « boom suspension ».
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs partagent le même avis à l’égard de la maladie professionnelle. Pour eux, le travailleur n’a pas démontré que la hernie discale L4-L5 gauche diagnostiquée est reliée aux risques particuliers de son travail d’opérateur de machinerie lourde depuis 2006.
[7] Par ailleurs, ils partagent tous les deux l’opinion que le travailleur a démontré, à l’aide de son témoignage crédible, qu’il a été victime d’un événement imprévu et soudain, au sens large de ce terme, entre la mi-juin et la mi-novembre 2011.
[8] Cependant, pour le membre issu des associations d’employeurs, le travailleur n’a pas démontré un lien de causalité entre cet événement et la hernie discale L4-L5 gauche diagnostiquée.
[9] Pour en venir à cette conclusion, il ne retient pas l’opinion du docteur Morin qui ne fournit pas une preuve médicale prépondérante de relation causale, pas plus que les autres éléments de nature médicale au dossier.
[10] Par contre, le membre issu des associations syndicales est d’opinion que le travailleur a subi une lésion professionnelle puisqu’à son avis, il est probable que la hernie discale L4-L5 gauche diagnostiquée fait suite aux contrecoups à la colonne lombaire du travailleur entre la mi-juin et la mi-novembre 2011.
[11] Par conséquent, le membre issu des associations d’employeurs est d’avis de rejeter la requête déposée par le travailleur le 15 mars 2012 et de confirmer la décision rendue par la CSST le 7 mars 2012 à la suite d’une révision administrative.
[12] Pour sa part, le membre issu des associations syndicales est plutôt d’avis d’accueillir la requête déposée par le travailleur le 15 mars 2012 et de confirmer la décision rendue par la CSST le 7 mars 2012 à la suite d’une révision administrative.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[13] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle le 18 novembre 2011.
[14] La notion de « lésion professionnelle » est ainsi définie à l’article 2 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation.
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[15] En l’espèce, le travailleur prétend, dans un premier temps, qu’il a subi une maladie professionnelle. Cette notion est ainsi définie à la loi :
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[16] Plus spécifiquement, sa procureure soutient qu’il a développé une maladie reliée aux risques particuliers de son emploi d’opérateur de machinerie lourde chez les différents employeurs où il a œuvré au sens de l’article 30 de la loi qui prévoit ce qui suit :
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
__________
1985, c. 6, a. 30.
[17] Subsidiairement, la procureure du travailleur plaide que ce dernier a subi un accident du travail par microtraumatismes dans le cadre d’un contrat chez l'employeur pour lequel il a travaillé de juin à novembre 2011, alors qu’il devait opérer de la machinerie constituée d’éléments de défectuosité, lesquels seront décrits plus loin dans la décision.
[18] La loi définit ainsi la notion d’« accident du travail » :
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[19] Pour sa part, l’article 28 de la loi prévoit qu’une blessure survenant sur les lieux du travail, alors qu’un travailleur est à son travail, est présumée être une lésion professionnelle. L’effet de cette présomption est d’établir une relation entre la blessure et l’accident allégué. Le travailleur qui en bénéficie est alors dispensé du fardeau de démontrer chacun des éléments constitutifs de la notion d’« accident du travail ».
[20] En l’espèce, la procureure du travailleur ne soutient pas que ce dernier peut bénéficier de la présomption de lésion professionnelle puisque la hernie discale L4-L5 gauche dont il souffre n’est pas apparue subitement, mais plutôt progressivement ou graduellement, et elle ne correspond donc pas à la notion de « blessure » prévue à cet article.
[21] À ce stade-ci, le tribunal croit utile de résumer les faits pertinents au dossier qui lui permettront de rendre une décision.
[22] Le travailleur est opérateur de machinerie lourde depuis 2006.
[23] À ce titre, il a été appelé à opérer différents équipements tels que des rouleaux compresseurs, des excavatrices et des pelles mécaniques.
[24] En mai 2010, il est embauché par l’entreprise Sintra inc. (travaux de génie), à titre d’opérateur de pelle mécanique. Il travaille alors sur de l’équipement neuf et procède à l’excavation de fossés, à la pose de ponceaux, etc. Il effectue ce contrat jusqu’à la fin novembre 2010, puis est mis à pied pour manque temporaire de travail. L'employeur lui indique cependant qu’il aura du travail pour lui l’année suivante. Il est ainsi rappelé au travail en mai 2011 où il opère un rouleau compresseur, dans le cadre de travaux d’infrastructures reliés à la construction d’une route. Il devait alors couvrir une distance de trois kilomètres. C’était la première fois qu’il utilisait un rouleau compresseur sur une aussi longue période de temps et mentionne que cette utilisation sur une telle distance générait de nombreuses vibrations.
[25] Puis, vers la fin juin ou au début juillet 2011, il a été assigné à l’opération d’un chargeur. Il ne s’agissait pas d’un modèle récent, mais plutôt d’un modèle « Caterpillar 950 » datant des années 1980. Cet équipement était muni de deux fourches et servait au transport des tuyaux, des matelas de dynamite, etc. Il n’était pas équipé d’un « boom suspension » servant à absorber les contrecoups.
[26] De plus, le siège du véhicule n’était pas bien rembourré et était déformé. Il ne s’agissait vraisemblablement pas du siège d’origine et il était très inconfortable selon les dires du travailleur. À ce propos, il mentionne qu’il a inscrit sur sa feuille de temps que le siège était à changer, mais qu’il n’y a pas eu de suivi à sa demande de la part de l’employeur.
[27] Étant donné l’absence de « boom suspension » et de la distance devant être parcourue avec le chargeur, soit trois kilomètres, sur un terrain très accidenté, il affirme avoir subi de nombreux contrecoups à la colonne lombaire.
[28] Après un mois, il a rencontré le contremaître afin d’obtenir un « boom suspension » sur la machinerie qu’il devait opérer. Ce dernier lui a dit qu’il n’était pas le premier à se plaindre à cet effet, mais que l’installation d’une telle suspension coûtait beaucoup trop cher, soit autour de 10 000 $, et que l'employeur n’entendait pas y procéder.
[29] Interrogé sur son horaire de travail, le travailleur précise qu’il effectue dix heures de travail par jour, sauf le vendredi où il termine à midi. Son quart est alors de cinq heures.
[30] Le travailleur poursuit son témoignage en précisant qu’après le premier mois d’utilisation du chargeur, il a commencé à ressentir de la douleur au bas du dos, douleur qui n’a cessé d’augmenter par la suite. Il a tenté, par lui-même, de remédier à ces douleurs en suivant des traitements de massothérapie et de chiropraxie à compter de septembre 2011.
[31] Comme il est un travailleur saisonnier, il ne voulait pas arrêter de travailler avant la fin de son contrat, sachant qu’à compter de sa mise à pied, il pourrait se reposer et que la situation rentrerait probablement dans l’ordre avec les traitements suivis.
[32] Le 18 novembre 2011, il a été mis à pied temporairement pour manque de travail. C’est la date d’événement qu’il a indiquée sur la réclamation qu’il a produite à la CSST. Cependant, le travailleur précise qu’il n’y a pas eu de fait accidentel spécifique le 18 novembre 2011, mais comme il devait écrire une date, c’est celle qu’il croyait nécessaire d’inscrire puisqu’elle correspondait au moment où il a cessé de travailler. Néanmoins, il insiste sur le fait que les douleurs étaient présentes depuis la fin juillet ou le début du mois d’août 2011.
[33] Le travailleur décrit les circonstances entourant le dépôt de sa réclamation pour lésion professionnelle comme suit au formulaire de réclamation qu’il transmet à la CSST le 6 février 2012 :
À force de se faire brasser dans le lodeur dans la semaine que j’ai travailler, je me suis fais cogner et sa forcer fort, mais je pensai pas que sa ferais quel que chose. Le siège du lodeur il étais maganer sur la suspension il avais pas de boum suspension. [sic]
[34] Bien que le travailleur a toujours œuvré dans le domaine de la construction, ayant été préalablement à son emploi d’opérateur de machinerie lourde et manœuvre dans le secteur de la construction, il n’a jamais réclamé à la CSST auparavant.
[35] Lors de son arrêt de travail le 18 novembre 2011, il ressentait des douleurs importantes au dos et avait de la difficulté à marcher.
[36] En décembre 2011, l’entreprise Roxboro excavation inc. a fait appel à ses services pour opérer une pelle mécanique. Le travailleur a accepté de le faire pour deux semaines, mais avait de la difficulté à accéder à l’intérieur de la cabine et devait conduire avec la jambe gauche allongée. Cependant, il insiste sur le fait que l’opération d’une pelle mécanique ne comporte pas le même type de vibrations que celles auxquelles il a été exposé dans les mois précédents lorsqu’il opérait un chargeur.
[37] Il a bénéficié d’une période de repos pendant les Fêtes, mais la douleur ne s’est pas estompée. Il avait de la difficulté à se lever et à marcher. Il a donc décidé d’aller passer une semaine dans le Sud, du 7 au 14 janvier 2012, en espérant que la chaleur l’aiderait. Tel ne fut pas le cas puisqu’après cinq jours de vacances, le travailleur était souffrant et souhaitait revenir au pays. Dès son retour, à sa sortie de l’avion, il a consulté un médecin à l’hôpital. Le tribunal ne dispose cependant pas des notes de cette consultation.
[38] Par ailleurs, il appert des notes de consultation du docteur Clément Morin, médecin qui a charge du travailleur, que ce dernier l’a consulté une première fois le 6 janvier 2012, en lien avec des douleurs qu’il localise au nerf sciatique, mais irradiant à la jambe et au mollet gauches depuis trois semaines. Il est mentionné que le travailleur aurait reçu des traitements en chiropraxie et de la part d’un « ramancheur ». Il s’agit d’un premier épisode et il n’a pas subi de trauma. Cette douleur irradie à la jambe gauche lorsqu’il tousse ou éternue, mais ne l’empêche pas de dormir. À l’examen physique, les manœuvres du Lasègue et du Tripode sont positives. Le médecin pose un diagnostic de hernie discale L4-L5 gauche et prescrit une résonance magnétique de même que de la médication. Cependant, il ne remplit pas, à ce moment, d’attestation médicale destinée à la CSST.
[39] Le 26 janvier 2012, le travailleur revoit le docteur Morin, toujours en lien avec la lombosciatalgie gauche qu’il ressent depuis octobre 2011. Ce médecin indique qu’il a travaillé avec une lombalgie jusqu’au 10 décembre 2011, puis il y a eu arrêt de chantier. Il y aurait eu aggravation de sa condition au repos, en congé. Le travailleur aurait vu un « ramancheur » de même que le docteur Bougie, le 6 janvier 2012, et le docteur Roy, le 19 janvier 2012. Il mentionne une légère amélioration de sa condition et maintient la prescription de médicaments. Le docteur Morin réfère le travailleur au docteur Sarto Arsenault, orthopédiste.
[40] Le 1er février 2012, le docteur Arsenault évalue le travailleur qui le consulte pour une lombosciatalgie gauche présente depuis la période des Fêtes. Il indique que le travailleur a des douleurs lombaires importantes depuis plusieurs années, que les symptômes lombaires ont été pires à l’automne et qu’il se plaint, actuellement, d’une sciatalgie gauche qualifiée par le médecin d’assez pure alors qu’il est inconfortable en lombaire. À l’examen physique, le travailleur présente une certaine faiblesse du pied gauche en dorsiflexion et un trouble sensitif un peu diffus. La manœuvre de Lasègue est positive, tout comme le Lasègue inversé.
[41] Le docteur Arsenault se réfère aux résultats de la résonance magnétique passée le 24 janvier 2012 interprétée par le docteur Antoine Montplaisir, radiologue, qui constate la présence d’une volumineuse hernie discale en postérieur au niveau L4-L5, s’étendant de la région postéro-latérale droite jusqu’en postéro-latéral gauche, un peu plus marquée à gauche qu’à droite. Elle mesure jusqu’à 10,5 mm en AP par 26 mm en transverse, s’étendant jusqu’à 18 mm en céphalo-caudal avec un petit foyer d’extrusion discale inférieure en postéro latéral derrière la demie inférieure du corps vertébral de L5 à gauche. Il note une compression, mais un refoulement des racines L5 droite et gauche émergentes avec une compression plus significative du côté gauche ainsi qu’un léger contact radiculaire avec une irritation probable de L4 gauche dans le foramen de conjugaison, occasionnant une sténose foraminale modérée de ce côté et légère à modérée à droite.
[42] Le docteur Arsenault décrit une « grosse hernie discale L4-L5 gauche » et, à son avis, les éléments d’ordre clinique correspondent à la découverte radiologique. Cependant, il est d’avis qu’il n’y a pas d’indication chirurgicale chez le travailleur et recommande plutôt un bloc foraminal sous scopie en radiologie. Il indique que s’il n’y a pas d’amélioration d’ici deux mois, il reverra le travailleur pour une éventuelle chirurgie.
[43] Le 6 février 2012, le travailleur consulte le docteur Hamel qui pose un diagnostic de lombosciatalgie gauche et complète une attestation médicale destinée à la CSST sur la base de laquelle le travailleur produit une réclamation à la CSST à cette date.
[44] Le travailleur fait l’objet d’un suivi médical régulier. Ainsi, le 5 mars 2012, il consulte le docteur Hamel qui pose le diagnostic de hernie discale et lui prescrit des analgésiques et des traitements de physiothérapie.
[45] Le 3 avril 2012, le travailleur voit le docteur Morin qui pose également le diagnostic de hernie discale L4-L5 et lui prescrit des analgésiques et des anti-inflammatoires de même que des myorelaxants et une péridurale thérapeutique.
[46] Le 10 mai 2012, le travailleur revoit le docteur Morin qui réitère le diagnostic de hernie discale qu’il qualifie de volumineuse avec symptômes moteurs. Il constate une atrophie de la cuisse gauche et du mollet gauche et conclut que la condition du patient n’est pas améliorée, malgré les traitements. Il réfère le travailleur au docteur Arsenault pour une intervention chirurgicale.
[47] Le 2 juin 2012, le travailleur passe une nouvelle résonance magnétique de la colonne lombaire dont les résultats, interprétés par le docteur Alexandre Gagnon, radiologue, sont comparés à ceux du mois de janvier 2012. Le radiologue constate que la composante à large rayon de courbure est demeurée inchangée, mesurant 26 mm en transverse et 10 mm en antéro-postérieur. Par contre, il indique que la plus petite composante à court rayon de courbure, qui était visible en postéro-latéral gauche, s’est résorbée. Il mentionne qu’il persiste tout de même une volumineuse hernie discale donnant lieu à une déformation du sac dural. Elle comprime l’émergence de la racine L5 gauche et entraîne une sténose foraminale gauche légère à modérée et une légère sténose foraminale droite. Il note la présence d’une arthrose facettaire bilatérale légère à modérée à ce niveau.
[48] Le 2 août 2012, le travailleur revoit le docteur Morin qui réitère le diagnostic de hernie discale et note une très nette amélioration. Il prévoit une consolidation le 3 septembre 2012.
[49] Le 25 octobre 2012, le travailleur passe une troisième résonance magnétique dont les résultats sont comparés à ceux du mois de juin 2012. Le docteur Gagnon, radiologue qui interprète les résultats de ce test, constate que la hernie discale postéro-centrale décrite sur l’examen antérieur a nettement régressé. Il persiste une discopathie dégénérative touchant principalement la racine L4-L5.
[50] Le 8 novembre 2012, le travailleur revoit le docteur Morin qui lui recommande de revoir le docteur Simon Beaudoin, orthopédiste, qu’il a consulté au préalable. Le tribunal ne dispose pas des notes de consultation de ce médecin au dossier. Le docteur Morin suggère une troisième infiltration au niveau foraminal L4-L5 gauche et du repos.
[51] Le travailleur revoit son médecin le 7 janvier et le 20 février 2013.
[52] Le 11 mars 2013, il passe une résonance magnétique.
[53] Le docteur Vincent Mailloux, radiologue, interprète les résultats en indiquant que la hernie discale au niveau L4-L5 est de moindre taille comparativement à ce qui était visible en 2012. Il procède à un bloc intra-foraminal cortisoné aux niveaux L4-L5 et L5-S1 gauches et inscrit ce qui suit :
Compte tenu d’une certaine oblitération du foramen de conjugaison gauche L4-L5, secondaire à des phénomènes de discopathie dégénérative, en particulier de discarthrose et également d’arthrose interfacettaire, j’ai procédé à une ponction de la région intra-foraminale supérieure gauche à l’étage L5-S1 de façon à orienter l’aiguille un peu plus supérieurement.
[54] Le travailleur continue d’être suivi par le docteur Morin qu’il revoit notamment en mai 2013.
[55] Le 30 mai 2013, le travailleur passe une cinquième résonance magnétique afin de comparer les résultats à ceux d’octobre 2012. Ainsi, cet examen demeure inchangé par rapport à celui du 25 octobre 2012.
[56] La CSST refuse la réclamation du travailleur au motif que la lésion n’a pas été occasionnée par un agent vulnérant, et ne peut donc être considérée à titre de blessure. De ce fait, le travailleur ne peut bénéficier de la présomption de lésion professionnelle prévue à l’article 28 de la loi. Parmi les autres motifs retenus par la CSST pour refuser la réclamation, celle-ci a considéré le fait que le travailleur effectuait son travail habituel, que la douleur est apparue vers le 18 novembre 2011, date où il a été mis à pied, qu’il n’a avisé l'employeur que le 6 février 2012, qu’il n’y a aucun événement imprévu et soudain, que le travailleur ne déclare aucun autre élément pouvant être assimilé à un événement imprévu et soudain au sens élargi et qu’il n’y a aucun mécanisme de production d’une lombosciatalgie.
[57] De plus, la CSST considère qu’une lombosciatalgie et une hernie discale ne sont pas des diagnostics de maladie professionnelle et que les articles 29 et 30 de la loi ne peuvent donc s’appliquer. La révision administrative confirme le refus de la réclamation du travailleur et le tribunal est actuellement saisi d’une requête à l’encontre de celle-ci.
[58] Le 31 octobre 2013, le docteur Clément Morin, médecin qui a charge, rédige un rapport en réaction à la demande d’information formulée par la procureure du travailleur. Il appert du mandat que la procureure du travailleur a confié au docteur Morin qu’il devait répondre aux questions suivantes :
À la question 1, on se demande si le travailleur, dans la conduite de l’équipement dont il avait la responsabilité, aurait pu, de par des déplacements ou autrement en raison des petits coups, faire apparaître une hernie discale?
[59] En réponse à cette question, le docteur Morin écrit ce qui suit :
La vraie réponse est l’exposition prolongée à des vibrations de basses fréquences. Ces vibrations peuvent entraîner, et cela est reconnu partout, des hernies discales. Ceci a déjà fait l’objet de plusieurs observations et a été corroboré par les orthopédistes et autres intervenants en santé comme étant un fait réel. Il y a donc une possibilité de voir apparaître des hernies discales en relation avec l’exposition à des vibrations de basses fréquences.
Bien entendu, rien ne pourra aujourd’hui nous confirmer s’il y avait lésion au préalable. L’employé n’ayant pas subi d’examen pré-embauche, ni rayon x, ni autres évaluations qui auraient pu faire la lumière sur ce sujet. Bien entendu, compte tenu de son âge, 37 ans, il est un peu surprenant de voir apparaître une hernie discale à ce jeune âge, mais nous croyons Monsieur Turgeon lorsqu’il nous dit qu’il n’a pas d’autre activité qui aurait pu entraîner ce genre de lésion. Il ne fait pas de motoneige, ne fait pas de VTT, n’exerce pas de sport à haute risque. Il n’a pas eu de chute, n’a pas eu d’autre traumatisme. [sic]
[60] Puis, la procureure du travailleur demande au docteur Morin si la hernie discale diagnostiquée chez le travailleur est de nature traumatique. Il donne la réponse suivante :
À la question 2, la hernie discale diagnostiquée ici est le résultat d’une exposition à des vibrations de basses fréquences, de là l’aspect insidieux et progressif de l’apparition des symptômes, encouragés par la période automnale avec également et concomitamment une augmentation à l’exposition au froid. Plus la saison avançait, plus il était à risque d’avoir des événements de ce type. Il y a donc probablement eu une contribution des éléments climatiques dans l’aggravation de sa condition. Cette détérioration du climat à l’automne a probablement été une excuse initiale à Monsieur Turgeon pour prétendre qu’il y avait une bonne partie de ses malaises pouvant résulter d’une exposition au froid, de là sa persévérance au travail. II pensait que cela allait se passer, mais ce ne fut pas le cas. Il y a eu aggravation progressive de sa condition qui ne variait pas en fonction de l’exposition au froid comme il le pensait. Il a donc continué et a persévéré à travailler, tant et aussi longtemps que le travail était disponible. On sait très bien que les employés qui travaillent sur des équipements de pelles mécaniques ont des périodes de chômage envisageables en hiver. Même s’il avait l’opportunité de continuer à travailler, il a dû s’abstenir en raison de la détérioration importante de sa hernie discale qui fut très bien démontrée par les examens de radiologie. Il ne s’agit donc pas d’un événement à caractère soudain, mais plutôt d’un phénomène très lent, progressif et insidieux qui a amené une détérioration de la condition de son disque intervertébral qui a cédé et, sous la vibration, a entraîné un glissement au pourtour du sac dural, entraînant une hernie discale importante et impressionnante.
[61] La troisième question est de savoir si le travailleur aurait pu développer la hernie discale diagnostiquée dans le cadre de ses activités de la vie quotidienne et, si oui, pour quelles raisons?
[62] Le docteur Morin répond par la négative, considérant que le travailleur ne faisait aucune activité à risque de développer une telle pathologie.
[63] Finalement, la procureure du travailleur demande au docteur Morin de se prononcer à l’égard d’un possible lien de causalité entre les tâches exercées et la pathologie. Il répond comme suit :
À la question 4, de manière générale, cette hernie discale est en relation avec les vibrations de basses fréquences subies à son travail. Bien entendu, les mouvements de contorsion, rotation avec flexion du tronc, comme il en fait dans l’exécution de son travail, ont pu contribuer à l’apparition de l’hernie discale, mais une chose est certaine, ce sont les vibrations de basses fréquences qui ont contribué à la détérioration de la situation, entraînant une susceptibilité à la hernie discale, chez un patient dont nous ignorions les conditions au préalable.
S’il était prouvé qu’il y avait une condition médicale préexistante, ce que nous n’avons pas réussi à faire, l’employeur pourrait se prévoir de l’article 329 et tenter d’obtenir un partage d’imputation avec la CSST. L’employé pourrait être dédommagé à même le fonds général d’indemnisation. [sic]
[64] Le docteur Morin conclut son rapport en indiquant qu’il est prévisible et souhaité que le travailleur n’opère plus d’équipement produisant des vibrations de basses fréquences et qu’il doit donc se réorienter professionnellement. Quant aux soins pouvant améliorer sa condition, il mentionne une prothèse discale, mais indique que l’attente d’une telle chirurgie est d’au moins un an et demi, peut-être deux et même trois ans en milieu spécialisé. C’est la raison pour laquelle il insiste sur le fait que le travailleur doit se réorienter rapidement dans un autre secteur d’activité mieux adapté à sa condition.
[65] Sur la base de ces faits et de l’ensemble de la preuve offerte, le tribunal doit maintenant déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle.
[66] Pour ce faire, le tribunal est lié par les diagnostics émis par le médecin qui a charge, le docteur Morin, soit celui de hernie discale L4-L5 gauche qui a été confirmé par les différentes résonances magnétiques qu’a passées le travailleur.
[67] Afin de se voir reconnaître une maladie professionnelle, le travailleur doit soit démontrer qu’il satisfait aux conditions d’application de la présomption de maladie professionnelle de l’article 29 de la loi, et qu’il peut donc en bénéficier, soit, à défaut, démontrer que la hernie discale L4-L5 dont il souffre est reliée aux risques particuliers de son travail au sens où l’entend l’article 30 de la loi.
[68] La procureure du travailleur ne soutient pas que le travailleur peut bénéficier de la présomption de maladie professionnelle en vertu de l’article 29 de la loi, position que partage le tribunal pour les motifs ci-après exposés.
[69] En effet, la section IV de l’Annexe 1 de la loi prévoit ce qui suit :
ANNEXE I
MALADIES PROFESSIONNELLES
(Article 29)
SECTION IV
MALADIES CAUSÉES PAR DES AGENTS PHYSIQUES
MALADIES |
GENRES DE TRAVAIL |
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1. Atteinte auditive causée par le bruit: |
un travail impliquant une exposition à un bruit excessif; |
2. Lésion musculo-squelettique se manifestant par des signes objectifs (bursite, tendinite, ténosynovite): |
un travail impliquant des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées; |
3. Maladie causée par le travail dans l’air comprimé: |
un travail exécuté dans l’air comprimé; |
4. Maladie causée par contrainte thermique: |
un travail exécuté dans une ambiance thermique excessive; |
5. Maladie causée par les radiations ionisantes: |
un travail exposant à des radiations ionisantes; |
6. Maladie causée par les vibrations: |
un travail impliquant des vibrations; |
7. Rétinite: |
un travail impliquant l’utilisation de la soudure à l’arc électrique ou à l’acétylène; |
8. Cataracte causée par les radiations non ionisantes: |
un travail impliquant une exposition aux radiations infrarouges, aux micro-ondes ou aux rayons laser. |
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1985, c. 6, annexe I.
[notre soulignement]
[70] Bien que le docteur Morin affirme que « la vraie réponse est l’exposition prolongée à des vibrations de basses fréquences. Ces vibrations peuvent entraîner, et cela est reconnu partout, des hernies discales. Ceci a déjà fait l’objet de plusieurs observations et a été corroboré par les orthopédistes et autres intervenants en santé comme étant un fait réel. Il y a donc une possibilité de voir apparaître des hernies discales en relation avec l’exposition à des vibrations de basses fréquences », cette affirmation, non corroborée par de la littérature médicale sur le sujet ou d’autres éléments médicaux permettant de l’étayer, ne permet pas, à elle seule, de conclure que la hernie discale L4-L5, dont souffre le travailleur, constitue une maladie causée par les vibrations, comme l’exige la section IV de l’Annexe I de la loi.
[71] D’ailleurs, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles et la Commission des lésions professionnelles se sont prononcées à l’égard de ce qui constitue une maladie causée par les vibrations et ont conclu que les pathologies liées à de la dégénérescence discale ne correspondent pas de telles maladies[2].
[72] À défaut de pouvoir bénéficier de la présomption de maladie professionnelle, le travailleur doit démontrer que la hernie discale L4-L5 dont il souffre est caractéristique ou reliée aux risques particuliers de son travail.
[73] Relativement à l’aspect caractéristique du travail, le travailleur n’a fourni aucune preuve statistique ou épidémiologique permettant de conclure que la lésion subie est une maladie caractéristique de son emploi d’opérateur de machinerie lourde. Il ne satisfait donc pas au fardeau de preuve qui lui incombait.
[74] Il lui reste donc à déterminer si la hernie discale L4-L5 est reliée aux risques particuliers de son emploi.
[75] Dans l’affaire Société canadienne des Postes et Côté[3], la Commission des lésions professionnelles a interprété le risque particulier comme étant celui qui survient lorsque l’exercice de certaines tâches fait encourir au travailleur, en raison de leur nature ou de leurs conditions habituelles d’exercice, un risque particulier de développer une maladie précise.
[76] La Commission des lésions professionnelles a également déterminé la preuve requise lorsque les risques particuliers du travail sont invoqués au soutien de l’admissibilité d’une réclamation pour maladie professionnelle. Selon les paramètres ainsi établis, il faut d’abord procéder à une analyse des structures anatomiques atteintes par la maladie afin d’identifier les facteurs biomécaniques, physiques ou organisationnels sollicitant ces structures. Il faut ensuite regarder l’importance de l’exposition aux facteurs de risque, que ce soit en termes de durée, d’intensité ou de fréquence, ainsi que la relation temporelle. Le tribunal fait siens ces paramètres s’appliquant au présent dossier.
[77] En l’espèce, le travailleur, tout comme le docteur Morin, identifie le rachis lombaire comme étant la structure anatomique sollicitée par les tâches exercées par le travailleur à titre d’opérateur de machinerie lourde depuis 2006. Plus spécifiquement, le travailleur cible l’utilisation d’un chargeur entre juin et novembre 2011 comme étant la source de ses problèmes.
[78] Relativement à l’existence ou non d’un lien de causalité, le tribunal dispose de l’avis du docteur Morin, médecin qui a charge. Dans la lettre qu’il rédige le 31 octobre 2013, il affirme que :
La vraie réponse est l’exposition prolongée à des vibrations de basses fréquences. Ces vibrations peuvent entraîner, et cela est reconnu partout, des hernies discales. Ceci a déjà fait l’objet de plusieurs observations et a été corroboré par les orthopédistes et autres intervenants en santé comme étant un fait réel. Il y a donc une possibilité de voir apparaître des hernies discales en relation avec l’exposition à des vibrations de basses fréquences.
[nos soulignements]
[79] Or, bien que le docteur Morin affirme que la cause de la hernie discale L4-L5 du travailleur est l’exposition à des vibrations de basses fréquences, il ne précise pas le type d’exposition en fonction de l’équipement devant être manœuvré par le travailleur, ce qui, du témoignage même de ce dernier, varie considérablement d’une machinerie à l’autre selon plusieurs paramètres, dont le type d’équipement, le modèle, son niveau d’entretien, l’environnement dans lequel il est utilisé, etc.
[80] De plus, le docteur Morin affirme que l’exposition à des vibrations de basses fréquences peut entraîner des hernies discales et « cela est reconnu partout ». Est-il nécessaire de rappeler qu’il ne suffit pas d’affirmer l’existence d’un lien de causalité, puisqu’une preuve prépondérante est requise en vue de conclure en ce sens.
[81] D’une part, dans la présente affaire, le docteur Morin affirme que le lien de causalité entre l’exposition à des vibrations de basses fréquences et la hernie discale est reconnu partout et que plusieurs observateurs du domaine de la santé le considèrent comme un fait réel, mais il ne fournit aucune littérature médicale sur le sujet permettant de corroborer ses affirmations.
[82] D’autre part, il parle d’une « possibilité » de voir apparaître ce type de pathologie à la suite d’une exposition aux vibrations de basses fréquences. Le fardeau de preuve que doit assumer le travailleur est celui de la preuve prépondérante exigeant non pas la démonstration d’une possibilité, mais plutôt d’une probabilité. L’opinion du docteur Morin, comme il a été exprimé, ne satisfait donc pas au fardeau de la preuve qui incombait au travailleur. Le tribunal conclut que le travailleur n’a pas démontré que la hernie discale L4-L5 est reliée aux risques particuliers de son travail d’opérateur de machinerie lourde exercé depuis 2006 chez différents employeurs.
[83] Par ailleurs, est-ce que le travailleur a subi une lésion professionnelle sous l’angle de la notion élargie d’accident du travail en raison de microtraumatismes?
[84] L’ensemble de la preuve testimoniale offerte à l’audience oriente le tribunal sur les circonstances particulières où le travailleur a eu à exercer l'emploi d’opérateur de chargeur chez l'employeur entre la fin juin et la mi-novembre 2011.
[85] Il ressort du témoignage crédible et non contredit du travailleur qu’au cours de cette période, il a dû effectuer ses tâches d’opérateur de machinerie lourde sur de l’équipement quelque peu désuet, comportant un siège défectueux ou, à tout le moins, non rembourré. De plus, le chargeur n’était pas muni d’un « boom suspension » permettant une certaine stabilité et diminuant les contrecoups à la colonne lombaire.
[86] Le tribunal retient également du témoignage du travailleur que contrairement aux situations où il a eu à utiliser un chargeur par le passé, cette fois-ci, il ne pouvait se fabriquer une plate-forme au sol pour diminuer les contrecoups de la machinerie puisque la distance qu’il devait parcourir avec le chargeur était beaucoup trop longue, soit de trois kilomètres, et qu’il devait continuellement s’y promener pendant ses quarts de travail d’une durée de dix heures en moyenne, sauf le vendredi.
[87] Le tribunal retient également de la preuve, bien que le travailleur effectue l’emploi d’opérateur de machinerie lourde depuis 2006, qu’il n’a eu aucun problème lombaire avant le contrat chez l'employeur et, plus particulièrement, avant l’utilisation du chargeur entre la fin juin et la mi-novembre 2011.
[88] La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles a, à maintes reprises, établi que la notion d’« accident du travail » pouvait être interprétée au sens large en considérant une série de microtraumatismes.
[89] En l’espèce, la procureure du travailleur soutient que la combinaison de plusieurs éléments peut être assimilée à un événement imprévu et soudain au sens élargi de ce terme, soit l’existence d’un siège non conforme, l’absence de « boom suspension », le travail sur un terrain inégal et accidenté et l’impossibilité pour le travailleur d’aménager une plate-forme plus stable et moins accidentée, puisque le terrain à couvrir était trop vaste, soit trois kilomètres.
[90] La Commission des lésions professionnelles a eu à se prononcer sur l’admissibilité ou non d’une réclamation pour lésion professionnelle dans des circonstances pouvant s’assimiler à celles décrites en l’espèce.
[91] Dans l’affaire De Repentigny et Norampac inc., Division Vaudreuil[4], le travailleur était conducteur de chariot élévateur à temps plein et prétendait s’être blessé au coccyx en raison de la mauvaise condition du siège du chariot élévateur qu’il utilisait dans l’exercice de ses tâches.
[92] La preuve révélait qu’il s’était plaint, à plusieurs reprises, à son contremaître du piètre état du siège, que ce dernier a été changé et qu’il avait été mentionné par le contremaître qu’il était trop écrasé. Le tribunal a conclu à la démonstration de la défectuosité du siège par le travailleur. De plus, le diagnostic de fracture de stress du coccyx est posé à une période contemporaine à cette exposition du matériel défectueux et qu’il s’agit d’une blessure résultant de microtraumatismes répétés. Au soutien de ses prétentions, le travailleur produit notamment des études sur le travail de cariste et de la littérature médicale sur la fracture de stress. Le tribunal a donc conclu à la survenance d’un événement imprévu et soudain, au sens élargi de ce terme, en raison du siège défectueux menant, sur une période de quelques mois, à la fracture de stress du coccyx dont il a souffert.
[93] De même, dans l’affaire Duarte et Ville de Montréal/Arrondissement Mont-Royal[5], il s’agissait d’une blessure au dos en raison de la conduite d’un balai mécanique dont le siège défectueux n’offrait aucune suspension.
[94] Dans cette affaire, le travailleur était âgé de 39 ans et travaillait chez l'employeur depuis quinze ans. Il occupait depuis environ quatre ans un poste de chauffeur-opérateur. La preuve prépondérante démontrait que le siège du balai mécanique 517 était défectueux et que le travailleur avait eu à utiliser cet équipement fréquemment dans les semaines précédant son arrêt de travail.
[95] Au terme de son analyse dans cette affaire, le tribunal conclut que plusieurs éléments militent en faveur de la reconnaissance d’un lien de causalité, dont le témoignage crédible du travailleur, l’absence d’antécédents au niveau lombaire et l’apparition graduelle des douleurs au cours de l’utilisation de la pelle mécanique et « qu’il apparaît plausible que les contrecoups ressentis par le travailleur aient engendré une lombalgie ou une entorse lombaire ».
[96] De plus, dans cette affaire, aucun élément n’a permis de prouver l’existence d’une condition personnelle pouvant expliquer l’apparition des symptômes. Le tribunal saisi de l’affaire conclut comme suit:
[42] En l’absence de preuve contraire, il découle de l’ensemble des circonstances graves, précises et concordantes, qu’il est probable que l’entorse lombaire diagnostiquée chez le travailleur résulte de l’utilisation d’un véhicule avec un siège défectueux et sans suspension. Dans les décisions citées plus haut, cette relation est d’ailleurs reconnue. »
[97] Dans l’affaire à l'étude, le tribunal est d’opinion que le témoignage du travailleur est crédible et n’a pas été contredit par l’employeur sur aucun des éléments avancés, le contexte de travail impliquant des déplacements sur un terrain accidenté et inégal d’une longueur d’environ trois kilomètres, un siège non conforme, l’absence de « boom suspension » et l’impossibilité pour le travailleur d’aménager une plate-forme de travail plus lisse, limitant les contrecoups et les chocs à la colonne lombaire.
[98] Dans ce contexte, le tribunal est d’avis que le travailleur a prouvé l’existence d’éléments permettant de conclure à un événement imprévu et soudain survenu au travail au cours de la période s’échelonnant de la mi-juin à la mi-novembre 2011.
[99] Ceci étant établi, le travailleur a-t-il démontré, à l’aide d’une preuve prépondérante, l’existence d’un lien de causalité entre cet événement imprévu et soudain et la hernie discale L4-L5 diagnostiquée?
[100] Avec respect pour l’opinion contraire, le tribunal conclut que non pour les motifs ci-après exposés.
[101] En effet, le docteur Morin ne se prononce pas à l’égard des circonstances particulières vécues par le travailleur entre la mi-juin et la mi-novembre 2011 qui selon le témoignage du travailleur impliquent plus que l’exposition à des vibrations de basses fréquences, mais mettent plutôt en cause des contrecoups, comme il le soutient.
[102] Or, le docteur Morin n’apporte aucun éclairage au tribunal à cet égard. Il se limite à affirmer que la cause de la hernie dont souffre le travailleur est « possiblement » l’exposition à des vibrations de basses fréquences. Pourtant, le travailleur est soumis à ce type de vibrations depuis 2006, année où il a commencé la manœuvre de machinerie lourde, sans éprouver de difficultés particulières au niveau lombaire ayant nécessité un arrêt de travail.
[103] De plus, la preuve médicale révèle que le travailleur est porteur d’une condition personnelle de dégénérescence de la colonne lombaire étant vraisemblablement symptomatique avant l’événement allégué, si le tribunal se fie notamment au rapport de consultation du docteur Arsenault du 1er février 2012, où le travailleur lui dit avoir des douleurs lombaires importantes depuis de nombreuses années.
[104] La jurisprudence de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles et de la Commission des lésions professionnelles a, à maintes occasions, rappelé que l’existence d’une condition personnelle préexistante ne constitue pas un frein à l’indemnisation, dans la mesure où un travailleur démontre qu’il a été victime d’un événement imprévu et soudain et qu’il existe un lien de causalité entre le diagnostic posé et l’événement en cause. En l’espèce, c’est ce deuxième élément de preuve qui fait défaut.
[105] Par conséquent, le tribunal conclut, bien que le travailleur ait démontré qu’il a été victime d’un événement imprévu et soudain par microtraumatismes, qu’il n’a pas satisfait au fardeau de preuve qui lui incombait à l’égard du lien de causalité entre cet événement et le diagnostic de hernie discale L4-L5 gauche. Le tribunal en vient donc à la conclusion que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 18 novembre 2011 et n’a donc pas droit aux bénéfices prévus à la loi en regard de ce diagnostic.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête déposée par monsieur Joël Turgeon, le travailleur;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 7 mars 2012 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle, le 18 novembre 2011;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en regard du diagnostic de hernie discale L4-L5 gauche.
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Côté et Service aérien Laurentien ltée, 10630-63-8812, 27 mars 1991, M. Cuddihy, (J3-11-11), révision rejetée, [1993] C.A.L.P. 215; Ladouceur et Laiterie Lowe (1983) ltée, 13850-64-8907, 19 décembre 1991, R. Brassard, (J4-01-12); Martel et Conrad Jodoin ltée, 158706-71-0103, 27 février 2002, R. Langlois; Ravary et Guay inc., [1993] C.A.L.P. 1370, révision rejetée, [1993] C.A.L.P. 1374, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Montréal, 500-05-006296-931, 12 octobre 1993, j. Viau; Charbonneau et 2528-4340 Québec inc., [1995] C.A.L.P. 129; Guérin et J.B. Hunt Transport inc., 77255-60-9602, 21 mars 1997, L. Thibault, (J9-02-13); Conabree et United Parcel Services Canada ltée, 2012 QCCLP 6441.
[3] C.LP. 88086-05-9704, 12 novembre 1999, F. Ranger. Voir au même effet : Marché Fortier ltée et Fournier, [2001] C.L.P. 693; Entreprises d’émondage LDL inc. et Rousseau, C.L.P. 214662-04-0308, 4 avril 2005, J-F Clément.
[4] C.L.P. 334592-62C-0712, 20 mai 2008, R. Hudon.
[5] C.L.P. 192667-61-0210, 22 avril 2003, L. Nadeau.
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