Décision

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Modèle de décision CLP - juillet 2015

Côté et Syndicat des travailleurs(euses) du Centre de santé et de services sociaux de Laval (CSN)

2017 QCTAT 2618

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

 

Région :

Laurentides

 

Dossier :

CM-2016-4531

 

Dossier accréditation :

AM-2000-5479

 

 

Montréal,

le 8 juin 2017

______________________________________________________________________

 

DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF :

François Caron

______________________________________________________________________

 

 

 

Christine Côté

 

Partie demanderesse

 

 

 

c.

 

 

 

Syndicat des travailleurs(euses) du Centre de santé et de services sociaux de Laval (CSN)

Partie défenderesse

 

et

 

 

Centre de santé et de services sociaux de Laval

Partie mise en cause

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

[1]           Le 22 juillet 2016, Christine Côté (la plaignante) dépose une plainte en vertu de l’article 47.3 du Code du travail[1] (le Code).

[2]           Au soutien de sa plainte, elle allègue que l’association accréditée qui la représentait, le Syndicat des travailleurs(euses) du Centre de santé et de services sociaux de Laval (CSN) (le syndicat) a manqué à son devoir de représentation au sens de l’article 47.2 du Code.

[3]           La plaignante reproche à son syndicat une négligence qu’elle qualifie de grave dans le traitement de ses réclamations visant à contester une mesure disciplinaire du 28 janvier 2016 ainsi que son renvoi du 24 mars 2016, mais surtout de ne pas avoir déposé des griefs dans le délai de rigueur prévu dans la convention collective.

[4]           Le syndicat reconnaît qu’il a manqué à son devoir de représentation. Ce faisant, il croit que le Tribunal devrait autoriser la plaignante à soumettre ses réclamations à un arbitre nommé par le ministre du Travail, afin que celui-ci rende une décision selon la convention collective comme s’il s’agissait de griefs. Cependant, il s’oppose à ce que la plaignante soit représentée par un procureur de son choix au frais du syndicat et qu’elle soit aussi remboursée pour les honoraires et les frais qu’elle a dû engagés auprès de son procureur pour l’exercice du présent recours.

[5]           Quant au Centre de santé et de services sociaux de Laval (l‘employeur), il demande le rejet de la plainte. Il soutient qu’il y a collusion entre le syndicat et la plaignante pour tenter d’éluder l’application de la convention collective qui prévoit un délai de rigueur concernant le dépôt d’un grief. De façon subsidiaire, il prétend que la négligence du syndicat dans la présente affaire n’a pas le niveau de gravité requis pour être considéré comme un manquement à son devoir de représentation.

[6]           Outre les documents déposés à l’audience, la preuve est constituée des témoignages de la plaignante, de Jean-François Houle (le vice-président aux griefs, par intérim auprès du syndicat) et de Mélanie Roy (une conseillère en relation du travail de l’employeur).

LES FAITS

LE TÉMOIGNAGE DE CHRISTINE CÔTÉ

[7]           Depuis le 11 avril 2011, la plaignante occupe un poste d’agente administrative classe 3.

[8]           Elle s’absente du travail du 18 au 28 janvier 2016.

[9]           L’employeur estime que cette absence n’est pas justifiée.

[10]        Dans une lettre du 28 janvier 2016, il décide de lui imposer une mesure disciplinaire qui consiste à lui faire perdre l’ancienneté qu’elle a accumulée depuis son embauche en prenant appui sur l’article 12.12 de la convention collective. Au surplus, l’employeur informe la plaignante qu’à défaut de se présenter au travail le 11 février 2016, il entend considérer qu’elle a volontairement abandonné son emploi.

[11]        Les extraits pertinents de cette lettre se lisent comme suit :

Le 18 janvier 2016, vous vous êtes absentée du travail. Suite à votre message laissé dans notre boîte vocale le 18 janvier indiquant que vous souhaitez ne pas vous présenter au travail à cause de la circulation, nous vous avons demandé sur votre boîte vocale de vous présenter au travail, tel que prévu, une fois la circulation moins dense. Vous avez laissé un message vocal le lendemain seulement, le 19 janvier, indiquant que vous serait absente et vous nous avez laissé sans nouvelle depuis.

 

À ce jour, vous vous êtes absentée du 18 au 28 janvier, soit neuf (9) jours consécutifs. Nous avons tenté de vous joindre à plusieurs reprises et laissé des messages sur votre boîte vocale les 18, 19, 20 21 et 25 janvier et ce sans succès. Vous n’avez jamais répondu à votre téléphone, ni à votre cellulaire. Vous n’avez pas retourné nos appels, ni présenté de pièces justificatives pour vos absences au travail.

 

Selon l’article 12.12 de votre convention collective « la personne salariée perd son ancienneté dans le cas suivant : absence sans donner d’avis ou sans excuse raisonnable excédant trois (3) jours consécutifs de travail ». Conséquemment en date de ce jour, comme vous vous êtes absentée neuf (9) jours consécutifs sans justification, vous perdez l’ancienneté que vous avez accumulée au sein du CISSS de Laval depuis votre embauche.

 

Par ailleurs, nous tenons à vous rappeler que vous êtes toujours prévue à l’horaire de travail du lundi au vendredi et que vous devez vous présenter au travail. À défaut de vous présenter au travail le 11 février 2016, nous considérerons que vous avez volontairement abandonné votre emploi et nous procéderons à la fermeture administrative de votre dossier.

 

[12]        Selon la plaignante, c’est la première fois qu’elle reçoit, depuis son embauche, une mesure disciplinaire ou administrative de son employeur. Elle n’est pas d’accord avec cette décision et elle souhaite la contester en raison de ce qui suit.

[13]        Outre le problème de circulation du 18 janvier 2016 qu’elle attribue à une tempête de neige, elle affirme s’être absentée du travail pour cause de maladie. En chemin pour se rendre au travail, elle a jugé préférable de retourner à son domicile parce qu’elle souffrait à ce moment de vertiges et de nausées. Elle estimait que les conditions climatiques et ses ennuis de santé rendaient ses déplacements sur la route risqués, en mentionnant avoir évité de justesse un accident. La plaignante déclare avoir avisé son employeur des raisons de son absence au travail la journée même.

[14]        Le lendemain, la plaignante constate que sa santé s’est dégradée. Elle associe son état au fait qu’elle a récemment arrêté de prendre une médication sous les conseils d’un médecin mandaté par l’employeur, qui a émis l’opinion que les effets secondaires de sa médication étaient la cause de ses vertiges et de ses nausées. Encore une fois, la plaignante affirme avoir avisé son employeur des raisons de son absence au travail la journée même, en ajoutant avoir également entrepris des démarches afin d’obtenir un rendez-vous, le plus rapidement possible, auprès de son médecin de famille.

[15]        Le 26 janvier 2016, la plaignante voit son médecin de famille et au terme de cette consultation, elle obtient un certificat médical qui atteste qu’elle était dans l’incapacité de travailler entre les 19 janvier et 8 février 2016 pour cause de maladie. Le même jour, la plaignante soutient avoir transmis une copie de son certificat médical à son employeur par télécopieur.

[16]        À la suite de ses communications avec son chef de service et le bureau médical, elle comprend que l’employeur prétend ne pas avoir reçu une copie de son certificat médical, le 26 janvier 2016, et que celui-ci persiste à croire que son absence n’était pas justifiée. La plaignante décide donc de transmettre à nouveau ce document à son employeur par télécopie, le 29 janvier 2016.

[17]        Durant la même période, la plaignante communique avec un représentant du syndicat. Il s’agit de Sylvain Lepon, un agent de grief. Elle lui relate la trame factuelle en lien avec sa mesure disciplinaire du 28 janvier 2016 et lui expose les raisons pour lesquelles elle souhaite contester la décision de l’employeur. Au terme de cette discussion, monsieur Lepon lui demande de lui communiquer copie des documents au soutien de ses prétentions. Il ne lui prodigue aucun conseil et il l’a rassure en lui disant « qu’il lui donnera des nouvelles sous peu ».

[18]        Pour faire suite à la demande de monsieur Lepon, la plaignante communique par télécopieur la preuve documentaire au soutien de ses prétentions. Cet envoi effectué en date du 4 février 2016 compte près de 44 pages et il contient notamment une copie de ses certificats médicaux ainsi qu’une copie de la lettre de l’employeur du 28 janvier 2016.

[19]        La plaignante comprend que monsieur Lepon déposera un grief pour contester sa mesure disciplinaire du 28 janvier 2016.

[20]        Cela dit, elle prend bonne note qu’elle doit se présenter au travail à compter du 9 février 2016, parce que l’employeur l’a informée dans sa lettre du 28 janvier 2016 qu’à défaut de se présenter au travail comme prévu, il entendait considérer qu’elle avait volontairement abandonné son emploi.

[21]        Cependant, entre les 9 et 11 février 2016, la plaignante déclare avoir souffert d’une gastroentérite qui l’a empêchée de se présenter au travail.

[22]        Craignant de perdre son emploi, elle affirme avoir tout fait pour tenter de communiquer avec sa chef de service ou le bureau de santé pour les informer de la situation. Incapable de parler directement avec un représentant de l’employeur, la plaignante soutient avoir laissé plusieurs messages dans des boîtes vocales et n’avoir eu aucun retour d’appel.

[23]        La plaignante mentionne avoir toutefois réussi à parler au représentant du syndicat, monsieur Lepon, sauf que celui-ci ne lui a prodigué aucun conseil. Il s’est contenté de prendre en notes ses déclarations ou le problème qu’elle lui a exposé, et au terme de cet échange, il a de nouveau mentionné « qu’il lui donnera des nouvelles sous peu ».

[24]        Les jours passent et la plaignante n’a aucune nouvelle de son syndicat ni d’un représentant de l’employeur : elle croit qu’elle a perdu son emploi à compter du 11 février 2016. C’est d’ailleurs pour cette raison, dit-elle, que vers le 14 février 2016, elle présente une demande auprès de Service Canada afin de recevoir des prestations d’assurance-emploi.

[25]        Le 25 février 2016, vers 15 heures, la plaignante réalise qu’elle n’a pas encore perdu son emploi lorsqu’elle accuse réception d’une lettre du 24 février 2016 de son employeur. En effet, ce dernier l’informe qu’il la considère actuellement en « absence non autorisée » depuis le 9 février 2016 et qu’à défaut de recevoir une attestation médicale pour justifier ses absences, avant le vendredi 26 février à 15 h 00, il conclura qu’elle a volontairement abandonné son emploi.

[26]        Les extraits pertinents de cette lettre se lisent comme suit :

Le 29 janvier 2016 nous avons reçu un formulaire de réclamation d’assurance salaire délivré par votre médecin, daté du 26 janvier 2016, indiquant une absence du 19 janvier au 8 février 2016. L’absence du 19 janvier au 25 janvier n’est pas acceptée par le bureau de santé. Par ailleurs, le 28 janvier, une lettre vous a été adressée pour vous signifier la perte de votre ancienneté étant donnée vos absences non autorisées sans donner d’avis.

 

De plus, l’absence du 26 janvier au 8 février 2016 inclusivement est sous étude. En effet, nous vous avons fait parvenir une première lettre vous demandant de compléter la demande d’autorisation d’accès au dossier afin de déterminer votre admissibilité à l’assurance salaire (…). À ce jour, nous sommes toujours en attente de ce document.

 

Considérant que vous ne vous êtes pas présentée au travail le 9 février dernier et que nous n’avons reçu aucun document médical justifiant la poursuite de votre absence actuelle, malgré un délai de plus de deux semaines, aucune prestation d’assurance salaire ne sera versée pour le moment, par ailleurs, vous êtes donc considérée en absence non autorisée depuis cette date.

 

Nous vous demandons donc de nous fournir, le cas échéant, une attestation médicale justifiant la poursuite de votre arrêt de travail. (…)

 

À défaut de recevoir les dites pièces avant le vendredi 26 février à 15h00, des mesures administratives plus sévères seront entreprises. En effet, vous avez déjà perdu votre ancienneté ainsi, si d’ici le vendredi 26 février 2016, vous ne produisez pas de pièces justificatives conformes à l’attention du service de santé et de sécurité du travail, vous vous exposez à une mesure administratives plus sévère, soit la fermeture de votre dossier pour avoir abandonné volontairement votre emploi.

 

[27]        La plaignante constate immédiatement qu’il lui sera impossible de faire suite à la demande de son employeur dans un si court délai. Il faut comprendre, dit-elle, que le bureau de son médecin ferme à 16 h 00 et que celui-ci y travaille uniquement du lundi au jeudi. Elle tente alors de communiquer avec un représentant de l’employeur au bureau de santé et aussi avec monsieur Lepon, le représentant du syndicat. Incapable de les rejoindre, elle laisse un message dans leurs boîtes vocales respectives.

[28]        Quelques jours plus tard, la plaignante reçoit un retour d’appel de monsieur Lepon. Encore une fois, il ne lui prodigue aucun conseil après qu’elle lui ait exposé la situation et termine la discussion en lui disant « qu’il lui donnera des nouvelles sous peu ».

[29]        Le 1er mars 2016, la plaignante constate qu’une représentante de l’employeur lui a laissé un message sur sa boîte vocale. Cette dernière lui demande de lui faire parvenir ses pièces justificatives avant la fin de la semaine, en précisant qu’à défaut, l’employeur maintiendra sa position à savoir qu’il considère qu’elle a volontairement quitté son emploi.

[30]        La plaignante n’a pas donné suite à la demande de l’employeur. Elle estimait cette démarche inutile, voire impossible à réaliser, dans la mesure où il était illusoire de penser qu’elle puisse obtenir un certificat médical pour justifier ses absences après le 11 février 2016 alors qu’elle n’avait pas de raison médicale qui l’empêchait de travailler.

[31]        À compter de cette date, elle tient à mentionner qu’elle n’était pas absente du travail pour cause de maladie, mais parce qu’elle croyait avoir perdu son emploi à compter du 11 février 2016, en raison de la lettre de son employeur du 28 janvier 2016.

[32]        De fait, ce n’est que le 25 février 2016 qu’elle a compris, après avoir accusé réception de la lettre de l’employeur datée du 24 février 2016, qu’elle n’avait pas encore perdu son emploi.

[33]        La plaignante explique qu’elle avait besoin de l’assistance de son syndicat, mais contrairement aux affirmations de monsieur Lepon voulant qu’il lui « donnera des nouvelles sous peu », il ne l’a pas fait.

[34]        Le 4 mars 2016, ne sachant trop quoi faire, elle décide de consulter la CNESST pour connaître ses droits. On lui suggère de déposer une plainte devant le présent Tribunal à l’encontre de son syndicat s’il omet ou néglige de la représenter. Le même jour, elle communique avec son syndicat pour obtenir une copie de son dossier.

[35]        Toujours sans nouvelles de son syndicat, l’employeur informe la plaignante dans  une lettre datée du 24 mars 2016 qu’il met fin à son emploi en raison de ce qui suit :

À ce jour, nous n’avons reçu aucune pièce justificative tel que demandé dans la correspondance du 24 février 2016.

 

Considérant ce fait, nous concluons qu’il s’agit d’une rupture de votre engagement envers le CISSS de Laval et que vous avez volontairement quitté votre emploi selon l’article 12.11 de votre convention collective « la personne salariée perd son ancienneté et son emploi dans les cas suivants : 1- abandon volontaire de son emploi (…) ». Prenez donc avis que votre lien d’emploi prend fin, et ce, en date du 24 mars 2016 et que nous procédons à la fermeture définitive de votre dossier employée.

 

 

[36]        La plaignante situe la réception de la lettre qui précède au 11 avril 2016 et affirme avoir communiqué le même jour avec monsieur Lepon, son représentant syndicat. Elle retient de cette discussion qu’il déposera un grief pour contester la rupture de son lien d’emploi.

[37]        Le 25 avril 2016, toujours sans nouvelles de son syndicat, elle tente sans succès de communiquer avec monsieur Lepon. Elle réussit toutefois à lui laisser un message dans sa boîte vocale afin de lui demander qu’il lui transmettre une copie de son dossier puisqu’elle compte déposer une plainte à l’endroit du syndicat pour manquement à son devoir de représentation.

[38]        Le 29 avril 2016, la plaignante n’a toujours pas reçu copie de son dossier. Elle communique à nouveau avec monsieur Lepon et après deux tentatives, elle réussit à lui parler. Elle retient de cette discussion qu’il déposera aujourd’hui même un grief pour contester la rupture de son lien d’emploi parce qu’il ne l’a pas encore fait et qu’il s’engage à lui en faire parvenir aussitôt une copie. Au sujet de cet engagement, elle précise que  monsieur Lepon ne l’a pas respecté puisqu’elle dit avoir reçu une copie du grief deux semaines plus tard. 

[39]        Le 18 mai 2018, le procureur de la plaignante écrit à son syndicat pour lui demander formellement une copie de son dossier.

[40]        Par la suite, la plaignante explique avoir reçu un appel de Jean-François Houle qui occupe la fonction de vice-président aux griefs, par intérim au sein du syndicat.

[41]        Dans un premier temps, il l’interroge pour savoir si elle reçoit actuellement des prestations d’assurances emploi, et dans le cas contraire, il s’engage à lui écrire une lettre pour l’aider dans ses démarches auprès de Services Canada.

[42]        Dans un second temps, il reconnaît que le syndicat a manqué à son devoir de représentation dans le traitement de son dossier en ne déposant pas un grief pour contester la rupture de son lien d’emploi dans le délai prévu dans la convention collective. Aussi, pour corriger cette situation, il lui propose de rédiger lui-même une plainte à l’encontre du syndicat afin de la déposer devant le présent Tribunal, en s’engageant à faire les représentations appropriées pour éviter de lui faire perdre son recours en arbitrage. Monsieur Houle lui demande toutefois en contrepartie d’accepter de se faire représenter par les procureurs du syndicat.

[43]        Le 22 juin 2016, la plaignante rencontre monsieur Houle. La première est accompagnée de sa fille et le second d’un procureur du syndicat. À cette occasion, monsieur Houle réitère son offre et tente de convaincre la plaignante que « cela va aller plus vite » et « qu’elle n’aura pas à payer les frais d’un avocat pour se faire représenter ». Enfin, monsieur Houle en profite pour lui remettre copie de son dossier.

[44]        Le 30 juin 2016, le syndicat transmet à la plaignante un courriel qui contient en pièce jointe un formulaire de plainte pour manquement au devoir de représentation en vertu des articles 47.2 et suivants du Code qu’il a lui-même complété. Il demande à la plaignante de le signer et de le retourner afin qu’il puisse le déposer, ce qu’elle refuse de faire.

[45]        Estimant que le lien de confiance avec son syndicat est brisé, la plaignante ne souhaite pas être représentée par l’un de ses procureurs dans le cadre du présent recours ni devant un Tribunal d’arbitrage, le cas échéant.

LE TÉMOIGNAGE DE JEAN-FRANÇOIS HOULE

[46]        À l’époque pertinente et jusqu’à ce jour, monsieur Houle occupe le poste de vice-président aux griefs, par intérim au sein du syndicat.

[47]        Ce n’est pas lui, mais plutôt monsieur Lepon qui s’occupait, à titre d’agent de grief, du dossier de la plaignante.

[48]        Monsieur Houle est intervenu seulement à compter du mois d’avril 2016, soit après avoir constaté que le grief visant à contester la rupture de son lien d’emploi de la plaignante avait été déposé en dehors du délai de rigueur prévu dans la convention collective. Ce faisant, il se dit incapable d’en expliquer les raisons, d’autant plus qu’il reconnaît que le syndicat avait reçu copie conforme de la lettre du 24 mars 2016 de l’employeur.

[49]        Il confirme qu’un grief a été complété par le syndicat le 11 avril 2016 pour contester cette décision, que l’employeur l’a reçu seulement à compter du 29 avril 2016, et enfin, que ce dernier entend invoquer qu’il est prescrit.

[50]        Avant le dépôt du grief et qu’il reçoive la réponse de l’employeur, monsieur Houle affirme qu’il a tenté sans succès d’obtenir une prolongation de délai, en faisant notamment à l’échange de courriels du 11 mai 2016, ci-après cité, qu’il a eus avec la représentante de l’employeur, Mélanie Roy.

[51]        À 12 h 51, monsieur Houle fait un suivi concernant la demande de prorogation de délai du syndicat:

Je veux savoir ou en sont rendu les vérifications concernant les deux prolongation de délais demander lors du dernier comité de griefs.

 

(reproduit tel quel)

 

[52]        À 14 h 33, madame Roy lui confirme la position de l’employeur :

Nous n’acceptons pas les griefs remis après les délais prévus à la convention. Une demande de prolongation doit se faire avant l’échéance des délais. […]

 

(reproduit tel quel)

 

[53]        À 14 h 55, monsieur Houle l’informe des intentions du syndicat pour la suite du dossier de la plaignante :

Nous prenons bonnes notes de votre réponse, nous ferons donc réactiver les griefs par l’entremise de 47.2 et nous les enverrons au greffe par la suite […]

 

(reproduit tel quel)

 

[54]        Après avoir obtenu la confirmation de l’employeur, monsieur Houle dit avoir informé la plaignante de la situation.

[55]        Lors de ses discussions avec cette dernière, il a reconnu le manquement du syndicat à son devoir de représentation en ne déposant pas un grief pour contester son  congédiement dans le délai requis par la convention collective.

[56]        Pour éviter de lui faire perdre un droit, il lui a suggéré de déposer une plainte auprès du Tribunal par l’entremise du syndicat afin de lui  éviter des frais d’avocat. Il lui a même offert de rédiger lui-même la plainte en lui mentionnant qu’elle n’aurait qu’à la signer.

[57]        Enfin, concernant le grief relié à la mesure disciplinaire du 28 janvier 2016 pour perte d’ancienneté, monsieur Houle mentionne que le syndicat l’a complété le 3 mars 2016 et qu’il a été reçu par l’employeur le 4 mars 2016.

[58]        Le syndicat reconnaît avoir été informé de la mesure disciplinaire le ou vers le 4 février 2016 lorsque la plaignante lui a transmis un certain nombre de documents par télécopieur au soutien de sa contestation.

[59]        Au sujet de la possibilité que ce grief soit également prescrit, monsieur Houle ne croît pas que l’employeur soulève ce moyen d’irrecevabilité devant un Tribunal d’arbitrage. Il tire cette conclusion du fait que l’employeur ne l’a pas mentionné dans sa réponse écrite, à la différence de celle qu’il a faite à la suite du dépôt du grief visant à contester le congédiement de la plaignante en date du 24 mars 2016.

LE TÉMOIGNAGE DE MÉLANIE ROY

[60]        Madame Roy occupe le poste de conseillère en relation du travail auprès de l’employeur.

[61]        Selon son agenda, le comité de grief ne s’est pas tenu le 28 avril 2016, mais plutôt le 4 mai 2016. Elle reconnaît que le syndicat lui a réitéré sa demande de proroger le délai prévu dans la convention collective en regard du dépôt d’un grief visant à contester la rupture du lien d’emploi de la plaignante. Cependant, madame Roy précise que monsieur Houle lui avait déjà fait part de cette demande dans un courriel du 2 mai 2016.

[62]        Enfin, madame Roy mentionne avoir communiqué au nom de l’employeur sa position finale concernant la demande de prorogation de délai du syndicat dans le courriel du 11 mai 2016 cité précédemment.

LES MOTIFS

LE DROIT

[63]        Selon l’article 47.3 du Code, un salarié qui prétend avoir subi un renvoi ou une mesure disciplinaire, ou qui croît avoir été victime de harcèlement psychologique, peut porter plainte contre l’association accréditée qui le représente, s’il estime qu’elle contrevient à l’article 47.2 du Code.

[64]        Cette disposition se lit comme suit :

47.2. Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l’endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu’elle représente, peu importe qu’ils soient ses membres ou non.

[65]        Le Code associe le manquement au devoir de représentation d’une association accréditée à quatre types de conduites prohibées, à savoir la mauvaise foi, l’arbitraire, la discrimination et la négligence grave.

[66]        Quant à l’appréciation de la conduite de l’association accréditée, elle est circonscrite dans le temps en vertu de l’article 47.5 du Code qui prévoit que « toute plainte portée en application de l’article 47.2 doit l’être dans les six mois de la connaissance de l’agissement dont le salarié se plaint ».

[67]        Enfin, toujours selon l’article 47.5 du Code, si le Tribunal estime que le syndicat a contrevenu à son devoir de représentation, il peut ordonner que la réclamation du salarié soit déférée en arbitrage et que le syndicat soit tenu de payer les frais, en plus de rendre aussi toute ordonnance s’il juge que cela est nécessaire selon les circonstances :

47.5. Toute plainte portée en application de l’article 47.2 doit l’être dans les six mois de la connaissance de l’agissement dont le salarié se plaint.

 

Si le Tribunal estime que l’association a contrevenu à l’article 47.2, il peut autoriser le salarié à soumettre sa réclamation à un arbitre nommé par le ministre pour décision selon la convention collective comme s’il s’agissait d’un grief. Les articles 100 à 101.10 s’appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires. L’association paie les frais encourus par le salarié.

 

Le Tribunal peut, en outre, rendre toute autre ordonnance qu’il juge nécessaire dans les circonstances.

L’ANALYSE

[68]        Le Tribunal n’est pas lié par l’admission du syndicat qu’il a commis un manquement à son devoir de représentation en négligeant de déposer les griefs relativement aux réclamations de la plaignante dans le délai de rigueur prévu à la convention collective[2].

[69]        Avant d’apprécier la conduite du syndicat pour décider, s’il a bel et bien, manqué à son devoir de représentation, il est opportun de s’interroger au préalable sur l’existence ou non d’une collusion entre la plaignante et le syndicat.

L’EXISTENCE D’UNE COLLUSION

[70]        Sur la notion de collusion, le Tribunal retient, suivant la décision rendue par le juge Marc Brière dans Balthazard c. Syndicat des employés-es professionnel-les et de bureau, section locale 57 (SEPB-FTQ)[3], qu’ « il y a collusion entre deux personnes lorsqu’elles s’entendent secrètement dans le but de causer préjudice à autrui ou tromper la justice ».

[71]        En l’espèce, les éléments de preuve au soutien de la thèse de l’existence d’une collusion reposent sur ce qui suit :

-       La reconnaissance du syndicat d’avoir manqué à son devoir de représentation dans le traitement du dossier de la plaignante en ne déposant pas de griefs dans le délai de rigueur prévue dans la convention collective;

-       l’intention du syndicat de vouloir prêter assistance à la plaignante en lui proposant de rédiger et de déposer une plainte auprès du Tribunal contre lui-même en vertu des articles 47.2 et suivants du Code, en lui demandant, en contrepartie d’accepter de se faire représenter par les procureurs du syndicat.

-       la déclaration du syndicat à l’employeur voulant qu’à la suite de son refus de consentir à proroger le délai de rigueur prévue dans la convention collective pour permettre à la plaignante de présenter ses réclamations, il entendait recourir au dépôt d’une plainte selon les articles 47.2 et suivants du Code.

[72]        Est-ce que cela suffit à démontrer l’existence d’une entente entre le syndicat et la plaignante dans le but de tromper la justice ou de causer un préjudice à autrui?

[73]        Pour les mêmes motifs qui ont été exposés dans la décision Kroft c. Syndicat des professionnelles en soins infirmiers et cardio-respiratoires du CSSS Gatineau (FIQ)[4], le Tribunal répond à cette question par la négative :

[15]      Le fait que le syndicat admette avoir déposé tardivement le grief et ne conteste pas le bien-fondé de la plainte, voire prête assistance à la plaignante dans sa rédaction ne constitue pas de la collusion. Les commentaires de la juge Lise Langlois, dans Lahaie c. Syndicat canadien de la fonction publique, local 301, AZ-96147055 (T.T.) s’appliquent ici, avec les adaptations nécessaires :

 

Il est évident que le syndicat intimé est sympathique à la cause de Lahaie et souhaiterait que sa requête soit accueillie; on ne peut conclure qu'il y a preuve de collusion.

 

Qu'un syndicat responsable, réalisant qu'il a mal agi ou commis une faute à l'endroit d'un de ses membres, supporte son membre et "accepte de reconnaître sa faute...c'est sans doute de la collaboration mais le Tribunal n'y voit rien de frauduleux." (9)

 

Comme le Tribunal l'a dit auparavant et le répète, rien ne fut dissimulé et jamais le Tribunal n'a pas eu la conviction que les représentants syndicaux, Mme Prud'homme et le requérant avaient menti au sujet des incidents entourant le cheminement du grief de M. Lahaie.

 

Il serait ridicule d'exiger que le résultat du recours d'un requérant, qui a découvert une situation y donnant ouverture, dépende de l'agressivité du syndicat responsable d'une erreur, d'une faute ou d'une négligence. Un syndicat qui se sent responsable d'une situation qui a résulté dans la perte des droits d'un de ses membres peut se comporter de façon à amenuiser les résultats désastreux pour celui-ci, en attendant que le Tribunal statue sur le remède approprié, s'il y a lieu. C'est là une conduite respectable et même recommandable.

 

                                    (Soulignement ajouté)

[74]        Dans la présente affaire, le tribunal à la conviction qu’il n’existe pas de collusion entre le syndicat et la plaignante. Il ne faut pas oublier que cette dernière n’a jamais accepté la proposition du syndicat, ayant choisie elle-même de déposer la présente plainte, et qu’elle insiste pour se faire représenter par un procureur de son choix et non par celui du syndicat.

LE MANQUEMENT AU DEVOIR DE REPRÉSENTATION DU SYNDICAT

[75]        Il ne fait aucun doute que le syndicat a été négligent dans le traitement des réclamations de la plaignante visant à contester sa mesure disciplinaire du 28 janvier 2016 ainsi que son renvoi du 24 mars 2016.

[76]        Le point culminant de cette négligence est toutefois atteint lorsque le syndicat néglige de déposer des griefs concernant les réclamations de la plaignante dans le respect du délai de rigueur prévu dans la convention collective, compte tenu de l’importance qu’ils représentent pour elle.

[77]        Selon la jurisprudence, il s’agit d’un cas de négligence grave[5].

[78]        Cela l’est d’autant plus, en l’espèce, que le comportement du syndicat ne s’explique pas autrement, la preuve ne révélant aucune justification, circonstance ou facteur atténuant qui permettrait de minimiser cette omission, contrairement à l’affaire Lahaie c. Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 (cols bleus)[6].

LES MESURES DE RÉPARATION

[79]        Ayant retenu que le syndicat avait manqué à son devoir de représentation au sens de l’article 47.2 du Code, il y a lieu, conformément à l’article 47.5, d’autoriser la plaignante à soumettre ses réclamations à un arbitre nommé par le ministre du Travail afin que celui-ci rende une décision selon la convention collective comme s’il s’agissait de griefs.

[80]        Outre la conclusion qui précède, est-il opportun d’autoriser la plaignante à être représentée par le procureur de son choix, aux frais du syndicat en arbitrage et qu’elle soit aussi remboursée pour les honoraires et les frais qu’elle a dû engager auprès de son procureur pour exercer le présent recours?

[81]        Le syndicat n’a prodigué aucun conseil à la plaignante, pas plus qu’il ne lui prête assistance en temps opportun pour tenter d’éviter qu’elle ne soit considérée dans une situation d’abandon d’emploi. Et, comme si cela n’était pas suffisant, le syndicat trouve le moyen de ne pas déposer les deux réclamations de la plaignante dans le délai de rigueur prévu par la convention collective, sans fournir de justification ou d’explication. Devant un tel scénario, il n’y a rien d’étonnant à ce que la plaignante ait perdu confiance dans la capacité de son syndicat a bien la représenter.

[82]        Le Tribunal retient du témoignage de la plaignante que le lien de confiance envers son syndicat est brisé, qu’il s’agit d’une demande de réparations en lien avec une conséquence causée par le manquement au devoir de représentation de son syndicat, et enfin, qu’il appert que n’eût été de ce manquement, la plaignante n’aurait pas engagé de tels frais ni eu besoin de retenir les services d’un procureur dont elle avait pleinement confiance pour exercer le présent recours[7].

[83]        Aussi, suivant les principes qui ont été exposés dans la décision Castonguay c. Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 9414[8], le Tribunal décide de faire droit à cette demande d’ordonnance, après avoir considéré qu’elle n’allait pas à l’encontre des quatre exigences posées par l’arrêt Royal Oak Mines inc. c. Canada (Conseil des relations du travail)[9] :

(1)   La réparation ne doit pas se révéler de nature punitive;

 

(2)   Elle ne doit pas porter atteinte aux libertés et droits fondamentaux;

 

(3)   Il doit y avoir un lien rationnel entre la réparation, la contravention et ses conséquences;

 

(4)   La réparation ne doit pas aller à l’encontre des objectifs du Code.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

ACCUEILLE                  la plainte;

AUTORISE                    Christine Côté à soumettre ses réclamations à un arbitre nommé par le ministre du Travail, aux frais du Syndicat des travailleurs(euses) du Centre de santé et de services sociaux de Laval (CSN), pour décision selon la convention collective comme s’il s’agissait d’un grief;

AUTORISE                    Christine Côté à se faire représenter à cette fin, aux frais du Syndicat des travailleurs(euses) du Centre de santé et de services sociaux de Laval (CSN), par le procureur de son choix;

ORDONNE                    au  Syndicat des travailleurs(euses) du Centre de santé et de services sociaux de Laval (CSN) de rembourser à Christine Côté, sur présentation d'un état de compte et, le cas échéant, des pièces à l'appui, les honoraires et frais raisonnables engagés pour la présentation de sa réclamation devant l'arbitre;

RÉSERVE                     sa compétence pour déterminer le montant des honoraires et des frais engagés pour la présentation de ses réclamations;

ORDONNE                    au Syndicat des travailleurs(euses) du Centre de santé et de services sociaux de Laval (CSN) de rembourser à Christine Côté, sur présentation d’un état de compte et, le cas échéant, des pièces à l’appui, les honoraires et frais raisonnables engagés pour l’exercice du présent recours;

RÉSERVE                     sa compétence pour déterminer le montant des honoraires et des frais engagés pour l’exercice du présent recours.

 

 

 

__________________________________

 

François Caron

 

Me Myriam Bohémier

Pour la partie demanderesse

 

Monsieur Gilles Tremblay

Pour la partie défenderesse

 

Me Yves Majeau

Pour la partie mise en cause

 

Date de l’audience : 12 mai 2017

 

/ga



[1]          RLRQ, c. C-27.

[2]        Dans la présente affaire, le délai pour soumettre un grief à l’employeur est de 30 jours selon les termes et les modalités prévus à l’article 10.01 de la convention collective et il s’agit d’un délai de rigueur.

[3]        [1995] AZ-95147048 (T.T.).

[4]          2009 QCCRT 0237.

[5]        Dufresne c. Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 2918, [2003] AZ-50178809 (T.T.) et Rousseau c. Syndicat des spécialistes et professionnelles d’Hydro-Québec, section locale 4250, SCFP-FTQ, 2006 QCRT 0003.

[6]        [1996] AZ-96147055 (T.T.). Révision judiciaire rejetée [1997] (AZ-97029043 (C.S.).

[7]           Une appréciation similaire a été faite notamment dans Boudreault c. Syndicat des salariées et salariés de l’entrepôt D. Bertrand et Fils Chicoutimi - CSN, 2006 QCCRT 0284; Maltais c. Section locale 22 du Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP), 2006 QCCRT 0316; Burke c. Syndicat des travailleuses et travailleurs de Old Brewery Mission - CSN, 2015 QCCRT 0135.

[8]           2005 QCCRT 0204. Révision judiciaire rejetée, 2006 QCCS 1359 et appel rejeté, 2007 QCCA 1766.

[9]          [ 1996] 1 R.C.S.369.

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