A. de la Chevrotière ltée c. Commission des lésions professionnelles |
2006 QCCS 3618 |
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JG 1488 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
ROUYN-NORANDA |
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N° : |
600-17-000191-057 |
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DATE : |
28 juin 2006 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
LAURENT GUERTIN, J.C.S. |
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A. DE LA CHEVROTIÈRE LTÉE, corporation légalement constituée, ayant sa place d’affaires au 333, rue Montémurro, C.P. 940, Rouyn-Noranda, province de Québec, district de Rouyn-Noranda, J9X 5E1
Partie requérante |
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c.
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES, (ci-après appelée «CLP»), tribunal administratif constitué en vertu des articles 367 et suivants de la Loi sur les accidents du travail et maladies professionnelles, (L.R.Q. c. A-3.001) ayant une place d’affaires au 1, rue du Terminus Est, 1er étage, Rouyn-Noranda, province de Québec, district de Rouyn-Noranda, J9X 3B5
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Partie intimée et COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL, personne morale de droit public, constituée en vertu de la Loi sur la santé et sécurité du travail (L.R.Q. c. S-2.1), ayant une place d’affaires au 33, rue Gamble Ouest, Rouyn-Noranda, province de Québec, district de Rouyn-Noranda, J9X 2R3
Mise en cause |
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JUGEMENT |
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[1] La requérante se pourvoit en révision judiciaire à l'encontre d'une décision de l'intimée, la Commission des lésions professionnelles (CLP), rendue le 23 juin 2005 par la commissaire Me Michèle Carignan, laquelle refusait de réviser une décision antérieure rendue le 6 juin 2003 par Me Pierre Prégent, commissaire.
LES FAITS
[2] Le 9 septembre 1999, le travailleur, opérateur de camion élévateur, subit un accident de travail reconnu par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) et dépose une réclamation pour accident du travail.
[3] Le 11 septembre 2001, l'employeur dépose une requête en vertu de l'article 326 al. 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] pour qu'il y ait partage des coûts imputés en raison de l'accident du travailleur.
[4] Le 21 mars 2002, la CSST refuse la demande de transfert des coûts (décision ci-après identifiée sous «CSST-1»). L'employeur conteste ce refus le 29 mars 2002.
[5] Le 26 juin 2002, la CSST siégeant en révision administrative, confirme la première décision quant au refus d'opérer un transfert des coûts (décision ci-après identifiée sous «CSST-2»). L'employeur doit donc supporter tous les coûts afférents à la réclamation du travailleur.
[6] Le 9 juillet 2002, l'employeur dépose une requête devant la CLP contestant par le fait même la décision CSST-2. Au soutien de sa requête devant la CLP, l'employeur dépose une argumentation orientée sur l'application de l'article 329 L.a.t.m.p. En ajoutant une preuve médicale au dossier, l'employeur tente d'établir l'existence d'un handicap antérieur à la lésion professionnelle, lequel aurait joué un rôle déterminant dans les évènements survenus. Cette nouvelle preuve ouvrant la porte à l'application de l'article 329 L.a.t.m.p., l'employeur demande à la CLP de permettre un partage des coûts reliés à la lésion professionnelle du travailleur.
[7] Le 6 juin 2003, manifestement surprise par le fait que la requête soit soutenue par l'article 329 plutôt que par l'article 326, la CLP, sous la plume du commissaire Prégent, se déclare incompétente pour trancher la question (décision ci-après identifiée sous «CLP-1»), s'exprimant ainsi:
[34] En effet, la demande initiale de l’employeur, faite à la CSST le 1 1septembre 2001, concerne l’application des dispositions de l’article 326 de la loi, plus particulièrement celles du deuxième alinéa qui constituent une exception au principe général d’imputation des coûts.
[35] Le texte de l’article 326 de la loi se lit comme suit :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[36] Comme la faute d’un tiers n’est pas invoquée dans la demande de l’employeur, la Commission des lésions professionnelles en infère qu’il prétend que l’imputation des coûts l’obère injustement.
[37] Or, dans son argumentation écrite, la représentante de l’employeur plaide plutôt l’application des dispositions de l’article 329 de la loi. Elle demande un partage de coûts importants en prétendant que le travailleur est porteur d’un handicap qui a eu des effets sur la lésion elle-même et sur ses conséquences.
[38] Or, la CSST, en première instance et suite à la révision administrative, s’est prononcée sur les dispositions de l’article 326 de la loi. Elle a conclu que l’employeur ne peut bénéficier d’un transfert de coûts en vertu du deuxième alinéa de cet article. Elle ne s’est pas prononcée sur les dispositions de l’article 329 de la loi car elle n’a jamais été saisie d’une telle demande.
[39] La Commission des lésions professionnelles considère qu’elle n’a pas compétence pour disposer de l’argumentation présentée par la représentante de l’employeur au sujet de l’application de dispositions de l’article 329 de la loi. Aucune décision sur le sujet n’est contestée devant elle. Or, la Commission des lésions professionnelles tire sa compétence de la décision contestée de la CSST rendue à la suite d’une révision administrative comme le prévoit les dispositions de l’article 359 de la loi dont le texte suit :
359. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358 peut la contester devant la Commission des lésions professionnelles dans les 45 jours de sa notification.
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1985, c. 6, a. 359; 1992, c. 11, a. 32; 1997, c. 27, a. 16.
[40] La Commission des lésions professionnelles a toutefois compétence pour disposer de la décision de la CSST, rendue le 26 juin 2002 à la suite d’une révision administrative, pour laquelle l’employeur produit une contestation le 9 juillet 2002.
[41] À nulle part au dossier de l’employeur, la Commission des lésions professionnelles ne retrouve un quelconque élément qui démontre de façon prépondérante que l’imputation des coûts constitue un fardeau financier indûment ou injustement onéreux compte tenu des circonstances.
[42] La Commission des lésions professionnelles constate que le travailleur a subi une entorse cervicale et que l’amélioration de sa condition a été lente.
[43] L’évaluation médicale paraclinique a été intensive et s’est déroulée de façon prolongée dans le temps.
[44] Le travailleur a subi également une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle. Elle est accueillie par la CSST et elle n’est pas contestée par l’employeur.
[45] La CSST a imputé le coût des prestations dû à l’employeur en raison de l’accident du travail survenu au travailleur alors qu’il était à son emploi. La durée de la réparation de la lésion professionnelle et de ses conséquences est longue mais elle ne constitue pas un motif d’injustice en soi.
[46] La Commission des lésions professionnelles conclut donc que l’employeur ne peut bénéficier d’un partage de coûts requis selon les dispositions du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi.
[8] Le 25 juillet 2003, l'employeur porte CLP-1 en révision administrative, considérant qu'elle comporte une erreur manifeste de droit, soit le refus par le commissaire Prégent d'exercer sa compétence et de trancher la question soumise par l'article 329 L.a.t.m.p.
[9] Le 23 juin 2005, la CLP siégeant en révision administrative pose de la façon suivante les bases de la demande de révision déposée devant elle :
[5] La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il a été démontré un motif permettant la révision de la décision rendue le 6 juin 2003 par cette instance.
[6] L’article 429.49 de la loi prévoit qu’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel :
429.49. (...)
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[7] Toutefois, le législateur a prévu à l’article 429.56 de la loi que la Commission des lésions professionnelles peut, dans certains cas, réviser ou révoquer une décision qu’elle a rendue. Cette disposition se lit comme suit :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[8] Au soutien de sa requête en révision, la travailleuse prétend que la décision est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider. La jurisprudence2 a établi qu’on entend, entre autres, par la notion «vice de fond ... de nature à invalider la décision», une erreur manifeste de droit ou de faits qui est déterminante sur l’issue du litige. À maintes reprises, la Commission des lésions professionnelles3 a rappelé que le recours en révision prévu à l’article 429.56 n’est pas un deuxième appel à partir des mêmes faits qui permet à une partie de venir compléter ou bonifier sa preuve ou son argumentation.
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2 Produits forestiers Donohue et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .
3 Moschin et Communauté urbaine de Montréal, [1998] C.L.P. 860 ; Provost et Fibrex de verre inc., 83491-63-9610, 98-12-08, M. Duranceau; Vêtements Golden Bran ltée et Casale, 100304-60-9804, 98-12-16, É. Harvey.
[10] Me Michèle Carignan, commissaire ayant révisé CLP-1, estime que cette dernière n'est pas entachée d'un vice de fond de nature à l'invalider (décision ci-après identifiée sous «CLP-2»). Au soutien de cette conclusion, la commissaire Carignan avance ce qui suit:
[18] Il existe présentement à la Commission des lésions professionnelles un débat jurisprudentiel sur le pouvoir du tribunal de disposer d’une demande de partage d’imputation en vertu de l’article 329 lorsque la CSST n’a pas été saisie initialement d’une telle demande et qu’elle ne fait pas l’objet de la décision contestée.
[19] Selon un courant jurisprudentiel fortement majoritaire4, jusqu’à ce que la Commission des lésions professionnelles rende sa décision dans l’affaire Pâtisserie Chevalier inc.5, le tribunal refusait de disposer de l’argumentation de l’employeur au sujet de l’article 329 lorsqu’il n’avait pas soumis initialement cette demande auprès de la CSST et qu’elle ne faisait pas l’objet de la décision contestée.
[20] Selon ce courant jurisprudentiel, la Commission des lésions professionnelles devait s’en tenir uniquement au sujet traité dans la décision de la CSST contestée par l’employeur. Plusieurs ont mentionné qu’il s’agissait d’une question de compétence de la Commission des lésions professionnelles.
[21] Depuis une décision récente rendue par la Commission des lésions professionnelles dans Pâtisserie Chevalier inc., un courant jurisprudentiel s’est développé qui semble maintenant fortement majoritaire6. Dans cette décision, le tribunal s’appuyant sur les articles 369, 377 et 378 de la loi, distingue la compétence de la Commission des lésions professionnelles des pouvoirs qu’elle détient afin d’exercer cette compétence. […]
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4 184209-71-0205, 03-04-14, L. Couture; 213040-04-0307, 03-09-15, J.-F. Clément; 178210-62-0202, 03-04-28, R.L. Beaudoin;
5 215643-04-0309, 04-05-28, S. Sénéchal.
6 234254-62-0405, 05-02-04, L. Boucher; 229871-62-0403, 05-01-13, L. Couture; 238516-32-0407, 05-01-24, M.-A. Jobidon; 208857-62-0305, 05-02-16, R.L. Beaudoin; 244361-62C-0409, 05-03-16, J.D. Kushner; 236127-04-0406, 04-12-17, J.-F. Clément; 180845-02-0203, 04-10-26, R. Deraiche; 242754-64-0409, 04-12-06, R, Daniel; 220887-04B-0311, 04-10-08, J.-L. Rivard; 243834-01B-0409, 05-01-14, L. Dubois; 237534-62-0406, 05-01-10, R.L. Beaudoin; 230311-04-0403, 05-04-12, S. Sénéchal; 200639-31-0302, 04-09-16, R. Ouellet; 213560-03B-0308, 04-08-11, J.-F. Clément.
[11] La commissaire Carignan énonce par la suite, quant à la décision Pâtisserie Chevalier:
[22] Ce qui est intéressant dans la décision Pâtisserie Chevalier inc., pour la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision, c’est que la question de droit en litige est étudiée sous l’aspect des pouvoirs que détient le tribunal en vertu de l’article 377 et non pas comme étant une question de compétence du tribunal en vertu de l’article 359 de la loi. La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision adhère entièrement à l’analyse que fait le tribunal sur cette question.
[12] Enfin, elle conclut :
[23] Dans la décision visée par la requête, le tribunal conclut qu’il n’a pas compétence pour disposer de l’argumentation présentée par l’employeur au sujet de l’article 329 puisque cette demande ne fait pas l’objet de la décision contestée.
[24] La Commission des lésions professionnelles constate que le tribunal confond la compétence qu’il avait de disposer de la contestation de l’employeur avec les pouvoirs qu’il détenait en vertu de l’article 377 de la loi. En effet, le tribunal avait compétence pour disposer de la contestation de l’employeur et c’est ce qu’il a fait dans sa décision. Toutefois, il a refusé de se prononcer sur la question de droit soulevé par l’employeur en vertu de l’article 329 parce qu’elle n’a pas fait l’objet de la décision initiale de la CSST. En décidant comme il l’a fait sur cette question, le tribunal suit un courant jurisprudentiel qui existait à cette époque.
[25] La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision estime que l’interprétation que fait le tribunal sur l’exercice de ses pouvoirs de disposer de l’argument de l’employeur sur l’article 329 ne constitue pas une erreur manifeste de droit. Cette question de droit porte à interprétation et il ne revient pas à la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision de trancher ce conflit jurisprudentiel. La jurisprudence7 a clairement établi qu’un conflit jurisprudentiel au sein d’un même organisme ne donne pas ouverture à la révision.
[26] Pour ces motifs, la Commission des lésions professionnelles estime qu’il n’a pas été démontré que la décision comporte un vice de fond de nature à l’invalider.
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7 Desjardins et Réno-Dépôt, [1999] C.L.P.898; Gaumond et Centre d’Hébergement St-Rédempteur inc., [2000] C.L.P. 346 .
[13] L'employeur a porté devant nous cette décision, CLP-2, par voie de requête en révision judiciaire déposée le 3 août 2005.
LES NORMES D'INTERVENTION
[14] En matière de révision judiciaire d'une décision rendue en révision interne d'un tribunal quasi-judiciaire, le processus à appliquer est en deux temps.
[15] C'est en effet un tel processus qui a été précisé et suivi par la Cour d'appel dans l'arrêt Godin[2], lequel est représentatif de l'état actuel du droit[3] applicable en matière de révision administrative par la CLP[4].
[16] Ainsi, une fois la norme déterminée selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle quant à la décision rendue en révision administrative, il faut évaluer dans quelle mesure cette dernière décision pouvait être rendue.
La révision judiciaire (le contrôle de CLP-2 par la Cour supérieure)
[17] La Cour d'appel dans l'affaire Godin, et plus récemment dans l'affaire Fontaine[5], a clairement indiqué la norme de contrôle à appliquer lorsqu'une Cour supérieure est appelée à rendre une décision en révision judiciaire d'une révision administrative.
[18] Il ne nous apparaît pas opportun de reprendre ici le processus et l'analyse de l'arrêt Godin dont la conclusion fait jurisprudence de façon non équivoque.
[19] Cette norme à appliquer est celle de la décision raisonnable simplicité, laquelle se définit comme suit :
¶ 46 Le niveau de déférence requis dans le contrôle judiciaire d'une mesure administrative selon la norme de la décision raisonnable fait appel à l'autodiscipline. Une cour sera souvent obligée d'accepter qu'une décision est raisonnable même s'il est peu probable qu'elle aurait fait le même raisonnement ou tiré la même conclusion que le tribunal (voir Southam, précité, par. 78-80). Si la norme de la décision raisonnable pouvait "fluctuer", cela éliminerait la discipline nécessaire au contrôle judiciaire : les cours pourraient décider que des décisions sont déraisonnables en ajustant la norme plus près de la norme de la décision correcte au lieu d'expliquer pourquoi la décision n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé.
¶ 47 La teneur d’une norme de contrôle est essentiellement définie par la question que la cour doit se poser quand elle examine une décision administrative. La norme de la décision raisonnable consiste essentiellement à se demander «si, après un examen assez poussé, les motifs donnés, pris dans leur ensemble, étayent la décision». C’est la question qu’il faut se poser chaque fois que l’analyse pragmatique et fonctionnelle décrite dans Pushpanathan, précité, dicte l’application de la norme de la décision raisonnable. La déférence requise découle de la question puisqu’elle impose à la cour de révision de déterminer si la décision est généralement étayée par le raisonnement du tribunal ou de l’instance décisionnelle, plutôt que de l’inviter à refaire sa propre analyse. Évidemment, la réponse à la question doit être soigneusement adaptée au contexte de la décision, mais la question elle-même demeure inchangée dans les divers contextes. L’idée que la décision raisonnable est un «segment de la gamme», permettant des variations dans la déférence requise, obligerait la cour à se poser des questions différentes sur la décision selon les circonstances et serait incompatible avec l’idée d’une norme efficace. J’analyse maintenant plus en détail ce que la cour de révision doit faire lorsqu’elle entreprend un examen assez poussé de la décision administrative.[6]
[20] À cette étape, il faut donc se demander si la décision de CLP-2 était à tout le moins déraisonnable lorsqu'elle retient que CLP-1 ne contient pas de vice de fond de nature à l'invalider.
La révision administrative (la révision de CLP-1 par CLP-2)
[21] Il convient, à titre préliminaire, d'étudier le contexte et les paramètres entourant la révision administrative devant la CLP.
[22] Ainsi, bien que les décisions de la CLP soient finales et sans appel (art. 429.49 L.a.t.m.p.), elles peuvent faire l'objet d'une révision interne en vertu de l'article 429.56 L.a.t.m.p.:
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
[23] Dans le cas qui nous intéresse, c'est l'application du troisième alinéa qui a ouvert la porte à la révision administrative de CLP-1. Afin de déterminer la justesse de CLP-2, il faut, à ce stade, voir si CLP-1 était entachée d'un vice de fond de nature à l'invalider.
[24] La formulation utilisée à l'alinéa 429.56(3) L.a.t.m.p. a précédemment fait, dans l'arrêt Godin[7], l'objet d'une interprétation et, comme il a été mentionné plus haut, il y a lieu d'appliquer les principes élaborés par la Cour d'appel face au Tribunal administratif du Québec à la CLP.
[25] Ainsi, un vice de fond est de nature à invalider la décision lorsqu'il constitue une «erreur fatale», et:
Il faut se garder d'utiliser à la légère l'expression "vice de fond de nature à invalider" une telle décision. La jurisprudence de notre Cour, sur laquelle je reviendrai, est à juste titre exigeante sur ce point. La faille que vise cette expression dénote de la part du décideur une erreur manifeste, donc voisine d'une forme d'incompétence, ce dernier terme étant entendu ici dans son acception courante plutôt que dans son acception juridique.[…][8]
[26] À cet effet, les propos du Juge Rothman dans l'arrêt Métro-Richelieu, nous semblent très utiles :
The Act does not define the meaning of the term "vice de fond" used in Sec. 37. The English version of Sec. 37 uses the expression "substantive....defect". In context, I believe that the defect, to constitute a "vice de fond", must be more than merely "substantive". It must be serious and fundamental. This interpretation is supported by the requirement that the "vice de fond" must be "... de nature à invalider la décision". A mere substantive or procedural defect in a previous decision by the Régie would not, in my view, be sufficient to justify review under Sec. 37. A simple error of fact or of law is not necessarily a "vice de fond". The defect, to justify review, must be sufficiently fundamental and serious to be of a nature to invalidate the decision.[9]
[27] Enfin, dans l'arrêt Godin, il est précisé :
[47] Of this I am above all convinced: Section 154(3) of the ARAJ was not intented to empower one panel of the TAQ to revoke or revise the decision of another panel of the TAQ simply because it takes a different view of the facts, the relevant statutory provisions, ot the applicable regulations.
[48] The second panel may only intervene where it can identify a fatal error in the impugned earlier decision. By the very terms of the provision, the error must, on account of its significance, be "of nature likely to invalidate the decision", within the meaning of section 154(3).
[…]
[50] In short, section 154(3) does not provide for an appeal to the second panel against findings of law or fact by the first. On the contrary, it permits the revocation or review by the Tribunal of its own earlier decision not because it took a different though sustainable view of the facts or the law, but because its conclusions rest on an unsustainable finding in either regard.
[51] Accordingly, the Tribunal commits a reviewable error when it revokes or reviews one of its earlier decisions merely because it disagrees with its findings of fact, its interpretation of a statute or regulation, its reasoning or even its conclusions. Where there is room on any of these matters for more than one reasonable opinion, it is the first not that last that prevails.
[52] Put differently, mere disagreement is not among the specified grounds upon which one TAQ panel can revoke the decision of another: A second reasonably sustainable opinion does not invalidate the first, within the meaning of section 154(3) of the ARAJ. When the Tribunal revokes its previous determination on this basis, its decision to do so is therefore vulnerable on judicial review.[10]
[28] La révision administrative pour un motif de «vice de fond» ne doit donc pas être un appel camouflé, ni un prétexte pour substituer une opinion à une autre. Cette révision ne sert strictement qu'à rectifier des erreurs qui peuvent être décrites avec les caractéristiques élaborées.
L'appréciation de la justesse de CLP-2
[29] En l'espèce, CLP-1 était-elle entachée d'un vice de fond justifiant l'intervention en révision administrative?
[30] Avec égards, nous ne le croyons pas. En se prononçant comme il l'a fait, le commissaire a emprunté une voie claire, contemporaine et non équivoque déjà tracée par la CLP sur la question précise de sa compétence pour trancher un nouveau recours n'ayant pas fait l'objet d'une décision par la CSST[11].
[31] La position qu'a adoptée le commissaire dans CLP-1 a été renversée par l'affaire Pâtisserie Chevalier inc.[12] et ce, avant que ne soit rendue CLP-2. Il n'en demeure pas moins qu'au moment où CLP-1 a été rendue, ce courant jurisprudentiel était en vigueur et appliqué par des commissaires de la CLP.
[32] À cet égard, quelle attitude devait adopter la seconde commissaire appelée à se pencher sur la décision? La réponse nous semble être clairement exprimée dans les extraits suivants :
[27] L'interprétation d'un texte législatif ne conduit pas nécessairement au dégagement d'une solution unique. L'exercice d'interprétation exige de l'interprète de procéder à des choix qui, bien qu'encadrés par les règles d'interprétation des lois, sont sujets à une marge d'appréciation admissible.
[28] En substituant, pour les motifs ci-haut mentionnés, sa propre interprétation à celle retenue par la première formation, la CLP a rendu une décision déraisonnable, car elle n'établit aucun vice de fond pouvant l'avoir justifiée d'agir ainsi.[13]
[33] De plus :
¶ 64 Quelles indications peut-on tirer de cet arrêt pour résoudre le présent pourvoi? Je remarque en premier lieu que nous ne sommes pas en présence ici d'un conflit apparent entre la jurisprudence de deux tribunaux administratifs différents, mais en présence, plutôt, d'une divergence entre membres d'un même Tribunal évoluant dans le même champ de compétence spécialisé. Les moyens de cultiver la cohérence décisionnelle par concertation et délibération interne sont donc ici plus à la portée des décideurs que ce ne pouvait être le cas dans l'arrêt Domtar
[…]
¶ 66 Troisièmement, une fois admis que l'existence d'un conflit jurisprudentiel ne constitue pas en soi un motif autonome de contrôle judiciaire, il faut se demander si se démarquer d'une jurisprudence assez soutenue de la CLP équivaut pour la CLP 1 à rendre une décision "déraisonnable" : c'est ce critère, on l'a vu, qui permet d'identifier un vice de fond de nature à invalider une décision. Si la CLP 2 pouvait exercer, sans contrevenir au principe de l'arrêt Farrah, la compétence d'un Tribunal d'appel, il est possible qu'elle pourrait substituer sa lecture de la loi à celle adoptée par la CLP 1. Elle aurait alors le pouvoir d'intervenir même en l'absence d'une décision "déraisonnable" de la part de la CLP 1. Mais, depuis l'arrêt Godin, ce qualificatif impose une restriction à son pouvoir d'intervention en révision. La raison de cette restriction, telle que je la comprends, est la suivante. Si, parallèlement aux objectifs que le législateur a coutume de se fixer lorsqu'il crée un Tribunal administratif, on laissait coexister la possibilité de réviser les décisions à volonté, on instaurerait un régime contradictoire : la célérité et la finalité voulues par le législateur dans la prise de décision quasijudiciaire seraient en tension, sinon en conflit, constants avec la faculté de substituer à une première interprétation une seconde, voire une troisième interprétation, uniquement parce que celle-ci exprime mieux l'opinion du dernier décideur habilité à se prononcer. En ces matières, le mieux est l'ennemi du bien.[14]
[34] Comme l'a indiqué la seconde commissaire, cette vision était même déjà appliquée activement au sein même de la CLP[15].
[35] Il ressort ainsi que la seconde commissaire a, à bon droit, refusé d'écarter l'opinion du premier commissaire. Cette commissaire donne raison aux actuels requérants en ce qu'elle reconnaît la validité de la position expliquée et adoptée depuis la décision de l'affaire Pâtisserie Chevalier inc.
[36] Si la commissaire ayant rendu CLP-2 avait plutôt eu à rendre CLP-1, elle n'aurait fort probablement pas conclu de la même façon. À titre de commissaire siégeant en révision administrative, elle s'est cependant gardée de toute intervention, reconnaissant que l'opinion privilégiée par CLP-1 n'était pas insoutenable ou indéfendable au moment où elle a été rendue.
[37] Ce faisant, CLP-2 respecte les principes de retenue élaborés par les plus hautes instances judiciaires.
[38] À la lumière de ce qui précède, le Tribunal ne constate pas de motif justifiant d'accueillir la requête en révision judiciaire.
[39] PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[40] REJETTE la requête en révision judiciaire du requérant;
[41] LE TOUT avec dépens.
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__________________________________ LAURENT GUERTIN, J.C.S. |
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Me Antoine Berthelot |
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Groupe Gaudreault avocats |
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Avocat de la requérante |
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Me Isabelle St-Jean |
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Levasseur Verge |
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Avocate de l’intimée |
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Me Pierre-Michel Lajeunesse Panneton Lessard Avocat de la mise en cause
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Date d’audience : |
14 novembre 2005 |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001 (ci-après désignée sous «L.a.t.m.p.»).
[2] Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.).
[3] Québec (Procureur général) c. Forces motrices Batiscan inc., [2004] R.J.Q. 40 (C.A.).
[4] Amar c. Commission de la santé et de la sécurité du travail, J.E. 2003-1742 (C.A.); Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] R.J.Q. 2411 (C.A.); Bose c. Commission des lésions professionnelles, J.E. 2003-1785 (C.A.). L'application des principes dégagés par l'arrêt Godin a été réitérée récemment dans: Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Fontaine, [2005] R.J.Q. 2203 (C.A.); Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Touloumi, J.E. 2005-1988 (C.A.). Le raisonnement a aussi été appliqué dans : Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Commission des lésions professionnelles, [2005] J.Q. (Quicklaw) no 18848 (C.S.); et dans: Guillaume c. Commission des lésions professionnelles, [2005] J.Q. (Quicklaw) no 18851 (C.S.).
[5] Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Fontaine, précité, note 4.
[6] Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247 . Ce critère des motifs pouvant résister à un examen assez poussé a aussi été repris dans Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columibia, [2003] 1 R.C.S. 226 .
[7] Tribunal administratif du Québec c. Godin, précité, note 2.
[8] Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Fontaine, précité, note 4, par. 41.
[9] Épiciers Unis Métro-Richelieu Inc. c. Québec (Régie des alcools, des courses et des jeux), [1996] R.J.Q. 608 (C.A.).
[10] Tribunal administratif du Québec c. Godin, précité, note 2. La disposition analysée dans cet arrêt est l'article 154 (3) de la Loi sur la justice administrative, L.R.Q., c. J-3, dont le libellé est identique à celui de l'article 429.56 L.a.t.m.p.
[11] Produits forestiers Domtar inc., CLP, 151912-08-0012, 2002-10-01, P. Prégent; Les Industries Dorel Ltée, C.L.P.E. 2003LP-21 , 2003-04-14, L. Couture. Cette conclusion a aussi été suivie par après: Cap Acoustique (1989) inc., CLP, 191312-04-0209 et 213040-04-0307, 2003-09-15, J.-F. Clément.
[12] 215643-04-0309, 04-05-28, S. Sénéchal.
[13] Amar. c. Commission de la santé et de la sécurité du travail, précité, note 4.
[14] Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Fontaine, précité, note 4. Cet extrait réfère à: Domtar inc. c. Québec (Commission des lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S. 756 .
[15] Voir notamment: Guimond et Centre d'Hébergement St-Rédempteur inc., [2000] C.L.P. 346 , par. 29-34
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