Jacques c. Pétroles Therrien inc.

2009 QCCS 1862

JB 1988

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

Nº :

200-06-000102-080

 

DATE :

24 avril 2009

 

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

DOMINIQUE BÉLANGER, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

 

 

SIMON JACQUES

 

Requérant

 

c.

 

LES PÉTROLES THERRIEN INC.

 

Et

 

DISTRIBUTIONS PÉTROLIÈRES THERRIEN INC.

 

Et

 

ULTRAMAR LTÉE

 

Et

 

PETRO-CANADA

 

 

 

 

Et

 

IMPERIAL OIL LIMITED

 

Et

 

SHELL CANADA PRODUCTS

 

Et

 

LES PÉTROLES IRVING INC.

 

Et

 

LE GROUPE PÉTROLIER OLCO INC.

 

Intimées

 

______________________________________________________________________

 

J U G E M E N T

sur requête pour permission d'amender une requête pour

autorisation d'exercer un recours collectif

______________________________________________________________________

 

 

 

 

[1]          Le requérant Simon Jacques demande la permission d'amender sa requête en autorisation d'exercer un recours collectif déposée le 13 juin 2008.

[2]                Le groupe étant alors décrit comme suit :

« Toutes les personnes physiques ou morales au Québec, comptant cinquante (50) employés ou moins, qui ont acheté, utilisé ou reçu de l'essence à au moins une reprise entre le 1er janvier 2005 et le 31 décembre 2007 auprès de détaillants affiliés aux intimés, notamment dans les municipalités de Victoriaville, Thetford Mines, Magog et Sherbrooke. »

 

 

 

[3]          La même journée, trois autres recours collectifs sont déposés au Québec, dont un deuxième dans le district judiciaire de Montréal par Marcel Lafontaine[1]. La description du groupe dans ce recours collectif se lit comme suit :

« Toutes les personnes physiques et toutes les personnes morales de droit privé, sociétés ou associations comptant, en tout temps au cours de la période de 12 mois qui précède la présente requête pour autorisation, sous leur direction ou sous leur contrôle au plus 50 personnes liées à elles par contrat de travail, qui ont acheté de I'essence à la pompe à I'une ou plusieurs des entreprises opérées par les Intimées directement ou indirectement par I'intermédiaire de leurs préposés, employés, mandataires, dirigeants, représentants, filiales et/ou franchises durant les années 2005 à 2007 (la « Période Visée ») dans la province de Québec sous une ou plus d'une des bannières suivantes, soit : (i) Ultramar; (ii) Shell; (iii) Pétro-Canada; (iv) Irving; (v) Olco; (vi) Sonerco; (vii) Esso et (viii) Pétro-T »

[4]                Les procureurs des deux requérants ont décidé d'unir leurs efforts aux fins du recours collectif relatif au cartel des prix du carburant. Les procureurs Paquette Gadler, procureurs dans le deuxième dossier, ont donc comparu comme procureurs-conseils dans le présent dossier.

[5]          La demande d'amendement vise cinq questions.

Amendement quant aux parties

[6]          Simon Jacques demande au Tribunal l'ajout, à titre de requérants, de Marcel Lafontaine et de l'Association pour la protection automobile (APA). Cette demande n'étant pas contestée, elle sera autorisée, étant acquis que l'attribution du statut de représentant sera étudiée lors de l’étape de l'autorisation d'exercer un recours collectif[2].

[7]          Simon Jacques demande également la permission d'ajouter à sa requête, à titre d'intimés, 11 personnes morales et 22 personnes physiques. Selon le requérant, tous ces nouveaux intimés auraient été parties au complot en vue de fixer les prix de l'essence.

[8]          Les intimées ne s'opposent pas à l'ajout des 11 personnes morales comme co-intimées. Les intimées s'opposent toutefois à l'ajout des 22 personnes physiques à titre de co-intimées.

 

 

Première question : les 22 personnes physiques doivent-elles devenir intimées à la requête pour autorisation?

[9]          Selon le requérant, ces personnes ont été l'objet soit d'une perquisition, d'accusations criminelles, de plaidoyers de culpabilité et elles seraient expressément nommées aux chefs d'accusations comme étant des conspirateurs.

[10]            Les intimées s'opposent à l'ajout des 22 personnes physiques comme intimées. Il s'agirait d'employés dont les revenus annuels seraient, dans l'ensemble, inférieurs à 100 000 $.

[11]            Le principal motif au soutien de cette objection est que l'ajout des intimés individuels irait à l'encontre des articles 4.1 et 4.2 C.p.c.

[12]            Les pétrolières allèguent que ces personnes physiques n'ajoutent pas de ressources financières significatives et qu'elles demeurent, de toute façon, contraignables et sujettes à être contre-interrogées, même si elles ne sont pas parties à la requête.

[13]            Elles ajoutent que les requérants ne perdent pas de droit contre ces personnes physiques en intentant le recours uniquement contre leur employeur, en raison de la responsabilité de l'employeur établie par le Code civil du Québec.

[14]            Les pétrolières allèguent finalement que le but recherché par le requérant est de créer un sentiment de crainte chez ces personnes physiques, lequel les incitera à collaborer avec les requérants.

[15]            L'argument relatif à l'ajout de ressources financières significatives ne peut être retenu, du moins pas au stade de l’amendement.

[16]            Quant à l'argument relatif aux articles 4.1 et 4.2 C.p.c., bien que le Tribunal possède de très grands pouvoirs de gestion d'instance, ces pouvoirs ne vont pas jusqu'à empêcher l'ajout d'intimés pour des arguments de convenance ou de stratégie. La gestion de l'instance ne doit pas avoir pour effet d'empêcher l'exercice d'un droit qui existerait par ailleurs.

[17]            Le Tribunal permettra donc l'ajout des personnes physiques à titre d'intimés à la requête.

Amendement quant à la description du groupe

[18]            Le requérant demande également l'élargissement du recours quant à trois questions; l'agrandissement du territoire, la période de temps visé et l'inclusion du diesel, en plus de l'essence, comme produit visé.

[19]            Les amendements requis par le requérant touchent principalement la description du groupe :

« Toutes les personnes physiques ou morales de droit privé, sociétés ou associations, comptant en tout temps au cours de la période de 12 mois qui précède le 13 juin 2008 sous leur direction ou leur contrôle cinquante (50) employés ou moins liés à elle par un contrat de travail, qui ont acheté (…) de l'essence et/ou du diesel à au moins une reprise entre le 1er janvier 2002 et le 12 juin 2008 dans la Province de Québec; »

Cadre de l’amendement

[20]            La présente demande d’amendement ne vise qu’à établir le cadre dans lequel la demande d’autorisation d’exercer le recours collectif sera entendue.

[21]            C’est à l’étape de l’autorisation, laquelle rappelons-le, constitue un simple mécanisme de filtrage, que le juge décrit le groupe dont les membres seront liés par tout jugement[3].

[22]            Par ailleurs, la description du groupe peut être modifiée ultérieurement, si nécessaire[4].

[23]            Il ne saurait donc être question, avant l’étape de l’autorisation, de discuter du mérite des amendements.

Le droit applicable

[24]            Les dispositions relatives au déroulement du recours collectif prévoient que le représentant ne peut amender un acte de procédure ni s'en désister totalement ou partiellement, sans l'autorisation du Tribunal[5].

[25]            Cette disposition s'applique également à l'étape de l'autorisation d'exercer le recours collectif[6].

[26]            Le Tribunal doit donc appliquer la règle de l'amendement prévue à l'article 199  C.p.c.

199.  Les parties peuvent, en tout temps avant jugement, amender leurs actes de procédure sans autorisation et aussi souvent que nécessaire en autant que l'amendement n'est pas inutile, contraire aux intérêts de la justice ou qu'il n'en résulte pas une demande entièrement nouvelle sans rapport avec la demande originaire.

L'amendement peut notamment viser à modifier, rectifier ou compléter les énonciations ou conclusions, invoquer des faits nouveaux ou faire valoir un droit échu depuis la signification de la requête introductive d'instance.

[27]            En règle générale, l'amendement sera permis. Les exceptions à cette règle sont les suivantes :

§         L'amendement est inutile.

§         L'amendement est contraire aux intérêts de la justice.

§         Il en résulte une demande entièrement nouvelle, sans rapport avec la demande originaire.

[28]            Alors qu'en matière ordinaire, l'autorisation du Tribunal n'est pas requise, elle l'est en matière de recours collectif. C'est donc dire que le législateur requiert cette autorisation parce qu'il estime que le Tribunal doit tenir compte de l'intérêt des membres[7] à chacune des étapes du recours collectif.

Deuxième question : la demande d'autorisation doit-elle être élargie d'un point de vue temporel?

[29]            Dans la requête initiale, le requérant demande que les personnes physiques qui ont acquis de l'essence entre le 1er janvier 2005 et le 31 décembre 2007 auprès des détaillants soient indemnisées.

[30]            Dans son recours amendé, le requérant souhaite étendre la période du 1er janvier 2002 au 12 juin 2008.

[31]            La procédure initiale réfère directement à l'enquête menée par le Bureau de la concurrence et au dépôt d'accusations criminelles contre certaines pétrolières ainsi qu’aux plaidoyers de culpabilité de certaines d'entre elles.

[32]            Bien que la période pour laquelle le requérant entend demander l'autorisation d'exercer un recours collectif diffère de celle pour laquelle le Bureau de la concurrence a mené une enquête dont des accusations criminelles ont découlé, il n'est pas contraire aux intérêts de la justice que le requérant demande à reculer dans le temps ou à couvrir une plus longue période.

[33]            Cet amendement n'est ni inutile ni contraire aux intérêts de la justice et il n'en résulte pas une demande entièrement nouvelle, sans rapport avec la demande originaire.

[34]            L'amendement sera donc permis.

Troisième question : le Tribunal doit-il permettre l'ajout du diesel?

[35]            Encore là, le Tribunal est d'avis que l'amendement à cet égard doit être permis, car il n'est ni inutile ni contraire aux intérêts de la justice.

Quatrième question : le territoire doit-il être agrandi à toute la province de Québec?

[36]            La description du groupe maintenant proposé par l'amendement toucherait toutes les personnes qui ont acheté de l'essence ou du diesel dans la province de Québec entre le 1er janvier 2002 et le 12 juin 2008.

La notion de demande entièrement nouvelle

[37]            À l'origine, la requête en autorisation vise les intimées qui auraient participé à un complot visant à fixer le prix de l'essence à la pompe dans trois marchés différents, Victoriaville, Thetford Mines et Sherbrooke/Magog.

[38]            Notons d'abord que le présent recours, de même que celui de Lafontaine ont été déposés au lendemain de l'annonce par le Bureau de la concurrence du dépôt d'accusations contre 13 individus et 11 entreprises accusés d'avoir fixé le prix de l'essence à la pompe à Victoriaville, Thetford Mines, Magog et Sherbrooke.

[39]            Le communiqué indiquait que trois entreprises et un individu plaidaient coupables la journée même, soit le 12 juin 2008, à Victoriaville et que des amendes totalisant plus de 2 000 000 $ avaient été imposées.

[40]            Les deux recours font état d'un complot visant à fixer le prix de l'essence à la pompe fait en contravention à l'article 45 de la Loi sur la concurrence[8].

[41]            L'énoncé des admissions faites par Ultramar, conformément à l'article 655 du Code criminel, nous apprend ce qui suit : il y aurait 23 stations-service dans le marché de Victoriaville, ainsi que 21 stations-service dans le marché de Thetford Mines qui auraient participé au complot. Ces stations-service, ainsi que les bannières sous lesquelles elles opèrent, sont maintenant défenderesses ou intimées dans le présent dossier.

 

 

[42]            L'énoncé des admissions faites par Pétroles Therrien, aux fins de représentations sur sentence, ajoute que 54 stations-service situées dans le marché de Sherbrooke sont aussi impliquées. Par ailleurs, il semble que la vente au détail de l'essence constitue un marché local et que chacun des marchés soit relativement bien défini[9].

[43]            D'ailleurs, le procureur d'Ultramar avance l'idée que la Régie de l'énergie a elle-même établi environ 70 marchés au Québec.

[44]            Ainsi, vu de l'angle des pétrolières, on voit mal comment ce qui s'est produit dans un marché peut être étendu à la grandeur de la province de Québec.

[45]            L’importance de la notion de marché, en droit de la concurrence, est indéniable.

[46]            Que l’on discute d’infractions relatives à la concurrence[10], de pratiques commerciales trompeuses[11] ou de pratiques restrictives du commerce[12], la Loi sur la concurrence réfère à la notion de marché, dont le marché géographique.

[47]            La requête pour autorisation telle qu’engagée présentement réfère également à des marchés spécifiques et à une enquête du Bureau de la concurrence conduite dans ces marchés spécifiques.

[48]            Ainsi, le Tribunal est d'avis que d'étendre le présent recours collectif à tous les marchés du Québec risquerait d’engendrer non pas une seule demande nouvelle, mais plusieurs demandes nouvelles qui n'auraient qu’un rapport relatif avec la présente demande.

[49]            Dans l’affaire Lallier c. Volkswagen Canada[13], la Cour d’appel rappelle le danger pour un requérant de vouloir trop élargir la configuration d’un groupe, car il y a alors risque de diluer l’importance des questions communes.

[50]            Bien qu'il soit possible que des questions identiques, similaires ou connexes se posent dans d'autres marchés du Québec, bien que les procureurs du requérant admettent qu'à ce jour aucune autre enquête du Bureau de la concurrence n'ait été conclue, le Tribunal est d'avis qu'il n'est pas dans l'intérêt de la justice que l'amendement, eu égard à la question du territoire, soit accueillie.

 

 

 

 

L’intérêt de la justice

[51]            Le procureur du requérant estime être en mesure de démontrer qu’il est impossible qu’il n’y ait pas eu d’ententes relatives au prix de l’essence ailleurs au Québec. Bref, son recours serait un tremplin pour démontrer un complot à la grandeur de la province, dans un espace-temps indéfini.

[52]            Le Tribunal ne peut avaliser telle aventure.

[53]            Le recours vaut pour trois marchés bien précis en tenant pour acquis, pour l'instant du moins, que Magog fasse partie du marché de Sherbrooke. Il y a donc présentement 3 requérants et 42 intimés au dossier.

[54]            Or, étendre le présent recours à tout le Québec nécessiterait que d'autres requérants s'ajoutent dans chacun des marchés concernés. Si, dans trois marchés, 42 intimés sont présents, combien faudrait-il ajouter d'intimés pour couvrir tout le Québec?

[55]            Poser la question soulève suffisamment d'appréhensions pour que le Tribunal conclût qu'il n'est pas dans l'intérêt de la justice que le présent recours collectif soit étendu à d'autres marchés que ceux présentement visés.

[56]            Tel que l'a souligné la Cour d'appel en novembre 2000, le haut niveau de complexité d'un dossier ne doit pas constituer un frein à l'amendement[14].

[57]            Toutefois, dans l'hypothèse où un amendement aurait pour effet de rendre un dossier ingérable, ce qui serait le cas en l'espèce, compte tenu de la multiplicité de parties, le Tribunal doit refuser la demande, afin d'assurer à la fois une saine gestion du dossier (art. 4.1 al. 2 et 4.2 C.p.c.), ainsi qu'une saine gestion de l'administration de la justice.

[58]            Permettre l'amendement demandé aurait pour effet de transformer un recours bien défini en une vaste commission d'enquête impliquant plusieurs centaines de stations-service et autant de représentants.

[59]            Ce n'est pas le rôle d'un juge de la Cour supérieure, en matière de recours collectif, que d'enquêter sur la problématique soumise.

 

 

[60]            Le juge Paul-Arthur Gendreau de la Cour d’appel, dans l'affaire Option Consommateurs c. Novapharm[15], indique clairement qu'il n'est pas approprié que l'arène judiciaire se transforme en commission d'enquête :

« [50]           Or, en l'espèce, les membres désignés, Jean-François Gendron et Carol Shore n’ont acquis des médicaments que de quatre fabricants, soit Ratiopharm Inc., Pro-Doc Ltée, Novopharm Limited et Apotex Inc. Dès lors, si on reconnaissait à ces deux personnes un intérêt juridique suffisant pour agir à titre de représentants à l’égard des cinq autres défenderesses, cela signifie que ces cinq intimées devront se défendre vis-à-vis le recours de personnes qui ne peuvent individuellement justifier d'un recours personnel. Qu'en serait-il si la procédure était modifiée pour ajouter d'autres défenderesses, voire la totalité de plus de 100 manufacturiers reconnus par la RAMQ? Dans un tel contexte d’élargissement de l’intérêt juridique, ne quitte-t-on pas l’arène judiciaire pour celle de la commission d’enquête, puisque la démonstration d’un intérêt juridique est une imparable prémisse à toute action en justice? »

[61]            Une saine administration de la justice requiert que la Cour supérieure, siégeant en matière de recours collectifs, n'agisse pas comme une commission d'enquête eu égard à la problématique soulevée. L’amendement demandé va, de l’avis du Tribunal, à l’encontre de l’intérêt de la justice.

[62]            Finalement, le Tribunal estime que l'intérêt des membres n'est pas que l'amendement, eu égard au territoire, soit accordé.

[63]            En effet, aux fins du débat tel qu'il existe présentement, les membres seraient ceux qui ont acquis de l'essence dans les trois marchés concernés, aux périodes concernées. Ces membres peuvent être des résidents de tout le Québec, mais doivent avoir en commun d'avoir acquis de l'essence dans les marchés concernés.

[64]            Accueillir l'amendement pourrait créer un préjudice à ces membres qui verraient leur recours retardé par un élargissement considérable du litige.

Pouvoirs de gestion de l’instance et règle de la proportionnalité

[65]            Le législateur a prévu que chacun des recours collectifs au Québec soit confié en gestion particulière à un juge qui entend toutes les procédures relatives à ce recours[16].

[66]            Le rôle de la Cour supérieure est de gérer la présente demande de recours collectif, de telle sorte qu'elle connaisse, dans un délai raisonnable et à des coûts raisonnables, son aboutissement.

 

 

[67]            À cet égard, le Tribunal fait siens les propos tenus par l'honorable Ginette Piché, j.c.s., dans l'affaire Desgagné contre plusieurs commissions scolaires[17].

« [75]            En tant que gestionnaire du recours, le Tribunal doit s'assurer que le recours collectif qui a été autorisé puisse être entendu dans les meilleurs délais et à un coût raisonnable.  Obliger les parties à fouiller 11 ans en arrière, chercher quelle était alors la politique face aux enfants en difficulté d'apprentissage s'avèrerait pour tous un exercice fastidieux et inutile.  Le Tribunal redéfinira donc le groupe pour qu'il soit dorénavant défini comme suit: […] »

[68]            Il vaut mieux gérer efficacement plusieurs recours collectifs connexes que de s'empêtrer dans un recours trop lourd pour le système judiciaire et ses principaux acteurs. Ce que propose le requérant fait partie de cette seconde catégorie.

[69]            La règle de la proportionnalité trouve aussi sa place en matière de recours collectifs. Ce principe est maintenant généralement admis[18]. Dans l’affaire Lallier[19], le juge François Pelletier rappelle que l’exercice du recours collectif entraîne des coûts importants et ne doit pas être intenté à la légère. Son autorisation doit satisfaire le critère de la proportionnalité que le législateur a codifié à l’article 4.2 . C.p.c.

[70]            Madame la juge Carole Julien s’est exprimée en ces termes sur le sujet[20] :

« [24]       Tous les recours régis par le C.p.c. sont soumis à la règle d'or du principe de proportionnalité imposé par le législateur. Le présent recours n'y déroge pas. Rappelons les termes de l'article 4.2 C.p.c. :

Art. 4.2.  Dans toute instance, les parties doivent s'assurer que les actes de procédure choisis sont, eu égard aux coûts et au temps exigés, proportionnels à la nature et à la finalité de la demande et à la complexité du litige; le juge doit faire de même à l'égard des actes de procédure qu'il autorise ou ordonne.

[25]       Les parties rappellent souvent l'importance des enjeux financiers visés par le présent recours. Toutefois, ce seul critère ne suffit pas à justifier toute mesure procédurale sans évaluation de la règle de proportionnalité à chaque fois. Autrement, ce serait oublier que le juge lui-même doit évaluer les impacts de ses décisions à la lumière de la règle de proportionnalité. Le législateur souhaite une application systémique de ce principe.

 

 

 

[26]       Lorsque les enjeux financiers sont extraordinaires et que les ressources financières des parties le sont aussi, il existe un danger certain que le système de justice soit monopolisé par elles sans égard à l'utilité réelle des moyens procéduraux utilisés. La conséquence immédiate d'une telle attitude serait de restreindre l'accès à la justice pour les autres justiciables. La gestion du recours inclut l'utilisation appropriée des ressources judiciaires. »

[71]            Permettre l’amendement demandé et ouvrir le débat tel que requis par le requérant entraînerait, de l’avis du Tribunal, une mauvaise utilisation des ressources judiciaires et ferait perdre de vue l’essentiel du débat tel qu’initialement engagé par le requérant, soit de tirer profit de l’enquête faite par le Bureau de la concurrence et des accusations qui en ont découlé.

[72]            Le Tribunal doit assurer le bon déroulement de la présente instance et en assurer la saine gestion. Cela implique qu’il doit refuser les demandes qui auraient pour effet de transformer un débat, lequel reste par ailleurs à circonscrire, en une aventure sans fin.

[73]            Par ailleurs, rien n’empêche une autre personne d’entreprendre un autre recours collectif pour un autre marché, si elle estime être en mesure de démontrer des ententes illégales dans cet autre marché.

Conclusion

[74]            Les amendements demandés seront permis, à l'exclusion de ceux touchant le territoire visé. Ainsi, les paragraphes 1, 2, 5 (r), 6 et 7 de la requête amendée pour obtenir l’autorisation d’exercer un recours collectif et pour obtenir le statut de représentant devront être modifiés de façon à ce que le territoire visé soit restreint aux marchés de Victoriaville, Thetford Mines et Sherbrooke/Magog.

[75]            Rappelons que bien que les amendements soient permis en vertu du présent jugement, c'est lors de la requête pour autorisation d'exercer un recours collectif et après avoir conclu que les quatre critères prévus à l'article 1003 C.p.c. que le Tribunal, s'il fait droit à la requête, décrira le groupe et identifiera les principales questions qui seront traitées collectivement.

Cinquième question : les amendements prévus aux paragraphes 246, 250 à 254, 256 et 257 doivent-ils être autorisés?

[76]            Les intimés s'opposent à l’ajout de ces paragraphes arguant qu’ils sont inutiles au débat. Cette question doit être évaluée lors de la demande d’autorisation.

[77]            Les amendements relatifs à la production de la pièce R-66 A, B et C sont également permis. L’admissibilité de cette pièce fera aussi l’objet d’un débat ultérieur, si nécessaire.

[78]            Quant à l’ajout des paragraphes réclamant des dommages exemplaires, cette question devra être débattue au moment de la requête en autorisation, le cas échéant.

[79]            POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[80]            ACCUEILLE pour partie la requête pour permission d'amender la requête en autorisation d'exercer un recours collectif;

[81]            AUTORISE le requérant Simon Jacques à amender les allégations et les conclusions de sa requête, à l'exclusion des allégations touchant le territoire visé. Ainsi, les paragraphes 1, 2, 5 (r), 6 et 7 de la requête amendée pour obtenir l’autorisation d’exercer un recours collectif et pour obtenir le statut de représentant devront être modifiés de façon à ce que le territoire visé soit restreint aux marchés de Victoriaville, Thetford Mines et Sherbrooke/Magog.

[82]            LE TOUT frais à suivre.

 

__________________________________

DOMINIQUE BÉLANGER, j.c.s.

 

Me Pierre Lebel

Me Claudia Lalancette

Lebel avocats

Casier no 79

Procureurs du requérant

 

Me Guy Paquette

Me Philippe Charest-Beaudry

Me Karine St-Louis

Paquette Gadler inc.

300, Place d'Youville, B-10

Montréal (Québec)  H2Y 2B6

Procureurs-conseils du requérant

 

Me Sylvain Lussier

Me Karine Chênevert

Osler, Hoskin & Harcourt

1000, de La Gauchetière Ouest, bureau 2100

Montréal (Québec)  H3B 4W5

Procureurs de Les Pétroles Irving inc.

 

Me Pascale Cloutier

Me Fadi Amine

Miller Thomson Pouliot

La Tour CIBC, 31e étage

1155, boulevard René-Lévesque Ouest

Montréal (Québec)  H3B 3S6

Procureurs de Les Pétroles Therrien inc.

et de Distributions Pétrolières Therrien inc.

 

Me Louis P. Bélanger

Me Julie Girard

Stikeman Elliott

1155, boulevard René-Lévesque Ouest

40e étage

Montréal (Québec)  H3B 3V2

Procureurs de Ultramar ltée

 

Me Paule Hamelin

Gowling Lafleur Henderson

1, Place Ville-Marie

37e étage

Montréal (Québec)  H3B 3P4

Procureurs de Imperial Oil ltd

 

Me Emmanuelle Poupart

McCarthy Tétrault

1000, de la Gauchetière Ouest

Bureau 2500

Montréal (Québec)  H3B 0A2

Procureurs de Shell Canada Products

 

Me Éric Vallières

McMillan LLP

1000, rue Sherbrooke Ouest

27e étage

Montréal (Québec)  H3A 3G4

Procureurs de Le Groupe Olco inc.

 

Me Éric Dunberry

Me Alexandre Bourbonnais

Ogilvy Renault

1981, avenue McGill College

Bureau 1100

Montréal (Québec)  H3A 3C1

Procureurs de Pétro-Canada

 

Date d’audience :

6 avril 2009

 



[1]     Dossier 500-06-000438-081

[2]     C.p.c., art. 1003 d)

[3]     C.p.c., art. 1005

[4]     C.p.c., art. 1022

[5]     C.p.c., art. 1016

[6]     C.p.c., art. 1010.1

[7]     Pierre-Claude LAFOND, Le recours collectif, le rôle du juge et sa conception de la justice, impact et évolution, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2006, p. 44

[8]     Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, c. C-34

[9]     Pièce RP-4

[10]    Loi sur la concurrence, art. 45 et suivants

[11]    Loi sur la concurrence, art. 74.01

[12]    Loi sur la concurrence, art. 75 et suivants

[13]    Lallier c. Volkswagen Canada inc, 2007 QCCA 920 , paragr. 17 et 18

[14]    Les Sœurs du Bon-Pasteur de Québec c. Banque Royale du Canada, AZ-50081452

[15]    Option Consommateurs c. Novapharm, 2008 QCCA 949

[16]    C.p.c., art. 1001

[17]    Desgagné c. Québec (ministre de l'Éducation, du Loisir et des Sports), 2007 QCCS 4443

[18]    À titre d’exemple : Bouchard c. Agropur et al, 2006 QCCA 1342 , paragr. 44

[19]    Précité note 13, paragr. 42

[20]    Conseil québécois sur le tabac et la santé c. JTI-MacDonald, J.E. 2007-940 , paragr. 20

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