Décision

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[Texte de la décision]

Section des affaires sociales

En matière de sécurité ou soutien du revenu, d'aide et d'allocations sociales

 

 

Date : 17 décembre 2015

Référence neutre : 2015 QCTAQ 12108

Dossier  : SAS-Q-202105-1406

Devant les juges administratifs :

STELLA PHANEUF

YVAN LE MOYNE

 

I… T…

Partie requérante

c.

RÉGIE DES RENTES DU QUÉBEC

Partie intimée

 


DÉCISION


[1]              La requérante conteste une décision rendue en révision le 29 avril 2014 par l’intimée, la Régie des rentes du Québec (ci-après « la Régie »), la reconnaissant admissible au supplément pour enfant handicapé pour son fils X depuis novembre 2012.

[2]              Représentée par procureur, la requérante, accompagnée de son conjoint, est présente à l’audience tenue le 17 novembre 2015. La Régie est représentée par procureur, lequel est entendu par visioaudience.

[3]              Invité à préciser l’objet du recours et les conclusions recherchées, le procureur de la requérante demande de réviser la date du début du paiement du supplément, estimant que sa cliente y a droit depuis janvier 2006, soit depuis le moment où X a commencé à bénéficier de services spécialisés.

Les faits

[4]              De l'ensemble de la preuve soumise, le Tribunal relève les éléments pertinents suivants.

[5]              En octobre 2013, la requérante produit à la Régie une Demande de supplément pour enfant handicapé. Cette demande concerne son fils X, né prématurément en […] 2002, à 34 semaines de gestation[1].

[6]              Dans sa demande, la requérante déclare que X est suivi depuis l’âge de quatre ans (janvier 2006) dans un centre de réadaptation en raison de troubles d’apprentissage et d’adaptation. Elle précise qu’on a confirmé en 2011 qu’il présentait une déficience intellectuelle légère.

[7]              Joint à la demande, on retrouve un rapport médical complété par Dr G. A. Cardinal, pédiatre. Ce dernier indique que X est suivi depuis 2003 pour un retard staturo-pondéral modéré avec retard neurodéveloppemental global. Le médecin suspecte une déficience intellectuelle.

[8]              La revue de la documentation soumise révèle que X a été dirigé au centre de réadaptation en janvier 2006 et qu’il y bénéficie de services hebdomadaires pour retard développemental depuis novembre  2006.

[9]              Dans un rapport du 11 mars 2008, madame Denise Gaudette, éducatrice spécia-lisée, rapporte que X s’est beaucoup amélioré depuis la prise en charge, et ce, dans les cinq sphères de développement. Alors que le retard estimé était de deux ans et deux mois à la prise en charge, il est maintenant de un an et six mois (l’âge global de développement de l’enfant est de 52 mois, alors que son âge chronologique est de 72 mois).

[10]           L’intervenante conclut à une grande amélioration démontrant que l’enfant est en mesure d‘apprendre, à son rythme. Elle recommande la poursuite du suivi et de l’obser-vation, ce qui permettra, le cas échéant, d’identifier la et/ou les causes du retard observé.

[11]           Une évaluation en orthophonie, effectuée en juillet 2008, révèle la présence d’un retard de langage qualifié de modéré à sévère. Notons que l’orthophoniste soulève alors la présence d’une certaine impulsivité chez l’enfant et soumet que si des problèmes d’attention et de concentration affectent ses capacités d’apprentissage lors de son intégration à l’école, cette situation devra faire l’objet d’une évaluation.

[12]           En avril 2009, madame Gaudette note que le retard global se situe à un an et cinq mois. Considérant l’âge de l’enfant (sept ans), elle propose, entre autres recommandations, qu’une évaluation psychologique complète s’avère nécessaire.

[13]           D’où l’évaluation de monsieur Éric Lefebvre, effectuée en mai 2009. Au terme de son évaluation, ce dernier conclut à un fonctionnement cognitif se situant dans la portion basse de la déficience intellectuelle. Il ajoute toutefois que le quotient intellectuel est potentiellement sous-estimé, considérant le rendement de l’enfant à certains tests.

[14]           Le psychologue se dit d’avis que des aides spécialisées semblent incontournables pour limiter le retard actuel. Il recommande par ailleurs la possibilité de poursuivre l’enseignement dans le réseau public[2] pour que l’enfant puisse bénéficier de toute l’aide spécialisée dont il a besoin, qu’il vive la transition d’un lieu physique à un autre et aussi qu’il bénéficie de stimulation et d’interaction sociale.

[15]           Le dossier est par la suite silencieux.

[16]           En juillet 2011, une réévaluation met à jour une régression du quotient de dévelop-pement, le retard passant d’un an et cinq mois en 2009 à trois ans et trois mois en 2011.

[17]           D’où une nouvelle évaluation complète en mars 2012, visant à mettre à jour le profil intellectuel de X. Devant l’évolution de l’ensemble du tableau depuis 2009, monsieur Lefebvre conclut qu’il ne lui est pas possible de statuer définitivement sur la présence ou l’absence d’une déficience intellectuelle. Il recommande une discussion quant à l’orienta-tion à donner à ce dossier afin d’assurer un plein développement de l’enfant (milieu de sco-larisation, détermination des aides pédagogiques requises, consultation en pédiatrie pour juger de la pertinence d’une médication pour traiter un très probable trouble de l’attention).

[18]           En juin 2012, X est évalué en orthopédagogie afin de vérifier ses acquis acadé-miques, en prévision de son intégration au milieu scolaire à compter de septembre 2012. Il y bénéficiera des services d’une technicienne en éducation spécialisée à temps plein.

[19]           Le 23 janvier 2014, la Régie informe la requérante qu'elle a droit au paiement de Soutien aux enfants à partir de novembre 2012.

[20]           La requérante demande la révision de cette décision, désirant que le paiement soit rétroactif depuis au moins trois ans supplémentaires :

« […] La compréhension que nous avions c’est que tant et aussi longtemps qu’on n’avait pas de diagnostic on ne pouvait rien faire ent tant que demande de crédit. […] »

(Transcription conforme)

[21]           Au soutien de sa demande, elle dépose le rapport d’une évaluation neuropsychologique effectuée en mars 2014 par madame Chantal Vachon. Cette dernière suspecte un trouble du spectre de l’autisme associé à un faible potentiel intellectuel[3]. Elle retient également que le profil neuropsychologique met en relief des difficultés attentionnelles importantes s’apparentant à un trouble déficitaire de l’attention. La neuropsychologue fait plusieurs recommandations concernant la prise en charge.

[22]           Le 29 avril 2014, la Régie rend, en révision, la décision faisant l’objet du présent litige.

[23]           La requête introductive du recours de la requérante se lit comme suit :

« Nous contestons la décision de la RRQ puisque nous avons été victime du système public. Nous avions compris que le supplément pour enfant handicapé était pour un enfant handicapé et non pour un enfant avec un simple déficit d’attention. Hors 8 ans après avoir reçu des services pas toujours adéquat on apprends que mon fils serait Autiste c’est alors que nous avons fait application pour le crédit et ou nous avons apris que l’on aurait été éligible à ce crédit il y a 8 ans. »

(Transcription conforme)

[24]           Outre les documents précités, le Tribunal a aussi pris connaissance d’un rapport d’évaluation en ergothérapie daté du 23 septembre 2014, ainsi que d’un rapport d’évaluation en psychologie daté du 9 octobre 2014. Monsieur Mathieu Côté y retient les diagnostics de déficience intellectuelle légère concomitante au diagnostic de trouble déficitaire de l’attention, sans hyperactivité.

[25]           À l’audience, le père de X expose l’évolution de la condition de son fils et relate les démarches faites au fil des ans.

[26]           Il explique notamment que X est né prématurément et était suivi en pédiatrie pour un retard de croissance et de développement. Considérant les progrès avec le suivi au centre de réadaptation, ils étaient certains que le retard pourrait être rattrapé. Les intervenants ne parvenaient pas à établir un diagnostic.

[27]           Plusieurs facteurs ont été soulevés pour tenter d’expliquer les difficultés vécues, dont un facteur de langue, la mère étant anglophone alors que le père est francophone, le fait que l’éducation soit faite à la maison au lieu d’à l’école.

[28]           Des événements sont survenus en 2009 incitant les parents à cesser le suivi au centre de réadaptation. Les interventions furent cependant reprises en 2012. En septembre 2012, X a intégré l’école publique. Il n’y a toujours pas de diagnostic précis.  

[29]           À l’été 2013, lors d’un voyage de quelques semaines aux États-Unis, les parents se sont rendu compte de façon plus aiguë des difficultés d’adaptation de leur fils, qui était alors sorti de sa routine. Ils ont alors réalisé clairement que ce dernier avait de sérieux problèmes. Inquiets, ils ont de nouveau consulté et c’est à cette époque qu’a été envisagée la possibilité d’un trouble envahissant du développement.

[30]           On les a aussi informés du supplément pour enfant handicapé et c’est à cette époque qu’ils ont fait une demande à la Régie.

Représentations

[31]           Par son recours, la requérante demande que le supplément lui soit versé à compter de janvier 2006, soit à compter du moment où X a commencé à bénéficier de services spécialisés.

[32]           Le procureur de la requérante soumet que sa cliente n’a pu agir avant, non pas par ignorance de la loi, non pas par ignorance du diagnostic, mais bien parce qu’on attribuait à une cause externe les problèmes de X. Ce n’est qu’en 2013, alors que l’enfant était à l’école publique depuis un an, que l’hypothèse de facteurs externes ayant pu expliquer la situation a été écartée.

[33]           De son côté, le procureur de la Régie soutient que celle-ci a appliqué correctement la Loi sur les impôts[4], et plus particulièrement l’article 1029.8.61.24, qui stipule que la loi limite à 11 mois la période de rétroactivité.

[34]           Quant à la prorogation du délai pour présenter une demande, il soumet qu’il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire de la Régie, assujetti à des critères spécifiques et dépose à cet égard la pratique opérationnelle applicable. Il ajoute que les problèmes sont apparus dès 2006 et que la requérante aurait pu faire sa demande à cette époque.

Analyse et motifs

[35]           Le présent recours met en cause l’article 1029.8.61.24 de la Loi sur les impôts, se lisant comme suit :

1029.8.61.24. Un particulier ne peut être considéré comme un particulier admissible, à l'égard d'un enfant à charge admissible, au début d'un mois donné que s'il présente une demande, à l'égard de cet enfant à charge admissible, auprès de la Régie au plus tard 11 mois après la fin du mois donné.

La Régie peut, en tout temps, proroger le délai fixé pour présenter une demande visée au premier alinéa.

[…]

(Nos soulignements)

[36]           En l’espèce, la demande a été produite en octobre 2013 et la Régie a reconnu, conformément aux dispositions applicables, le droit au paiement de Soutien aux enfants à compter de novembre 2012.

[37]           Par son recours, la requérante cherche à se prévaloir des dispositions du deuxième alinéa de l’article précité, qui permettent à la Régie de commencer à verser le paiement plus de 11 mois avant la demande, dans certaines circonstances. 

[38]           Notons tout d’abord que le pouvoir dévolu à la Régie est un pouvoir discrétionnaire. Pour encadrer l’exercice de cette discrétion, la Régie a adopté une directive d’interprétation qui énumère les situations où la prorogation n’est pas permise :

« Il n’y a pas de prorogation pour un requérant ou bénéficiaire qui est dans une des situations suivantes 

§   ignorance de la loi;

§   erreur de droit (sauf si elle est introduite par la Régie);

- il y a erreur de droit lorsque le bénéficiaire fait une interprétation erronée de la loi et des règlements.

§   retard à produire sa demande de PSE en raison de son inaction, négligence, manque de diligence, absence d’intérêts ou désistement;

§   manque d’argent et dépendance à un parent. »

(Transcription conforme)

[39]           Le Tribunal n’est certes pas lié par les directives administratives. Il est toutefois bien établi que celles-ci ne seront écartées que si elles procèdent de l’arbitraire ou revêtent un caractère déraisonnable. 

[40]           Cela étant, il appartient à la partie requérante de démontrer un motif valable permettant de proroger le délai fixé par la loi.

[41]           En l’espèce, plusieurs motifs ont été invoqués par les parents :

-        Dans la demande de révision, ils indiquent qu’ils avaient compris que tant et aussi longtemps qu’on n’avait pas de diagnostic on ne pouvait rien faire en tant que demande de crédit.

-        Dans le recours introductif, ils indiquent qu’ils avaient compris que le supplément pour enfant handicapé était pour un enfant handicapé et non pour un enfant avec un simple déficit d’attention.

-        À l’audience, il a été soumis que la requérante n’avait pu agir avant, non pas par ignorance de la loi, non pas par ignorance du diagnostic, mais bien parce qu’on attribuait à une cause externe les problèmes de X.

[42]           Qu’en est-il?

[43]           X est né prématurément. Très rapidement, il a été mis en évidence un retard de croissance, puis un retard global de développement significatif, justifiant la mise en place de services spécialisés réguliers et soutenus, sur une base hebdomadaire, et ce, dès 2006.

[44]           Dès lors, rien n’empêchait les parents de produire une demande à la Régie.

[45]           Au surplus, si les diagnostics ne sont pas aussi définitifs et précis qu’ils pourront l’être ultérieurement à la suite des différentes évaluations, ils existent bel et bien.  

[46]           Aussi, le Tribunal ne peut retenir l’argument invoqué au soutien de la demande de révision, lequel n’a d’ailleurs pas été repris à l’audience.

[47]           N’a pas été repris non plus à l’audience l’argument invoqué dans la requête introductive du recours, assimilable à l’ignorance de la loi, et qui ne saurait non plus être retenu comme étant un motif valable. De façon générale, l’admissibilité au supplément pour enfant handicapé n’est pas fonction d’un diagnostic posé, mais bien des limitations et incapacités qui en découlent.

[48]           Demeure l’argument relatif au fait que la condition de l’enfant aurait été imputée à une cause externe.

[49]           Dans son rapport du 11 mars 2008, madame Gaudette, éducatrice spécialisée, mentionne, à juste titre, que ce n’est pas parce qu’un enfant a un retard global de développement qu’il aura nécessairement un déficit intellectuel, ajoutant qu’il était alors trop tôt pour se prononcer sur ce point particulier. Notons aussi que dès cette époque, on soulevait la possibilité d’un trouble d’attention.

[50]           Il apparaît ici important de souligner que dans l’identification des difficultés d’un enfant, il est essentiel de tenir compte des caractéristiques de son environnement, notamment de sa réalité culturelle et linguistique. Il n’est donc pas inhabituel que les intervenants au dossier s’interrogent sur l’impact ou l’influence du milieu de vie de l’enfant en regard de l’acquisition ou non d’habiletés dans différentes sphères de développement, comme ils l’auraient fait pour tout autre enfant.

[51]           Certes, plusieurs suggestions et recommandations ont été faites pour tenter d’aider X dans la poursuite de son développement, dont celle de l’intégrer à l’école publique. On s’est également interrogé sur l’influence que pouvait avoir le fait que la mère était anglophone et le père francophone.

[52]           Néanmoins, la lecture de la documentation soumise ne supporte pas la prétention des parents que les intervenants attribuaient à une cause externe les problèmes de leur enfant.

[53]           Considérant ce qui précède, le Tribunal en arrive à la conclusion que les motifs invoqués ne peuvent donner ouverture à une prorogation du délai.

[54]           Aussi, bien que sensible à la situation vécue, le Tribunal ne peut accéder à la demande de la requérante.   


POUR CES MOTIFS, le Tribunal :

-        REJETTE le recours.


 

STELLA PHANEUF, j.a.t.a.q.

 

 

YVAN LE MOYNE, j.a.t.a.q.


 

Sébastien Lebel, avocat

Me Sébastien Lebel

Procureur de la partie requérante

 

Me Michel Bélanger

Procureur de la partie intimée


 



[1] Page 15 du dossier. Selon la source, l’information varie toutefois entre 32 et 35 semaines de gestation.

[2] La mère assume à la maison le programme d’enseignement.

[3] Selon les informations au dossier, une évaluation en pédopsychiatrie aurait été effectuée en mai 2014. Le spécialiste aurait retenu les diagnostics suivants : retard de développement important avec déficience intellectuelle probable qui restera à préciser, trouble d’apprentissage concomitant ou secondaire à la déficience probable et trouble déficitaire de l’attention sans hyperactivité très probable. Le pédopsychiatre aurait par ailleurs retenu qu’il n’y avait pas assez d’éléments actuellement pour conclure à un trouble du spectre de l’autisme.

[4] RLRQ, chapitre I-3.

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