Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
_

Section des affaires sociales

En matière de services de santé et de services sociaux, d'éducation et de sécurité routière

 

 

Date : 5 juillet 2007

Référence neutre : 2007 QCTAQ 06852

Dossier  : SAS-Q-129875-0609

Devant les juges administratifs :

STELLA PHANEUF, médecin

LINA BISSON-JOLIN, avocate

 

M... M...

Partie requérante

c.

RÉGIE DE L'ASSURANCE MALADIE DU QUÉBEC

Partie intimée

 

 


DÉCISION


[1]                    La requérante conteste une décision en révision rendue le 11 août 2006 par l’intimée, la Régie de l’assurance maladie du Québec. Par cette décision, l’intimée maintient le refus de rembourser les coûts inhérents à un changement de prothèse au niveau du sein gauche et à une correction au niveau du sein droit, au motif que ces interventions sont pratiquées à des fins purement esthétiques.

[2]                    Par son recours, la requérante demande le remboursement des frais reliés à la chirurgie, soutenant qu’elle n’est pas requise uniquement dans un but esthétique.

 

[3]                    De l'ensemble de la preuve soumise, le Tribunal relève les éléments pertinents suivants. 

[4]                    La requérante est née en [...] 1986.

[5]                    En octobre 2002, Dr Antoine Desgagnés, plasticien, demande à l’intimée de défrayer les coûts reliés à une chirurgie visant la correction d’une asymétrie mammaire importante. La procédure consiste en une réduction mammaire droite et une augmentation de volume du sein gauche par prothèse. La requérante est alors âgée de 16 ans.

[6]                    Par une réponse produite en deux temps, l’intimée autorise la chirurgie :

-        le 15 novembre 2002, elle autorise l’augmentation du sein gauche par prothèse;

-        le 24 janvier 2003, constatant n’avoir répondu qu’à un seul volet de la demande, l’intimée autorise également la mastopexie droite.

[7]                    Dr Desgagnés opère la requérante le 30 janvier 2003.

[8]                    En mars 2006, soit trois ans après cette intervention, Dr Desgagnés produit une seconde demande de remboursement à l’intimée :

« (…) Le post-op a été sans histoire et le résultat très satisfaisant.

Cependant, la patiente se dit insatisfaite et voudrait voir une correction plus adéquate. Bien que le résultat est très satisfaisant, il persiste une légère asymétrie que l’on pourrait possiblement amélioré avec un grossissement du sein gauche et légère correction au niveau du pli inframammaire droit. »

(transcription conforme)

[9]                    En date du 5 mai 2006, Dr Pierre Breton, médecin expert-conseil de l’intimée informe Dr Desgagnés que les interventions proposées sont considérées comme des services non assurés. En conséquence, les coûts inhérents à cette chirurgie devront être à la charge de la requérante.

[10]                Cette dernière demande une révision de la décision. Elle soumet que la symétrie recherchée par la première intervention n’a pas été atteinte, ce qui lui cause des préjudices physiques et psychologiques, notamment une perte d’estime de soi ayant des impacts sur ses relations interpersonnelles et même amoureuses.

[11]                En date du 29 juin 2006, Dre Huguette Vigeant, médecin à la direction des affaires médicales, dentaires et optométriques de l’intimée écrit à Dr Desgagnés pour obtenir des informations complémentaires quant à la nature de l’intervention proposée et demandant également de quantifier, en grammes, l’importance de l’asymétrie.

[12]                Dr Desgagnés répond le 12 juillet, réitérant avoir corrigé l’asymétrie mammaire très importante de la requérante par la chirurgie effectuée en 2003. Le résultat est très satisfaisant. Il maintient que la chirurgie proposée demeure un changement de prothèse gauche avec correction du sein droit, afin de rendre la patiente plus heureuse.

[13]                Le 11 août 2006, l’intimée maintient en révision le refus d’autoriser la chirurgie proposée, au motif que la procédure est pratiquée à des fins purement esthétiques.

[14]                D’où le présent recours.

[15]                Lors de son témoignage à l’audience, la requérante déclare essentiellement ce qui suit :

-        Elle est âgée de 21 ans.

-        Elle explique les circonstances entourant l’intervention chirurgicale du 30 janvier 2003, soulignant le fait que Dr Desgagnés n’avait alors pas pris connaissance de la seconde réponse de l’intimée[1] autorisant également la correction du sein droit. Comme il s’apprêtait à n’opérer que le sein gauche, il a dû revoir rapidement sa procédure, créant ainsi de l’inquiétude chez elle. 

-        Elle est insatisfaite du résultat de la chirurgie. Il persiste une asymétrie. Elle explique que les conséquences au point de vue psychologique sont très importantes. Son estime de soi est atteinte, elle n’a pas de vie. Elle n’a, par exemple, jamais pu porter de cos-tume de bain. Il ne s’agit pas d’un caprice de sa part de vouloir une nouvelle chirurgie. 

-        Elle consulte un psychologue depuis trois mois, à raison d’une rencontre à toutes les deux semaines. Elle n’a pas été en mesure d’obtenir copie de son dossier.

-        Elle n’a consulté aucun médecin.

[16]                Madame L. P., mère de la requérante, témoigne également des difficultés vécues par sa fille.

[17]                Dr Bruno Rainville, chirurgien et médecin expert conseil de l’intimée explique le processus d’analyse des dossiers et précise l’encadrement légal.

 

[18]                Le Tribunal est appelé à statuer sur le bien-fondé de la décision en révision de l’intimée refusant de considérer la chirurgie envisagée comme étant un service assuré.

[19]                Le recours met en cause l’application de l’article 3 de la Loi sur l’assurance maladie[2], qui établit les services dont le coût est assumé par la Régie :

« 3. Le coût des services suivants qui sont rendus par un professionnel de la santé est assumé par la Régie pour le compte de toute personne assu-rée, conformément aux dispositions de la présente loi et des règlements :

a)    tous les services que rendent les médecins et qui sont requis au point de vue médical;

(…) »

[20]                L’article 22 du Règlement d’application de la Loi sur l’assurance maladie[3] énumère les services qui ne sont pas considérés comme assurés :

« 22. Les services mentionnés sous cette section ne doivent pas être considérés comme des services assurés aux fins de la Loi :

(…)

c)      tout service dispensé à des fins purement esthétiques. Sont notamment considérés comme tels, les services suivants :

(…)

viii.    toute mammoplastie à moins que tel service ne soit rendu pour :

A) la correction d’aplasie mammaire;

B) la correction s’asymétrie sévère (au moins 150 grammes) ou d’hyperplasie sévère bilatérale (au moins 250 grammes par sein);

(…) »

[21]                Ainsi, le coût de tous les services rendus par les médecins et qui sont requis médicalement est assumé par l’intimée. Les dispositions de l’article 22 du règlement prévoient toutefois que tout service dispensé à des fins purement esthétiques ne constitue pas un service assuré. En ce qui concerne spécifiquement la mammoplastie, le règlement stipule qu’à moins de rencontrer certains critères bien définis, toute mammoplastie est considérée comme un service dispensé à des fins purement esthétiques.

[22]                La preuve démontre clairement que la condition de la requérante ne rencontre pas les critères ci-haut mentionnés.

[23]                La requérante soutient cependant que sa condition a un impact psychologique important et qu’en conséquence, la chirurgie est requise médicalement et non à des fins purement esthétiques.

[24]                Le Tribunal rappelle qu’il appartient à la requérante de démontrer par une preuve prépondérante le bien-fondé de ses prétentions.

[25]                Or, la preuve de la requérante repose essentiellement sur son témoignage, selon lequel elle demeure perturbée par la situation et que sa condition requiert un suivi en psychologie. Elle n’a cependant déposé aucune documentation médicale ou rapport de psychologue au soutien de ces prétentions.

[26]                Les soussignées peuvent comprendre les difficultés vécues par la requérante et les répercussions au niveau de son image corporelle. Néanmoins, pour qu’un service non assuré devienne assuré en raison d’un trouble psychique, il doit être démontré que la condition en cause affecte la santé mentale d’une personne au point de rendre ledit service médicalement requis.

[27]                Voici, à cet égard, quelques extraits de décisions rendues par le Tribunal en semblable matière :

-        SS-10150, décision du 3 juillet 1992 :

« (…) Bien sûr, dans le cas d’une chirurgie esthétique, il faut croire qu’une personne a toujours ses raisons de vouloir s’y soumettre et, la plupart du temps, il s’agit de raisons d’ordre psychologique (complexe, gêne, impression d’être mal dans sa peau…).  À moins qu’il s’agisse d’un désordre grave affectant vraiment la santé mentale d’une personne, la Commission n’estime pas que la seule mention d’une certaine perturbation psychologique, tout aussi compréhensible qu’elle soit, suffise à équivaloir à des troubles fonctionnels permettant qu’un service généralement non assuré devienne ainsi assuré. »

-        SAS-M-096336-0409, décision du 6 juin 2005 :

« [20] En l’espèce, il ne fait nul doute que la requérante présente des difficultés au niveau psychologique en relation avec les séquelles laissées par ses chirurgies et traitements antérieurs.  Toutefois, la preuve est insuffisante pour permettre de conclure qu’il en résulte des troubles fonctionnels suffisamment graves pour autoriser que la chirurgie proposée, habituellement considérée comme étant à des fins esthétiques, puisse être considérée comme un service assuré. »

[28]                En l’espèce, le Tribunal ne peut que constater l’absence d'une preuve prépondérante établissant que l'intervention envisagée soit requise pour des fins autres que purement esthétiques.

[29]                En conséquence, le Tribunal ne peut considérer cette chirurgie comme étant un service assuré et doit conclure au bien-fondé de la décision en révision de l’intimée.

[30]                Tel que mentionné par le procureur de l’intimée à l’audience, la requérante pourra toujours, le cas échéant, déposer une nouvelle demande accompagnée de toute la documentation médicale pertinente.

PAR CES MOTIFS, le Tribunal :

-        REJETTE  le recours;

-        RÉSERVE les droits de la requérante pour toute démarche additionnelle si les circonstances le justifiaient.


 

STELLA PHANEUF

 

 

LINA BISSON-JOLIN


 

Me Luc Boulanger

Procureur de la partie intimée


 



[1] Rappelons que cette seconde lettre de l’intimée est datée du 24 janvier 2003

[2] L.R.Q., c. A-29

[3] R.R.Q., 1981, c. A-29, r.1

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.