Décision

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Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc.

2006 QCCS 2124

JG 1421

 
COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-06-000095-998

 

DATE :

20 avril 2006

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

JEAN GUIBAULT, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

FARÈS BOU MALHAB

Requérant

c.

DIFFUSION MÉTROMÉDIA CMR INC.

et

ANDRÉ ARTHUR

Intimés

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]                Par jugement en date du 24 mars 2003, la Cour d’appel a autorisé l’exercice d’un recours collectif par le requérant, M. Farès Bou Malhab (M. Bou Malhab), contre les intimés, DIFFUSION MÉTROMÉDIA CMR INC. (Métromédia) et M. André Arthur (M. Arthur).

[2]                Ce recours collectif porte sur une demande de dommages intérêts moraux et punitifs pour diffamation causée, commise ou permise par les intimés.

[3]                Le requérant, M. Bou Malhab, s’est vu confirmer le statut de représentant aux fins d’exercer le recours collectif pour le compte des personnes faisant partie du groupe défini par la Cour d‘appel, à savoir :

« Toute personne qui, le 17 novembre 1998, était titulaire d’un permis de chauffeur de taxi, dans la région de l’Ile de Montréal, desservie par les agglomérations A-5, A-11 et A-12 au sens de la Loi sur le transport par taxi, L.R.Q. c. T-11.1, et dont la langue maternelle est l’arabe ou le créole. »

[4]                Dans son arrêt, la Cour d’appel a identifié comme suit les principales questions qui devront être traitées collectivement et les conclusions qui s’y rattachent :

« A) LES QUESTIONS

1.           André Arthur était-il, au mois de novembre 1998, un préposé, employé ou sous-traitant de l’intimée MÉTROMÉDIA CMR MONTRÉAL INC.?

2.           Les propos de André Arthur et de ses auditeurs, tels que reproduits, correspondent-ils aux propos diffusés en ondes le 17 novembre 1998?

3.           Les propos de André Arthur, et ceux de l’auditrice encouragés ou non-dénoncés par celui-ci, sont-ils diffamatoires ou discriminatoires à l’égard des personnes d’origine arabe ou haïtienne oeuvrant dans l’industrie du taxi à Montréal, faisant partie du groupe défini précédemment?

4.           Les intimés sont-ils exonérés d’un recours en diffamation du seul fait que les victimes n’étaient pas nommément identifiées mais faisaient plutôt partie du groupe diffamé?

5.           Quel est le montant auquel chacun des membres du groupe défini précédemment a droit, tant à titre de dommages moraux punitifs et exemplaires?

B) LES CONCLUSIONS

1.            ACCUEILLIR le recours collectif, avec dépens;

2.            CONDAMNER solidairement les intimés à payer 750,00 $ à titre de dommages moraux et 200,00 $ à titre de dommages punitifs et exemplaires à chacun des membres du groupe. »

[5]                Par jugement en date du 10 avril 2003 et tel que requis par la Cour d’appel, l’honorable Lyse Lemieux, alors juge en chef de la Cour supérieure, a décrété que le recours collectif serait exercé dans le district de Montréal et le soussigné a été désigné pour entendre toutes les procédures relatives à l’exercice de ce recours.


LES FAITS

[6]                Lors d’une émission animée par M. Arthur sur les ondes de Métromédia (CKVL), le 17 novembre 1998, vers 8h00 le matin, des propos qualifiés de diffamatoires et de racistes, auraient été tenus à l’égard des chauffeurs de taxi arabes et haïtiens.

[7]                M. Arthur était accompagné d’un invité, M. Thomassin, et cette portion de l’émission traitait de la satisfaction des québécois à l’égard des restaurants et des hôtels. De son propre chef, M. Arthur y a ajouté l’industrie du taxi à Montréal.

[8]                Les propos reprochés aux intimés, M. Arthur et son employeur Métromédia, sont les suivants : (cassette D-2 et texte verbatim DM-2)

[…]

« ANDRÉ ARTHUR : … La langue… La langue de travail des taxis de Montréal c’est l’arabe ou le créole et la connaissance de Montréal va avec le reste. Ces gens-làPartir de la Gare Centrale de Montréal, place Bonaventure, et aller à Verdun, si tu ne guides pas le taxi, il n’est pas capable d’y aller.

ROBERT THOMASSIN : Exact

ANDRÉ ARTHUR : Et pourtant, il n’a rien qu’à prendre Université, Bonaventure, Wellington. Ils ne sont pas capables. C’est tous des arabes, ils n’ont jamais sorti à Montréal puis c’est des chauffeurs de taxi. Je ne sais pas comment ils ont fait pour avoir un permis, hein!

[…]

ANDRÉ ARTHUR : …les examens de chauffeurs, est-ce que ça marche par corruption?

ROBERT THOMASSIN : Bien là, je ne le sais pas là.

ANDRÉ ARTHUR : Comment ça se fait qu’il y a tant d’incompétents puis que la langue de travail c’est le créole puis l’arabe dans une ville qui est française et anglaise?

[…]

ANDRÉ ARTHUR : Est-ce qu’il y a un auditeur qui peut m’aider à comprendre pourquoi les taxis de Montréal sont aussi mauvais? 790-0851. Comment ça se fait que la langue de travail des taxis de Montréal c’est l’arabe puis le créole, au lieu d’être le français et l’anglais? Est-ce qu’il y a quelqu’un qui peut m’expliquer comment on fait pour devenir chauffeur de taxi à Montréal?…

ROBERT THOMASSIN : …Dans l’est, t’as beaucoup d’Haïtiens, il n’y a pas de problème là pour la langue mais le restant, c’est pareil, hein.

ANDRÉ ARTHUR : À condition de parler créole, parce que moi, je ne suis pas bien bon à parler « ti-nègre ».

[…]

ANDRÉ ARTHUR : Ça fait que là j’ai parlé des taxis avec Thomassin, la qualité très inférieure des taxis de Montréal par rapport aux autres villes que l’on peut visiter. C’est épouvantable Montréal dans le taxi. Il y a quelques gentilshommes que l’on rencontre avec des voitures qui ne sentent pas mauvais puis qui ne sont pas bossées puis qui ont des freins.

Mais à part de ça, si vous voulez, si vous ne parlez pas arabe ou créole à Montréal, vous ne pouvez pas vous déplacer en taxi, il faut éviter le taxi, le taxi est devenu vraiment le, le, le Tiers Monde du transport en commun à Montréal. Tu ne prends pas un taxi à Montréal à moins d’être mal pris. Et puis si tu as une compagnie puis que tu veux recevoir des clients à Montréal, tu ne leur dis pas : Allez-vous-en à l’aéroport, puis prenez un taxi. Ça ne se fait pas.

Vous ne pouvez même pas débarquer d’un taxi, ça, chez moi, je le fais, là, vous ne pouvez même pas débarquer d’un taxi à la Gare centrale puis demander d’être, d’être conduit à Verdun. Si vous ne guidez pas le chauffeur, ils ne sont pas capables. C’est tous des immigrés de l’avant-veille, des gens qui n’ont aucune notion.

Moi, moi, mon doute, c’est que les examens, bien, ils s’achètent. Tu ne peux pas avoir des gens aussi incompétents sur le taxi, des gens aussi ignorants de la ville, et croire que ces gens-là ont passé des vrais examens. Je suis obligé de penser, quand je vois des choses comme ça, à de la corruption.

[…]

On a de bons appels, Bonjour, je vous écoute.

AUDITRICE : Oui, bonjour, Monsieur. Arthur.

ANDRÉ ARTHUR : Madame.

AUDITRICE : Oui. Moi, je suis chauffeur de taxi.

ANDRÉ ARTHUR : Oui.

AUDITRICE :  Et puis il y a un cours qui se donne, ça coûte 700 (500?) dollars apparemment le cours de, de taxi, pour suivre un cours de devenir chauffeur de taxi. Ça se donne comme bureau, la Ligue de taxi de Montréal.

ANDRÉ ARTHUR : Uh-huh. Mais comment ça se fait alors…

AUDITRICE : Mais je ne comprends pas, moi, qu’il y en ait qui passent là.

ANDRÉ ARTHUR : Bon. Est-ce que c’est de la corruption, madame?

AUDITRICE : Bien, ils…

ANDRÉ ARTHUR : Comment ça se fait que je me ramasse, comment ça se fait que je me ramasse avec des fakirs ou des arabes qui ne parlent pas ni anglais ni français et qui ne connaissent pas le chemin entre la Gare centrale puis Verdun?

AUDITRICE : Ah, bien, je ne le sais pas parce que eux autres, ils se ressemblent tous, ils doivent avoir tout le même pocket number.

ANDRÉ ARTHUR : Ah, ah, ah. Vous pensez qu’ils se passent les, ils se passent les identités?

AUDITRICE : Peut-être qu’ils se passent les examens aussi, je ne le sais pas, là, je ne comprends pas, moi, parce que même avec nous autres, ils sont agressifs, les chauffeurs de taxi arabes puis tout ça là. Ils nous traitent comme si on était des moins que rien.

ANDRÉ ARTHUR : Oui, oui. Ils sont très arrogants.

AUDITRICE : Oui. Même avec les clients, ils brassent les clients parce que…

ANDRÉ ARTHUR : Ils sont arrogants, les, les taxis de, de Montréal, en particulier les Arabes, sont arrogants, ils sont très souvent grossiers, on est pas du tout certain qu’ils sont compétents et les voitures n’ont pas l’air bien entretenues. Pourquoi c’est comme ça d’après vous?

AUDITRICE : Bien, je ne le sais pas. C’est tout eux qui achètent les taxis, hein. Aussitôt qu’il y a un taxi qui se vend, c’est un arabe qui l’achète. Ils s’en viennent, ils sont en, on est en minorité, nous.

ANDRÉ ARTHUR :      Comment se fait-il que d’aller du Centre-ville à Verdun, les, il y a…

AUDITRICE : Ils ne savent pas le chemin?

ANDRÉ ARTHUR : Il n’y en a pas quatre sur cinq qui connaissent le chemin. Quatre sur cinq ne le connaissent pas. Comment ils ont fait pour avoir des permis de taxi?

AUDITRICE : Peut-être qu’ils leur donnent comme ça pour s’en débarasser, je ne le sais pas.

ANDRÉ ARTHUR : Est-ce que c’est parce qu’il y a un réseau de corruption, est-ce que c’est parce qu’il y a des fonctionnaires qui ne font pas leur travail? Est-ce que c’est parce qu’ils ne sont jamais inspectés? Pourquoi les taxis sont si sales à Montréal? Pourquoi ils sont si bossés? Pourquoi ils sont si vieux. Pourquoi ils sont si mal conduits? Pourquoi les freins crient?

AUDITRICE : Pourquoi que ça…

ANDRÉ ARTHUR : Pourquoi ça sent, pourquoi ça sent mauvais dans les taxis de Montréal?

AUDITRICE : Je ne le sais pas parce que moi, j’ai passé justement la semaine passée à l’inspection visuelle parce qu’on a une inspection visuelle, puis je ne comprends pas qu’il y a certains taxis, qui sont tout bossés, qui ont, qui n’ont quasiment plus de couleur, c’est mat, c’est terne, puis en dedans, bien, en tout cas, je ne comprends pas. Est-ce qu’ils paient des gens?

ANDRÉ ARTHUR : Est-ce que, d’après vous, ils, on peut soupçonner qu’il y a de la corruption auprès des fonctionnaires qui appliquent ça comme les, comme il y en avait pour les vignettes?

AUDITRICE : Mais moi, je sais que quand on passait à l’inspection mécanique, il y en a qui ont déjà donné de l’argent, qu’ils mettaient de l’argent sur le banc, puis ils passaient.

[…]

ANDRÉ ARTHUR : C’est drôle, dans une grande ville, aussitôt qu’il y a de la, il y a, il y a de la cochonnerie, ça va sur le taxi. Tu sais, je ne comprends pas pourquoi.

AUDITRICE : Je pense que les arabes sont pires que les noirs même.

ANDRÉ ARTHUR : On est pas raciste par exemple.

AUDITRICE : Ce n’est pas une question de racisme.

ANDRÉ ARTHUR : Bien oui.

AUDITRICE : Moi, là, les, il y a des femmes, des dames âgées qui nous, qui ont peur des arabes parce qu’elles se font barouetter parce qu’elles font un voyage de trois, quatre piastres, Les dames âgées, des fois, elles ont de la misère à marcher. Elles vont au centre d’achats, puis c’est quatre, cinq piastres, puis elles se font barouetter, elles se font dire des bêtises.

ANDRÉ ARTHUR : Parce qu’elles ont, elles ont pris le…

AUDITRICE : Parce que c’était le petit voyage.

ANDRÉ ARTHUR : Oui.

AUDITRICE : Elles ont peur, Ça fait que…

[…]                                                                   

(soulignements ajoutés)

LA PREUVE :

En demande

[9]                Le requérant, M. Bou Malhab, a été entendu comme principal témoin. Né à Beyrouth, au Liban, en 1963, il a immigré au Canada en 1990. De langue maternelle arabe, il a fait ses études primaires en français. Lors de l’émission du 17 novembre 1998, il était président de la Ligue de taxi de Montréal.

[10]            Dans un premier temps, M. Bou Malhab a expliqué au tribunal les différents mécanismes concernant l’industrie du taxi dans la grande région métropolitaine et il a élaboré sur les différents organismes la régissant.

[11]            L’industrie du taxi est sous la juridiction du Bureau du taxi de Montréal, une institution qui relève de la Ville, qui réglemente l’ensemble de l’industrie et qui représente l’intérêt des clients. D’autre part, la Commission des transports du Québec s’occupe des permis et la Société d’assurance automobile du Québec contrôle l’ensemble des aspects techniques des véhicules et des taximètres.

[12]            De leur côté, les propriétaires et les chauffeurs de taxi étaient regroupés dans la Ligue de taxi de Montréal, laquelle a été dissoute et remplacée par l’Association professionnelle des chauffeurs de taxi du Québec qui s’occupe à la fois des propriétaires et des chauffeurs.

[13]            Appelé à commenter les propos tenus par M. Arthur sur les ondes de CKVL, M. Bou Malhab s’est déclaré profondément blessé et humilié. Il ne peut s’expliquer pourquoi M. Arthur s’est attaqué plus particulièrement aux arabes et aux haïtiens. Il s’est dit choqué par les allusions de M. Arthur, au fait qu’il y aurait corruption lors de l’émission des permis de chauffeurs. Le métier de chauffeur de taxi à Montréal, n’est pas de tout repos et dans un Québec qui se veut une terre d’accueil pour les immigrants, il trouve particulièrement injuste que les arabes et les haïtiens aient été qualifiés d’incompétents et de malpropres, incapables de s’exprimer en français ou en anglais.

[14]            Parlant couramment l’arabe, le français et l’anglais et maîtrisant quelque peu le portugais, il a déclaré au tribunal bien connaître la Ville et quoique conscient que quelques véhicules de taxi à Montréal pouvaient être très mal entretenus et être conduits par des chauffeurs arrogants et incompétents, il s’agit là d’exceptions qui n’ont absolument rien à voir avec les deux groupes ethniques concernés, les arabes et les haïtiens.

[15]            Il a obtenu une copie de la cassette sur laquelle ont été reproduits les propos de M. Arthur et en écoutant cette cassette le même jour avec des collègues, il a déclaré avoir eu une vive réaction aux propos tenus par M. Arthur et par l’interlocutrice qui a communiqué avec la station lors de la ligne ouverte.

[16]            Cette même cassette a été réécoutée à la fin de l’assemblée annuelle de la Ligue, le 27 novembre 1998, ainsi que lors de la réunion du conseil d’administration tenue le 19 janvier 1999. Enfin, elle a été écoutée par le tribunal en présence des parties et des avocats, lors de l’enquête tenue dans le présent dossier.

[17]            M. Bou Malhab a déclaré au tribunal qu’une plainte avait été déposée auprès du CRTC, plainte qui n’a pas été retenue par cette dernière et il a confirmé en contre-interrogatoire, ne pas avoir jugé approprié de répondre par écrit aux propos de M. Arthur, dans un journal tel que La Presse et The Gazette et ne pas avoir tenté de communiquer avec l’animateur, sur les ondes de CKVL, lors de l’émission pour contredire les propos tenus par M. Arthur et son interlocutrice.

[18]            M. Bou Malhab a conclu son témoignage en livrant un vibrant plaidoyer en faveur du recours collectif qu’il a entrepris.

[19]            Le second témoin entendu par le tribunal est M. El Helou qui est propriétaire et chauffeur de taxi à Montréal depuis 1994. Originaire du Liban, il parle couramment l’arabe et le français et il est détenteur d’un diplôme de droit de l’Université de Beyrouth.

[20]            Il a déclaré au tribunal avoir entendu le reportage en direct, alors qu’il était à son travail. Blessé par les remarques faites par M. Arthur sur l’absence de toute connaissance du français alors qu’il le parle couramment, ainsi que par les allusions au fait que les immigrants sont malpropres et incompétents, il s’est senti humilié par les propos tenus par M. Arthur et son interlocutrice sur les ondes de CKVL.

[21]            Arrivé au Québec en 1987, marié à une québécoise et père de trois enfants, il considère que les insultes ont rejailli sur l’ensemble de sa famille et qu’elles sont inexcusables et empreintes de racisme.

[22]            Le troisième témoin, M. Azouri, également libanais d’origine, a fait ses études chez les frères du Sacré-Coeur à Beyrouth et il parle couramment le français, l’anglais et l’arabe. Il s’est décrit comme très bien intégré dans la communauté québécoise. Informé par un collègue de l’émission, il en a entendu à peu près la moitié et il a déclaré avoir été blessé et humilié par les propos tenus par M. Arthur. Selon le témoin, il s’agit de propos méchants et tout à fait gratuits qu’il considère comme complètement inacceptables.

[23]            Le quatrième témoin est M. El Kalaani, immigré du Liban à la fin 1988. Il parle le français, l’anglais et l’arabe et il est chauffeur de taxi à Montréal depuis 1992. Il a fréquenté l’Université St-Joseph à Beyrouth où il a obtenu un diplôme en gestion des entreprises.

[24]            Le matin du 17 novembre 1998, il a reçu un appel d’un collègue pour qu’il écoute la dernière partie des commentaires, alors qu’il conduisait un client à sa destination.

[25]            Il a déclaré au tribunal ne pouvoir oublier les propos entendus lors de l’émission de M. Arthur à CKVL et avoir été profondément humilié et choqué par les propos tenus. Son épouse aimerait même qu’il change de travail. Il a été particulièrement choqué par les références au fait que les véhicules conduits par des arabes étaient sales et sentaient mauvais. Il ne peut s’expliquer pourquoi M. Arthur s’en est pris plus particulièrement aux arabes et aux haïtiens.

[26]            Le cinquième témoin est M. Simon Beaudin. Originaire d’Haïti, il est chauffeur de taxi à Montréal depuis 1980. Il parle couramment le créole, le français et l’anglais.

[27]            Alors qu’il était dans sa voiture le matin du 17 novembre 1998, il a reçu un appel d’un ami l’informant qu’une émission sur le taxi était sur le point de commencer à la station CKVL, laquelle il s’est empressé de syntoniser.

[28]            Tout comme les témoins d’origine arabe, il s’est dit profondément humilié et choqué par les propos tenus par M. Arthur. Il a qualifié les propos de M. Arthur de malhonnêtes et il les considère comme une incitation à la violence. L’expression « ti - nègre » utilisée par M. Arthur est une façon d’abaisser et de rejeter les noirs et de tels propos peuvent être qualifiés de propos racistes sans la moindre hésitation. Il a dit au tribunal qu’il tentait d’effectuer son travail du mieux qu’il pouvait, qu’il n’avait choisi ni sa couleur ni son origine et que de tels propos portaient atteinte à toute sa communauté et lui inspiraient de la colère.

[29]            Le témoin suivant, M. El-Samour, est également un libanais d’origine, chauffeur de taxi depuis 1990 et parlant couramment l’arabe, l’anglais et le français.

[30]            Tout comme pour les autres témoins, les propos tenus par M. Arthur l’ont profondément atteint dans sa dignité. Bien sûr, l’industrie du taxi n’est pas parfaite, mais il ne peut s’expliquer pourquoi les arabes et les haïtiens ont été visés de façon toute particulière. Il a mentionné au tribunal qu’il expliquait toujours à sa clientèle le chemin le plus court pour se rendre à destination et il a décrit son véhicule comme étant un véhicule propre et toujours bien entretenu.

[31]            M. El-Samour n’a pas écouté l’émission de CKVL en direct et ce n’est que par la suite qu’on lui a fait entendre la cassette. Il s’est dit affecté dans son travail et plus stressé. Il se sent rabaissé et inférieur aux autres et il qualifie les propos de totalement inacceptables.

[32]            Le second témoin d’origine haïtienne est M. Pierre, chauffeur de taxi depuis 1979 et qui parle couramment le créole, le français et l’anglais.

[33]            Il a déclaré avoir écouté l’émission le matin même où elle a été diffusée et il a qualifié les propos de M. Arthur de termes très durs, d’humiliants et de déshonorants pour les arabes et les haïtiens et il a déploré de façon toute particulière, l’utilisation du terme « ti‑nègre », une expression qualifiée de très péjorative à l’égard des haïtiens et des noirs en général.

[34]            M. Pierre a insisté sur le fait que sa voiture était toujours impeccable et il a souligné que lors de l’émission, il avait un client dans sa voiture.

[35]            Le troisième témoin d’origine haïtienne est M. Max Louis Rosalbert, chauffeur de taxi depuis 1978 et qui parle couramment le créole, le français ainsi que l’anglais. Lors de la diffusion de l’émission, en novembre 1998, il était vice-président de la Ligue de taxi de Montréal et il a écouté l’émission à son bureau. Il a qualifié les propos tenus par M. Arthur, d’insultants, de dégradants et d’humiliants. Selon le témoin, l’expression « ti‑nègre », est révoltante, insultante et inadmissible et il était pour le moins malhonnête d’établir un lien entre les « ti‑nègres » et la saleté des voitures.

[36]            Le témoignage suivant a été rendu par M. Jean Kheir, chauffeur de taxi depuis 1990 et président de la Ligue de taxi de l’Ouest de Montréal, à compter de 1997. M. Kheir parle couramment l’arabe, le français et l’anglais et il parle un peu l’espagnol.

[37]            Libanais d’origine, il détient un baccalauréat en mathématiques. M. Kheir n’a pas écouté l’émission le matin du 17 novembre 1998 et c’est lors d’une rencontre avec d’autres chauffeurs, à la suite d’une réunion, qu’il l’a écoutée pour la première fois et réécoutée lors de la préparation du procès, avec son procureur. Il a déclaré que les propos tenus par M. Arthur étaient faux et intolérables, pour un honnête travailleur. Il s’est dit blessé par les propos diffusés sur les ondes de CKVL et il ne peut s’expliquer pourquoi les arabes et les haïtiens ont été visés de façon toute particulière. Aucune communauté ethnique ne présente quelque problème particulier et s’il y a problèmes, ils sont individuels et exceptionnels. Il était injuste de traiter les arabes de cette façon et l’humiliation a été ressentie par toute sa famille.

[38]            L’avant dernier témoin a été M.Boudiba, algérien d’origine et citoyen canadien depuis 1983. Chauffeur de taxi depuis 1984, il a déclaré parler le français, l’anglais et l’arabe couramment. M. Boudiba n’a pas entendu l’émission en direct en novembre 1998 et ce n’est que par la suite, plus particulièrement au bureau de son procureur, qu’on l’a lui a fait entendre. Il s’est dit choqué, blessé et gêné par les propos tenus par l’animateur. Il a qualifié de raciste, le lien qui était fait entre les arabes et la saleté des taxis. Il n’y avait selon lui aucun motif d’attaquer de façon toute particulière, les arabes et les haïtiens.

[39]            Le dernier témoin entendu en demande sur la diffamation, est M. Saba, libanais d’origine et chauffeur de taxi depuis 1997. Il a déclaré au tribunal avoir fait ses études au Liban en français et parler couramment l’arabe, l’anglais et le français.

[40]            Il a écouté l’émission avec un client dans sa voiture et il a dit au tribunal que son client avait été particulièrement gêné par les propos tenus par l’animateur et qualifiant d’incompétents, d’ignorants et de sales les chauffeurs de taxi d’origine arabe. Le client s’est même vu obligé de s’excuser auprès de lui pour les propos ainsi tenus.

[41]            Il s’est déclaré agressé par les paroles tenues, les mots utilisés étant dégradants et témoignant d’un manque de respect évident pour les chauffeurs d’origine arabe ou haïtienne.

[42]            En contre-interrogatoire, tous les témoins entendus en demande ont confirmé que pour une raison ou une autre ils n’ont pas jugé approprié de communiquer avec la station radiophonique soit pour se plaindre des propos tenus par M. Arthur, soit pour tenter de corriger et rectifier la situation. Ils ont tous considéré une telle démarche comme totalement inutile et le tribunal partage leur opinion.

[43]            Tous les témoins entendus en demande ont confirmé ne jamais utiliser l’arabe ou le créole pour converser avec des tiers, alors qu’ils ont un client dans leur véhicule et ils ont tous confirmé avoir un dossier disciplinaire impeccable et n’avoir été en aucune circonstance l’objet de plaintes ou de sanctions.

[44]            Enfin, a été entendu comme dernier témoin en demande, M. André Arthur, un des intimés dans la présente cause, pour établir les nombreuses plaintes portées contre lui au Conseil de presse du Québec, auprès du CRTC ainsi que les nombreuses poursuites civiles entreprises contre lui, à la suite de différents propos tenus à un moment ou à un autre, sur les ondes des stations pour lesquelles il a travaillé en tant qu’animateur.

[45]            Références plus particulières ont été faites au dossier qui ont été très médiatisées, tel que le dossier impliquant un autre animateur, M. Gillet, ainsi que l’ex‑premier ministre, M. Daniel Johnson et son épouse.[1]

[46]            Lors de son interrogatoire, M. Arthur a nié s’être attaqué plus particulièrement aux deux communautés concernées, les arabes et les haïtiens. Par contre, il a admis qu’environ quarante poursuites avaient été entreprises contre lui au civil, depuis 1970.

En défense

[47]            A été entendu comme premier témoin en défense, M. André Arthur, un journaliste animateur de longue date et de grande expérience.

[48]            Il a décrit son rôle à l’émission de CKVL le matin, comme un rôle de faire-valoir, afin d’établir un lien entre les différents intervenants.

[49]            À la suite d’une enquête sur les restaurants et les hôtels, plus particulièrement à Montréal, il a enchaîné sur l’industrie du taxi à Montréal, une industrie qu’il qualifie de profondément malade. Il a décidé entre autres de faire état de ses expériences personnelles et des grandes difficultés qu’il avait eues pour communiquer en anglais ou en français avec les chauffeurs et du fait qu’à moins d’expliquer en détail la route pour se rendre à sa résidence de Verdun à partir de la Gare centrale, les chauffeurs étaient incapables de l’y conduire.

[50]            Il a déclaré être obligé de faire de longs trajets dans des véhicules malpropres, qui sentent mauvais et qui sont mal entretenus et il considère comme très insécurisantes les conversations dans une langue étrangère entre le chauffeur et un tiers au téléphone ou sur son radio-taxi.

[51]            Il a qualifié l’industrie du taxi d’industrie du tiers monde où les chauffeurs sont des immigrants de récente date, qui connaissent peu ou pas la Ville et qui obtiendraient leur permis par complaisance ou par corruption.

[52]            Il n’y a aucun doute que M. Arthur, tout comme le tribunal, a été très favorablement impressionné par la qualité des témoignages rendus en demande et il s’est excusé s’il a pu offenser ou blesser un de ces témoins.

[53]            Il a déclaré au tribunal qu’il voulait non pas s’adresser à des ethnies particulières tels les arabes ou les haïtiens, mais bien à l’ensemble du taxi en général. S’il a fait référence aux arabes et aux haïtiens, c’est parce qu’ils sont majoritaires. Il a reproché de façon toute particulière le fait que de nombreux chauffeurs de taxi le tutoie et à de nombreuses reprises, il a comparé l’industrie du taxi à Montréal avec celle de New York qu’il considère comme beaucoup plus efficace et de qualité nettement supérieure.

[54]            Il a déploré le fait qu’aucun des chauffeurs de taxi d’origine arabe ou haïtienne n’ait communiqué avec lui lors de l’émission du 17 novembre 1998, pour lui faire part de leurs commentaires et pour corriger l’impression que ses propos ont pu laisser dans l’esprit des auditeurs.

[55]            Enfin, les références plus particulières aux arabes, aux créoles, aux fakirs et à l’expression « ti-nègre », peuvent être qualifiées d’expressions imprudentes mais pas de racistes. Selon le témoin, il voulait adresser ses reproches à l’ensemble de l’industrie, bien sûr avec une certaine prépondérance à l’égard des arabes et des haïtiens, puisqu’ils sont majoritaires dans l’industrie du taxi à Montréal.

[56]            Le témoignage de M. Arthur ainsi que celui de son comptable, ont également porté sur ses revenus et sur sa capacité de faire face à toute condamnation, entre autres pour des dommages exemplaires qui pourraient être accordés dans le présent dossier.

[57]            Les deux témoins ont fait grand état du fait que les revenus de M. Arthur avaient considérablement diminué au cours des dernières années, tant pour lui-même que par l’intermédiaire de la compagnie de gestion dont il est le seul actionnaire, un facteur important dont devrait tenir compte le tribunal lorsqu’il sera question des dommages punitifs.

[58]            A également été entendu comme témoin en défense, Mme Amanda Jelowiicki. Ce témoin a commenté les deux reportages qu’elle a faits pour le compte de son employeur en 1998 et en 1999, The Montreal Gazette et qui portaient sur l’industrie du taxi à Montréal. Ces deux reportages sont des plus intéressants, dans la mesure où ils révèlent un sérieux problème avec l’industrie du taxi à Montréal.

[59]            Mme Jelowiicki et son compagnon se sont identifiés comme touristes américains en visite à Montréal. Le premier reportage a porté sur le fait que les deux tiers des taxis qu’elle a pris avec son compagnon, avec instruction d’aller les conduire au Casino, alors qu’il y avait grève et que le Casino était fermé, se sont quand même rendus jusqu’aux portes de celui-ci, même si en cours de route, l’attention des chauffeurs avait été dirigée vers un panneau écrit en français informant de la fermeture au tout début de la route y donnant accès. Les chauffeurs de taxi ont fait un voyage tout à fait inutile, aller-retour jusqu’au Casino, même si le panneau écrit en français confirmait la fermeture.

[60]            Dans le second reportage, Mme Jelowiicki, durant trois jours, a pris pour environ 400 $ de taxis à Montréal. Elle a confirmé que son expérience avait été plutôt négative, dans la mesure où de nombreux véhicules étaient sales, mal entretenus et qu’il y avait également un problème de langue, certains chauffeurs ne comprenant ni le français ni l’anglais. Elle a également fait référence au fait que certains chauffeurs étaient très mécontents du fait qu’elle prenne un taxi par exemple en face d’un hôtel et qu’elle demande d’être reconduite à un autre endroit pas trop éloigné en ville, plutôt que d’aller par exemple à Dorval, comme l’espérait le chauffeur.

[61]            Enfin, elle a relaté un incident lorsque le chauffeur s’est montré très fâché parce qu’elle ne pouvait lui expliquer comment se rendre de façon précise à un endroit alors qu’elle s’était identifiée comme touriste étranger.

[62]            Ce sont là deux expériences qui démontrent un problème important avec l’industrie du taxi, tout au moins à l’époque où les deux reportages ont été effectués en 1998 et en 1999, mais ils ont peu ou pas de pertinence dans le dossier, puisque l’ensemble du litige porte non pas sur les problèmes du taxi, mais bien sur le fait que tous les problèmes aient été attribués par M. Arthur à deux ethnies, les arabes et les haïtiens.

[63]            Le dernier témoin entendu en défense, est M. Gilles Senécal, qui, lors de l’émission en novembre 1998, était directeur des ressources humaines et des affaires corporatives chez Métromédia. Il a tout simplement confirmé au tribunal que l’émission de M. Arthur était une émission typique du matin, qu’il n’avait reçu qu’une seule plainte à la suite du reportage, soit celle du procureur représentant le requérant, M. Bou Malhab et l’Association dont il était le président.

[64]            Il a enfin confirmé qu’il n’y avait aucun code ou guide déontologique à la station CKVL lors de l’émission concernée et qu’il n’y avait eu aucune discussion avec M. Arthur, concernant les plaintes et les poursuites au civil dont il avait été l’objet, avant que le contrat P-1A ne soit signé avec ce dernier.

[65]            M. Arthur, en défense, a également souligné au tribunal que son reportage sur l’industrie du taxi à Montréal avait comme origine un rapport du nom de « Rapport Bossé », qui aurait fait état des problèmes du taxi dans la grande région métropolitaine.

[66]            La preuve a cependant révélé que le « Rapport Bossé » datait de 1970 et qu’il n’avait absolument rien à voir avec la qualité du service, mais portait plutôt sur le trop grand nombre de voitures-taxis à Montréal et sur l’opportunité ou non de réduire le nombre de permis.

ANALYSE

[67]            Dans le cadre de l’analyse, le tribunal entend répondre aux différentes questions soulevées par la Cour d’appel, dans son arrêt du 24 mars 2003. Première question :

« André Arthur était-il, au mois de novembre 1998, un préposé, employé ou sous-traitant de l’intimée MÉTROMÉDIA CMR MONTRÉAL INC.? »

[68]            Cette première question ne pose aucun problème particulier. A été produit sous la cote P-1A, la Convention intervenue entre MÉTROMÉDIA CMR INC. et ANDRÉ ARTHUR COMMUNICATIONS INC. et ANDRÉ ARTHUR, datée du 18 novembre 1997, en vigueur pour une période de 60 mois, commençant le 1er janvier 1998 et se terminant le 31 décembre 2002.

[69]            À cet égard, les clauses 7.1 à 7.3 du contrat qui sont ci-après reproduites, sont particulièrement intéressantes :

« 7.1    Si la Compagnie ou l’Animateur est poursuivi en justice pour quelque fait, acte ou propos tenus dans le cadre des Émissions diffusées à CKVL, CKVL prendra fait et cause de la Compagnie et de l’Animateur et CKVL s’engage, par la présente, à tenir indemne et rembourser la Compagnie ou l’Animateur de toute somme à laquelle l’un ou l’autre pourrait être condamné, que ce soit en capital, intérêts, frais judiciaires ou extra-judiciaires. Sans limiter la généralité de ce qui précède, l’engagement d’indemnisation mentionné ci-devant s’étend à tous dommages pour lesquels la Compagnie et l’Animateur pourraient être tenus responsables, incluant les dommages pécuniaires, moraux, exemplaires ou punitifs.

(soulignement ajouté)

L’Engagement d’indemnisation  contenu au présent article vise toute situation et survivra la résiliation ou l’annulation de la présente convention. En effet, toute poursuite ou menace de poursuite connue ou engagée avant la fin de la durée de la présente convention fera l’objet du présent engagement d’indemnisation même après la terminaison ou l’annulation de la présente convention. Toute menace de poursuite ou poursuite connue ou engagée après la terminaison ou l’annulation de la présente convention sera couverte par le présent engagement d’indemnisation si ladite poursuite est engagée à l’égard de faits, actes ou propos ayant survenus au cours de la durée de la présente convention et diffusés sur les ondes de CKVL. Par ailleurs, CKVL s’engage envers l’Animateur et la Compagnie à faire en sorte que toute autre diffusion des émissions produites pour CKVL et diffusées dans d’autres stations radiophoniques procurent, de la part de ces autres radiodiffuseurs, les mêmes garanties d’indemnisation que celles prévues au présent article 7.1.

Pour les fins du présent engagement d’indemnisation, la durée de la présente convention inclut tout renouvellement de la présente convention, toute tacite reconduction ainsi que toute période postérieure à la durée de la présente convention ou postérieure à la terminaison ou annulation de la présente convention et au cours de laquelle la Compagnie ou l’Animateur a continué à occuper des fonctions auprès de CKVL et ce avec ou sans entente contractuelle.

De plus, l’annulation de la présente convention n’aura pas pour effet d’annuler la présente disposition d’indemnisation qui, à cette fin, doit être considérée comme étant une convention additionnelle à la présente convention.

7.2               Nonobstant les dispositions prévues à l’article 7.1, la Compagnie et l’Animateur s’engagent toutefois solidairement à rembourser à CKVL, sur demande écrite à cet effet, une somme égale à 25 % du montant capital de tout règlement ou condamnation en rapport avec une poursuite prévue au paragraphe 7.1 et ce jusqu’à concurrence d’une somme maximale de 50 000 $ par année cumulative. La somme dont il est fait mention sera cumulative à chaque année et additionnée, si elle n’a pas été utilisée et ce jusqu’à la fin de la convention. La somme capitale dont il est fait mention ci-devant exclue tout intérêt et indemnité additionnelle prévue au Code civil du Québec dont CKVL est la seule responsable avec, le cas échéant, CJMF.

(soulignement ajouté)

7.3              La Compagnie et l’Animateur ont le choix du procureur et des experts pour les représenter, le tout devant être basé sur des honoraires concurrentiels, en accord avec CKVL et ce, aux frais de CKVL. Advenant que le procureur choisi soit autre que celui choisi par la Compagnie et l’Animateur, la Compagnie et l’Animateur seront libérés de leur engagement de verser la somme égale à 25 % du montant en capital de tout règlement ou condamnation mentionné à l’article 7.2. »

[70]            Ainsi, non seulement les poursuites ont-elles été prévues de façon spécifique dans le contrat, mais de plus, Métromédia a convenu de tenir M. Arthur indemne de toute réclamation, y compris pour tous dommages pécuniaires, moraux, exemplaires ou punitifs, sous réserve d’une somme maximum de 50 000 $ par année, cumulative, qui doit être assumée par M. Arthur, suivant la clause ci-haut reproduite.

[71]            C’est d’ailleurs ce même contrat qui a été plus amplement analysé par la juge Julien et par la Cour d’appel, dans le dossier Johnson[2], dans lequel la responsabilité conjointe et solidaire a été retenue.

[72]            Suivant les termes mêmes de cette convention, le lien de droit entre les deux intimés est nettement établi et ultimement, la responsabilité solidaire pour toute faute commise par l’animateur, se doit d’être retenue.

[73]            La seconde question telle que proposée par l’arrêt de la Cour d’appel :

« Les propos de André Arthur et de ses auditeurs, tels que reproduits, correspondent-ils aux propos diffusés en onde le 17 novembre 1998? »

[74]            Ont été produites sous la cote P-3, ainsi que sous D-2 et D-AA2, une cassette audio, ainsi qu’une transcription « verbatim » des propos tenus lors de l’émission du 17 novembre 1998. De plus, le tribunal a écouté, lors de l’enquête, et réécouté lors de son délibéré, la cassette produite sous P-3.

[75]            Cette seconde question n’a pas fait l’objet de débat lors de l’enquête. Il est admis que les propos reprochés à M. Arthur dans la requête introductive d’instance, sont bien une partie des propos tenus par M. Arthur, le 17 novembre 1998, sur les ondes de CKVL, vers 8h00 a.m.

[76]            La troisième question posée par la Cour d’appel :

« Les propos de André Arthur, et ceux de l’auditrice encouragés ou non-dénoncés par celui-ci, sont-ils diffamatoires ou discriminatoires à l’égard des personnes d’origine arabe ou haïtienne oeuvrant dans l’industrie du taxi à Montréal, faisant partie du groupe défini précédemment?

[77]            Cette question est au cœur même du litige opposant M. Bou Malhab aux intimés Métromédia et André Arthur. Lorsque M. Arthur s’en est pris de façon toute particulière lors de son émission du 17 novembre 1998, aux chauffeurs de taxi d’origine arabe et haïtienne, il n’avait probablement pas à l’esprit des chauffeurs de taxi de la qualité de ceux qui ont été entendus comme témoins lors de l’enquête.

[78]            Le tribunal a été fort impressionné par la qualité des témoignages des huit témoins d’origine arabe et des trois témoins d’origine haïtienne qui se sont exprimés dans un excellent français, qui se sont tous déclarés parfaitement trilingues parlant à la fois le français et l’anglais, en plus de leur langue maternelle et qui se sont exprimés avec grande cohérence et beaucoup d’aplomb.

[79]            S’il est vrai que M. Arthur pouvait s’en prendre à l’industrie du taxi parce que de nombreuses voitures sont sales, malpropres et mal entretenues, que de nombreux chauffeurs connaissent peu ou pas la Ville, qu’ils ne comprennent ni l’anglais ni le français et qu’il y en a certains qui sont plus ou moins honnêtes, sans parler de ceux qui manifestent de façon agressive leur mécontentement parce que la course n’est pas assez longue et qu’ils espéraient un voyage à l’aéroport, il n’y avait absolument aucun motif de s’en prendre plus particulièrement aux chauffeurs d’origine arabe ou haïtienne, comme d’ailleurs la preuve l’a démontré lors de l’enquête.

[80]            M. Arthur fait preuve de racisme quand il s’en prend aux arabes et aux haïtiens. Insinuer que les permis étaient obtenus illégalement de leur part et faire allusion à de nombreuses reprises à la corruption pour obtenir un permis de chauffeur de taxi, était particulièrement insultant et blessant.

[81]            Le tribunal peut comprendre que les chauffeurs appelés à témoigner dans le présent dossier aient été choqués et blessés par les propos tenus par M. Arthur et ces propos auraient dû être dirigés non pas à l’égard de deux ethnies mais bien à l’égard de certains chauffeurs indépendamment de toute race.

[82]            En effet, si M. Arthur s’en était pris à l’industrie du taxi en général, sans faire quelque référence aux chauffeurs d’origine arabe ou haïtienne, il n’y aurait eu aucun problème, puisqu’à n’en pas douter, la qualité et les services rendus par les chauffeurs de taxi à Montréal étaient un sujet d’intérêt public.

[83]            C’est de façon tout à fait sarcastique qu’il a commenté les propos tenus par son interlocutrice en la qualifiant de raciste, alors que ses commentaires et les propos de l’interlocutrice ont été suscités par ses propres commentaires à l’égard des arabes.

[84]            Le sujet traité par M. Arthur, le 17 novembre 1998 et portant sur l’industrie du taxi à Montréal, était d’un grand intérêt pour l’ensemble de la population et tout particulièrement pour l’industrie du tourisme. Très souvent, la première image qu’a un touriste lorsqu’il arrive à Montréal, lui provient du taxi qu’il prend à l’aéroport ou à la gare et cette première impression peut le marquer pour l’ensemble de son séjour dans la Ville.

[85]            Un accueil chaleureux dans une des deux langues officielles et dans une voiture bien entretenue lui laissera une image positive de son séjour, alors que la situation contraire pourra l’indisposer.

[86]            Fallait-il pour autant cibler les chauffeurs de taxi arabes et haïtiens pour faire valoir son point de vue? Le tribunal ne le croit pas.

[87]            Il n’y a pas la moindre preuve à l’effet que le problème du taxi à Montréal, s’il y en a un, est attribuable aux chauffeurs arabes et haïtiens, bien au contraire, et M. Arthur ne pouvait, à la suite de quelques expériences personnelles négatives, généraliser et faire reposer sur les épaules des seuls chauffeurs arabes et haïtiens, tout l’ensemble des problèmes soulevés lors de son émission.

[88]            Lorsque M. Arthur utilise l’expression « ti-nègre », il ridiculise, méprise et dénigre la langue utilisée par la grande majorité des haïtiens, lorsqu’ils communiquent entre eux. Il s’agit d’une expression particulièrement péjorative généralement utilisée pour dévaloriser les noirs et se moquer de leur langue maternelle. Lorsqu’il fait allusion au fait que les chauffeurs arabes et haïtiens obtiennent leur permis de chauffeur par corruption et lorsqu’il déclare qu’ils ne connaissent pas la Ville et qu’ils conduisent des véhicules sales, malodorants et mal entretenus, il porte directement atteinte à leur réputation.

[89]            L’impression générale laissée par une écoute de l’émission laisse comprendre que les problèmes du taxi à Montréal sont la faute des arabes et des haïtiens, qu’ils en sont les seuls responsables et qu’ils se doivent d’en supporter tout l’odieux.

[90]            La majorité des chauffeurs de taxi font un bon travail, mais il y a des exceptions et dans la mesure où les chauffeurs d’origine arabe et haïtienne sont majoritaires, les exceptions sont sans doute plus nombreuses dans ces ceux groupes sans que l’on puisse pour autant généraliser.

[91]            La juge Marcelin et la Cour d’appel, lorsqu’elles se sont prononcées sur la requête en autorisation, ont qualifié les propos de M. Arthur, d’inacceptables et le tribunal, à la lumière des témoignages rendus par les onze témoins appelés en demande, conclut que lesdits propos correspondent à la définition de propos diffamatoires et discriminatoires à l’égard des chauffeurs de taxi d’origine arabe et haïtienne oeuvrant à Montréal.

LE DROIT APPLICABLE

[92]            L’analyse de la diffamation ne peut cependant se faire sans mettre en parallèle un autre droit tout aussi fondamental et important, soit le droit à la libre expression et à la liberté de presse et comme l’ont souligné les tribunaux à différentes reprises, il n’est pas toujours facile d’établir un juste équilibre entre ces deux droits.

[93]            Ces deux droits peuvent facilement être exercés en parallèle et le droit à l’information être utilisé dans le respect des personnes. Il est toujours très dangereux de généraliser surtout lorsque l’on vise des groupes bien particuliers.

[94]            La Cour suprême du Canada, sous la plume de l’honorable juge Lebel, dans la cause de Prud’homme[3], a maintenant clairement établi que c’est à la lumière du Code civil du Québec, en harmonie avec la Charte des droits et libertés de la personne qu’il nous faut analyser et déterminer s’il y a libelle diffamatoire.

[95]            Ainsi, le droit applicable dans le présent dossier sera, tel que ci-après repris :

« 1) Le Code civil

3.      Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l’inviolabilité et à l’intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.

Ces droits sont incessibles.

DU RESPECT DE LA RÉPUTATION ET DE LA VIE PRIVÉE

35.      Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.

Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d’une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l’autorise.

DES CONDITIONS DE LA RESPONSABILITÉ

1.-        Dispositions générales

1457.   Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

Elle est, lorsqu’elle est douée de raison et qu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu’elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel.

Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d’une autre personne ou par le fait des biens qu’elle a sous sa garde.

1621.       Lorsque la loi prévoit l’attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.

Ils s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.

2) Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., chapitre C-12)

3.      Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association.

4.      Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.

5.      Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

44.    Toute personne a droit à l’information, dans la mesure prévue par la loi.

49.    Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs. »

[96]            La diffamation est à l’origine d’une abondante jurisprudence et la littérature sur le sujet est considérable.

[97]            Elle a été plus particulièrement définie dans la cause de Société Radio-Canada c. Radio Sept-Îles inc.[4] où on y lit plus particulièrement :

« Génériquement, la diffamation consiste dans la communication de propos ou d’écrits qui font perdre l’estime ou la considération de quelqu’un ou qui, encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables. Elle implique une atteinte injuste à la réputation d’une personne par le mal que l’on dit d’elle ou la haine, le mépris ou le ridicule auxquels on l’expose. (références omises). »

[98]            Alors que les auteurs Beaudoin et Deslauriers[5] nous enseignent :

« En droit civil, il n’existe pas de différence entre la diffamation au sens strict du mot et le libelle que connaît le droit pénal. Toute atteinte à la réputation, qu’elle soit verbale (parole, chanson, mimique) ou écrite (lettre, pièce de procédure, caricature, portrait, etc.), publique (articles de journaux, de revues, livres, commentaires de radio, de télévision) ou privée (lettre, tract, rapport, mémoire), qu’elle soit seulement injurieuse ou aussi diffamatoire, qu’elle procède d’uneaffirmation ou d’une imputation ou d’un sous-entendu, peut constituer une faute qui, si elle entraîne un dommage, doit être sanctionnée par une compensation pécuniaire. On retrouve le terme diffamation employé, la plupart du temps, dans un sens large couvrant donc l’insulte, l’injure et pas seulement l’atteinte stricte à la réputation.

Pour que la diffamation donne ouverture à une action en dommages-intérêts, son auteur doit avoir commis une faute. Cette faute peut résulter de deux genres de conduite. La première est celle où le défendeur, sciemment, de mauvaise foi, avec intention de nuire, s’attaque à la réputation de la victime et cherche à la ridiculiser, à l’humilier, à l’exposer à la haine ou au mépris du public ou d’un groupe. La seconde résulte d’un comportement dont la volonté de nuire est absente, mais où le défendeur a, malgré tout, porté atteinte à la réputation de la victime par sa témérité, sa négligence, son impertinence ou son incurie. Les deux conduites constituent une faute civile, donnent droit à réparation, sans qu’il existe de différence entre elles sur le plan du droit. »

[99]            À la lumière de ce qui précède, le tribunal conclut :

1.                 Que la diffamation doit être appréciée telle que spécifiée par la Cour suprême, en vertu des critères établis par le droit civil, et ce même s’il s’agit d’un recours collectif : faute, dommages et lien de causalité;

2.                 Qu’il y a eu faute et atteinte à la réputation des chauffeurs de taxi de langue maternelle arabe et créole de la part de M. Arthur, à la fois de façon directe lorsqu’il a déclaré qu’ils ne parlaient ni le français ni l’anglais, que leurs véhicules étaient sales et mal entretenus, qu’ils sentaient mauvais, qu’ils ne connaissaient pas la Ville et de façon indirecte, lorsqu’il insinue qu’il y aurait corruption et que les permis étaient obtenus sur remise de pot-de-vin et aussi lorsqu’il a incité une intervenante à commenter sur le même sujet, ses remarques sur le racisme étant comme l’a d’ailleurs déjà souligné le tribunal, beaucoup plus sarcastiques que réprobatrices;

3.                 Qu’il n’y avait aucune justification pour limiter ses critiques et ses commentaires aux chauffeurs de taxi dont la langue maternelle est l’arabe ou le créole.

LA RESPONSABILITÉ CONJOINTE ET SOLIDAIRE DES DÉFENDEURS

[100]       Point n’est besoin d’élaborer très longuement sur cet aspect bien particulier du dossier. Appelé à analyser le même contrat pour des propos tenus par M. Arthur durant la même période lors d’une émission diffusée par CKVL, le 2 avril 1998, à l’égard des demandeurs Daniel Johnson et Suzanne Marcil[6], la juge Julien a conclu qu’il y avait lieu à condamnation conjointe et solidaire et la décision de la juge Julien a été confirmée par la Cour d’appel[7], dans un arrêt récent.

[101]       Métromédia n’a fait aucune mise en garde avant de conclure un contrat avec M. Arthur. Non seulement connaissait-elle les risques d’écart de langage de la part de M. Arthur, mais c’est précisément pour cette raison qu’elle a retenu ses services pour une émission très populaire, et ce, afin d’augmenter ses cotes d’écoute.

[102]       Les clauses précitées du contrat conclu avec M. Arthur, sont sur ce point des plus éloquentes.

[103]       Il n’y avait à CKVL, aucun code de déontologie et il n’a jamais été question des nombreuses plaintes et poursuites civiles entreprises contre M. Arthur, avant que débute ses émissions sur les ondes de la station de radio.

[104]       Métromédia ne peut donc échapper à la responsabilité solidaire pour les fautes commises par M. Arthur.

LES DOMMAGES

[105]       Ayant établi qu’il y avait eu de la part de M. Arthur diffamation à l’égard des chauffeurs de taxi dont la langue maternelle est l’arabe et le créole, il appartient au tribunal de déterminer s’il y a lieu dans le cadre d’un recours collectif d’accorder des dommages et si oui, pour quel montant, une tâche qui est loin d’être facile.

[106]       Le recours en dommages pour diffamation est essentiellement un recours individuel où la personne diffamée établira que les propos tenus à son égard ont porté atteinte à sa réputation, l’ont blessée et lui ont fait perdre l’estime et la considération des personnes qui la connaissent.

[107]       Un tel recours est-il incompatible avec une réclamation par voie de recours collectif où la diffamation touche un groupe de personnes plutôt qu’un individu?

[108]       La preuve a établi qu’il y avait à Montréal, en 1998, entre 1 100 et 1 200 chauffeurs de taxi, dont la langue maternelle était l’arabe ou le créole.

[109]       La quatrième question posée par la Cour d’appel dans son jugement du 24 mars 2003, se lit comme suit :

« Les intimés sont-ils exonérés d’un recours en diffamation du seul fait que les victimes n’étaient pas nommément identifiées mais faisaient plutôt partie du groupe diffamé?

            a)  Le jugement de première instance sur la requête en autorisation

[110]       La requête pour permission d’intenter un recours collectif a été entendue en première instance par Mme la juge Diane Marcelin.

[111]       Cette dernière, par jugement en date du 22 juin 2001[8], a rejeté la requête pour permission d’intenter un recours collectif. Dans ses motifs, elle s’exprime ainsi :

« Outre la difficulté sinon l’impossibilité de prouver une causalité entre le reportage et un dommage moral subi par un individu lorsque des propos s’adressent à une communauté composée d’un nombre important de membres, il faut voir que les auteurs québécois, la jurisprudence de droit civil et de Common law ne reconnaissent pas de recours civil pour la diffamation de communauté, si les allégations ne visent pas un membre particulier. Il faut se souvenir que chaque poursuivant doit faire la preuve que les attaques dirigées en apparence contre le groupe en particulier, ont, en fait rejailli sur lui en particulier.

Or, tel que déjà dit, plus le groupe est large, plus l’attaque est diffuse, plus elle atteint la communauté mais se perd au niveau de l’individu. »

 

b)  L’arrêt de la Cour d’appel sur la permission d’intenter un recours collectif

[112]       Le 24 mars 2003, tel que précédemment mentionné, la Cour d’appel a infirmé le jugement prononcé par la juge Marcelin, a accueilli la requête et autorisé l’exercice d’un recours collectif.

[113]       À la question :

« Mille chauffeurs de taxis peuvent-ils se plaindre de diffamation par recours collectif? »

[114]       La Cour d’appel sous la plume de la juge Rayle, a répondu : Oui.

[115]       Aux paragraphes 42 à 44 de l’arrêt, Mme la juge Rayle écrit :

« [42]       La première juge a conclu qu’il serait impossible de prouver une causalité entre le reportage et le dommage moral subi par un individu, les propos désobligeants s’étant adressés à une communauté composée d’un nombre important de membres. Elle conclut qu’en pareil cas, notre droit ne reconnaît pas de recours civil pour la diffamation de communauté, l’attaque se diluant, jusqu’à s’estomper, avant de rejoindre l’individu.

[43]       Avec beaucoup d’égard, je ne suis pas de cet avis. L’individualisation du préjudice peut se manifester de diverses façons. L’auteur de propos désobligeants peut y arriver en camouflant derrière des généralités une attaque dont la cible est particularisée. C’est l’exemple donné par l’auteur Denis Buron précité. C’était aussi le cas dans l’affaire Raymond c. Abel (1946) C.S. 251, où le défendeur a affirmé sur le perron de l’église que tous les Raymond (de la paroisse) étaient des « salauds ».

[44]       L’individualisation pourra découler de la taille relativement restreinte du groupe visé juxtaposée à la double spécificité des attaques : spécificité du groupe ciblé, d’une part et, d’autre part, spécificité des injures proprement dites. L’appelant a de sérieux moyens pour faire valoir que c’est précisément le cas ici. Pour se sentir personnellement accusé de malpropreté, d’incompétence et de corruption, il suffit au chauffeur de taxi montréalais d’être haïtien ou arabe. Inversement, tout chauffeur haïtien ou arabe qui opérait un taxi le 17 novembre 1998 à Montréal est nécessairement malpropre, incompétent et corrompu. Les propos d’André Arthur ne souffrent aucune exception. La corrélation entre ces races et les tares qu’il leur prête est parfaite. Dès que le travailleur est de l’une ou l’autre de ces races, il ne peut manquer d’être éclaboussé dans l’opinion publique et meurtri dans son identité profonde. »

[116]       La juge Rayle, aux paragraphes 47 et suivants de ses motifs, analyse avec approbation l’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Ortenberg c. Plamondon. Dans cette cause qui date de 1915, la Cour d’appel a reconnu qu’un juif résidant à Québec, alors qu’il y avait 75 familles juives sur une population totale de 80 000 âmes, pouvait réclamer des dommages au motif de diffamation d’un conférencier, pour les propos dégradants et nettement racistes tenus à l’égard des juifs lors de sa conférence.

[117]       À la lumière de l’arrêt Ortenberg, la juge Rayle ajoute :

« [50]    On peut donc dégager des enseignements de la Cour d’appel dans l’affaire Ortenberg trois situations possibles lorsqu’on est en présence de diffamation d’une collectivité :

1-       La diffamation collective vise un groupe large et elle se perd dans la foule. Les membres n’ont pas droit à compensation.

2-       Il y a diffamation collective, mais certains membres sont désignés ou facilement identifiables. Dans ce cas, les membres visés ont droit à une compensation.

3-      La diffamation collective vise un groupe assez restreint pour que tous les membres soient atteints personnellement. Les membres ont alors droit à des dommages. »

[118]       Et elle conclut de la façon suivante :

« [51     Il appartiendra au tribunal de déterminer dans quelle mesure le caractère individuel de l’atteinte à la réputation est réduit ou même anéanti par la taille de la collectivité visée, en prenant en compte la nature des propos tenus et les circonstances dans lesquelles la diffamation est survenue. Chaque cas en sera un d’espèce. Dans la première hypothèse, le tribunal pourra constater l’irrecevabilité de la demande pour absence d’intérêt et de causalité et alors la rejeter sommairement. Dans les autres cas, il appartiendra au juge du fond de conclure sur le mérite de l’action suivant la preuve faite. »

[119]       C’est ainsi que la Cour d’appel a conclu que prima facie les propos tenus par M. Arthur étaient diffamatoires et que les 1 000 chauffeurs de taxi dont la langue d’origine est l’arabe ou le créole, pouvaient faire valoir leurs droits à des dommages par le véhicule du recours collectif.

[120]       Est-il besoin de rappeler que la décision Ortenberg précitée était fort différente du présent dossier, dans la mesure où il s’agissait dans ce dossier non pas d’un groupe ou d’une collectivité, l’ensemble des juifs de Québec qui se sont portés demandeurs, mais bien d’un individu qui a réclamé pour lui-même des dommages à la suite des propos tenus par le conférencier, alors que dans le présent dossier, M. Bou Malhab agit pour un nombre considérable d’individus, de 1 100 à 1 200 chauffeurs de taxi.

[121]       Dans les conclusions de sa requête introductive d’instance, M. Bou Malhab réclame solidairement des intimés une somme de 750 $, à titre de dommages moraux, pour chacun des chauffeurs de taxi dont la langue d’origine est l’arabe ou le créole, et une somme de 200 $ à titre de dommages punitifs et exemplaires, le tout avec intérêts, y compris l’intérêt additionnel.

[122]       Huit chauffeurs de taxi, dont la langue maternelle est l’arabe, incluant le requérant M. Bou Malhab et trois chauffeurs de taxi dont la langue maternelle est le créole, ont déclaré au tribunal avoir écouté soit l’émission de M. Arthur, soit la cassette la reproduisant et avoir été profondément blessés et choqués par les propos tenus par M. Arthur.

[123]       La preuve révèle qu’il y a également tout au plus dix personnes qui ont écouté la cassette, après la tenue de l’Assemblée générale annuelle des membres de la Ligue de taxi de Montréal, tenue le 24 novembre 1998.

[124]       Ainsi, sur les 1 200 chauffeurs de taxi dont la langue maternelle est l’arabe ou le créole, la preuve a révélé que tout au plus une vingtaine de chauffeurs avaient entendu l’émission, le 17 novembre 1998 ou encore avaient été en mesure d’écouter la cassette reproduisant les extraits litigieux.

[125]       Qu’en est-il, des 1 180 autres chauffeurs? Combien ont écouté l’émission le 17 novembre 1998? Ou encore combien ont été en mesure d’écouter la cassette la reproduisant par la suite?

[126]       Un chauffeur de taxi dont la langue maternelle est l’arabe ou le créole, peut-il prétendre avoir subi un dommage alors qu’il n’a jamais entendu les propos tenus par M. Arthur? Peut-on se fier aux seuls témoignages rendus lors de l’enquête dans le présent dossier, pour en déduire qu’il y a connaissance générale de la part de tous les chauffeurs arabes ou haïtiens, permettant l’octroi de dommages individuels? Est-il suffisant d’établir qu’on était chauffeur de taxi de langue maternelle arabe ou créole à Montréal, le 17 novembre 1998, pour avoir droit à des dommages?

[127]       Quelle était la cote d’écoute de la station CKVL, une station francophone, le 17 novembre 1998?

[128]       Tous les témoins entendus par le tribunal lors de l’enquête, ont comme langue seconde, le français!

[129]       Combien de chauffeurs de taxi dont la langue maternelle est l’arabe ou le créole et qui ont comme langue seconde l’anglais, ont écouté ou même été informés des propos tenus par M. Arthur?

[130]       Une distinction doit-elle être faite entre les « francophones » et les « anglophones »?

[131]       Il s’agit là de questions fort importantes et les réponses loin d’être évidentes!

[132]       Selon le tribunal, un chauffeur de taxi ne peut prétendre à des dommages que dans la mesure où il établit qu’il a entendu les propos tenus par M. Arthur, lors de l’émission où par la suite, ce qui est le cas des 11 témoins entendus lors de l’enquête. Pour tous les autres, il n’y a pas la moindre preuve qu’ils sont même au courant du contenu de l’émission de M. Arthur à CKVL, le 17 novembre 1998.

[133]       Est-il possible de pallier cette lacune lors de la présentation d’une réclamation dans le cadre d’un recours collectif, lorsque chaque individu présentera sa réclamation individuelle? Le tribunal ne le croit pas, dans la mesure où il n’y a absolument aucun moyen de contrôler toutes et chacune des déclarations qui pourraient être faites par l’un ou l’autre des chauffeurs de taxi concernés.

[134]       En effet, il est facile d’établir qu’un individu était chauffeur de taxi à Montréal, le 17 novembre 1998 et que sa langue maternelle est l’arabe ou le créole, mais il est impossible de contrôler de quelque façon que ce soit, s’il a effectivement écouté l’émission ou entendu la cassette et la date précise où il l’aurait écoutée. Une simple déclaration assermentée confirmant une telle écoute serait insuffisante.

[135]       La Cour d’appel lorsqu’elle a accueilli la requête pour permission d’intenter un recours collectif, était, à n’en pas douter, au courant du problème que pourrait présenter la preuve de dommages individuels et elle a quand même accordé cette permission. Dans l’arrêt de la Cour d’appel, la juge Rayle écrivant pour la Cour, déclare :

« [60] Il est indéniable que le véhicule procédural choisi par l’appelant, qui procède d’une philosophie communautaire, se prête mal à l’exercice d’un recours en diffamation qui est par essence individuel. »     

(soulignement ajouté)

[136]       Au paragraphe précédent, elle nous disait :

« Il appartiendra au tribunal de déterminer dans quelle mesure le caractère individuel de l’atteinte à la réputation est réduit ou même anéanti par la taille de la collectivité visée, en prenant compte de la tenue des propos tenus et les circonstances dans lesquelles la diffamation est survenue. »

[137]       Nonobstant ces difficultés, la Cour d’appel a conclu prima facie qu’il y a eu diffamation et qu’il y avait lieu à recours collectif et le tribunal, bien qu’il partage l’opinion émise par la juge Marcelin, se considère lié par l’arrêt de la Cour d’appel.

[138]       D’ailleurs, tout en insistant sur le fait qu’un recours en diffamation est essentiellement un recours individuel, la Cour d’appel d’Ontario a refusé un recours collectif aux Seafarers International Union of Canada et al[9] et la Ontario Court of Justice refusé un recours collectif au Kenora (Town) Police Service[10], ainsi qu’à Gauthier v. Toronto Star Daily Newspapers Ltd[11] et à Campbell v. Toronto Star Newspaper Ltd.[12].

[139]       Également, sur le même sujet, il y a la cause de Elliott v. Canadian Broadcasting Corp. et al.[13], qui cite avec approbation le droit anglais qui est au même effet.

[140]       La difficulté que présente l’octroi de dommages dans le dossier, ne résulte pas de la taille du groupe visé, mais bien de l’absence totale de preuve de dommages pour tous les chauffeurs de taxi concernés qui n’ont pas été appelés comme témoins lors de l’enquête.

[141]       Dans le dossier Ortenberg précité, la Cour d’appel, comme nous l’avons vu, a reconnu à un individu le droit à des dommages pour des affirmations diffamatoires adressées à une collectivité, puisqu’il a été établi dans ce dossier que le réclamant avait été tout particulièrement blessé et choqué par les propos tenus à l’égard des juifs.

[142]       Tel que l’écrivait le juge Lesage, à la page 370, dans la cause du Curateur public c. Syndicat National des employés de l’hôpital St-Ferdinand[14] :

« À la base du recours collectif, existe une présomption de similarité au bénéfice des membres absents. Le demandeur doit l’établir, mais il n’a pas à faire une preuve de chaque situation individuelle. Le Tribunal est invité à procéder par regroupements et s’y refuser constituerait un déni de justice. Qu’on soit d’accord ou non, le législateur a voulu faire jouer au Tribunal un rôle nouveau dans l’exercice d’une justice collective. Ce rôle se traduit par le contrôle du recours, le contrôle de la procédure, la discrétion dans les solutions et les formes d’exécution, le procès par étapes et, surtout, la globalisation du litige par le traitement collectif, en tout ou en partie, des rapports individuels. »

et à la page 396 :

Le législateur a voulu que soient traités collectivement en justice les intérêts d’un groupe de membres qui ont des affinités. Cette justice globale équilibre l’impuissance à obtenir un redressement par l’action individuelle, soit en raison de la complexité ou de la fluidité du droit, soit en raison de la dilution des intérêts des membres du groupe. Cette forme de recours accorde au pouvoir judiciaire un rôle nouveau dans la définition d’une justice accessible, réaliste, uniforme et curative, là où le droit existe, mais où sa sanction serait autrement quasi-illusoire.

Mario Bouchard (L’autorisation d’exercer le recours collectif, (1980) 21 C. de D.880-881.) écrit :

D’abord, nous l’avons déjà dit, le recours collectif rend pratique l’exercice de droits théoriques en collectivisant la détermination des droits d’un ensemble d’individus. Il abaisse ainsi le seuil monétaire à partir duquel il est plus payant d’agir que de ne rien faire, met de côté la gêne, la peur ou l’ignorance comme facteurs de non-exercice des droits. La multiplication des effets de la démarche d’une personne la rend d’autant plus rentable, réconcilie le système contradictoire, laissé à l’initiative des parties, avec la nécessité d’apporter des solutions à des maux sociaux « méta-individuels ». Cet accroissement de l’efficacité judiciaire devrait aussi permettre de prévenir une trop grande désaffection du citoyen à l’égard de la justice, et fait du recours collectif, pour certains, l’ultime rempart contre le paternalisme juridique de l’État. Ce moyen de procédure rend notre système judiciaire compatible avec notre modèle d’économie de masse.

Comme on l’a souligné aussi, le recours collectif n’est pas orienté vers une solution purement compensatoire. Ainsi, les articles 1034 et 1036 C.P. autorisent le Tribunal à attribuer à un tiers le reliquat non distribué, le cas échéant, « en tenant compte notamment de l’intérêt des membres ». Par contre, une telle solution ne doit pas entraîner une responsabilité plus lourde pour le débiteur.

Ces dispositions nous autorisent à établir, par présomption, le quantum de la responsabilité des défendeurs. Lorsque tous les membres du groupe ont subi un préjudice de même ordre, ce préjudice peut être évalué d’après une moyenne, sans aggraver la responsabilité du débiteur. »

[143]       Dans le présent dossier, seuls 11 individus ont déclaré avoir été diffamés et la preuve de dommages moraux à leur égard ne fait aucun doute, et même s’il existe une présomption de similarité au bénéfice des membres comme le souligne le juge Lesage, les principes de responsabilité civile conservent toute leur pertinence et le lien entre la faute et le dommage doit être établi.

[144]       Le tribunal peut-il n’accueillir le recours collectif que pour ces 11 individus? Ou encore pour les 21, incluant ceux qui ont entendu les propos tenus par M. Arthur, lorsque à la fin de l’Assemblée annuelle de novembre 1998, ils ont écouté la cassette reproduisant les propos tenus par M. Arthur, lors de son émission?

[145]       Le tribunal ne peut considérer une telle approche sans dénaturer le recours collectif qui a précisément été mis en place par le législateur, pour permettre à un individu de réclamer au nom d’un groupe, des dommages qui pourront par la suite être accordés à chacun des membres de ce groupe, dans la mesure bien sûr où chacun des membres concernés peut établir qu’il a effectivement subi un tel dommage, ce qui ne peut être fait dans le présent dossier pour les motifs exposés précédemment.

[146]       Ainsi, le tribunal ne pouvant établir de lien entre la faute et des dommages individuels pour les chauffeurs de taxi concernés par le recours présenté par M. Bou Malhab, et ce, tant pour les dommages moraux que pour des dommages punitifs s’il y avait lieu d’en accorder, se doit d’écarter une telle approche.

[147]       Ayant conclu qu’il y avait eu effectivement diffamation de la part de M. Arthur pour les propos tenus lors de l’émission du 17 novembre 1998, mais ne pouvant accorder des dommages moraux ou punitifs sur une base individuelle, le tribunal, tel que suggéré par M. Bou Malhab dans ses conclusions alternatives, pour le reliquat de toute somme non réclamée, entend prendre une approche collective, telle que lui permettent les articles 1028 et 1034 C.p.c. qui prévoient :

(1028) « Le jugement final qui condamne à des dommages-intérêts ou au remboursement d’une somme d’argent ordonne que les réclamations des membres soient recouvrées collectivement ou fassent l’objet de réclamations individuelles. »

(1034) « Le tribunal peut, s’il est d’avis que la liquidation des réclamations individuelles ou la distribution d’un montant à chacun des membres est impraticable ou trop onéreuse, refuser d’y procéder et pourvoir à la distribution du reliquat des montants recouvrés collectivement après collocation des frais de justice et des honoraires du procureur du représentant. »

[148]       Dans les conclusions de sa requête, M. Bou Malhab suggère, de façon subsidiaire, de payer le reliquat de toute somme non réclamée, à une fondation ou à un organisme sans but lucratif désigné par la Cour.

[149]       Cette approche a déjà été retenue par les tribunaux, entre autres dans des dossiers où le montant accordé était insuffisant pour faire l’objet d’une réclamation individuelle ou encore lorsqu’il y a reliquat non réclamé pour une partie des montants accordés par un tribunal.

[150]       Des représentations sur cet aspect du dossier ont été faites par le procureur de M. Bou Malhab, lors de l’enquête et dans une lettre adressée au tribunal en date du 15 décembre 2005, Me El Masri suggère, après discussion avec son client, que l’organisme sans but lucratif qui pourrait être désigné par le tribunal, soit l’Association professionnelle des chauffeurs de taxi - exécutif régional de Montréal. Il semble qu’il n’y ait aucun organisme sans but lucratif qui réponde précisément à la description du groupe tel que défini par la Cour d’appel.

[151]       À défaut d’un organisme mis en place pour aider, soutenir et assister les chauffeurs de taxi dont la langue maternelle est l’arabe ou le créole, le tribunal entend probablement retenir l’Association suggérée par le requérant, pour les fins de recueillir le montant des dommages tels que ci-après attribués.

[152]       À la suite du jugement, le tribunal entend écouter les représentations que pourra faire cet organisme pour mettre en place des programmes d’aide et de soutien qui ne s’adresseront qu’aux chauffeurs de taxi dont la langue maternelle est l’arabe et le créole et à leur famille. Ces représentations seront suivies d’une ordonnance spécifique quant à la destination finale de la somme accordée et à l’utilisation des sommes reçues et à défaut de représentations adéquates, le tribunal établira ex parte les modalités d’utilisation des sommes ainsi versées et le destinataire ultime.

[153]       La cinquième question de la Cour d’appel, est la suivante :

« Quel est le montant auquel chacun des membres du groupe défini précédemment a droit, tant à titre de dommages moraux que punitifs et exemplaires?

LES DOMMAGES

1.         Les dommages moraux

[154]       M. Bou Malhab réclame, à titre de dommages moraux, une somme de 750 $ par chauffeur de taxi concerné. Il n’est pas facile pour le tribunal, dans une approche de recours collectif pour les motifs ci-haut exprimés, d’établir le montant des dommages moraux qui doivent être accordés à l’organisme sans but lucratif pour tenir lieu d’indemnisation adéquate pour les propos tenus par M. Arthur. L’octroi d’un dollar par individu, tel que déjà retenu par la jurisprudence lorsque l’évaluation est à toutes fins pratiques impossible à circonscrire, apparaît au tribunal comme tout à fait inadéquate, alors que d’autre part le montant de 750 $, tel que suggéré dans la requête introductive d’instance, nous apparaît comme excessive et non réaliste.

[155]       Comme le nombre de chauffeurs de taxi dont la langue maternelle est l’arabe ou le créole et qui opéraient à Montréal, le 17 novembre 1998, n’a pas été établi de façon précise, le tribunal retient comme chiffre pour les fins d’établir le nombre de personnes concernées, 1 100 chauffeurs de taxi.

[156]       Retenant à titre d’indemnité un montant équivalent à 200 $ pour chacun des chauffeurs, le montant des dommages moraux accordé par le tribunal, s’établit à 220 000 $.

2.         Les dommages punitifs et exemplaires

[157]       Le requérant M. Bou Malhab, réclame, à titre de dommages punitifs et exemplaires, une somme de 200 $ pour chacun des membres du groupe. L’article 49 , à son paragraphe 2, de la Charte des droits et libertés de la personne, stipule :

« En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs. »

[158]       Et le Code civil, de son côté, à l’article 1621, prévoit :

« Lorsque la loi prévoit l’attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.

Ils s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers. »

[159]       Les dérapages de la part de M. Arthur étaient non seulement prévisibles dans la mesure où le passé est garant de l’avenir lorsqu’un contrat a été conclu avec Métromédia, mais ils ont été spécifiquement prévus et ils ont fait l’objet d’une clause spéciale suivant laquelle Métromédia a convenu de tenir indemne M. Arthur de toute condamnation, sous réserve d’une franchise de 50 000 $.

[160]       Doit-on pour autant nécessairement conclure qu’il y a lieu dans de telles circonstances à l’octroi de dommages exemplaires? S’agit-il d’une atteinte illicite et intentionnelle justifiant des dommages-intérêts punitifs et exemplaires?

[161]       Le tribunal ne le croit pas.

[162]       Une écoute attentive de la cassette et le témoignage rendu par M. Arthur lors de l’enquête, qui a dit regretter les paroles prononcées et s’excuser auprès des personnes concernées, ne nous permet pas de conclure qu’il y a eu atteinte illicite et intentionnelle au sens de l’art. 49.2 de la charte.

[163]       Il y a lieu pour le tribunal de replacer les propos tenus par M. Arthur dans leur contexte bien particulier, soit lors d’une émission matinale où les auditeurs étaient appelés à intervenir pour commenter et pour faire part de leur propre expérience.

[164]       Le sujet à l’ordre du jour : « L’industrie du taxi à Montréal » était un sujet de grand intérêt et comme l’a souligné le tribunal, n’eut été de relier les problèmes à deux groupes particuliers, les arabes et les haïtiens, les problèmes soulevés étaient pertinents et tout à fait indiqués pour une émission d’affaires publiques.

[165]       Dans un tel contexte, le tribunal ne peut retenir les prétentions du requérant, à l’effet qu’il y ait lieu d’ajouter aux dommages moraux, des dommages punitifs et exemplaires.

LES HONORAIRES JUDICIAIRES ET EXTRAJUDICIAIRES

[166]       À la fin de l’enquête, le procureur du requérant a déposé, sous la cote P-19, la convention d’honoraires professionnels intervenue avec le requérant.

[167]       Cette convention dispose à la fois des honoraires judiciaires et extrajudiciaires, le tout dans une relation d’avocat-client.

[168]       Le tribunal dans le présent dossier ayant conclu qu’il n’y avait pas lieu à octroi de dommages punitifs et exemplaires et comme l’octroi de dommages-intérêts pour tenir lieu d’indemnisation des honoraires extrajudiciaires relève des mêmes principes de droit, il n’y a pas lieu d’accorder ni même de considérer dans le présent jugement, l’octroi de dommages-intérêts pour tenir lieu de remboursement des honoraires extrajudiciaires.

[169]       La convention déposée dans le dossier sous la cote P-19 n’a donc aucune pertinence et les honoraires et dépens seront régis par l’article 1050.1 C.p.c.

[170]       Le recours sera donc accueilli avec dépens, conformément audit article et il appartiendra au requérant et à son procureur, de déterminer s’il y a lieu de présenter au soussigné une requête pour honoraire spécial, tel que prévu au tarif.

POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[171]       ACCUEILLE le recours collectif;

[172]       DONNE ACTE au requérant de la publication d’un avis aux membres, tel qu’ordonné par l’arrêt de la Cour d’appel du 24 mars 2003;

[173]       ÉTABLIT, pour les fins du présent jugement, le nombre de chauffeurs de taxi dont la langue maternelle était l’arabe ou le créole, à 1 100;

[174]       CONDAMNE solidairement les intimés, DIFFUSION MÉTROMÉDIA CMR INC. et André Arthur, à payer à l’organisme sans but lucratif connu sous le nom de Association professionnelle des chauffeurs de taxi - exécutif régional de Montréal, ou à tout autre organisme sans but lucratif qui pourra être désigné par le tribunal, la somme de 220 000 $, pour l’ensemble des chauffeurs de taxi dont la langue maternelle était l’arabe ou le créole et qui détenaient, au 17 novembre 1998, un permis de chauffeur de taxi à Montréal;

[175]       ORDONNE à l’Association professionnelle des chauffeurs de taxi - exécutif de Montréal, de comparaître devant le juge soussigné à une date à être convenue avec les procureurs au dossier, mais n’excédant pas 60 jours de la date du présent jugement, pour que soient déterminés les paramètres suivant lesquels seront utilisées les sommes versées à cet organisme pour les chauffeurs de taxi dont la langue maternelle est l’arabe ou le créole, le tribunal se réservant le droit de désigner tout autre organisme à but non lucratif s’il le juge approprié.

[176]       SUSPEND l’exécution et le paiement de la somme de 220 000 $ jusqu’à ce qu’une ordonnance ait été rendue sur le destinataire ultime de la somme ainsi accordée et sur la façon d’en disposer.

[177]       LE TOUT avec intérêts depuis la signification de la requête introductive d’instance, y compris l’indemnité additionnelle prévue par la loi, et avec dépens.

 

 

__________________________________

JEAN GUIBAULT, J.C.S.

 

Me Jean El Masri

SEGAL LAFOREST EL MASRI

Procureur du requérant

 

Me Marcel Lacoursière, et

Me Jacques Béland

BÉLAND LACOURSIÈRE

Procureurs des défendeurs

 

Dates d’audience :

21, 23, 24, 28 novembre et 12 décembre 2005

 



[1] Daniel Johnson et Suzanne Marcil c. Pierre Arcand et al, C.S. Montréal, 500-05-042565-984, 1er octobre 2002, j. Julien

[2] Précité note 1

[3] Prud’homme c. Prud’homme, [2002] 4 R.C.S.

[4] Société Radio-Canada c. Radio Sept-Îles inc. [1994] R.J.Q. 1811 C.A.

[5] Jean-Louis BEAUDOIN et Patrice DESLAURIERS, La Responsabilité civile, 5e édition, Les Éditions Yvon Blais 1998, pp. 299 à 302

[6] Précité note 1

[7] MÉTROMÉDIA C.M.R. MONTRÉAL INC. c. Daniel Johnson et Suzanne Marcil et al, C.A. Montréal, 500-09-012808-028, 2 février 2006, jj. Forget, Rochette, Pelletier

[8] Farès Bou Malhab c. Métromédia CMR Montréal inc. et André Arthur, C.S. Montréal, 500‑06‑000095‑998, 22 juin 2001, j. Marcelin

[9] Seafarers International Union of Canada et al v. Lawrence, Ontario, Court of Appeal, 24 O.R. (2d) 257, 4th April, 1979, jj. Mackinnon, Arnup and Blair.

[10] Kenora (Town) Police Service v. Savino, Ontario Court of Justice (General Division), Kenora, Ontario, oral judgment : July, 2, 1996, j. Platana.

[11] Gauthier v. Toronto Star Daily Newspapers Ltd[11], Ontario Supérior Court of Justice, June 24, 2003, j. Cullity

[12] Campbell v. Toronto Star Newspapers Ltd (Ont. Div. Ct.), Ontario Court of Justice (General division), September 12, 1990, jj. O’Leary, Reid and Coo.

[13] Elliott v. Canadian Broadcasting Corp. et al., Ontario Court (General Division), December 21, 1993, j. Montgomery.

[14] Curateur public c. Syndicat National des employés de l’hôpital St-Ferdinand et al, [1990] R.J.Q., p. 370.

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