DÉCISION
[1] Le 21 mars 2000, l’employeur, la Société immobilière du Québec (la S.I.Q.), conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 13 janvier 2000 (mais reçue par ce dernier le 23 février 2000) suite à une révision administrative (la révision administrative).
[2] Par cette décision, la révision administrative modifie la décision rendue par la CSST le 2 mars 1998 et, en conséquence, elle applique le deuxième alinéa de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [1] (la loi) et elle détermine que les coûts des prestations versées suite à la lésion professionnelle dont a été victime madame Gaétane Jean le 5 février 1996 ne doivent pas être imputés au dossier financier de son employeur, Centre Jeunesse de Montréal (le C.J.M.).
[3] Les employeurs, la S.I.Q. et le C.J.M., sont présents à l’audience. Seul l’employeur C.J.M. est représenté.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La S.I.Q. demande à la Commission des lésions professionnelles de rétablir la décision rendue par la CSST et de déclarer qu’il n’encourt aucune responsabilité à titre de tiers dans la survenue de la lésion professionnelle du 5 février 1996 de madame Gaétane Jean.
QUESTION PRÉLIMINAIRE
[5] Le représentant du C.J.M. soulève une question préliminaire.
[6] Il met en doute l’intérêt de la S.I.Q. de contester la décision rendue par la révision administrative le 13 janvier 2000.
[7] Pour bien saisir le sens de cette question préliminaire, la Commission des lésions professionnelles croit opportun d’exposer les faits de la présente affaire.
LES FAITS
[8] Les faits de cette affaire sont simples.
[9] Madame Gaétane Jean est agente de relations humaines. Elle est à l’emploi du C.J.M.
[10] Dans le cadre de ce travail, elle doit, entre autres, se déplacer afin de témoigner devant le Tribunal de la Jeunesse.
[11] Le 5 février 1996, à 13h00, lorsqu’elle sort du Tribunal de la Jeunesse sis au numéro 410 de la rue Bellechasse à Montréal, elle glisse sur une plaque de glace dans une pente située dans l’aire de stationnement et elle se blesse au pied gauche, au dos et à la hanche.
[12] Le 7 mars 1996, la CSST reconnaît que madame Jean a été victime d’un accident du travail.
[13] Le 25 juin 1996, le médecin traitant de madame Jean émet un rapport final où il consolide sa lésion à cette date sans atteinte permanente ou limitations fonctionnelles.
[14] Enfin, le 9 juillet 1996, la CSST détermine que la travailleuse est en mesure d’exercer son emploi à compter du 9 juillet 1996.
[15] Entre temps, le 20 février 1996, le C.J.M. réclame un transfert d’imputation selon le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi. Il s’exprime en ces termes :
La description de l’événement telle que rapportée par la travailleuse et l’enquête que nous avons mené à ce sujet démontre hors de tout doute que malgré sa bienveillance, la travailleuse a glissé sur une plaque de glace sur le site du Tribunal de la Jeunesse au 410 rue Bellechasse. Le propriétaire de ce terrain et de la bâtisse loué par le Gouvernement n’a pas assuré ses responsabilités à l’égard de l’entretien complet des surfaces de ce site.
Bien que Les Centres Jeunesse de Montréal-CPEJ assure la prévention et la promotion de la santé et de la sécurité au travail, ses obligations ne peuvent dépasser le cadre de ses terrains et immeubles où ses activités s’exercent.
Il revenait à la Société Immobilière du Québec dont le siège social est situé au 1701 rue Parthenais, d’assurer l’entretien adéquat et complet du site où la travailleuse a subi la lésion professionnelle du 5 février 1996.
Veuillez donc considérer que, dans la présente situation, l’accident survenu à la travailleuse est dû à un tiers et en conséquence, aviser le service de financement à ce que l’imputation des frais financiers de cet accident soit conforme au 2e alinéa de l’article 326 de la LATMP. (sic)
[16] Le 2 mai 1997, le C.J.M. écrit de nouveau à la CSST. Il rappelle sa demande du 20 février 1996.
[17] Le 2 mars 1998, la CSST rejette la demande du C.J.M. au motif qu’il n’a pas démontré que l’accident du travail de madame Jean a été causé par la faute d’un tiers. Le C.J.M. demande la révision de cette décision.
[18] Le 16 octobre 1998, le C.J.M. adresse les précisions suivantes à l’attention de la révision administrative :
Nous désirons de nouveau faire référence à notre lettre du 20 février 1996 où il est fait mention que l’entretien du stationnement était sous la responsabilité d’un tiers, soit la Société immobilière du Québec.
Selon le témoignage de madame Gaétane Jean, il n’y avait pas d’épandage d’abrasifs, ce qui a entraîné sa chute sur la glace ; nous croyons donc que la négligence est tout à fait réelle. (sic)
[19] Le 6 décembre 1999, le C.J.M. fournit à la révision administrative les données météorologiques des journées précédant le 5 février 1996. Il les accompagne d’une lettre où il s’exprime en ces termes :
Si nous référons aux données météorologiques ci-jointes ; il n’y a eu aucune précipitation du 1er au 4 février et 8 mm le 5 février en fin de journée. Selon le sommaire quotidien, en date du jeudi 1er février, c’était ensoleillé et froid, du vendredi 2 février ensoleillé avec passage nuageux et quelques faibles averses de neige, communément appelé « traces », étant donné que la quantité était tellement petite qu’elle ne pouvait être répertoriée ainsi que venteux en après-midi. Le samedi 3 février et le dimanche 4 février c’était ensoleillé et froid. Le 5 février il y a eu ennuagement en après-midi suivi de précipitation qu’en fin de soirée seulement, soit après l’événement déclaré.
Il est à noter qu’il n’y a eu aucune journée frôlant le 0° C, donc aucune période de décongélation pouvant créer de la glace au sol dans les 5 derniers jours, la moyenne étant de -15° à -19° C. Donc considérant la stabilité de la température, les plaques de glace au sol ne pouvaient être causées que par un mauvais entretien ou l’absence d’épandage d’abrasif dans les jours antérieurs à l’événement. Il est aussi à noter qu’il n’y a pas eu de vent important, ceci ne pouvait donc pas empêcher un épandage d’abrasif adéquat dans les escaliers ou sur la pente à la sortie du tribunal.
Nous vous soumettons ces données, celles-ci confirment que madame a été victime d’une chute relativement à un entretien négligé de la voie d’accès au tribunal. (sic)
[20] Le 13 janvier 2000, la révision administrative modifie la décision rendue par la CSST le 2 mars 1998. Dans le cadre de cette décision, la révision administrative s’exprime ainsi :
Le 20 février 1996, l’employeur demande un transfert de l’imputation des coûts, en vertu de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP). Ce dernier allègue que l’accident est attribuable à un tiers soit, la Société Immobilière du Québec.
(.)
Dans le présent dossier, la révision administrative est d’avis que l’accident du travail est attribuable à une tierce partie. En effet, après avoir pris connaissance des données météorologiques, nous constatons qu’il n’y a aucune précipitation du 1er au 4 février 1996. L’accident de la travailleuse est survenue le 5 février 1996 vers 13 heures et selon les données, 8mm de neige sont tombés cette journée mais uniquement en fin de journée. De plus, il n’y a eu aucune journée frôlant le 0 degré celcius donc aucune période de décongélation pouvant créer de la glace au sol dans les cinq derniers jours. Considérant la stabilité de la température, les plaques de glace au sol ne pouvaient être causées que par un mauvais entretien ou l’absence d’épandage d’abrasif dans les jours antérieurs à l’événement.
(.) De plus, considérant la température des jours antérieurs soit, aucune chute de neige ou de pluie verglaçante, la preuve prépondérante nous permet d’établir qu’il y a eu négligence d’entretien des lieux et le degré de responsabilité du tiers est suffisamment élevé pour qu’il y ait transfert des coûts.
En conséquence, la révision administrative INFIRME la décision de la CSST rendue le 2 mars 1998 et déclare que le coût des prestations versées dans le dossier de madame Jean ne doit pas être imputé à l’employeur, Centre Jeunesse Montréal division psycho-sociale. (sic)
[21] Il est à noter que cette décision est prise sans que la S.I.Q. ne soit consultée et sans que la S.I.Q. puisse transmettre ses observations à la révision administrative.
[22] Il est également à noter que cette décision n’est pas expédiée à la S.I.Q.
[23] Le 21 février 2000, la CSST s’adresse pour la première fois à la S.I.Q. en ces termes :
Objet : Imputation selon l’article 326 - LATMP
Dossier CSST de Gaétane Jean
Numéro 110518271
Madame, Monsieur,
Vous trouverez ci-joint une copie d’une décision de la révision administrative rendue dans le dossier ci-haut mentionné. Nous désirons vous informer que nous avons appliqué cette décision et que nous avons imputé 100% des coûts de ce dossier à votre dossier d’expérience portant le numéro 73497230.
Si vous désirez de plus amples informations, n’hésitez pas à communiquer avec moi au numéro de téléphone ci-dessous mentionné.
[24] La décision du 13 janvier 2000 est jointe à cette lettre qui ne comporte, par ailleurs, aucune donnée concernant les droits de la S.I.Q. de contester cette lettre ou cette décision et concernant les délais pour ce faire.
[25] À l’audience, madame Johanne Panneton confirme que la S.I.Q. n’a pas contesté la lettre du 21 février 2000.
[26] Toutefois, le 17 mars 2000, la S.I.Q. conteste la décision rendue par la révision administrative le 13 janvier 2000 en ces termes :
Le 23 février 2000, nous recevions copie d’une décision de la révision administrative statuant que la responsabilité d’un tiers, en l’occurrence la Société immobilière du Québec, devrait être retenue dans le dossier cité en objet.
Fait pour le moins étonnant, cette décision qui nous parvenait avec une lettre de madame Martine Gagnon, agent d’indemnisation, datée du 21 février 2000, nous informait d’un événement et d’une démarche qui nous est tout à fait étrangère.
En effet, c’est la toute première fois que nous avons connaissance de la survenance d’un événement survenu le 5 février 1996 à madame Gaétane Jean dont vous nous avez attribué la responsabilité.
Par la présente nous en appelons de la décision de la Révision administrative, entre autre pour les motifs suivants :
1.Contrairement à notre droit d’être traité équitablement, la réviseure administrative n’a pas offert à la Société immobilière du Québec la possibilité de se faire entendre.
2.À la lecture de la décision de la révision administrative, nous ne trouvons aucun fait prouvant que l’accident a été causé par l’action ou l’omission de la Société immobilière du Québec, donc entraînant une quelconque responsabilité de celle-ci.
3.La réviseure a erré en droit en concluant que « considérant la stabilité de la température, les plaques de glace au sol ne pouvaient être causées que par un mauvais entretien ou l’absence d’épandage d’abrasif dans les jours antérieurs à l’événement. ». (sic)
[27] Cette lettre est à l’origine du présent litige.
[28] La S.I.Q. fait entendre monsieur Pierre Desrochers. Il est technicien en immobilier chez cette dernière.
[29] Ses fonctions consistent à entretenir l’intérieur et l’extérieur des édifices appartenant à cet organisme. Il supervise les travaux à cet égard.
[30] En février 1996, il s’occupe de l’entretien au 410 de la rue Bellechasse à Montréal.
[31] À cette époque, une compagnie nommée Excavation Castonguay est responsable de l’entretien extérieur et du déneigement à cette adresse.
[32] Il dépose le contrat qui lie la S.I.Q. à cette compagnie. Les seules informations qui y figurent concernent le début et la durée du contrat ainsi que l’immeuble pour lequel il est conclu. Pour le reste, il réfère le lecteur au devis 1510.
[33] Monsieur Desrochers dépose également le devis 1510 daté de juin 1995. Ce devis s’intitule « Devis technique concernant le déneigement au sol ».
[34] Il ressort de ce document que l’entrepreneur doit enlever la neige, déglacer et sabler les voies d’accès, les trottoirs, les escaliers des sorties de secours, les zones débarcadères, les stationnements, etc.
[35] L’entrepreneur doit fournir tout l’outillage et l’équipement nécessaires à l’enlèvement de la neige et de la glace. Il doit également fournir les produits abrasifs et antidérapants.
[36] Il doit prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des employés, du public et des véhicules « au voisinage du lieu des travaux ».
[37] L’entrepreneur doit enlever la neige dès que l’accumulation dépasse cinq centimètres. Il doit faire l’épandage de sel ou de sable dès qu’il y a du verglas ou de la glace. Il doit étendre du sable ou du sel sur les pentes dans l’aire de stationnement « pour permettre aux véhicules d’y circuler en sécurité ». Il doit laisser une boîte de sel et de sable pour répondre aux besoins des usagers du parc de stationnement.
[38] Il est par ailleurs précisé que, dans les édifices abritant des centres de détention, l’accès à l’édifice et au stationnement de l’édifice doit être assuré 24 heures par jour et sept jours sur sept. Cependant, il ressort de l’annexe I du devis déposé par monsieur Desrochers que l’édifice sis au 6161 de la rue Saint-Denis (autre entrée de l’édifice sis au 410 de la rue Bellechasse) ne fait pas l’objet du service « 24 heures 7 jours ».
[39] Monsieur Desrochers interprète ce devis.
[40] Il indique que l’entrepreneur doit enlever la neige dès qu’il y a une accumulation de 5 centimètres. Il doit étendre de l’abrasif aux endroits où circulent les piétons et les véhicules, 24 heures par jour, sept jours par semaine, car il existe un petit centre de détention au 410 de la rue Bellechasse.
[41] Il explique qu’en février 1996, il ne reçoit aucune plainte relative à l’entretien fait par l’entrepreneur. Il n’intervient donc pas auprès de ce dernier pour qu’il modifie ses méthodes de travail.
[42] Il n’est pas mis au courant de la blessure de madame Jean et aucun rapport n’est donc fait relativement à cet incident. Il n’a pas constaté l’état des lieux le 5 février 1996.
[43] Il est en charge de l’entretien. Toutefois, son bureau n’est pas situé au numéro 410 de la rue Bellechasse mais bien au numéro 1701 de la rue Parthenais. Cependant, il se déplace sur les lieux du 410 Bellechasse pour y superviser des travaux ou faire des vérifications.
[44] De plus, lorsqu’il n’est pas sur les lieux, une autre personne s’occupe de cette supervision et elle communique avec lui dès qu’il y a un problème.
[45] Enfin, un ouvrier chargé de l’entretien est sur place au 410 de la rue Bellechasse. Son travail consiste à vérifier quotidiennement l’état des lieux pour s’assurer qu’il n’existe pas de conditions dangereuses et à épandre du sel sur les surfaces glacées le cas échéant.
L'ARGUMENTATION DES PARTIES-QUESTION PRÉLIMINAIRE
[46] Le représentant du C.J.M. soutient que la S.I.Q. ne possède pas l’intérêt nécessaire pour contester la décision rendue par la révision administrative le 13 janvier 2000 car cette décision ne la touche aucunement. En fait, il constate que le dispositif de cette décision ne présente aucune conclusion contre la S.I.Q. En effet, cette décision s’adresse au C.J.M. et elle a pour effet de retirer de son dossier financier tous les coûts de la lésion professionnelle subie le 5 février 1996 par madame Gaétane Jean.
[47] En conséquence, la S.I.Q. n’a aucun intérêt à contester cette décision.
[48] C’est plutôt la décision du 21 février 2000 qui vient affecter les droits de la S.I.Q. C’est, en effet, la première fois qu’une décision contient des conclusions la touchant directement.
[49] Le cœur du litige est cette décision et non la décision du 13 janvier 2000. Il estime que, si la CSST avait imputé l’unité de la S.I.Q. plutôt que la S.I.Q. directement, aucun litige n’aurait été initié par cette dernière. Or, la S.I.Q. n’a pas contesté la décision du 21 février 2000 et la Commission des lésions professionnelles ne peut, en conséquence, s’en saisir.
[50] Il admet que la CSST aurait pu approfondir le dossier et s’adresser à la S.I.Q. pour obtenir ses commentaires. Toutefois, le défaut de la CSST ne donne pas intérêt à la S.I.Q.
[51] La S.I.Q. soutient qu’elle a intérêt à attaquer la décision rendue le 13 janvier 2000 par la révision administrative.
[52] En effet, la révision administrative allègue que l’accident arrive à cause du mauvais entretien fait par la S.I.Q. Elle est nommée dans cette décision ; cela lui donne l’intérêt nécessaire pour revendiquer une modification de cette dernière.
[53] Elle estime donc qu’elle est en droit de démontrer que la S.I.Q. n’a pas fait d’erreur dans l’entretien de ses édifices et que la décision de la révision administrative doit être renversée. Elle considère, de plus, que la lettre concernant l’imputation ne fait qu’exécuter la décision prise par la révision administrative ; elle suivra donc le sort réservé à la contestation principale.
L'ARGUMENTATION DES PARTIES-FOND DU LITIGE
[54] La S.I.Q. s’oppose à la décision rendue par la révision administrative car la règle audi alteram partem n’a pas été respectée. La révision administrative conclut à la responsabilité de cet organisme sans même l’avoir entendu, sans même s’en soucier.
[55] Or, il ressort du témoignage de monsieur Desrochers que le déneigement et le déglaçage sont confiés à un entrepreneur selon les termes stricts d’un devis.
[56] De plus, la S.I.Q. ne reçoit aucune plainte avant ou suivant l’événement du 5 février 1996 concernant l’entretien des environs de l’édifice sis au 410 de la rue Bellechasse.
[57] En fait, la S.I.Q. prend tous les moyens nécessaires pour assurer la sécurité des usagers ; elle remplit ses obligations ; elle agit en bon père de famille ; elle n’a pas contribué à l’accident de madame Jean. Le fait qu’une plaque de glace se trouve sur les lieux du 410 de la rue Bellechasse ne crée pas une présomption de mauvais entretien.
[58] La S.I.Q. estime que l’accident de la travailleuse constitue un risque inhérent à son travail qui consiste à se déplacer l’hiver dans l’exécution de ses fonctions. Il s’agit d’un malencontreux accident dans lequel la S.I.Q. n’a aucune participation.
[59] La S.I.Q. demande donc à la Commission des lésions professionnelles de conclure qu’elle n’est pas responsable de l’accident de madame Jean et elle dépose de la jurisprudence au soutien de ses prétentions [2].
[60] Le représentant du C.J.M. indique que la version de l’accident fournie par la travailleuse n’a pas été contredite. Or, il ressort de la description de l’événement que cette dernière glisse sur une plaque de glace, dans une pente non sablée et non recouverte d’abrasifs, sur le terrain de stationnement du Tribunal de la Jeunesse. Personne n’est venu démontrer que ces faits sont erronés.
[61] De plus, la preuve ne révèle pas que la S.I.Q. a bien supervisé l’entrepreneur. Tout ce que la S.I.Q. prétend c’est qu’elle a bien entretenu l’immeuble car elle n’a pas eu de plainte.
[62] Or, la S.I.Q. n’a pas visité les lieux le 5 février 1996 ; elle n’a pas avisé l’entrepreneur de problèmes de glace au 410 de la rue Bellechasse.
[63] L’article 326 de la loi édicte que, lorsque l’accident du travail est attribuable à un tiers, la CSST peut libérer l’employeur des coûts reliés à cet accident s’il est injuste que ce dernier les supporte. Dans ce dossier, les faits démontrent que l’accident survient lorsque la travailleuse met le pied sur une plaque de glace ailleurs que chez C.J.M. ; cet accident n’est donc pas de son ressort.
[64] En outre, les documents sur les données météorologiques appuient l’implication de la S.I.Q. dans l’événement. En effet, il n’existe aucune circonstance particulière ou extraordinaire qui explique la présence de glace sauf le défaut d’entretien.
[65] La décision rendue par la révision administrative doit donc être maintenue. Il dépose de la jurisprudence au soutien de ses prétentions [3].
LES MOTIFS DE LA DÉCISION-QUESTION PRÉLIMINAIRE
[66] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la S.I.Q. possède l’intérêt nécessaire pour contester la décision rendue par la révision administrative le 13 janvier 2000.
[67] L’article 359 de la loi édicte qu’une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la CSST suite à une révision administrative peut contester cette décision devant la Commission des lésions professionnelles dans les 45 jours de sa notification.
[68] Selon le « Petit Larousse », le terme « léser » signifie « faire tort à (qqn, ses intérêts) ».
[69] Il ressort donc du texte de la loi et de la définition du terme « léser » qu’une personne qui croit que la décision rendue par la révision administrative lui fait du tort ou affecte ses intérêts peut contester cette décision devant la Commission des lésions professionnelles.
[70] En fait, c’est le préjudice subi par cette personne qui lui confère l’intérêt nécessaire pour contester la décision rendue par la révision administrative.
[71] Or, dans ce dossier, il est vrai que la révision administrative ne retient aucune conclusion contre la S.I.Q. dans son dispositif. Elle aurait d’ailleurs été malvenue de le faire étant donné qu’elle n’a pas jugé bon d’aviser la S.I.Q. de la demande du C.J.M. et étant donné qu’elle n’a pas jugé bon d’obtenir les commentaires de cet employeur. En cela, elle ne faisait que perpétuer l’erreur commise par la CSST qui savait, depuis le 20 février 1996, que le C.J.M. identifiait la S.I.Q. à titre de tiers et qui n’avait pourtant pas jugé pertinent de communiquer avec cet organisme pour l’aviser de la demande du C.J.M. et lui permettre de faire enquête de façon contemporaine à l’événement et de fournir sa version des faits.
[72] Cependant, la révision administrative identifie clairement, dans le texte de la décision, que le tiers dont il est question à l’article 326 de la loi et dont l’intervention permet au C.J.M. de se voir décharger des coûts de la lésion professionnelle survenue à sa travailleuse est la S.I.Q.
[73] Cette décision porte donc préjudice à la S.I.Q. puisqu’elle est désignée à titre de tiers ayant causé l’événement et que cette désignation est susceptible d’engendrer des conséquences financières pour cette dernière.
[74] Il est vrai que le représentant du C.J.M. soutient que la seule décision affectant les droits de la S.I.Q. est celle du 21 février 2000 lui imputant 100% des coûts générés par la lésion professionnelle du 5 février 1996 de madame Jean. Toutefois, la Commission des lésions professionnelles ne peut se rallier à cette proposition pour les raisons suivantes.
[75] D’une part, la Commission des lésions professionnelles constate que la CSST ne considère pas sa lettre du 21 février 2000 comme étant une décision mais plutôt comme étant une application de la décision rendue par la révision administrative le 13 janvier 2000. Dans ces circonstances, si la S.I.Q. demandait la révision de cette décision, ne risquait-elle pas de se faire dire qu’elle aurait dû contester la décision du 13 janvier 2000 puisque la lettre du 21 février 2000 découle de cette première décision ? En fait, la source du préjudice subi par la S.I.Q. est la décision du 13 janvier 2000 et non la lettre du 21 février 2000 qui prétend, à tort ou à raison, appliquer concrètement cette dernière.
[76] D’autre part, il n’est pas évident pour l’employeur de percevoir la lettre du 21 février 2000 comme étant une décision de la CSST. En effet, la Commission des lésions professionnelles constate que cette lettre est présentée comme une application de la décision du 13 janvier 2000 et le texte relatif au droit de contester et au délai pour ce faire est absent. On ne peut donc reprocher à la S.I.Q. de ne pas avoir demandé la révision de la lettre du 21 février 2000 dans les circonstances.
[77] La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que, vu les faits très particuliers du présent dossier, la S.I.Q. possède l’intérêt nécessaire pour contester la décision rendue le 13 janvier 2000 et elle rejette, en conséquence, la question préliminaire soulevée par le représentant du C.J.M.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION-FOND DU LITIGE
[78] La Commission des lésions professionnelles doit d’abord déterminer si l’accroc à la règle audi alteram partem et à l’article 358.3 de la loi commis par la révision administrative, à savoir le défaut de donner à une partie intéressée par ce litige, en l’occurrence la S.I.Q., l’occasion de présenter ses observations, entraîne automatiquement la nullité de la décision du 13 janvier 2000.
[79] L’effet juridique des manquements aux règles de justice naturelle a fait l’objet de plusieurs écrits.
[80] Dans son volume Droit administratif [4], le professeur Patrick Garant illustre bien la position privilégiée par les auteurs et la jurisprudence à ce sujet. Il indique qu’une décision rendue en contravention des règles de justice naturelle est frappée de nullité relative ; en conséquence, un tribunal d’appel qui possède de larges pouvoirs peut corriger un tel manquement. Il s’exprime ainsi à ce sujet :
La jurisprudence est à l’effet qu’un tribunal, en appliquant subséquemment les principes de justice naturelle, du moins la règle audi alteram partem, corrige les vices qui ont entaché la décision initiale.
(.)
Lorsqu’un tribunal d’appel applique intégralement les principes de la justice naturelle, l’administré affecté par une décision n’a aucune raison de se plaindre. Toute autre interprétation est même contraire à l’intention du législateur qui met l’appel, voie de réformation, à la disposition de l’administré. C’est d’ailleurs ce qu’a décidé la Cour suprême dans l’arrêt Harelkin c. University of Regina. Dans un jugement majoritaire rendu par le juge Beetz, la cour a reconnu le caractère relatif de la nullité affectant une décision non conforme à la règle audi alteram partem et a décidé que tel défaut pouvait être corrigé en appel pour autant que le recours en appel permette une telle correction. La Cour d’appel fédérale a même décidé qu’un tribunal administratif d’appel avait juridiction inhérente pour corriger les manquements à la justice naturelle affligeant la décision de première instance.
[81] Or, l’article 377 de la loi confère à la Commission des lésions professionnelles de vastes pouvoirs. Ainsi, elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision contestée et rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu.
[82] Ce pouvoir de procéder de novo permet à la Commission des lésions professionnelles de corriger la contravention à la justice naturelle et à l’article 358.3 de la loi commise par la révision administrative [5].
[83] La Commission des lésions professionnelles statuera donc sur l’application du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi au présent dossier.
[84] La Commission des lésions professionnelles doit, en conséquence, déterminer si l’accident du travail dont madame Jean a été victime le 5 février 1996 est attribuable à un tiers et, le cas échéant, s’il est injuste que le C.J.M. en supporte les coûts.
[85] Dans l’éventualité d’une réponse affirmative à ces deux énoncés, la Commission des lésions professionnelles doit également déterminer qui doit supporter les coûts générés par cet accident du travail.
[86] En effet, l’application du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi n’implique pas uniquement un retrait des coûts d’un accident du travail du dossier financier d’un employeur mais également une imputation de ces mêmes coûts « aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités » conformément à ce qui est prévu à cette disposition législative.
[87] Or, dans ce dossier, tel que mentionné précédemment, la révision administrative omet de traiter de cette dernière question dans son dispositif alors qu’elle aurait dû le faire selon le libellé de la décision dont elle était saisie et selon le libellé du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi. Cependant, elle se prononce indirectement sur cette question en identifiant, dans la décision, la S.I.Q. à titre de tiers.
[88] La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que, conformément aux pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 377 de la loi, elle peut rendre la décision qui aurait dû être rendue et, en conséquence, déterminer qui doit supporter les coûts générés par l’accident du travail de madame Jean dans l’éventualité où son employeur, le C.J.M., peut en être déchargé.
[89] Le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi précise que la CSST peut imputer le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsqu’une imputation au dossier financier de l’employeur du travailleur victime de cet accident a pour effet de lui faire supporter injustement le coût de ces prestations.
[90] En conséquence, pour pouvoir bénéficier d’un transfert d’imputation conformément au deuxième alinéa de l’article 326 de la loi, un employeur doit démontrer :
-que le travailleur est victime d’un accident du travail ; et
-que cet accident du travail est attribuable à un tiers ; et
-qu’il est injuste d’imputer les coûts découlant de cet accident du travail à son dossier financier.
[91] L’ordre dans lequel cette démonstration est faite importe peu ; ce qui importe c’est que chacun de ces éléments soit mis en preuve.
La travailleuse est victime d’un accident du travail
[92] L’article 326 de la loi est clair à ce sujet. La seule lésion professionnelle dont les coûts peuvent faire l’objet d’un transfert d’imputation selon cette disposition est l’accident du travail.
[93] Dans ce dossier, l’accident du travail est prouvé et accepté comme tel par la CSST. La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que cet élément est démontré par le C.J.M.
L’accident du travail est attribuable à un tiers
[94] La Commission des lésions professionnelles estime que, pour bien cerner la notion de tiers, il faut examiner le sens commun de ce terme et le contexte législatif dans lequel il est employé.
[95] Ainsi, l’article 326 de la loi met en scène deux intervenants : l’employeur et la travailleuse accidentée de cet employeur. Par ailleurs, le « Petit Larousse » précise qu’un tiers est une « troisième personne » ou une « personne étrangère à un groupe » ou encore une « personne étrangère à une affaire, à un acte juridique, à un jugement… ».
[96] Il ressort du libellé de l’article 326 de la loi et du sens ordinaire de ce terme qu’un « tiers » est toute personne, physique ou morale, qui n’est pas la travailleuse accidentée ou l’employeur de cette travailleuse accidentée ou qui est étrangère aux rapports juridiques (en l’occurrence le contrat de louage de services) existant entre ces derniers.
[97] Dans ce dossier, le C.J.M. identifie à titre de tiers la S.I.Q., propriétaire et gestionnaire de l’immeuble sis au numéro 410 de la rue Bellechasse.
[98] La S.I.Q. est effectivement un tiers en regard du C.J.M. et de la travailleuse accidentée au sens de l’article 326 de la loi.
[99] Maintenant, l’accident du travail de la travailleuse est-il attribuable à ce tiers ?
[100] Pour répondre à cette question, il importe de bien identifier le sens du mot « attribuable ».
[101] Le « Petit Larousse » suggère les définitions suivantes des termes « attribuable » et « attribuer ». Ainsi, est « attribuable » ce « qui peut être attribué ». Or, « attribuer » signifie « considérer comme auteur, comme cause ».
[102] L’accident est donc « attribuable à un tiers » lorsque la preuve révèle que le tiers est l’auteur ou la cause de cet accident.
[103] Par ailleurs, le simple fait qu’un tiers participe d’une quelconque façon à l’arrivée d’un accident est insuffisant pour conclure que cet accident lui est attribuable. En effet, la jurisprudence précise que le tiers doit être majoritairement « responsable » ou doit avoir majoritairement contribué aux événements qui ont entraîné l’accident [6] pour permettre à l’employeur d’obtenir le transfert d’imputation réclamé.
[104] Enfin, dans l’affaire Entreprises Vibec inc et Rochette [7], la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles établit une distinction entre le rôle dévolu à cet organisme et celui d’une cour civile. Elle s’exprime en ces termes :
L’article 326, al. 2, ne permet pas à la Commission d’appel d’imputer à un tiers une responsabilité avec des conséquences d’ordre pécuniaire mais bien, le cas échéant, de reconnaître la possibilité de la participation de ce tiers dans une proportion plus ou moins grande à un événement particulier avec, comme seul but, le dégagement de l’onus financier de l’imputation des coûts au seul dossier de l’employeur.
[105] Le rôle de la Commission des lésions professionnelles n’est donc pas d’établir la responsabilité civile de chacun des intervenants selon la jurisprudence élaborée par les tribunaux civils (ce qui irait à l’encontre de l’article 25 de la loi qui stipule que les droits conférés par la présente loi le sont sans égard à la responsabilité de quiconque) mais bien de déterminer si le tiers a une participation majoritaire dans la survenue de l’accident du travail dont l’employeur veut se voir décharger des coûts.
[106] Ces principes étant établis, qu’en est-il du présent dossier ?
[107] La preuve révèle que, le 5 février 1996, madame Jean se blesse en glissant sur une plaque de glace sur une pente dans le stationnement de l’édifice situé au 410 de la rue Bellechasse. Il semble donc y avoir de la glace à l’endroit précis de la chute de la travailleuse.
[108] Les données météorologiques retrouvées au dossier permettent à la Commission des lésions professionnelles de conclure que cette glace ne provient pas de phénomènes météorologiques récents vu l’absence de précipitations, de verglas ou de gel et dégel dans les jours qui ont précédé l’événement.
[109] De plus, la preuve au dossier ne met en lumière aucune participation de la travailleuse dans cette chute que ce soit par une conduite imprudente ou que ce soit par le port de souliers ou de bottes non appropriés aux conditions climatiques.
[110] Il ressort de ces faits que l’accident survient à cause de la présence de glace dans le stationnement du 410 de la rue Bellechasse et que la présence de cette glace ne s’explique que par un mauvais ou d’un défaut d’entretien.
[111] Or, le stationnement où survient la chute appartient à la S.I.Q. et le C.J.M. n’assume aucune responsabilité en ce qui concerne son entretien.
[112] Le défaut ou le mauvais entretien du stationnement relève donc de la S.I.Q. qui, en tolérant la présence de glace, de surcroît dans une pente, contribue majoritairement à la survenue de l’accident subi par madame Jean.
[113] À l’audience, la S.I.Q. tente de se décharger de sa responsabilité d’entretenir les lieux au 410 de la rue Bellechasse en invoquant un contrat de déneigement conclu avec Excavation Castonguay. Or, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que ce contrat n’exempte pas la S.I.Q. de son obligation d’assurer la sécurité des lieux.
[114] En effet, ce contrat indique que l’entrepreneur doit déneiger et déglacer les lieux. Il doit intervenir dès que l’accumulation de neige dépasse cinq centimètres. Il doit épandre du sel ou du sable lorsqu’il y a du verglas ou de la glace. Cependant, le contrat ne prévoit pas que cet entrepreneur doit examiner les lieux à tous les jours pour s’assurer qu’il n’y a pas de glace qui s’est formée. De plus, son obligation d’étendre du sable ou du sel sur les pentes dans l’aire de stationnement semble couvrir davantage la sécurité des véhicules que celle des piétons.
[115] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles remarque que l’entrepreneur doit laisser des boîtes de sel et de sable dans le stationnement pour répondre aux besoins des usagers. Elle remarque également que, selon le témoignage de monsieur Desrochers, un ouvrier assigné à l’entretien se trouve en permanence au 410 de la rue Bellechasse et son rôle est de s’assurer que les lieux sont sécuritaires ; il peut même épandre du sel sur les surfaces glacées au besoin.
[116] La Commission des lésions professionnelles ne peut conclure de ces données que l’entretien des lieux au 410 de la rue Bellechasse relève exclusivement de l’entrepreneur et que la S.I.Q. n’a rien à voir avec la présence de la glace à l’origine de l’accident du travail de madame Jean.
[117] La Commission des lésions professionnelles ne peut également retenir l’allégation générale de bon entretien ou d’agissements en bon père de famille faite par la S.I.Q. pour nier sa contribution à cet événement puisque la preuve non contredite de la présence de glace dans une pente au 410 de la rue Bellechasse n’appuie pas cette allégation.
[118] La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que l’accident du travail dont madame Jean est victime le 5 février 1996 est attribuable à un tiers.
L’injustice de l’imputation au C.J.M.
[119] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’injustice de l’imputation doit faire l’objet d’une preuve particulière et différente ; elle ne découle pas nécessairement de l’implication d’un tiers dans l’événement.
[120] En effet, à l’article 326 de la loi, le législateur parle de « faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers ».
[121] Si le législateur avait voulu que la simple démonstration de l’implication d’un tiers dans l’événement soit suffisante pour opérer un transfert des coûts, il aurait omis le mot « injustement » de cet article.
[122] Or, le législateur utilise le mot « injustement » et ce, deux fois plutôt qu’une. Il faut donc donner un sens à ce terme retrouvé à l’article 326 de la loi et en conclure que l’injustice de l’imputation au dossier financier du C.J.M. fait partie des conditions d’application de cet article et doit être démontrée par ce dernier.
[123] Dès 1987 et 1988, dans les affaires Société de transport de la Communauté urbaine de Montréal et Rémillard [8] et Société de transport de la Communauté urbaine de Montréal et Hamelin [9], la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles développe un test pour évaluer l’injustice découlant de l’imputation des coûts d’un accident du travail attribuable à un tiers.
[124] Elle vérifie si l’accident résulte d’un risque particulier se rattachant à l’activité économique de l’employeur.
[125] Dans l’affirmative, il est juste d’imputer les coûts de cet accident à l’employeur. Toutefois, une réponse négative permet de conclure à l’injustice de l’imputation au dossier financier de ce dernier.
[126] Depuis 1998, l’expression utilisée à la loi et à la réglementation pertinente n’est plus l’activité économique exercée dans les établissements de l’employeur mais bien la nature de l’ensemble des activités exercées par ce dernier. La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que la jurisprudence antérieure doit être modulée pour s’adapter à cette nouvelle expression.
[127] La Commission des lésions professionnelles doit dorénavant vérifier si l’accident résulte d’un risque particulier se rattachant à la nature de l’ensemble des activités exercées par l’employeur.
[128] Le C.J.M. est un centre jeunesse. Il emploie des agentes en relations humaines qui doivent se déplacer pour témoigner devant le Tribunal de la Jeunesse.
[129] Il est vrai que certains risques se rattachent au fait de se déplacer dans le cadre de son travail. Toutefois, une chute sur la glace ne peut être considérée comme un risque inhérent aux activités du C.J.M.
[130] En effet, le C.J.M. est en droit de s’attendre à ce que les lieux fréquentés par ses travailleurs soient exempts d’éléments susceptibles de les blesser. Dans ce contexte, les chutes ou autres événements traumatiques ne peuvent faire partie des risques particuliers assumés par ce dernier.
[131] Il est vrai que, dans l’affaire Ville de Laval déposée par la S.I.Q., la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles détermine qu’il n’est pas injuste que l’employeur Ville de Laval assume les coûts reliés à un accident du travail survenu à un policier s’infligeant une entorse à la cheville en descendant de son véhicule après avoir mis le pied sur un couvercle d’égout brisé. La commissaire considère qu’un tel événement fait partie des risques particuliers se rattachant à l’utilisation d’un véhicule et aux activités économiques de cet employeur. Cependant, la commissaire doute également de l’intervention d’un tiers dans cet accident puisqu’elle n’est pas convaincue que la défectuosité du couvercle d’égout soit à l’origine de l’accident du policier.
[132] Or, la Commission des lésions professionnelles estime que les faits de cette affaire diffèrent trop des faits de la présente instance pour en importer les conclusions.
[133] En effet, dans notre dossier, la Commission des lésions professionnelles considère que l’accident du travail de madame Jean survient à cause de la glace présente sur une pente dans l’aire de stationnement du 410 de la rue Bellechasse et que cette glace s’y trouve suite à un mauvais ou à un défaut d’entretien des lieux ; elle n’entretient aucun doute à ce sujet. De plus, bien que madame Jean ait à se déplacer dans le cadre de son travail d’agente de relations humaines, la Commission des lésions professionnelles ne peut conclure, tel que mentionné précédemment, que la chute dont elle est victime fait partie des risques reliés à l’activité exercée par l’employeur.
[134] La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis qu’il est injuste que le C.J.M. supporte les coûts reliés à l’accident du travail du 5 février 1996.
L’imputation des coûts selon le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi
[135] Le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi édicte que, lorsque l’ensemble des conditions décrites à cette disposition législative est respecté par l’employeur requérant, la CSST peut imputer les coûts de l’accident du travail causé par le tiers aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités.
[136] La Commission des lésions professionnelles rappelle que ce libellé ne permet pas à la CSST d’imputer directement les coûts générés par un accident du travail au tiers identifié. En effet, cet article édicte que la CSST peut imputer les coûts aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités et non à l’employeur-tiers personnellement. La Commission des lésions professionnelles estime que si le législateur avait voulu que les coûts soient directement transférés au tiers impliqué, il se serait exprimé différemment et plus clairement à ce sujet.
[137] D’ailleurs, dans l’affaire Entreprises Vibec inc. précitée, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles précise que le but du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi n’est pas « d’imputer à un tiers une responsabilité avec des conséquences d’ordre pécuniaire mais bien, le cas échéant, de reconnaître la possibilité de la participation de ce tiers (.) à un événement particulier avec, comme seul but, le dégagement de l’onus financier de l’imputation des coûts au seul dossier de l’employeur ». La Commission des lésions professionnelles partage ces conclusions.
[138] En conséquence, elle est d’avis que les coûts générés par l’accident du travail du 5 février 1996 subi par madame Jean ne peuvent être imputés directement au dossier financier de la S.I.Q.
[139] La Commission des lésions professionnelles doit donc déterminer si ce sont les employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités qui doivent supporter les coûts de cette lésion professionnelle.
[140] En l’espèce, la S.I.Q. est le tiers impliqué dans l’événement du 5 février 1996. Il serait donc équitable d’imputer les coûts générés par cette lésion professionnelle à l’unité de classification dont elle fait partie.
[141] Cependant, dans ce dossier, il serait inéquitable d’agir ainsi. En effet, la S.I.Q. est avisée de l’événement du 5 février 1996 plus de quatre ans après ce dernier. Elle est donc moins en mesure de contrer efficacement la preuve présentée par le C.J.M. Or, ce défaut de la CSST d’aviser immédiatement l’employeur identifié à titre de tiers ne doit pas porter préjudice aux employeurs partageant l’unité de classification octroyée à la S.I.Q.
[142] Vu les circonstances très particulières de ce cas, la Commission des lésions professionnelles estime qu’il serait plus juste que l’ensemble des employeurs assume les coûts reliés à l’accident du travail dont est victime madame Jean le 5 février 1996.
[143] La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que les faits de la présente affaire permettent l’application du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi.
[144] En conséquence, la Commission des lésions professionnelles détermine que le C.J.M. ne doit pas supporter les coûts reliés à la lésion professionnelle que s’inflige madame Jean le 5 février 1996 et elle maintient à ce sujet la décision rendue par la révision administrative.
[145] Cependant, procédant à rendre la décision complète qui aurait dû être rendue par la révision administrative, la Commission des lésions professionnelles détermine que les coûts générés par la lésion professionnelle du 5 février 1996 subie par madame Jean doivent être imputés aux employeurs de toutes les unités.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Question préliminaire
REJETTE la question préliminaire soulevée par le représentant du C.J.M. ;
DÉCLARE que la S.I.Q. possède l’intérêt nécessaire pour contester la décision rendue par la révision administrative le 13 janvier 2000.
Fond du litige
REJETTE, en partie, la contestation logée par la S.I.Q. le 21 mars 2000 ;
CONFIRME, en partie, la décision rendue par la révision administrative le 13 janvier 2000 ;
DÉCLARE que le C.J.M. ne doit pas supporter les coûts générés par la lésion professionnelle subie le 5 février 1996 par madame Gaétane Jean ;
DÉCLARE que les coûts générés par cette lésion professionnelle doivent être imputés aux employeurs de toutes les unités.
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Me Carmen
Racine |
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Commissaire |
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DION, DURRELL
ET ASSOCIÉS INC. Me Michel J.
Duranleau 630, boulevard
René-Lévesque ouest, # 2940 Montréal
(Québec) H3B 1S6 |
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Représentant de la partie intéressée |
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[1]
L.R.Q.,
c. A-3.001.
[2]
Ville de Laval et Société Immobilière du
Québec et la CSST-Laval, C.A.L.P. 76693-61-9602, le 10 avril 1997, la
commissaire Louise Turcotte.
[3]
Hydro-Québec et CSST-Mauricie-Bois-Francs, C.L.P. 78282-60-9603, le 21 juillet 1998, le
commissaire Michel Denis; Urgences Santé
et Kircoff, C.L.P. 124859-72-9910, le 31 mars 2000, la commissaire Marie
Lamarre.
[4]
Garant
Patrick, Droit administratif, 1991, 3e
édition, volume 2, Le Contentieux, Les Éditions Yvon Blais inc., pp. 195 à 197.
[5]
Voir
à titre d’illustrations à ce principe les affaires Soares et Sefina Industries ltée, CALP 39523-64-9204, le 21
décembre 1994, la commissaire Mireille Zigby et Bruneau et Musique Richard Gendreau inc., CALP 71445-03-9507, le 11
octobre 1996, le commissaire Bertrand Roy.
[6]
Voir
à titre d’exemples : Équipement
Germain inc. et Excavations Bourgoin et Dickner inc., C.A.L.P.
30997-03-9203, le 4 août 1994, le commissaire Jean-Guy Roy ; CSST et Hilton International, C.A.L.P. 92945-03-9712, le 4 mars 1998, le
commissaire Jean-Marc Dubois ; Banque
Nationale du Canada et Centre commercial Place Saint-Jean, C.A.L.P.
82829-62-9607, le 18 novembre 1997, la commissaire Santina Di Pasquale.
[7]
[1995] C.A.L.P.
756
.
[8]
[1987] C.A.L.P.
727
.
[9]
[1988] C.A.L.P.
916
.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.