Construction Jean-Guy Pellerin inc. c. Grenier |
2012 QCCQ 7685 |
||
COUR DU QUÉBEC |
|||
|
|||
CANADA |
|||
PROVINCE DE QUÉBEC |
|||
DISTRICT DE MONTMAGNY |
|||
LOCALITÉ DE MONTMAGNY |
|||
« Chambre civile » |
|||
N° : |
300-22-000057-099 |
||
|
|||
DATE : |
28 septembre 2012 |
||
______________________________________________________________________ |
|||
|
|||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE JACQUES TREMBLAY, J.C.Q. |
|||
______________________________________________________________________ |
|||
|
|||
CONSTRUCTION JEAN-GUY PELLERIN INC. Représentée par Me Gina Blanchet |
|||
Demanderesse |
|||
c. |
|||
PAUL-HENRI GRENIER Représenté par Me Jérôme Théberge Lemieux Parent Théberge |
|||
Défendeur - demandeur reconventionnel |
|||
Audition tenue à Montmagny les 13, 14, 15 et 16 mars 2012 |
|||
______________________________________________________________________ |
|||
|
|||
JUGEMENT |
|||
______________________________________________________________________ |
|||
|
|||
[1] La demanderesse (Construction Pellerin) réclame du défendeur (Grenier) après amendement à l’instance, la somme de 50 770,07 $ pour des pertes subies à l’occasion du contrat de travail qui les liait et la somme de 15 000 $ à titre de dommages exemplaires.
[2] Grenier conteste et se porte demandeur reconventionnel pour 5715,60 $ pour préavis de cessation d’emploi et 10 000 $ pour congédiement abusif et atteinte à sa réputation.
LES FAITS
[3] Grenier est à l’emploi de Construction Pellerin du 30 mars 2005 au 10 octobre 2008. Au début, son travail était à temps partiel. En juin 2006, il travaille au moins quarante heures par semaine surtout du lundi au jeudi comme commis principal du magasin de Construction Pellerin.
[4] Construction Pellerin existe depuis 1979 et exécute des travaux de peinture et la pose de recouvrement de plancher. En 2001, elle ajoute un magasin offrant des produits de décoration intérieure. Ce magasin génère sensiblement 30 % de son chiffre d’affaires.
[5] Jean-Guy Pellerin, le président de Construction Pellerin, se préoccupe surtout de réaliser les contrats de service à domicile. Grenier est l’employé réalisant le plus grand nombre d’heures au magasin durant l’année 2008. Sa présence est complétée par un autre commis vers la fin de la semaine. Une personne ayant une formation comptable est également sollicitée pour la confection des paies, les retenues à la source, les déclarations TPS TVQ et la préparation des rapports financiers et des conciliations bancaires.
[6] En octobre 2008, les fournisseurs de Construction Pellerin refusent de continuer à faire des affaires, car ils sont impayés depuis deux ou trois mois. Leurs exigences atteignent 80 000 $. Jean-Guy Pellerin l’apprend de Brigitte Ricard, employée de fin de semaine au magasin.
[7] Pellerin rentre au bureau le samedi de l’Action de grâce pour analyser la situation. Il découvre alors que les dépôts bancaires sont insuffisants, que des factures sont considérées comme payées sans que l’on trouve une trace de l’argent ou des chèques, que des ventes sont faites en bas du prix coûtant et surtout, qu’il y a des dettes importantes et que la marge de crédit est totalement utilisée. Dès le mardi matin, il se rend au magasin et y rencontre Grenier. Il lui dépose certains documents compromettants et le congédie sans autre délai.
[8] Pellerin complète dans les mois qui suivent ses vérifications comptables et intente au nom de son entreprise une action en novembre 2009 énonçant de façon détaillée, dès lors, les reproches financiers qu’il adresse à Grenier. Il considère Grenier comme le gérant du magasin ou du moins son employé principal jouissant de sa confiance.
[9] Grenier, suite à son congédiement, prend une semaine à la chasse et se trouve quinze jours plus tard un emploi de commis dans une quincaillerie, emploi qu’il occupe toujours.
[10] Construction Pellerin sur deux années, paie ses dettes et procède à l’agrandissement de son magasin. Elle réclame ses pertes pour lesquelles elle tient Grenier responsable. Ses pertes se détaillent comme suit :
3073,14 $ en dépôts non effectués (paragraphes 6 à 17 de la déclaration);
2665,73 $ pour des factures payées en argent et montants jamais déposés (paragraphes 18 à 23 de la déclaration);
3532,48 $ factures payées par chèques, mais qui n’ont jamais été déposés (paragraphe 24 de la déclaration);
2628,35 $ pour marchandise vendue à madame Fernande G. Bernier et dont Construction Pellerin n’a jamais reçu paiement (paragraphes 25 à 27 de la déclaration);
14 088,18 $ matériel acheté auprès de divers fournisseurs et payé par Construction Pellerin (paragraphes 28 à 37 de la déclaration);
18 782,19 $ pour marchandise vendue en dessous du prix coûtant et crédit non autorisé;
10 000 $ pour matériel disparu sans raison du magasin.
[11] Grenier affirme qu’il n’a jamais assumé de tâches comptables au sein de l’entreprise et qu’il n’en a pas la compétence. Il dit que d’autres employés sont concernés par la bonne marche des affaires du commerce durant l’année 2008 (Brigitte Ricard, Mélanie Pelletier).
[12] Chaque jour et au changement de l’employé responsable du magasin, on fait le relevé de la caisse et prépare un bordereau de clôture. On dépose ensuite les chèques, les relevés de caisse et l’argent comptant dans une enveloppe spécifique identifiée à la journée de la semaine. Cette enveloppe est ensuite remise dans un coffre de métal, lui-même dans un tiroir de bureau dans la seule pièce de gestion du magasin. Cette pièce est close, mais son accès est facile. Aucune porte verrouillée ne le limite. Le magasin est accessible aux employés dans le jour et même aux livreurs après la fermeture (cf. plan des lieux D-2) du commerce.
[13] Grenier affirme que l’argent comptant séjournait au bureau pendant plusieurs jours et qu’il a servi à rembourser des clients qui ramenaient du matériel, peu importe le mode de paiement initial.
[14] Jusqu’en avril 2008, Mélanie Pelletier, comptable, vérifie les enveloppes journalières. Ensuite elle indique à Grenier qu’il s’agit de sa responsabilité et qu’elle cessera d’effectuer ce contrôle. Elle confirme que le contenu des enveloppes était conforme aux déclarations journalières qu’elle a vérifiées.
[15] L’entreprise compte une dizaine de fournisseurs réguliers. Elle bénéficie d’escomptes pour des achats importants. Les prix varient régulièrement, mais à l’intérieur d’une fourchette limitée. Certains produits cessent d’être disponibles et sont remplacés. À ce moment, le prix exigé peut être radicalement réduit pour favoriser son écoulement. Les employés de Construction Pellerin doivent fixer le prix de revente en ajoutant un pourcentage de 20 à 30 % sur le prix coûtant « dépendamment de l’importance de la commande placée par le client » (paragraphe 55 amendé de la défense).
[16] Grenier réclame un délai-congé de trois mois qui est réduit, en plaidoirie, à un mois compte tenu de son nouvel emploi comportant une baisse de statut. Il se plaint que les motifs justifiant son départ invoqués par Construction Pellerin lui causent préjudice et le soumettent à des sarcasmes. La prise de connaissance des procédures judiciaires l’a choqué et lui a causé un stress important affectant sa quiétude durant plusieurs semaines.
QUESTIONS EN LITIGE
1ère question : Quel rôle Grenier jouait-il à l’intérieur de l’entreprise et quelle était sa responsabilité à l’égard des résultats financiers et de leur connaissance par Jean-Guy Pellerin?
2e question : Grenier est-il responsable des pertes dénoncées par Construction Pellerin en 2008?
3e question : Grenier a-t-il droit à un préavis de terminaison du contrat de travail et de quelle durée?
4e question : Sa réputation est-elle atteinte et les motifs invoqués sont-ils abusifs et présentés de façon cavalière?
ANALYSE ET DÉCISION
La position respective des parties, le fardeau et la qualité requise de la preuve.
[17] Construction Pellerin exige le paiement de 54 770,07 $, somme que Grenier aurait détournée ou représentant les dommages causés par ses actes négligents. Elle ajoute 15 000 $ à titre de dommages exemplaires en raison du rôle privilégié de Grenier et son attitude à cet égard.
[18] Grenier soutient que son congédiement est injustifié, abusif et exécuté de façon cavalière lui causant préjudice.
[19] Chacune des parties assume le fardeau de prouver les éléments supportant son point de vue. L’article 2803 du Code civil du Québec l’établit clairement :
2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
[20] Malgré la nature des reproches formulés par l’employeur, la qualité de la preuve ne doit pas être hors de tout doute raisonnable. Cette exigence est celle du droit criminel. En droit civil, malgré qu’on allègue des malversations graves, Construction Pellerin doit convaincre par prépondérance des probabilités que Grenier s’est approprié des sommes ou qu’il a été malhonnête, déloyal ou négligent.
[21] L’article 2804 C.c.Q. se lit comme suit :
2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.
[22] Face aux pertes financières et à la disparition de biens, Construction Pellerin doit prouver que Grenier est, selon toute probabilité, responsable. La simple possibilité qu’il le soit, vu son rôle dans l’entreprise, ne sera pas suffisante. Le caractère moral du reproche et du jugement éventuel exige un bon degré de certitude. « Il ne suffit pas à l’employeur de soulever des doutes et de soutenir que, cela fait, il revient à l’employé de s’expliquer »[1]. Grenier est présumé de bonne foi. La preuve du contraire appartient en tout temps à Construction Pellerin (2805 C.c.Q.).
[23] Le recours à une preuve circonstancielle exigera la mise de l’avant de présomptions graves, précises et concordantes[2]. Pour avoir gain de cause, Construction Pellerin doit prouver le détournement des sommes d’argent ou de biens par Grenier ou sa faute constitutive de dommages qui y sont reliés directement.
[24] Par ailleurs, sur la décision de congédier « tout acte de malhonnêteté commis par un employé ne doit pas automatiquement être assimilé à un motif valable de congédiement »[3].
[25] La Cour d’appel nous précise que[4] :
« […]
toute faute ne rompt pas d’office la relation employeur-employé. Il faut plutôt déterminer la nature de l’inconduite, le contexte de sa commission et la proportionnalité du congédiement comme sanction. Le congédiement sera justifié si l’inconduite est d’une gravité telle qu’elle est incompatible avec le maintien de la relation d’emploi. »
[26] Et elle continue en indiquant les critères pour analyser le caractère grave de l’inconduite[5] :
« […]
la position hiérarchique de l’employé et son niveau de responsabilité, l’ancienneté, le degré d’autonomie fonctionnelle, les difficultés auxquelles l’entreprise fait face, la conscience de l’employé de son inconduite, le bénéfice personnel retiré de l’inconduite, l’âge de l’employé, sa conduite passée et les politiques du milieu d’emploi »
[27] Le vol, l’utilisation du lieu de travail pour des fins personnelles, le bénéfice personnel qu’il a retiré de ses gestes, la nécessité d’obtenir une autorisation sont des éléments que la Cour d’appel a jugé appropriés pour en arriver à la conclusion que l’employé avait eu l’inconduite grave justifiant son congédiement[6].
[28] Quant à Grenier, il doit prouver que son congédiement s’est réalisé pour des motifs inappropriés, que son annonce et sa mise à exécution se sont déroulées de façon irrégulière à la suite d’une enquête tronquée. Les motifs invoqués sont graves et portent atteinte à sa réputation. Leur rejet peut entraîner une condamnation aux dommages qui en résultent[7]. La durée de son délai-congé correspond à une période de chômage de quinze jours ainsi qu’une indemnité additionnelle de quinze jours de salaire pour compenser le niveau de responsabilité moindre de son nouvel emploi.
1ère question : Quel rôle Grenier jouait-il à l’intérieur de l’entreprise et quelle était sa responsabilité à l’égard des résultats financiers et de leur connaissance par Jean-Guy Pellerin?
Le rôle de Grenier et ses obligations d’employé.
[29] Grenier a été engagé en mars 2005 comme commis au magasin et à temps partiel. Son salaire est fixé sur une base horaire de 10 $. Aucun écrit n’a été déposé donnant une description de tâches signifiée à Grenier. Les parties s’entendent pour lui attribuer les tâches suivantes par l’admission du paragraphe 7 de la défense qui se lit comme suit :
7. Le défendeur avait été engagé par la demanderesse afin d’exercer les tâches suivantes :
· Vendre la marchandise;
· Effectuer la facturation auprès des clients;
· Conseiller les clients;
· Effectuer les commandes des marchandises auprès des fournisseurs;
· Compléter le rapport de fermeture journalière de la caisse;
[30] Il vérifiait aussi les livraisons, inscrivait dans le système informatique les données comptables et préparait les chèques pour payer les fournisseurs. En 2008, il réalise la majorité des dépôts à la Caisse Desjardins provenant des activités du magasin.
[31] Grenier n’a pas de formation comptable. Il a cependant été propriétaire pendant deux ans d’un commerce similaire qu’il a finalement vendu. Il a occupé un poste de commis en quincaillerie pendant cinq ans chez Dynaco BMR.
[32] Le propriétaire, Jean-Guy Pellerin, est rarement présent sur le plancher du magasin. Il exécute avec Maxime Morin, son apprenti, la réalisation des travaux. La période estivale est particulièrement chargée (70 heures de travail sur le chantier). Son implication dans la gestion comptable est surtout notée au niveau des contrats qu’il exécute.
[33] On ignore les rapports financiers qu’il consultait ou exigeait de Pelletier ou de Grenier. Des commandes étaient généralement livrées au moment où Grenier est sur place et il les vérifie. Cependant, Pellerin peut en recevoir directement à son domicile ou à en prenant lui-même livraison. Pellerin en 2008 signe les chèques que lui présente Grenier pour payer les fournisseurs sans s’immiscer dans ce processus de préparation et de paiement. L’état de compte est joint au chèque à signer.
[34] Construction Pellerin veut voir en Grenier, le gérant de son magasin, son employé principal responsable de sa bonne marche. Pellerin a confiance en Grenier et le croit capable de s’assurer que le magasin et l‘entreprise en général génèrent des profits.
[35] Grenier se décrit comme commis au magasin sans compétence et responsabilité comptable. Il nie avoir la responsabilité des dépôts bien qu’il les exécute presque tous en 2008. Il nie avoir accès à l’ordinateur comptable pour ensuite accepter qu’il a exécuté plusieurs entrées comptables en 2008. La preuve révèle qu’il interdisait aux autres employés, spécialement Brigitte Ricard, d’y toucher.
[36] Sans avoir le statut de directeur général ou de gérant, Grenier a un rôle plus grand que celui d’un simple commis. Le fait qu’il soit souvent seul en poste aux heures d’affaires, lui donne l’opportunité de s’impliquer. La comptable a un rôle très limité pour quelques heures le vendredi après-midi.
[37] Grenier a un rôle central dans l’entreprise pour les commandes, la facturation et la perception des comptes. Il a suffisamment d’expérience dans le commerce pour réagir à des situations incompatibles avec une gestion saine et transparente. Il ne peut ignorer, avec le temps, qu’il jouit de la confiance de Pellerin. Le caractère direct de la relation qu’il a avec son employeur lui permet facilement de solliciter des directives ou des contrôles additionnels s’il se sent démuni.
[38] L’article 2088 C.c.Q. se lit comme suit :
2088. Le salarié, outre qu'il est tenu d'exécuter son travail avec prudence et diligence, doit agir avec loyauté et ne pas faire usage de l'information à caractère confidentiel qu'il obtient dans l'exécution ou à l'occasion de son travail.
Ces obligations survivent pendant un délai raisonnable après cessation du contrat, et survivent en tout temps lorsque l'information réfère à la réputation et à la vie privée d'autrui.
[39] L’employé se doit d’exécuter le travail pour lequel il a été engagé avec prudence, diligence et assiduité. L’employé se doit ainsi d’exécuter le travail « suivant les règles de conduite et les méthodes que lui dictera l’employeur et selon ce qui a été convenu dans son contrat ou selon les règles d’usage du milieu du travail »[8]. L’employeur pourra poursuivre l’employé qui n’exécute pas cette obligation en demandant, entre autres, l’exécution par équivalent. C’est ce que fait Construction Pellerin en réclamant les pertes financières résultant de la mauvaise gestion de Grenier[9].
[40] La règle d’honnêteté à l’égard de son employeur est admise par Grenier, mais il nie s’être approprié quelque somme que ce soit au détriment de son employeur ou sans son autorisation ou sa connaissance.
Le congédiement est-il justifié?
[41] Après l’Action de grâce, Pellerin se rend dès la première heure rencontrer Grenier. Il lui exhibe quelques papiers, l’accuse de s’être approprié des biens ou de l’argent de la compagnie et le congédie. Aucune discussion ne survient. Grenier est invité à quitter immédiatement. Ricard le remplace. On procède au changement des serrures de l’entrée principale.
[42] Le vendredi qui précède, Pellerin est informé par Ricard que les fournisseurs refusent de livrer étant impayés depuis plusieurs mois. On leur doit 80 000 $. Bétonel, principal fournisseur, n’a rien reçu depuis trois mois et son compte s’élève à 25 000 $. La marge de crédit est complètement utilisée.
[43] Le vendredi, Pelletier la comptable, constate la détérioration des affaires et prend conscience que Pellerin l’ignore, Grenier l’ayant tenue à l’écart de ces considérations.
[44] Aucune explication n’a été sollicitée de Grenier. Pellerin ne voulait pas lui permettre d’intervenir dans la comptabilité maintenant que la situation difficile était découverte. Grenier s’en plaint. Cependant, il reçoit une lettre détaillée le 24 novembre 2008 précisant les reproches qui lui sont faits. Le 19 décembre 2008, une deuxième lettre lui réclame la somme de 46 285,90 $ avec l’appui des pièces justificatives. Il n’a aucune réaction pour expliquer sa gestion ou requérir la remise des documents incriminants.
[45] L’action est intentée un an plus tard. Dans sa défense, Grenier plaide avoir rarement et sur demande exécuté les dépôts en 2008 (paragraphes 42 à 44 de la défense). Or, à l’audience la preuve révèle qu’il a réalisé quarante-sept des cinquante-deux dépôts réalisés durant cette période. Il pouvait aisément constater les écarts avec les comptants quotidiens et comprendre que cette façon de procéder ne pouvait représenter une façon correcte de rendre compte des affaires de l’entreprise. Il n’en parle pas à son patron ni n’invoque cette explication à la première occasion.
[46] Pour la fixation des prix de vente, Grenier est celui qui commande auprès des fournisseurs et reçoit la facture. Il est en mesure de vérifier par téléphone le prix exact de la marchandise sollicitée par un client spécifique. Encore une fois, il est difficile de comprendre pourquoi ces mêmes biens sont revendus sans qu’« une marge de profit de 20 à 30 % sur le prix coûtant des commandes formulées auprès des fournisseurs, dépendamment de l’importance de la commande placée par le client; » soit prévue.
[47] Si l’opération de fixation des prix lui apparaissait imprécise, rien ne l’empêchait de solliciter de son employeur des instructions claires.
[48] Des chèques lui ont été remis pour le paiement de différentes factures. Ils ne seront jamais encaissés. Aucune explication n’est fournie sauf l’admission non provoquée d’avoir contresigné deux chèques faits à l’ordre de l’entreprise pour environ 150 $ afin de se compenser pour des heures de travail.
[49] Des travaux sont exécutés chez lui et chez des proches avec du matériel appartenant à son employeur. Aucun dépôt ne correspond à ces ventes de matériel. Aucune explication n’est soumise sauf qu’on invoque l’autorisation de Pellerin ou sa connaissance.
[50] La preuve est faite que Grenier avait à préparer les chèques pour le paiement des fournisseurs. C’est lui qui est en contact avec eux de façon régulière. Comment peut-il expliquer que Pellerin ne se voit pas présenter des chèques afin de payer Bétonel pendant plus de trois mois? Aucun autre employé dans l’entreprise ne peut jouer ce rôle.
[51] Il déclare à Ricard faire des travaux en directe concurrence avec son employeur. Des outils sont achetés aux frais de l’employeur sans qu’on les retrouve ou qu’on prouve les avoir vendus. Grenier qui les commandait n’a pas d’explication sur leur utilisation. Ces biens ne sont pourtant pas de ceux que la compagnie offre généralement à sa clientèle.
[52] Ces constats sont contraires au maintien d’une relation employeur-employé basée sur la confiance. Grenier n’a pas exécuté son travail avec un minimum d’application et il s’est placé sciemment dans des positions contraires aux intérêts de son employeur. L’importance de son rôle comme employé, sa présence unique au magasin, l’autonomie qui lui était reconnue, les erreurs consécutives qui sont commises et le bénéfice qu’il en retire parfois, font en sorte que Construction Pellerin ne pouvait maintenir son engagement après la fin de semaine de l’Action de grâce en 2008. Le congédiement est donc justifié.
2e question : Grenier est-il responsable des pertes dénoncées par Construction Pellerin en 2008?
Le déficit des dépôts à l’institution financière
[53] De janvier à octobre 2008, les dépôts d’argent comptant en provenance du magasin n’atteignent pas le niveau des sommes constatées au relevé quotidien de la caisse enregistreuse. Ce déficit existe même de février à avril où la comptable vérifiait le contenu des enveloppes quotidiennes.
[54] Grenier effectue la majorité des dépôts (36 sur 42). Il est en mesure de constater les déficits réguliers qui se manifestent. L’argent est laissé dans un tiroir de bureau dans un espace où tous les employés ont accès. Aucune porte ne limite l’entrée de cet espace. Les livreurs ont les clés du magasin. Aucune mesure n’apparaît avoir été prise sauf en octobre 2008 pour s’assurer que les anciens employés remettent leurs clés d’accès à leur départ.
[55] Le bureau où se trouve l’argent est près de l’entrée et les clients qui examinent la marchandise peuvent aisément s’y introduire lorsque l’employé est attiré ailleurs.
[56] Le déficit démontré est relatif, car les remboursements pour matériel retourné se font en argent même si le paiement initial s’est réalisé par carte de crédit ou de débit. De plus, le paiement en argent de transactions passées était encaissé sans trace à la caisse enregistreuse.
[57] La gestion est déficiente et les sommes perdues peuvent dépasser celles réclamées. Grenier doit-il rembourser? Il est possible qu’il les ait détournées, mais il est loin d’être le seul à pouvoir y avoir accès. Le bon sens et son expérience auraient dû l’inciter à dénoncer le tout à son employeur.
[58] Mais, le premier responsable de la qualité de la gestion c’est l’employeur. Les dépôts d’argent comptant sont modestes pour un magasin qui représente 30 % du chiffre d’affaires de l’entreprise. Des paiements du secteur « contrats » sont perçus au magasin. Or, en juin ces dépôts sont de l’ordre de 19 000 $ et à peine 1500 $ en argent comptant. La situation en mai est du même ordre.
[59] Le magasin s’adresse à une clientèle de particuliers. Est-il normal qu’on y retrouve si peu de comptant? Quels ont été les rapports sollicités et reçus par l’employeur?
[60] L’engagement de Marie-Hélène Pelletier quelques heures par semaine pour l’exécution de tâches précises de nature comptable apparaît bien peu pour s’assurer de la qualité de la gestion comptable des opérations.
[61] Grenier ne peut être responsable des écarts des dépôts. Il n’est pas le seul qui a accès au coffre où l’argent séjourne durant plusieurs jours. Il contrevient peut-être à la règle qui veut que toute somme excédant 150 $ soit déposée chaque jour. Par contre, l’employeur n’en assure pas le suivi ni le respect. Il autorise que cet argent serve à payer les crédits qui ont été constitués par un autre mode de paiement. La réclamation du déficit de 3572,82 $ est donc rejetée.
Paiements en argent comptant non comptabilisés
[62] Grenier touche 49,42 $ en argent le 19 mars 2008. Le relevé de terminaison de la journée n’en fait pas état. La caisse n’a pas enregistré cette transaction. Cependant, le dépôt bancaire de ce jour, contrairement à la fiche de terminaison, relève un dépôt de 217,87 $. L’affirmation faite à l’allégué 17 de la requête introductive d’instance est donc inexacte. La réclamation qui est formulée contre Grenier est donc rejetée.
[63] Le 10 juin, Grenier touche 1000 $ en argent (P-24). La feuille d’encaisse ne l’indique pas ni le dépôt du même jour fait par Grenier. La proximité des gestes et l’importance du montant en cause nous amènent à tenir responsable Grenier de cette somme ne croyant pas qu’elle ait pu en totalité être utilisée pour des remboursements à des clients qui ramenaient de la marchandise. Le client est bien identifié. Il s’est acquitté de sa dette en six versements distincts. On ignore si une mention a été faite à l’ordinateur. Grenier a cependant témoigné que les montants importants étaient déposés au coffre dès leur perception. La directive est qu’une somme de 150 $ au maximum doit être gardée pour la journée suivante. Cela implique qu’un dépôt devait être fait. Grenier est responsable de cette démarche et en conséquence, il doit rendre compte de l’utilisation de cette somme de 1000 $ et à défaut, être condamné à la payer. En aucun temps il a fourni au Tribunal une explication plausible sur le sort de cette somme.
[64] Selon l’allégué 22 de la requête introductive d’instance, une facture de 216,31 $ est payée comptant le 10 juillet. Les trois dépôts subséquents totalisent moins de 400 $ en argent. Cependant, le 10 juillet, c’est Brigitte Ricard qui est en poste. Sa caisse balance et la transaction n’est pas enregistrée. Le paiement a donc dû survenir plus tard. Trop d’incertitudes planent sur le traitement de ce paiement pour en rendre responsable Grenier.
[65] Au paragraphe 23 on allègue que Denis Michaud a payé 1400 $ le 29 septembre 2008 à Grenier (P-27). La facture 2783 l’atteste et est paraphée par Grenier lui-même. À l’audience, il nie s’être approprié de l’argent comptant. Le dépôt du 1er octobre ne fait pas état d’un chèque en provenance de Michaud. Seulement une somme de 3,09 $ en argent est alors déposée. La règle du 150 $ dans la caisse s’applique. Un dépôt aurait dû être réalisé. Grenier est responsable et doit rendre compte de cette somme, ce qu’il fait défaut de faire même à l’audience. L’audition a lieu plus de trois ans après le fait et la réception de la première mise en demeure par Grenier. Le temps requis pour s’expliquer a été accordé. En conséquence, il doit être condamné à rembourser la somme de 1000 $ qui n’apparaît nulle part dans la comptabilité de la demanderesse.
Factures payées par chèques qui ont été perdus
[66] Sur huit factures de 2008 on retrouve la mention « payé chèque » apposée par Grenier sauf sur une de celles-ci pour 227,23 $. Ce montant est donc retiré du total réclamé de 3532,48 $.
[67] Deux factures sont à l’ordre de Jocelyn Caron, un client régulier et une autre à Yves Demers. On ignore si les chèques ont été réellement transigés et le cas échéant, au profit de qui. Construction Pellerin aurait pu prouver l’encaissement ou la perte du chèque. La gêne alléguée par Ricard ou le coût exorbitant de l’opération par Pellerin ne sont pas des excuses. Le Tribunal reste donc avec une preuve que ces chèques n’ont pas été déposés au compte bancaire de l’entreprise. Grenier admet spontanément avoir encaissé des chèques de la compagnie, mais avec l’accord de Pellerin. L’ensemble de la preuve révèle une probabilité de malversations au détriment de Construction Pellerin.
[68] Il est surprenant que sept chèques soient égarés en neuf mois. L’employé qui les a reçus est responsable de leur sort. Son employeur n’a pas mis en place une personne directement responsable des recevables. Une telle ressource aurait permis de corriger la situation ou de l’éviter complètement.
[69] La facture de Leblanc de 573,63 $ a pu être acquittée par le chèque déposé au compte de la demanderesse au montant de 575 $. Cette somme est donc retirée de la réclamation.
[70] La facture de 202,27 $ a été payée par un chèque remis le 6 octobre 2008. Grenier est congédié le 13 octobre. Le chèque a pu être égaré dans la tourmente. Construction Pellerin aurait pu récupérer cette somme en contactant Jean-Pierre Lebel qui l’avait émis. Ce montant est également retiré de la réclamation.
[71] La facture d’un montant de 1552,03 $ n’est pas identifiée. Aucune indication que cette somme n’a été inscrite à l’ordinateur comptable de la compagnie. Le lien avec Grenier est trop ténu pour le rendre responsable du chèque.
[72] La facture de 76,89 $ n’était pas à l’origine identifiée ou datée. Une date du 14 octobre 2008 et une mention FADOQ ont été subséquemment ajoutées. Grenier était alors congédié. Ce montant est également retiré de la réclamation.
[73] De la réclamation initiale subsistent donc trois chèques perdus dont Grenier peut être tenu responsable du traitement. Cette somme correspond à un montant de 899,73 $. Cependant, tel que mentionné précédemment, l’employeur n’a pas émis des directives suffisamment précises à cet égard ni nommé qui que ce soit dans son entreprise responsable de la perception et l’encaissement des chèques. En conséquence, elle doit supporter la responsabilité de leurs pertes.
Pose de céramique chez madame Fernande Grenier (paragraphes 25 à 27 de la requête introductive d’instance)
[74] Grenier admet avoir posé chez sa tante la céramique achetée chez Olympia (P-29) tout au moins en partie. Il a utilisé aussi du ciment livré à cette même occasion. Trois poches auraient été utilisées selon la superficie en cause. Le matériel a été livré directement chez la tante et non au magasin.
[75] À l’affirmation de Grenier à l’effet que le surplus a été ramené au magasin est contredite par Maxime Morin qui est la personne qui l’aurait aidé à le faire. Aucune trace n’a été trouvée du matériel après le départ de Grenier un mois plus tard.
[76] L’admission de Grenier ne vise pas la facture de Centura au montant de 262,53 $. Cependant, la pose a été payée par sa tante et aucune trace n’est constatée aux livres de la compagnie.
[77] Grenier exécute aux frais de son employeur des travaux dans le champ d’exécution direct de son patron. Il s’agit d’un manque de loyauté flagrant auquel il n’apporte aucune preuve convaincante d’un accord de Pellerin ou d’un paiement fait par madame Grenier des travaux facturés au prix du marché.
[78] Le dommage subi s’étend à la perte du matériel et aux profits sur sa vente au montant le plus élevé. Environ la moitié de la quantité soit 300 pièces de céramique ont été posées chez madame Grenier. Au prix de 2,49 $/pièce (P-30), c’est une perte de 747 $ qui est enregistrée.
[79] Trois poches de colle à 35,95 $ aussi ont été requises soit 107,85 $. Le reste de la commande chez Olympia a été égaré. Grenier en est responsable l’ayant fait livrer chez sa tante. Il doit donc dédommager Construction Pellerin pour 348 X 1.264 et 7 X 13,90 $ plus TPS et TVQ soit 617,61 $.
Autres achats de biens non retrouvés (paragraphe 29 de la requête introductive d’instance)
[80] Des nattes Ditra pour 1397,51 $ ont été payées par Construction Pellerin sans avoir été facturées à des clients. Ce matériel n’a pas été retrouvé en entrepôt (P-31) contrairement aux dires de Grenier.
[81] Selon Ricard, il ne s’agit pas d’un produit usuel de la compagnie étant plutôt rattaché aux toitures.
[82] Grenier témoigne de son côté que l’on pose ces nattes sous la céramique. Cette version est confirmée par Pellerin qui affirme par contre ne pas le faire lui-même. Il admet de plus en contre-interrogatoire qu’il est possible qu’un client spécifique en ait fait la demande, mais aucune facture n’a été retrouvée.
[83] Construction Pellerin n’a pas fait la preuve que Grenier s’est approprié ce matériel. Le même constat s’applique à la facture P-32 de 755,03 $ (paragraphe 30 de la requête introductive d’instance).
[84] Quant aux différents achats chez Pièces et accessoires St-Jean inc. pour 907,82 $ (P-33), ils sont l’œuvre de Grenier. On acquiert des outils ou du matériel en petite quantité. La preuve révèle tant par le témoignage de Ricard que par les aveux de Grenier que des contrats de pose de prélart et de céramique ont été exécutés en dehors des cadres de l’entreprise en 2008. Grenier accompagnait son ami, Claudel Bélanger. Il s’est exprimé sur chacun des achats sans être convaincant sur le sort de ces objets bien qu’il admette en avoir pris livraison. Leur perte se rattache tout autant à un manque de loyauté qu’à une négligence de sa part. Il est donc responsable de rembourser ce montant (907,82 $).
[85] Grenier admet l’utilisation personnelle des baratins pour 235,08 $ (P-34). La colle est achetée d’urgence. Les produits électriques ne sont pas des fournitures courantes de l’entreprise. Le rattachement à Grenier pour ces pertes n’est fait que pour le baratin qui est installé à sa résidence. Donc, il doit rembourser ce montant (235,08 $).
[86] Les achats d’outils chez Prosol n’ont pas été expliqués par Grenier. De façon prépondérante, ils doivent être attachés à l’exécution des contrats parallèles que Grenier exécute. Il en est de même des produits que Pellerin déclare ne pas utiliser. La preuve des besoins en tapis gazon et en moulures est contradictoire (P-35) et en conséquence, ces factures sont rejetées de la réclamation (419,43 $, 173,81 $, 148,77 $ et 105,77 $). Un montant de 2252,07 $ est accordé à l’égard de la réclamation formulée au paragraphe 33 de la requête introductive d’instance.
[87] La facture Tarkett n’est pas rattachée à Grenier. On la met donc de côté (P-36). Le même constat vaut pour les factures P-37 et P-38. Ces achats sont effectués en mai et en août 2008. On ne retrouve pas une refacturation à un client ni le matériel en entrepôt. La qualité de la gestion interne est tout d’abord de la responsabilité de Construction Pellerin. Aussi, avant d’attribuer la responsabilité des pertes à Grenier, il faut faire preuve que le mécanisme mis en place pour vérifier était fonctionnel.
[88] Sous la cote P-39, on retrouve cinq factures en provenance de la compagnie Deck-ing pour 4837 $. La preuve révèle que Jacques Lavoie s’est vu poser sur son patio un tel produit. Le travail a été effectué par Claudel Bélanger. Grenier en a installé aussi chez lui. Les quantités exactes ne sont pas prouvées. Une proportion de 20 % sera supportée par Grenier soit une somme de 967 $.
Les crédits et rabais octroyés incorrectement
[89] Grenier est l’employé qui compte le plus grand nombre d’heures de travail au magasin. Il est vu comme son responsable. Il jouit d’une grande autonomie et il a des expériences antérieures en matière commerciale. Il ne peut ignorer que l’on doive ajouter un pourcentage au coûtant pour fixer le prix à un client. Cela fait l’objet d’une admission aux procédures judiciaires. La commande d’un client ne peut être reprise sans s’assurer d’excellentes chances de revente dans un court laps de temps. La consultation du patron dans de telles décisions est souhaitable puisque le risque lui appartient.
[90] D’un autre côté, l’employeur doit superviser les activités et donner les directives appropriées. En 2008, le suivi comptable est déficient non pas en raison de l’incompétence des employés, mais par le peu d’heures allouées à Mélanie Pelletier pour faire le travail. Jean-Guy Pellerin est absorbé par ses travaux en chantier; il ne pose qu’un regard discret sur ses opérations. Il est inacceptable que près de dix mois soient requis en 2008 pour s’apercevoir que les difficultés financières importantes pointaient à l’horizon. Des revenus importants rapidement perçus ont permis de prolonger la période avant la tempête.
[91] L’obligation de loyauté et de diligence qui s’impose à Grenier le rend responsable de sonner l’alarme, de demander des directives, de solliciter un encadrement plus serré. Après audition, rien n’explique que les fournisseurs soient impayés depuis plusieurs semaines, que l’argent comptant ne soit pas intégralement déposé chaque jour, que les prix ne soient pas fixés de façon à assurer la pérennité de l’entreprise. L’incompétence comptable de Grenier ne peut constituer une excuse. Les failles sont élémentaires même pour un novice dans le domaine des affaires.
[92] Grenier a, à l’égard de Construction Pellerin en 2008, plus qu’une simple obligation de moyen. Son autonomie et son rôle augmentent l’intensité de son obligation au point où s’il y a perte, il est présumé responsable (art. 2846 et 2849 C.c.Q.). Il doit en principe rechercher un bénéfice minimal de 15 % sur les transactions qu’il finalise. Le peu d’encadrement auquel il est soumis empêche son employeur de se plaindre de l’absence d’un rendement plus fructueux. On doit oublier alors le prix suggéré par le fournisseur et les marges bénéficiaires plus élevées assurant l’entreprise d’une progression et d’investissements accrus (article 1611 C.c.Q.).
[93] La preuve du préjudice repose sur Construction Pellerin. Si le prix coûtant est établi et que Construction Pellerin l’a payé, Grenier doit revendre ce bien à un prix de 15 % supérieur à ce coûtant à moins de raisons particulières qui lui appartient de soulever. Dans le cas de la transaction P-78, une marge de profit de 30 % est accordée, car il s’agissait d’une commande spécifique où Construction Pellerin bénéfice d’un escompte.
[94] La vente faite, n’assure pas que le prix sera perçu si un délai est accordé. Construction Pellerin supporte ce risque. Il est également possible que certaines transactions se soient réalisées en bas du prix coûtant et que Construction Pellerin n’a pas à être indemnisée automatiquement parce que le prix est bas.
[95] Le prix coûtant ne semble pas varier de façon substantielle en 2008. Grenier peut démontrer que le fournisseur a consenti un rabais pour tenir compte de sa volonté d’écouler son stock ou pour reconnaître la qualité du client qu’est Construction Pellerin. Dans ces cas, la perte de Construction Pellerin sera limitée à ce qu’elle recouvre le prix de départ sans présumer qu’elle aurait ajouté un profit.
[96] Analysons chacune des transactions concernées pour déterminer la responsabilité de Grenier :
Numéro de la pièce |
Date |
Informations |
Montant accordé |
|
P-40 |
Janvier 2008 |
Prix coûtant 2,69 $ Profit 15 % Produits de qualité différente - 5 % Prix de vente à retenir 2,96 $ Prix vendu 2,30 $ 12 paquets X 0,66 X 21.1 p.c. |
166,32 $ |
|
|
||||
P-41 |
Mars 2008 |
Réclamation rejetée. La preuve de la vente de la colle n’est pas faite avec certitude. Le prix et le volume sont différents. |
Nil |
|
P-42 |
Février 2008 |
Le prix du laminé est au minimum de 1,79 $ du pied carré. Il est vendu à 0,98 $. Une perte de 0,81 sur 129 pieds carrés |
104,49 $ |
|
P-43 |
Février 2008 |
Prix coûtant du plancher 1,49 $ vendu à 1,89 $. Profit existant. 8 moulures Prix coûtant 18,95 $ Vendues 9,95 $ Perte 11,84 X 8 |
94,74 $ |
|
|
||||
P-44 |
Février 2008 |
Le produit Proline remplace la série 7011. Possibilité que le produit soit différent et soit une balance de stock. Imprécision de la preuve et incertitude. |
Nil |
|
P-45 |
Février 2008 |
Prix coûtant 21,05 $ Avec profit de 15 % 24,21 $ Vendus 22,60 $ Perte 7 X 1,61 $ |
11,25 $ |
|
P-46 |
Février 2008 |
Les produits comparés ne sont pas les mêmes. C’est un reste de marchandises. Doute sur le prix coûtant. |
Nil |
|
P-47 |
Février 2008 |
Bois vieux chêne (9 boîtes) Coûtant 189,45 $ + 15 % = 217,87 $ Vendu 201,30 $ |
16,57 $ |
|
|
Bois laminé (10 boîtes) Coûtant 567,60 $ + 15 % = 652,74 $ Vendu 335,49 $ |
317,25 $ |
||
Foam Prix minimum 0,67 $ du pied Vendu 0,27 $ Perte 337 pieds X 0,40 $ |
134,80 $ |
|||
P-48 |
Février 2008 |
Céramique à 0,593 $ du morceau + 15 % = 0,68 $ Vendue 0,50 $ Perte 300 morceaux X 0,18 $ |
54,00 $ |
|
P-48 |
|
Céramique à 2,59 $ du morceau + 15 % = 2,98 $ Vendue 1,09 $ Perte 60 morceaux X 0,89 $ |
53,40 $ |
|
P-49 |
Février 2008 |
Céramique Le prix de détail n’est pas le prix coûtant. Ambiguïté de la preuve. |
Nil |
|
P-50 |
Mars 2008 |
Prix coûtant 2,69 $ du pied carré + 15 % = 3,09 $ Vendu 2,29 $ du pied carré Perte 211 X 0,80 $ |
168,80 $ |
|
|
||||
P-51 |
Mars 2008 |
La preuve du prix coûtant n’est pas faite. Les produits comparés ne sont pas identiques. Le crédit demeure inexpliqué. |
Nil |
|
P-52 |
Mars 2008 |
Erreur sur le volume du contenant admise par Grenier. 2 boîtes X 71,11 = 142,22 + 15 % |
163,55 $ |
|
P-53 |
Mars 2008 |
Vernis Prix coûtant 25,42 $ + 15 % = 3,81 $ = 29,23 $ Vendu 24,00 $ Perte 5,23 $ Le prix de 47,07 $ est un prix suggéré. |
5,23 $ |
|
|
||||
P-54 |
Mars 2008 |
Vernis Prix coûtant 25,42 $ + 15 % = 29,23 $ Vendu 24,00 $ Écart 5,23 $ |
5,23 $ |
|
|
||||
P-55 |
Mars 2008 |
Prix coûtant 12,89 $ et 5,59 $ du morceau Vente 9,95 $ et 3,00 $ |
171,42 $ |
|
P-56 |
Avril 2008 |
Prix coûtant 1 VGR 6 - 8,01 $ x 56= 448,56 $ 1 VGR 13 - 5,02 X 37,00 $ = 185,74 $ 1 VGR MO 29,848 X 4 = 119,39 Total 753,69 $ + 15 % = 866,75 $ Vendu 532,33 $ On ignore quand le produit a été discontinué et si une influence doit être considérée dès avril 2008. |
334,42 $ |
|
|
||||
P-57 |
Avril 2008 |
Le crédit de 560,20 $ demeure inexpliqué sur une commande spéciale à de bonnes conditions. |
560,20 $ |
|
P-58 |
Avril 2008 |
2 vernis (4 litres) 112,11 $ = 224,22 $ Base à colorer 51,82 $ Total 276,04 $ + 15 % = 317,45 $ Vendu 77,90 $ |
239,55 $ |
|
P-59 |
|
Vendu 170 pieds de céramique X 2,75 $ = 467,50 $ 2 poches de colle 2 X 35,95 $ = 71,90 $ Total 539,40 $ Pas de preuve sur la colle. Preuve du prix coûtant de la céramique 3,17 $ du pied X 170= 538,90 $ perte 71,40 + 15 % |
82,11 $ |
|
P-60 |
Avril 2008 |
Prix coûtant vernis 58,21 $ Fil érable rouge 16,28 $ Total 74,49 $ + 15 % = 85,66 $ Vendu 60,80 $ |
24,86 $ |
|
P-61 |
|
Pas de preuve qu’une vente a eu lieu sans perception du prix. On ne peut déduire que le fait que Martin Robichaud soit le gendre de Grenier entraîne un avantage indu. |
Nil |
|
P-62 |
Avril 2008 |
Témoignage de Pellerin. Manque à gagner 225,95 $ |
225,95 $ |
|
P-63 |
Avril 2008 |
Céramique vendue à moitié du prix. |
52,51 $ |
|
P-64 |
Avril 2008 |
3,44 $ du pied carré (prix d’entreprise) au lieu de 1,59 $ vendu. En contre-interrogatoire aucune explication n’est fournie par Grenier. |
1 258,00 $ |
|
P-65 |
Avril 2008 |
Prix coûtant 58,21 $ + 15 %= 66,94 $ Vendu 35,00 $ Perte 4 X 31,94 $ |
127,76 $ |
|
|
|
|||
P-66 |
|
Pas de preuve du coûtant. Pas de précision sur le produit en cause. |
Nil |
|
P-67 |
|
Cannettes d’aérosol |
14,15 $ |
|
P-68 |
|
L’octroi du crédit peut être contesté, mais la directive le régissant ou le prohibant n’a pas été prouvée. |
Nil |
|
P-69 |
|
L’affirmation que Construction Raymond Legros ne pose pas de céramique n’a pas été corroborée. Rabais à l’entrepreneur 3,44 $ du pied carré. Vendu 1,29 $ Déficit 2,15 X 92,59 $ pi2 |
199,08 $ |
|
P-70 |
Mai 2008 |
Déficit prouvé 17,87 $ |
17,87 $ |
|
P-71 |
|
Crédit pour la pose. La preuve est imprécise. Pellerin ne connaît pas Sylvie Bernier, la cliente. La pose n’a pas été faite, donc le crédit serait justifié. |
Nil |
|
P-72 |
Mai 2008 |
Perte sur le tapis gazon et livraison de 134,12 $ - 70 $ Déficit accordé |
64,12 $ |
|
P-73 |
|
Perte de 9,10 $ sur Flex pach (21,10 $ - 12 $) 112,11 $ + 15 %= 128,93 $ - 39,95 $ = 88.98 X 2 Perte reconnue 187,05 $ |
187,05 $ |
|
P-74 |
|
Apprêt 7700 Coûtant 84,48 $ + 15 % = 97,15 $ Vendu 19,20 $ Perte 77,95 $ X 2= |
155,90 $ |
|
P-75 |
|
Camping Demie-Lune La perception de la facture 2287 a dû être faite par Pellerin qui a exécuté le travail. Pas de preuve que le crédit de 406,35 $ a réellement été accordé. |
Nil |
|
P-76 |
Juin 2008 |
Prix à charger 934,20 $ Vendu 646,73 $ |
287,47 $ |
|
P-77 |
|
Bois à plancher Prix à charger 467,15 $ Vendu 119,25 $ |
349,90 $ |
|
P-78 |
Juillet 2008 |
Coûtant : 706391 362 morceaux = 1740,64 $ 706432 100 morceaux = 101,46 $ 706427 70 morceaux = 1033,20 $ 2875,30 $ Profit de 30 % 862,59 $ Total 3737,89 $ Vendu : 706391 724 $ 706432 150 $ 706427 280 $ Total 1 154 $ Commande spécifique du 23 juin 2008. Les factures de Centura. Revendue le 10 juillet 2008 |
2583,89 $ |
|
P-79 |
|
Les moulures réclamées sont de 72’’ et 94’’ pour 0,28 $ du pouce. On vend 64’’ pour un prix coûtant de l’ordre de 17,92 $, mais on ne réclame que 5 $. Déficit accordé. |
15,60 $ |
|
P-80 |
|
On vend 171.0 pi2 de plancher flottant pour 342,08 $. Le prix coûtant est de 2,69 $ du pied carré, donc 3,09 $ avec profit de 15 %. La facture aurait dû être de 531,77 $ |
189,70 $ |
[97] Pour les motifs exposés précédemment, Grenier est responsable de ces pertes pour un montant de 8437,14 $
Dommages exemplaires
[98] Au paragraphe 40 de la requête introductive d’instance, Construction Pellerin s’exprime comme suit :
[40] Compte tenu du lien qui existait entre les parties et de l’attitude du défendeur qui était gérant de la demanderesse, cette dernière est bien fondée de réclamer la somme de 15 000.00 $ à titre de dommages exemplaires;
[99] L’article 1621 du Code civil du Québec exige que le pouvoir de condamner à des dommages punitifs soit attribué par une loi spécifique. Dans le présent cas, cette disposition n’est pas invoquée. On attire cependant l’attention du Tribunal sur la décision Onyx Industries[10]. Cette décision accorde une indemnité de moins de 10 % du quantum définitif sur la base d’un comportement qui peut être assimilé à celui de Grenier. Les paragraphes 39 à 41 de cette décision ne sont pas déterminants pour entraîner une condamnation similaire contre Grenier.
[100] Cependant, on n’exclut pas pour autant l’article 1457 du Code civil du Québec qui peut permettre l’octroi de dommages à la suite d’une faute. La conduite de Grenier en 2008 constitue une négligence comme employé. En plus des pertes déjà analysées, Construction Pellerin a été placée dans une position inconfortable la forçant à s’expliquer auprès de ses créanciers. Pellerin et ses employés ont été mobilisés pour expliquer les non-paiements et proposer une solution. De plus, le montage de la preuve a nécessité l’investissement de plusieurs heures de travail chez les employés pour constituer le portrait économique et déterminer les pertes.
[101] Une indemnité de 4000 $ apparaît raisonnable sur la base de l’article 1457 C.c.Q. pour tenir compte de ce dommage particulier sur l’entreprise qu’a causé la conduite déficiente de Grenier.
Disparition du matériel
[102] L’évaluation des stocks n’est pas suffisamment précise pour relier la baisse d’inventaire à une faute de Grenier. Il est vrai que Bétonel s’est trouvée impayée pour un montant de 26 000 $. Le constat que la marchandise n’est pas présente en entrepôt ni en argent au compte bancaire fait présumer que les biens livrés ont été détournés. Aucune preuve n’a été faite du chiffre d’affaires de 2008 par rapport aux autres années précédentes. Le contrôle du matériel se fait de façon limitée. Une preuve mettant en cause l’ensemble de l’activité de l’entreprise est requise pour donner gain de cause sur la réclamation formulée.
[103] Aucune preuve directe de détournement ou de dilapidation des gallons de peinture n’a été faite mettant en cause directement Grenier. La réclamation de 10 000 $ à ce chapitre est donc rejetée.
3e question : Grenier a-t-il droit à un préavis de terminaison du contrat de travail et de quelle durée?
[104] La décision de congédier est justifiée. L’annonce de la décision a été faite rapidement, mais Construction Pellerin n’a pas ébruité les motifs de sa décision. De plus, elle a donné l’opportunité à Grenier d’expliquer plusieurs des transactions qui ont donné lieu à réclamation sans que Grenier soit éloquent à ce propos.
[105] Grenier s’est retrouvé un travail rémunérateur dans un court laps de temps. La baisse de statut qu’il invoque ne justifie pas le versement d’une indemnité de préavis.
4e question : Sa réputation est-elle atteinte et les motifs invoqués sont-ils abusifs et présentés de façon cavalière?
[106] Les motifs du congédiement n’ont pas été ébruités par Construction Pellerin. Elle s’est redressée financièrement après que des mesures de gestion ont été prises, et ce, avec rapidité. Les sarcasmes dont Grenier se dit victime n’ont pas leur source dans la conduite de Construction Pellerin ou de ses officiers. Ces affirmations peuvent tout au plus faire un lien entre le départ de Grenier de l’entreprise et la progression de celle-ci qui se matérialise par la réalisation d’un agrandissement du magasin.
[107] La réputation de Grenier est certes écorchée à la suite de la performance de Construction Pellerin en 2008, mais cela résulte de son rôle déficient dans l’entreprise par rapport au résultat obtenu et non à une conduite fautive de Construction Pellerin.
[108] La demande reconventionnelle formulée par Grenier est donc rejetée.
[109] L’indemnité accordée à Construction Pellerin porte intérêt au taux légal ainsi que l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la mise en demeure qui énonce pour la première fois le montant précis réclamé soit celle du 19 décembre 2008[11].
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE partiellement l’action de Construction Jean-Pellerin inc.;
REJETTE la demande reconventionnelle de Paul-Henri Grenier avec dépens;
CONDAMNE Paul-Henri Grenier à payer à Construction Jean-Guy Pellerin inc. la somme de 20 163,72 $ portant intérêt au taux légal de 5 % l’an et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 19 décembre 2008;
CONDAMNE Paul-Henri Grenier à payer les frais judiciaires sur l’action principale.
|
||
|
__________________________________ JACQUES TREMBLAY, J.C.Q. |
|
|
||
Me Gina Blanchet |
||
68 rue du
Palais-de-Justice |
||
Procureure de la demanderesse |
||
|
||
Me Jérôme Théberge |
||
Lemieux Parent Théberge |
||
63 boulevard Taché Ouest
|
||
Procureurs du défendeur |
||
|
||
Dates d’audience : |
13, 14, 15 et 16 mars 2012 |
|
[1] Ciampanelli c. Syndicat du vêtement, du textile et autres industries, 2004 CanLII 5396 (QCCS), paragraphe 177.
[2] Sondarjée c. Commission des relations du travail, 2012 QCCS 869 , AZ-50838243 , paragraphe 51.
[3] McKinley c. B.C. Tel, [2001] 2 R.C.S. 161 , paragraphes 48, 51, 55 et 56;
G. AUDET, R. BONHOMME, C. GASCON et M. Cournoyer-Proulx, Le congédiement en droit québécois en matière de contrat individuel de travail, Volume 1, 3e éd., Éditions Yvon Blais, 2011, paragraphe 4.2.47.
[4] Lefrançois c. Procureur général du Canada, 2010, QCCA 1243, AZ-50652215 , paragraphe 59.
[5] Id. note 4, paragraphe 60.
[6] Ascenseurs Thyssen Montenay inc. c. Aspirot, 2007 QCCA 1790 .
[7] Préc. note 3, G. AUDET, R. BONHOMME, C. GASCON et M. Cournoyer-Proulx, Le congédiement en droit québécois en matière de contrat individuel de travail, paragraphe 4.2.52;
Brassard c. Embouteillage Coca Cola Ltée, DTE 2004T-7 , AZ-50208168 ;
Sauriol c. Bombardier Capital Ltée, DTE2002T-321, AZ-50115906 .
[8] Préc. note 3, G. AUDET, R. BONHOMME, C. GASCON et M. Cournoyer-Proulx, Le congédiement en droit québécois en matière de contrat individuel de travail, paragraphe 1.3.6.
[9] Banque de Montréal c. Kuet Léong NG, (1989) 2 R.C.S. 429 , p. 438;
AZ-89111102 ; Lagacé c. 9132 5126 Québec inc., 2012 QCCQ 1626 .
[10] Onyx Industries inc. c. Luc Lamoureux & al., l’honorable juge Gilles Blanchet, 2004 CanLII 15443 (QCCS) J.E. 2004-705.
[11] Arts. 1618 et 1619 du Code civil du Québec;
9096-6672 Québec inc. c. 9057-4989 Québec inc., AZ-50342424 (C.Q.);
Vincent KARIM, Les obligations, volume 2, 3e édition, Wilson & Lafleur 2009, p. 759.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.