Décision

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Coulombe c. Aliments Dominion Citrus

2022 QCTAT 5284

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

 

Région :

Québec

 

Dossier :

1262280-31-2107

Dossier employeur :

505056

 

 

Québec,

le 25 novembre 2022

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

Nancy St-Laurent

______________________________________________________________________

 

 

 

Georges Coulombe

 

Partie demanderesse 

 

 

 

c.

 

 

 

Les Aliments Dominion Citrus S.E.C.

 

Partie défenderesse

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

LAPERÇU

[1]                Monsieur Georges Coulombe, le plaignant, occupe un poste de directeur des ventes lorsquil est congédié par son employeur, Les Aliments Dominion Citrus S.E.C. Il prétend avoir reçu une double sanction pour la même faute, ce qui rend illégale[1] cette dernière mesure.

[2]                Lemployeur considère que le comportement du plaignant justifie son congédiement. En somme, malgré trois semaines de suspension, celui-ci ne reconnait toujours pas ses torts alors quil a agressé physiquement un collègue. Il craint quil récidive.

[3]                Les questions en litige sont les suivantes :

-            Le plaignant a-t-il fait lobjet dune double sanction?

-            Dans laffirmative, peut-il réintégrer son emploi?

[4]                Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que le plaignant a effectivement fait lobjet dune double sanction pour une même faute. Sa plainte est accueillie et sa réintégration est ordonnée.

LANALYSE

Le plaignant a-t-il fait lobjet dune double sanction?

[5]                Larticle 124 de la Loi accorde au salarié qui justifie de deux ans de service continu dans une même entreprise le droit de contester son congédiement.

[6]                Lorsque les conditions douverture du recours sont remplies comme en lespèce, lemployeur doit démontrer, par une preuve prépondérante, les reproches adressés au salarié. À moins dune faute grave, il doit adopter une approche progressive avant dimposer cette mesure ultime puisque le salarié doit être en mesure de comprendre ses manquements et avoir la chance de corriger son comportement fautif.

[7]                Ainsi, limposition dune double sanction pour une même faute est prohibée[2] :

[3.035] La prohibition de la double sanction fait partie intégrante de lobligation déquité de lemployeur. Elle consiste à ne pas punir le même manquement ou comportement fautif par deux mesures disciplinaires distinctes et définitives.

[8]                Voyons ce quil en est dans la présente affaire.

[9]                Le 4 juin 2021, une altercation physique survient entre le plaignant et un collègue, chacun deux estimant être la victime. Ils sont suspendus sans soldes par lemployeur, le temps de lenquête.

[10]           Dans sa déclaration, le plaignant soutient avoir été provoqué et dit navoir porté aucun coup. Il trouve «regrettable quune telle situation se soit produite» et souligne que «depuis 24 ans de loyaux services, je nai jamais eu de comportements agressifs ou pouvant porter préjudice à mon entourage professionnel et personnel ni vécu de telle situation».

[11]           Néanmoins, au terme de lenquête, lemployeur conclut que le plaignant est lagresseur, même sil a été nargué. Cest dailleurs ce que rapportent des témoins de la scène. La version du plaignant est donc écartée et une suspension sans soldes de trois semaines additionnelles lui est imposée. Son collègue est suspendu pour une durée dune semaine.

[12]           Lors de la remise de cette mesure disciplinaire, lemployeur invite le plaignant à «réfléchir et à revenir au travail avec de bonnes intentions». Une rencontre pour faire le point est prévue à son retour au travail.

[13]           Elle se tient le 5 juillet. À cette occasion, le plaignant nie encore être lagresseur et met en doute la version des témoins. Par ailleurs, il dit avoir exprimé des regrets et mentionné que cela ne se reproduira plus. Il aurait également proposé de «serrer la main» de son collègue, afin de rétablir les choses.

[14]           Lemployeur soutient quaucun regret ou remords nest exprimé par le plaignant. Déstabilisés par son discours, les représentants patronaux concluent lentretien en disant quils en reparleront. Lemployeur entreprend néanmoins des démarches afin de réactiver les accès du plaignant puisque son retour au travail est prévu le surlendemain.

[15]           Ce dernier est rencontré de nouveau à son arrivée. Comme il maintient sa position quant à laltercation, il est congédié. Lemployeur dit avoir perdu confiance en lui, mais se dit prêt à laider dans ses recherches demploi. Il souhaite que cette fin demploi se termine à lamiable, ce qui narrivera toutefois pas.

[16]           La semaine suivante, le plaignant rapporte ses outils et réclame la délivrance de son relevé demploi. Il lobtiendra quelques jours plus tard, accompagné dune lettre de congédiement où on peut y lire ceci :

Faisant suite à notre enquête concernant les événements qui ont culminé le 4 juin 2021, et de nos rencontres qui ont suivi, nous avons perdu confiance et vous confirmons par écrit la terminaison du lien demploi qui nous unissait.

[17]           Pour lemployeur, le fait que le plaignant ne reconnaisse pas ses torts et quil nait pas cheminé malgré sa suspension, justifie son congédiement. Il juge ce comportement inacceptable et craint une récidive de sa part.

[18]           Le Tribunal ne peut souscrire à cette prétention.

[19]           En imposant une suspension pour laltercation du 4 juin, lemployeur a fait son lit. Il ne peut ensuite congédier le plaignant sous prétexte qu’il nadmet toujours pas ses torts. Il le savait déjà au moment où il a imposé sa première mesure disciplinaire. Les facteurs atténuants comme aggravants ont alors été considérés, incluant labsence dexcuse, de remords ou de regret. La version du plaignant nayant jamais changée, il ne sagit pas dun élément nouveau pouvant justifier le congédiement.

[20]           Pour soutenir sa décision, lemployeur prétend également que le comportement du plaignant démontre quil est incorrigible et quil y a risque de récidive.

[21]           Cependant, ce nest pas le cas. La preuve démontre que son dossier disciplinaire est quasi-vierge[3], ce qui illustre quil nest pas un employé problématique. Sans minimiser la portée des gestes posés le 4 juin, il sagissait de sa première altercation physique en 24 ans de service. Son témoignage convainc également le Tribunal quil a compris que la violence na pas sa place dans un milieu de travail, même sil maintient quil nest pas lagresseur. Pour le Tribunal, ces deux prétentions ne sont pas contradictoires.

[22]           La présente affaire se distingue donc de celles soumises par lemployeur où le salarié avait un comportement fautif quil ne voulait pas corriger.

[23]           En conclusion, même en tenant pour avérés les manquements reprochés par lemployeur, ils ont tous été sanctionnés par une suspension. Imposer un congédiement pour ces mêmes fautes constitue une double sanction, ce qui rend illégale cette mesure ultime.

[24]           Le statut de cadre du plaignant ne change rien quant à cette conclusion.

[25]           Pour ces raisons, la plainte est accueillie et le congédiement est annulé.

Le plaignant peut-il réintégrer son emploi?

[26]           La réponse est oui.

[27]           Larticle 128 de la Loi accorde au Tribunal le pouvoir de réintégrer dans son emploi une personne ayant fait lobjet dun congédiement, sans cause juste et suffisante. La réintégration vise à replacer le salarié dans la situation où il serait, neût été son congédiement injustifié. Cest dailleurs cette mesure de réparation qui doit être ordonnée à moins «que lemployeur ne démontre lexistence dun obstacle réel et sérieux et limpossibilité ou linfaisabilité dune telle mesure[4]».

[28]           Lemployeur soutient que la réintégration du plaignant est impossible vu la petite taille de lentreprise, qui compte une vingtaine demployés.

[29]           Or, cette seule allégation est insuffisante pour priver le plaignant de cette mesure de réparation, dautant plus quil justifie plus de vingt années de service chez lemployeur et quil ny a pas danimosité entre les parties.

[30]           Comme la preuve ne révèle aucun obstacle sérieux, la réintégration du plaignant est ordonnée.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

ANNULE le congédiement imposé le 7 juillet 2022;

ORDONNE à Les Aliments Dominion Citrus S.E.C. de réintégrer Georges Coulombe dans son emploi, avec tous ses droits et privilèges, dans les dix (10) jours de la notification de la présente décision;

ORDONNE à Les Aliments Dominion Citrus S.E.C. de verser à Georges Coulombe, à titre dindemnité, dans les dix (10) jours de la notification de la présente décision, léquivalent du salaire et des autres avantages dont la privé le congédiement, le tout portant intérêt au taux fixé suivant larticle 28 de la Loi sur ladministration fiscale à compter de la date du dépôt de la plainte, conformément à larticle 100.12 du Code du travail;

RÉSERVE ses pouvoirs pour déterminer le quantum de lindemnité et pour régler toute difficulté résultant des présentes ordonnances.

 

 

__________________________________

 

Nancy St-Laurent

 

 

 

 

Me Timothée Martin

FRANÇOIS LEDUC AVOCAT

Pour la partie demanderesse

 

Me Guy C. Dion

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Pour la partie défenderesse

 

 

Date de la mise en délibéré : 26 septembre 2022

 

/mg

 

 


[1]  Loi sur les normes du travail, RLRQ c. N-1.1, art. 124, la Loi.

[2]  Linda BERNIER, Guy BLANCHET et Lukasz GRANOSIK, Éric SÉGUIN, Les mesures disciplinaires et non disciplinaires dans les rapports collectifs du travail, 2e édition, Montréal, Éditions Yvon Blais, I-3.035.

[3]  L’employeur soulève : un bris mécanique, un accident, des propos injurieux à l’égard d’un collègue ainsi que des problèmes personnels, qui sont réglés depuis plusieurs années. Aucune mesure disciplinaire n’est produite en preuve pour appuyer les dires de l’employeur.

[4]  Carrier c. Mittal Canada inc., 2014 QCCA 679, par. 129.

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