Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

RÉGION :

Québec

QUÉBEC, le 13 janvier 2003

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER :

177852-32-0202

DEVANT LA COMMISSAIRE :

Me Carole Lessard

 

 

 

 

 

 

 

ASSISTÉE DES MEMBRES :

Jean-Guy Guay

 

 

 

Associations d’employeurs

 

 

 

 

 

 

 

Pierrette Giroux

 

 

 

Associations syndicales

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ASSISTÉE DE L'ASSESSEUR :

Dr Jean-Marc Beaudry

 

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER CSST :

121105043-1

AUDIENCE TENUE LE :

19 décembre 2002

 

 

 

 

EN DÉLIBÉRÉ LE :

10 janvier 2003

 

 

 

 

 

 

À :

Québec

 

 

 

 

 

 

_______________________________________________________

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DENIS AUDET

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE REQUÉRANTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Et

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

HYDRO-QUÉBEC (SANTÉ SÉCURITÉ TRAVAIL)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE INTÉRESSÉE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

DÉCISION

 

 

[1]               Le 6 février 2002, monsieur Denis Audet (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 29 janvier 2002, à la suite d’une révision administrative.

[2]               Par cette décision, la CSST confirme la décision initialement rendue le 25 septembre 2001 à l’effet que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle, le 4 novembre 1999.

[3]               Ainsi, faute de reconnaissance de la lésion, la chirurgie subie le 5 septembre 2001 ne peut être acceptée à titre de récidive, rechute, aggravation, et ce, bien que la réclamation logée le 7 septembre 2001 puisse être considérée recevable.

[4]               À l’audience, les parties sont présentes et représentées; les témoignages du travailleur et du Dr Jean-Benoît Villeneuve sont entendus.

[5]               Les pièces suivantes font l’objet de dépôt :

            E1 en liasse       :      extraits des notes prises par le Dr Louis Grenier, du Service de santé de Hydro-Québec, le 28 août 1995;

            T1en liasse        :      notes de consultation complétées depuis le 25 novembre 1999 et protocole opératoire du 5 septembre 2001;

            T2 en liasse       :      photos exhibant la manœuvre de pousser sur les arbres abattus en forêt.

 

[6]               Dans le délai autorisé par la Commission des lésions professionnelles, soit au plus tard le 6 janvier 2003, aucun autre dépôt n’est effectué.  La preuve documentaire, telle que complétée à l’audience, est donc celle qui doit être appréciée aux fins du présent litige.

L'OBJET DE LA CONTESTATION

[7]               Le représentant du travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision rendue le 29 janvier 2002 et déclarer que le travailleur a subi une lésion professionnelle, le ou vers le 4 novembre 1999.

[8]               Quant à la chirurgie pratiquée le 5 septembre 2001, soit une décompression pour un syndrome du canal carpien gauche, il entend démontrer qu’elle s’inscrit dans les suites de cette même lésion.  Aussi, soumet-il que l’intérêt à réclamer est né avec l’arrêt de travail requis pour subir celle-ci.

[9]               Le représentant de l’employeur soumet, pour sa part, que la réclamation logée le 7 septembre 2001, est irrecevable, puisque produite en dehors des délais prévus à la loi.  À l’appui, il réfère à l’article 272 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) qui requiert que la réclamation soit produite dans les six mois de la connaissance, par le travailleur, qu’il est atteint d’une maladie professionnelle.

[10]           De plus, il entend démontrer, par le biais du témoignage du Dr Villeneuve, que le syndrome du canal carpien bilatéral dont le travailleur est atteint constitue une condition personnelle préexistante et donc sans aucun lien avec les activités exercées au travail.

LES FAITS

[11]           De l’ensemble de la preuve documentaire et testimoniale, la Commission des lésions professionnelles retient pertinemment les éléments suivants.

[12]           Le 7 septembre 2001, le travailleur complète une réclamation en faisant référence à un événement survenu le 4 novembre 1999; il déclare alors ce qui suit :

« Lors de l’ouverture d’une ligne dans le bois, je poussais des arbres pour aider l’ouvrier forestier à les faire tomber. »

 

 

 

[13]           Le travailleur explique qu’il travaille pour l’employeur, depuis juin 1985, initialement à titre d’homme d’instruments et ensuite, comme chef d’équipe en arpentage.  Dans le cadre de cette dernière fonction, il doit procéder à « effectuer la levée du terrain »; pour ce faire, il dirige une équipe constituée d’un homme d’instrument et de 2 ou 3 bûcherons; cette équipe est chargée d’ouvrir les chemins dans le bois.  L’une des photos déposées illustre l’un de ces chemins (cf. pièces T2 en liasse).

[14]           Pour fins de préciser les dates des activités en cause, le travailleur réfère aux notes prises à l’époque.  Distinctement de la date apparaissant à la réclamation, il affirme que l’ouverture du chemin, au cours de laquelle il a participé à pousser des arbres, s’est effectuée non pas le 4 novembre 1999 mais les 7, 8, 9, 24 et 25 novembre 1999.  Ses vérifications lui ont permis de certifier ces dates puisqu’il s’est rappelé que le chemin en question était situé sur la propriété d’un vieil homme, monsieur Warren.  Il relate que ce dernier voulait que sa propriété soit le moins abîmée possible et qu’il participait à faire tomber les arbres.  Or, la technique à laquelle il s’adonnait était surprenante puisqu’il s’agenouillait au sol pour parvenir à pousser sur l’arbre; la raison justifiant cette posture était que le vieil homme souffrait de maux de dos et qu’il y avait moins de risques de se blesser ainsi.

[15]           Le travailleur affirme qu’il a alors décidé d’aider les bûcherons de manière à éviter que le propriétaire du terrain où il effectuait les travaux se blesse.

[16]           La manœuvre ou enfin la technique alors requise pour que l’arbre tombe au sol, dans la bonne direction, exige d’apposer la main sur la surface la plus élevée possible de l’arbre.  L’une des photos déposées illustre la posture généralement adoptée aux fins de pousser adéquatement sur l’arbre (cf. pièces T2en liasse).

[17]           Le travailleur indique avoir fait tomber ainsi environ 150 arbres, par jour; aussi, utilisait - il, alternativement, la main gauche et la main droite, le tout dépendamment de la  manière dont était placé le bûcheron devant l’arbre.  Référence est à nouveau faite à la photo illustrant la technique utilisée pour pousser sur l’arbre (cf. pièces T2 en liasse).

[18]           Lorsque les douleurs se sont manifestées au niveau de l’avant-bras gauche, le travailleur affirme qu’il les a déclarées à son patron.  Celui-ci lui a alors demandé de compléter un rapport.  La preuve documentaire comporte ce dernier; les événements en question ont été décrits par le travailleur, dès le 25 novembre 1999.  Référence y est faite à des travaux effectués en novembre 1999, sur la terre de monsieur Alexandre Warren, soit plus particulièrement à l’activité de pousser environ 150 arbres.

[19]           Les notes de consultation complétées par le Dr Lavoie, en date du 25 novembre 1999, attestent que le travailleur a consulté pour des douleurs ressenties au poignet gauche, depuis deux semaines, soit « après avoir poussé des arbres (@ 150) ».  Le diagnostic alors mentionné est celui de tendinite des extenseurs du poignet gauche.  Sa recommandation est d’appliquer de la glace et de consommer la médication prescrite.  Aucun arrêt de travail n’est alors prescrit (cf. pièces T1 en liasse).  L’attestation médicale complétée à cette même date est au même effet.

[20]           En date du 3 décembre 1999, le Dr Fournier note la persistance d’engourdissements des bras et des mains « depuis qu’il a forcé sur des arbres (environ 150) ».  La symptomatologie se manifeste davantage du côté gauche, s’agissant de douleurs qui se font ressentir souvent la nuit et, parfois, lors d’efforts.  Le diagnostic alors retenu est celui de syndrome du canal carpien bilatéral, plus important à gauche qu’à droite.

[21]           Des anti-inflammatoires sont prescrits et, si le problème demeure non résolu, il est recommandé de consulter.  Aussi, comme aucun effort n’a à être accompli au travail, aucun arrêt de travail n’est prévu (cf. notes de consultation déposées, pièces T1 en liasse).

[22]           Le travailleur explique que l’achat de la médication prescrite engendrait peu de coûts et qu’il ne voyait donc aucune raison pour réclamer à la CSST.  Il relate que les vacances des Fêtes approchaient et qu’il allait ainsi bénéficier d’un repos complet.  De plus, l’activité de pousser des arbres n’est pas une tâche à laquelle il doit particulièrement s’adonner dans le cadre de ses fonctions.

[23]           Le travailleur indique qu’il fût ensuite affecté au Nord de Sept-Iles, et ce, en vue de l’emplacement d’un futur pylône.  La conduite de la motoneige, dans des sentiers enneigés, s’avère alors difficile; de plus, pour planter les piquets, il faut casser la glace qui recouvre les emplacements indiqués.  Une canne sert à « picosser » un carré en brisant la neige et la glace qui recouvrent la surface.

[24]           Au cours des mois de février et mars 2000, les douleurs réapparaissent et deviennent intolérables.  À son retour chez lui, le travailleur consulte le Dr Parent; les notes complétées par ce dernier, le 3 mars 2000, indiquent des plaintes d’engourdissements aux mains et aux avant‑bras.  Le côté gauche demeure celui le plus atteint.  Le diagnostic de syndrome du canal carpien est à nouveau mentionné et le travailleur est référé en rhumatologie, pour investigation (cf. notes déposées, pièces T1 en liasse).

[25]           Le 6 mars 2000, le Dr Robitaille confirme au Dr Parent ce qui suit :

« Le patient a aidé un de ses bûcherons en poussant une centaine d’arbres et c’est alors qu’il a éprouvé les symptômes pour lequel il consulte aujourd’hui.  Il s’agissait surtout de douleur nocturne éprouvée au niveau des 2 avant-bras avec engourdissement qu’il dit au niveau des doigts, des 2 mains, de façon non sélective.  Atténuation des symptômes durant quelques semaines de vacance à Noël.  Aggravation par la suite après avoir cassé un peu de glace.  La douleur ne le réveille plus la nuit.  Il a eu un peu d’aide par une massothérapeute.  De jeunes médecins de Gaspé auraient parlé de tendinite, ce qui est évidemment très peu probable.  Pas d’engourdissement au niveau des pieds.

 

(...)

 

L’histoire est fortement suspecte d’un tunnel carpien bilatéral mais les symptômes se sont atténués avec le temps.  Je lui ai demandé 2 observations à savoir lorsqu’il a les symptômes de paresthésie diffuse, il doit noter si le petit doigt est engourdi ou pas car s’il ne l’est pas ceci bien confirmer l’hypothèse que vous soulevez.

 

            Deuxièmement, je lui ai demandé de garder le coude gauche en hyperflexion car il y aurait pu y avoir une neuropathie cubitale d’accompagnement mais ce geste a entraîné un engourdissement de l’index et du majeur donc impossible que ce soit tributaire du cubital.

 

            L’idéal pour lui est vraiment d’obtenir un électromyogramme et j’ai demandé au docteur Mathon de vous en faire parvenir une copie.  L’importance du blocage déterminera la conduite ultérieure soit chirurgie ou infiltration mais en autant que le diagnostic est d’abord confirmé. » (sic)

 

 

 

[26]           Le Dr Mathon confirme ensuite que l’étude électromyographique s’avère compatible avec un syndrome du canal carpien bilatéral.  La lettre qu’il adresse au Dr Robitaille, le 8 mai 2000, comporte plus particulièrement les indications suivantes :

«  Je te remercie de m’avoir référé ce jeune homme pour évaluation d’acroparesthésies au niveau des deux mains qui ont commencé vers l’automne ’99 alors qu’il a travaillé manuellement pour couper des arbres.

            Il devait pousser sur les arbres pour les faire tomber et ce, en raison de 150 arbres durant une période de trois jours.  Durant cette période, il a développé des paresthésies au niveau des deux mains avec exacerbation nocturne et irradiation proximale sans évidence d’un processus radiculaire cervical.

            Ses antécédents médicaux sont non contributifs, la revue des systèmes est négative.  Actuellement, la symptomatologie a diminué considérablement.

            L’examen clinique neuro-musculaire et articulaire est dans les limites de la normale.

            L’étude électromyographique confirme la présence d’un canal carpien bilatéral sévère, pire à gauche qu’à droite, sans bloc de conduction, sans atteinte axonale.  Ces anomalies suggèrent une décompression chirurgicale.  Comme le patient est peu symptomatique actuellement j’aurais tendance à tenter quand même un traitement médical conservateur s’il y a récidive. »

 

 

 

[27]           Le travailleur affirme que le Dr Parent l’avait avisé qu’il devrait être opéré au cours des cinq ans à venir.  Une consultation en chirurgie a donc été demandée.

[28]           Le 25 mai 2001, le Dr Lavertu complète un rapport médical en attestant qu’il y aurait lieu d’opérer; le 5 septembre 2001, il effectue une décompression du canal carpien gauche (cf. protocole opératoire apparaissant aux pièces déposées, T1 en liasse).

[29]           Lorsqu’interrogé sur la manifestation d’engourdissements ou de douleurs antérieurement à novembre 1999, le travailleur est catégorique; la seule fois qu’il a ressenti quelques malaises remonte à l’époque où il a participé à soulever et étendre des rouleaux de pelouse.  Aussi, nie-t-il avoir ressenti un quelconque malaise semblable en d’autres circonstances.  Il prétend que le Dr Grenier a dû se méprendre lorsqu’il a noté, lors de leur rencontre du 28 août 1995, qu’il avait déjà présenté des acroparesthésies suite à l’usage de scie à chaîne; la référence faite à des travaux effectués sur une terre à bois, à l’âge de 18 ans, serait inexacte (cf. notes déposées, pièces E1 en liasse).

[30]           Le travailleur convient tout de même avoir assisté son père, sur la terre à bois, et ce, pour la préparation de bois de chauffage.  Il situe cette activité bien avant ses 18 ans, et ce, à raison d’une ou deux journées, à l’automne.  Aussi, affirme-t-il n’avoir jamais ressenti de malaises à cette occasion-là ni subséquemment.

[31]           Enfin, comme il a quitté le domicile de ses parents dès qu’il eût 18 ans, et ce, pour aller étudier à Rimouski, il nie avoir effectué cette activité depuis son départ et, par la même occasion, que sa condition aurait dès lors évolué.

[32]           En somme, la seule indication du médecin du service de santé qui s’avère exacte, quant aux antécédents, est celle voulant qu’il ait ressenti des malaises « alors qu’il posait des rouleaux de pelouse » (cf. pièces E1 en liasse, annotations figurant à la 2ème page, en date du 28 août 1995).

[33]           Lorsque le Dr Villeneuve a été invité à formuler son avis auprès de l’employeur, et ce, avant l’audience devant la Commission des lésions professionnelles, celui-ci fit alors les commentaires tels que rapportés à l’argumentation préparée par madame Marie-France Boisclair; on peut y lire ce qui suit :

« Pour ce qui est de la relation Événement / Diagnostic, nous constatons à la lecture du rapport d’enquête et d’analyse, que le travailleur nous décrit une journée de travail où il poussa des arbres pour accommoder un de ses équipiers plutôt qu’un événement imprévu et soudain.  D’autre part, bien que la tâche effectuée ait pu solliciter la structure anatomique en cause, le Dr Jean-Benoît Villeneuve nous indique qu’un si bref épisode de travail ne saurait être générateur d’une lésion attribuable au travail répétitif telle que le syndrome du tunnel carpien.  Mises en perspective, les circonstances décrites lui semblent avoir été l’agent révélateur d’une condition personnelle latente plutôt qu’un facteur causal.

 

Quant à la relation Travail / Syndrome du tunnel carpien, le Dr Villeneuve nous réfère aux études réalisées jusqu’à maintenant, lesquelles démontrent que les facteurs de risque associés à cette pathologie concernent principalement la répétition des mouvements du poignet et de l’avant-bras, l’angle de position du poignet ainsi que l’utilisation de la force dans ces mouvements.  L’exposition à des vibrations segmentaires et au froid sont quant à eux des cofacteurs de risque, c’est-à-dire qu’ils doivent être pris en compte lorsqu’ils sont combinés à des mouvements répétitifs.  Précisons aussi que le concept de “répétition de mouvements” doit nécessairement être associé à la notion de “période de temps prolongée” pour être contributif d’une maladie professionnelle.

 

À cet égard, le Dr Villeneuve remarque que les circonstances du 4 novembre ne concernent qu’une journée de travail, laquelle est peu représentative des tâches habituellement réalisées par le travailleur et, en ce sens, ne reflètent qu’une infime partie des tâches qu’il est appelé à accomplir. Or, lorsqu’il s’agit de déterminer les risques associés à un emploi, il importe d’observer les tâches dans leur globalité.  Comme vous pourrez le constater à la lecture de la description de fonction ci-jointe, le travail de Préposé à l’arpentage et aux relevés techniques est très varié et de ce fait, le Dr Villeneuve considère qu’il ne comporte pas de répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées de nature à engendrer une telle pathologie. »

 

 

 

[34]           Le Dr Villeneuve est attaché au Service de santé de l’employeur; il indique détenir une expertise en santé du travail, ayant consacré sa pratique des dernières années à ce domaine.  Son témoignage, tel que livré à l’audience, comporte les explications suivantes :

[35]           Selon les études récentes, il n’y a qu’un faible pourcentage du syndrome du canal carpien qui puisse être relié à des activités exercées au travail; on y évalue à 50 % les cas qui sont idiopathiques; aussi, d’autres études nient totalement le fait que le syndrome du canal carpien puisse être d’origine occupationnelle, celles-ci établissant que ce syndrome est une maladie (idiopathique) d’étiologie indéterminée.

[36]           Parmi les études qui reconnaissent que ce syndrome puisse être d’origine occupationnelle, seuls les mouvements suivants sont contributoires : des mouvements répétitifs de flexion ou d’extension complète du poignet, de déviation radiale ou cubitale répétée ou continue du poignet ainsi que de préhension forcée et prolongée de la main.

[37]           Le Dr Villeneuve rappelle que le syndrome résulte généralement d’une compression du nerf médian par voie de réduction de l’espace sur son trajet à travers le canal formé au niveau du poignet.  Outre les causes professionnelles ci-haut mentionnées, la réduction de l’espace peut résulter de différentes autres causes telles des causes de nature congénitale (malformation) ou attribuables à des maladies systémiques.

[38]           Tout en convenant que la technique utilisée pour pousser des arbres ait requis le positionnement du poignet en extension, il estime que celle-ci doit être qualifiée de légère et nullement de nature à occasionner une pression importante au niveau du nerf médian.

[39]           Le Dr Villeneuve est d’avis que les activités effectuées en novembre 1999 n’ont contribué qu’à réveiller temporairement la symptomatologie; il s’avère ainsi convaincu que le travailleur était porteur de la maladie, avant novembre 1999, et que celle-ci était en fait demeurée latente jusque-là.

[40]           À l’appui, il réfère aux examens effectués en mars 2000 qui ne comportaient alors aucun signe clinique d’un syndrome du canal carpien; il explique qu’il est fréquent que les études électromyographiques démontrent des anomalies de conduction du nerf médian au niveau du tunnel carpien, et ce, malgré l’absence de signes cliniques comme tels.  Dans de tels cas, il s’agit d’un syndrome du canal carpien à l’état latent.

[41]           De tels syndromes sont connus pour progresser en sourdine jusqu’au stade d’apparition de douleurs qui, avec l’évolution, deviennent intolérables.  Aussi, les activités accomplies au travail ne sont pas nécessairement la cause de la maladie.  Enfin, les notes prises par le Dr Grenier, en août 1995, attestent que le travailleur aurait connu des manifestations de la maladie bien avant son entrée en fonction chez Hydro-Québec.

[42]           Les notes complétées par le Dr Grenier, en août 1995 (cf. pièces E1 en liasse) comportent les indications suivantes :

« 28/08/95 a déjà présenté acroparesthésies suite à l’usage de la scie à chaîne (travail sur sa terre à bois depuis l’âge de 18 ans).  Donc, si apparition d’un tunnel carpien → condition personnelle.

 

(...)

 

Diagnostic associé

 

A déjà manifesté des acroparesthésies qui pourraient conduire à un tunnel carpien (condition personnelle).  Ceci évolue depuis l’âge de 18 ans alors qu’il posait des rouleaux de pelouse. »

 

 

 

[43]           Le représentant du travailleur fait référence, pour sa part, à une abondante littérature médicale[2] qui traite des différents facteurs ou différentes conditions proposés afin d’expliquer l’apparition de symptômes ou signes cliniques touchant le nerf médian au niveau du poignet.

[44]           L’étude I.R.S.S.T. rappelle que la compression du nerf médian peut être associée à :

«     -    Des pathologies qui modifient le cadre du canal ou en augmentent le volume,

       -    des pathologies systémiques ou états de santé particuliers qui augmentent la pression à l’intérieur du canal,

       -    des sollicitations musculo-squelettiques. »

 

 

[45]           Parmi les pathologies qui modifient le canal ou en réduisent le volume, elle identifie :

« Les anomalies osseuses des os du carpe, l’épaississement du ligament antérieur, la nécrose du semi-lunaire, les traumatismes ou contusions de la main ou la fracture des os du carpe sont les pathologies qui réduisent la taille du canal.

 

Les tumeurs (lipome, hémangiome, lipofibrome, liposarcome), les kystes synoviaux, les ténosynovites rhumatoïdes, infectieuses, tuberculeuses ou secondaires à l’amyloïdose ou la goutte sont les pathologies qui entraînent l’augmentation des structures internes du canal.

 

Des pathologies systémiques ou états de santé particuliers peuvent comprimer le nerf médian en augmentant la pression des liquides extravasculaires à l’intérieur du canal comme dans l’hypothyroïdie et la grossesse. »

 

 

 

[46]           Quant aux sollicitations musculo-squelettiques, cette étude les commente ainsi :

« Certains facteurs de compression du nerf médian au niveau du poignet sont associés à des mouvements répétés ou au maintien prolongé de positions contraignantes.  Il existe deux sites de compression : la compression du nerf médian dans le canal et la compression de la branche thénarienne au niveau de la main.

 

 

 

Compression du nerf médian dans le canal carpien

 

Outre les faits accidentels, la compression du nerf médian dans le canal carpien apparaît liée à des contraintes biomécaniques de tension, de pression et de friction dont la fréquence, la force et la durée peuvent causer une lésion.  Le maintien prolongé de positions fixes de la région cervico-scapulaire de même que les bras en flexion ou en abduction augmentent la charge musculo-squelettique.  Ces postures peuvent ainsi contribuer à la genèse d’une SCC en perturbant l’irrigation distale des membres supérieurs.  L’encadré 2.1 illustre les mouvements et postures les plus fréquemment associés à l’apparition d’un SCC. »

 

 

 

[47]           Parmi les figures illustrées, l’une d’elles exhibe plus particulièrement le positionnement du poignet en extension; celui-ci s’apparente au positionnement exhibé par l’une des photos déposées (cf. pièces T2 en liasse).

[48]           Le représentant du travailleur fait alors référence aux notes du Dr Louis Grenier lesquelles, en date du 28 août 1995, ne comportent aucune indication voulant que le travailleur soit porteur de l’une ou l’autre des pathologies pouvant être à l’origine d’une compression du nerf médian (cf. pièces E1 en liasse).  Aussi, seules les activités accomplies en novembre 1999 et impliquant de pousser des arbres avec le poignet en extension demeurent la seule cause pouvant expliquer le tableau qui prit forme dans les semaines suivantes et qui s’est avéré, au cours du suivi médical, un syndrome du canal carpien bilatéral.

L'AVIS DES MEMBRES

[49]           Le membre issu de l’association des employeurs et le membre issu de l’association des travailleurs sont d’avis que la Commission des lésions professionnelles devrait infirmer la décision rendue le 29 janvier 2002 et déclarer que le travailleur a subi une lésion professionnelle, en novembre 1999.

[50]           Ainsi, sont-ils d’avis que les activités exceptionnellement accomplies à compter du 7 novembre 1999, et ce, pendant plusieurs jours, ont comporté des postures contraignantes qui sont de nature à favoriser la manifestation d’un syndrome du canal carpien.

[51]           La démonstration de postures impliquant le positionnement du poignet en extension, et ce, pendant plusieurs jours, justifie l’admissibilité, en l’espèce, sous l’égide de l’article 2 de la loi.  Ainsi, doit-on reconnaître que le travailleur a subi une lésion professionnelle en raison d’un accident de travail, la succession des événements en cause correspondant à la notion d’événement imprévu et soudain.

[52]           Compte tenu de ces mêmes faits mis en preuve et considérant qu’ils ne commandent pas l’analyse de la réclamation sous le volet de la maladie professionnelle, ils sont d’avis que la réclamation logée seulement le 7 septembre 2001 doit tout de même être déclarée recevable.

[53]           Dans un tel cas, il n’y a pas lieu de référer à l’article 272 de la loi où les six mois de la date de la connaissance de la maladie professionnelle doivent être pris en compte pour la computation du délai pour fins de production de la réclamation.  Seuls les articles 270 et 271 demeurent applicables, en l’espèce, et permettent de conclure que l’intérêt à réclamer peut se computer à compter de l’arrêt de travail requis pour la chirurgie subie en septembre 2001.

[54]           En effet, avant cette date, le travailleur a poursuivi l’accomplissement de ses tâches de chef d’équipe en arpentage puisque celles-ci, normalement, n’impliquent pas de faire tomber les arbres.  Selon la recommandation même des médecins, aucun arrêt de travail n’a lieu, en novembre 1999, et seule l’application de glace avec la consommation d’anti-inflammatoires demeurent alors indiquées.

[55]           Aussi, lorsque les douleurs sont devenues incapacitantes, le travailleur obtient une consultation en chirurgie; l’intérêt est donc né avec la nécessité d’arrêter de travailler pour subir celle-ci.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

QUESTION PRÉLIMINAIRE

RECEVABILITÉ DE LA RÉCLAMATION

[56]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer, en premier lieu, si la réclamation produite le 7 septembre 2001 est recevable.

[57]           Le législateur a prévu des délais pour la production de la réclamation.  Les articles 270, 271 et 272 de la loi édictent ces délais comme suit :

270. Le travailleur qui, en raison d'une lésion professionnelle, est incapable d'exercer son emploi pendant plus de 14 jours complets ou a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique ou, s'il décède de cette lésion, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la lésion ou du décès, selon le cas.

 

L'employeur assiste le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, dans la rédaction de sa réclamation et lui fournit les informations requises à cette fin.

 

Le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, remet à l'employeur copie de ce formulaire dûment rempli et signé.

________

1985, c. 6, a. 270.

 

 

271. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle qui ne le rend pas incapable d'exercer son emploi au‑delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion ou celui à qui aucun employeur n'est tenu de verser un salaire en vertu de l'article 60, quelle que soit la durée de son incapacité, produit sa réclamation à la Commission, s'il y a lieu, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de sa lésion.

________

1985, c. 6, a. 271.

 

 

272. Le travailleur atteint d'une maladie professionnelle ou, s'il en décède, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la date où il est porté à la connaissance du travailleur ou du bénéficiaire que le travailleur est atteint d'une maladie professionnelle ou qu'il en est décédé, selon le cas.

 

Ce formulaire porte notamment sur les nom et adresse de chaque employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle.

 

La Commission transmet copie de ce formulaire à chacun des employeurs dont le nom y apparaît.

________

1985, c. 6, a. 272.

 

 

 

[58]           L’ensemble de la preuve soumise devant la Commission des lésions professionnelles a convaincu celle-ci qu’il n’y a pas lieu d’appliquer l’article 272.  Aussi, l’argument soumis par le représentant de l’employeur et voulant que la réclamation soit irrecevable au seul motif qu’elle n’a pas été produite dans les six mois de la connaissance, par le travailleur, qu’il est atteint d’une maladie professionnelle, n’a pas à être retenu.

[59]           En effet, l’ensemble de la preuve sous-tend que l’arrêt de travail requis pour la chirurgie subie en septembre 2001, origine de l’accomplissement de certaines activités, en novembre 1999, activités alors exceptionnellement effectuées pendant quelques jours.  Ainsi, le travailleur n’entend pas relier sa pathologie à l’ensemble des tâches généralement accomplies dans le cadre de ses fonctions de chef d’équipe en arpentage.

[60]           La jurisprudence[3] de la Commission des lésions professionnelles reconnaît qu’une succession d’événements ou de micro-traumatismes ou enfin de circonstances impliquant l’adoption de postures contraignantes peut être englobée dans la notion d’événement imprévu et soudain, telle que prévue à l’article 2 de la loi.

[61]           Tout comme la CSST, lors de la révision administrative, la Commission des lésions professionnelles considère bien fondée l’analyse de la réclamation sous l’angle de la lésion professionnelle subie en raison d’un accident de travail.

[62]           Aussi, seuls les articles 270 et 271 demeurent indiqués aux fins d’apprécier si la réclamation a été produite à l’intérieur des délais légaux.

[63]           Le législateur, en matière d’accident de travail, a prévu que la réclamation doit être produite dans les six mois de l’accident; toutefois, lorsqu’il n’y a aucun intérêt immédiat à réclamer comme en l’espèce, ce délai doit se computer seulement à partir du moment où l’intérêt est né.  Tel est le sens donné au « s’il y a lieu » utilisé au texte de l’article 271.  L’intérêt à déposer une réclamation correspond, en l’occurrence, à compter du début de l’incapacité de travailler.[4]

[64]           Les consultations effectuées en novembre et décembre 1999 n’ont engendré aucun arrêt de travail.  Seule l’application de glace et la consommation d’anti-inflammatoires sont alors recommandées.

[65]           Lorsque la lésion résulte d’une aggravation progressive de la condition du travailleur comme en l’espèce et qu’il s’avère difficile de cerner précisément la période d’aggravation, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) a considéré, dans l’affaire Borrega & CSST[5], qu’on ne pouvait faire grief au travailleur d’avoir attendu qu’une conclusion médicale d’un état d’aggravation soit retenue pour soumettre sa réclamation.

[66]           Quant aux coûts engendrés par l’achat de médications, le travailleur a affirmé qu’ils s’étaient avérés minimes; de plus, une amélioration était alors envisagée avec une consommation de courte durée.

[67]           De plus, et ce, tel que soutenu par la preuve, les activités que le travailleur croit à l’origine de ses problèmes n’ont pas à être accomplies dans le cours normal de ses fonctions; aussi, ne voit-il alors aucun intérêt à réclamer auprès de la CSST.

[68]           L’attestation complétée le 25 novembre 1999, par le Dr Lavoie, l’amène à compléter, à tout le moins, un rapport d’accident.

[69]           La reprise du suivi médical n’aura lieu, qu’en mars 2000, les douleurs étant alors réapparues avec recrudescence; l’investigation médicale alors effectuée confirme un syndrome du canal carpien bilatéral.

[70]           Les consultations ultérieures conduisent à la nécessité d’effectuer une décompression du canal carpien gauche; celle-ci a lieu le 5 septembre 2001.

[71]           L’arrêt de travail requis pour l’intervention chirurgicale justifie le travailleur à réclamer; en effet, son intérêt est né à ce moment précis. Le « s’il y a lieu » édicté à l’article 272 trouve alors application.

[72]           Certes, des conclusions différentes auraient été justifiées si la réclamation avait visé l’admissibilité du tunnel carpien sous l’angle de la maladie professionnelle.  L’usage, par le législateur, des termes contenus à l’article 272 et à l’effet que la réclamation soit produite dans les six mois de la date de connaissance de la maladie professionnelle ne prête à aucune équivoque possible.

[73]           Toutefois, la Commission des lésions professionnelles doit conclure, eu égard à d’autres circonstances mises en preuve et faisant appel à la notion d’accident de travail, que la réclamation produite le 7 septembre 2001 respecte les délais légaux.

DÉCISION SUR LE FOND

[74]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle, en novembre 1999.

[75]           À l’article 2 de la loi, on définit la lésion professionnelle en ces termes :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

«lésion professionnelle» : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1.

 

 

 

[76]           Dans les circonstances, il est soumis que le travailleur fût victime d’un événement imprévu et soudain, donc d’un accident du travail; aussi, prétend-on que le syndrome du canal carpien bilatéral qu’il présente serait dû aux mouvements qu’il a dû effectuer exceptionnellement les 7, 8, 9, 24 et 25 novembre 1999.

[77]           L’accident du travail est défini comme suit :

«accident du travail» : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle.

 

 

 

[78]           L’article 28 de la loi énonce, toutefois, une présomption, en ces termes :

28. Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.

________

1985, c. 6, a. 28.

 

 

[79]           Pour pouvoir en bénéficier, le travailleur doit démontrer, de manière prépondérante, les trois conditions énoncées à l’article 28, à savoir : une blessure survenue sur les lieux du travail alors qu’il était à son travail.

[80]           La lésion diagnostiquée dans le cadre du suivi médical initié en novembre 1999 est un canal carpien bilatéral.

[81]           Selon la littérature médicale, le syndrome du canal carpien peut être secondaire à des pathologies systémiques ou états de santé particuliers ou encore d’étiologie indéterminée (idiopathique).

[82]           Une telle pathologie ne correspond donc pas à la notion de blessure telle qu’énoncée à l’article 28; l’une des conditions faisant défaut, le travailleur ne peut donc bénéficier de l’application de la présomption.

[83]           Le travailleur a donc le fardeau de démonter la survenance d’un événement imprévu et soudain au sens prévu par le législateur, soit un événement générateur de la lésion diagnostiquée; la question de la relation revêt alors toute son importance et celle-ci doit être démontrée par une preuve prépondérante.

[84]           La lésion en cause, dès décembre 1999, et ce, tel qu’il appert du rapport médical complété par le Dr Fournier, le 3 décembre 1999, est un syndrome du canal carpien bilatéral.

[85]           Aussi, bien qu’il n’y ait alors aucun signe clinique permettant d’appuyer ce diagnostic, il n’en demeure pas moins que ce dernier lie la CSST, et ce, au sens des articles 212 et 224 de la loi.  En effet, il s’agit d’un diagnostic posé par le médecin qui a charge.

[86]           Si l’employeur entendait remettre en cause cette question, il lui fallait recourir à la procédure de contestation prévue à la loi et obtenir d’autres conclusions par le biais d’un avis du Bureau d’évaluation médicale.

[87]           Ainsi, faute d’être saisi d’un litige issu d’une décision de la CSST rendue conséquemment à un tel avis du Bureau d’évaluation médicale, la Commission des lésions professionnelles doit apprécier si le syndrome du canal carpien bilatéral diagnostiqué, dès 1999, résulte des activités accomplies au travail, à compter du 7 novembre 1999.  Il s’agit du seul diagnostic qui lie les parties aux fins de la présente décision.

[88]           Certes, les activités en cause ont été accomplies durant quelques jours, seulement; or, elles le furent successivement les 7, 8, 9 novembre et, à nouveau, les 24 et 25 novembre 1999.

[89]           À maintes reprises, la jurisprudence[6] de la Commission des lésions professionnelles a reconnu qu’un syndrome du canal carpien constitue une lésion professionnelle, et ce, même en raison d’une courte période d’exposition à des facteurs de risques; le contexte en cause était généralement un nouveau travail exercé par le travailleur.

[90]           De plus, la jurisprudence[7] a reconnu qu’un nouveau travail ou un travail inhabituel comportant des sollicitations musculo-squelettiques compatibles avec l’apparition d’un syndrome du canal carpien est assimilable à la notion d’événement imprévu et soudain contenue à la définition d’accident de travail.

[91]           Certes, tel que l’a expliqué le Dr Villeneuve, le travailleur pouvait être vraisemblablement prédisposé à développer un tel syndrome puisque l’étude électro-physiologique a aussi mis en évidence des signes de compression du canal carpien au niveau du poignet droit, et ce, bien que ceux-ci ne se soient pas encore manifestés de façon aussi importante, sur le plan clinique.

[92]           Cependant, en application de la règle du « crâne fragile », une telle prédisposition personnelle ne fait pas obstacle à la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie dans la mesure où la preuve démontre que le travailleur était asymptomatique au moment  de son entrée en fonction chez l’employeur, qu’il ne souffre d’aucune autre pathologie associée au syndrome du canal carpien et que son travail comporte des facteurs de risque reconnus être liés à l’apparition de la maladie.

[93]           D’ailleurs, la littérature médicale déposée établit que le syndrome du canal carpien constitue une pathologie qui est fréquemment d’étiologie indéterminée (idiopathique).  Le syndrome résulte généralement d’une compression du nerf médian par voie de réduction de l’espace sur son trajet à travers le canal formé par le ligament annulaire du poignet.   Or, cette réduction de l’espace peut résulter de différentes causes telles les causes de nature traumatique (fracture), les causes de nature congénitale (malformation) ainsi que de maladies systémiques telles que l’arthrite rhumatoïde, le diabète, l’hypothyroïdie.

[94]           Quant à sa causalité professionnelle, tant la littérature médicale que la jurisprudence identifient les mouvements répétitifs de flexion ou d’extension complète du poignet, de déviation radiale ou cubitale répétée ou continue du poignet, des mouvements de préhension répétés d’objet avec pinces digitales, des mouvements de préhension pleine main, des gestes de cisaillement et des mouvements de préhension forcés et prolongés de la main.[8]

[95]           Les notes du Dr Grenier déposées par le représentant de l’employeur, et ce, telles que commentées par le travailleur, n’établissent nullement que le travailleur présentait déjà un syndrome du canal carpien bilatéral, avant son entrée en fonction chez l’employeur.  Ces notes attestent, tout au plus, qu’une prédisposition s’était quelque peu manifestée conséquemment à la pose de rouleaux de pelouse (cf. pièces E1 en liasse).

[96]           Tel que pertinemment expliqué par le travailleur, et ce, de manière très crédible, il n’a nullement travaillé sur la terre à bois de son père, à compter de ses 18 ans, puisqu’à cette époque‑là, il a quitté le domicile de ses parents pour aller étudier à Rimouski.  Aussi, la contribution à la préparation du bois de chauffage remonte à une époque bien antérieure, et ce, de façon très occasionnelle, soit à raison d’une ou deux journées, à l’automne.

[97]           Ainsi, les indications du Dr Grenier à l’effet que le travailleur avait déjà présenté des acroparesthésies alors qu’il travaillait sur la terre à bois, à l’âge de 18 ans, sont demeurées non corroborées par le travailleur.

[98]           Enfin, aucun suivi médical antérieur à celui initié en novembre 1999 ou enfin, antérieur aux notes du Dr Grenier, n’a été déposé, et ce, afin d’établir que le travailleur a déjà souffert, avant novembre 1999, de manifestations attribuables à un syndrome du canal carpien.

[99]           Aussi, même si la Commission des lésions professionnelles devait retenir que de telles manifestations eurent lieu avant novembre 1999, il n’en demeure pas moins qu’elles n’ont été qu’occasionnelles et de courte durée.  Tant le témoignage du travailleur que la preuve médicale soutiennent que le tableau de gravité n’a pris forme qu’en novembre 1999.

[100]       Le Dr Mathon, le 8 mai 2000, déclare au Dr Robitaille que les antécédents sont non contributifs et que la revue des systèmes est négative.

[101]       Quant au suivi médical initié à compter de novembre 1999, il atteste que les manifestations s’inscrivent dans un tableau de gravité qui se distingue des manifestations qui se sont isolément produites conséquemment à la pose de rouleaux de pelouse.

[102]       Dans l’affaire Serge Rémillard & Division sous-marine Richelieu & al [9], la Commission des lésions professionnelles a considéré que la preuve de quelques manifestations antérieures était insuffisante pour compromettre l’admissibilité puisqu’elles n’étaient que fugaces; la commissaire a conclu tout de même à la relation puisque le travail exercé était de nature contributoire.  Sa motivation est ainsi formulée :

« (...)

 

[53]      Comme le souligne la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Société Chabot Métal Tech inc. et Beaulieu, en citant plusieurs décisions, la jurisprudence a reconnu qu’un syndrome du canal carpien peut constituer une maladie professionnelle même en présence d’une courte période d’exposition à des facteurs de risque.

 

[54]      En plus de la présence de ces facteurs de risque et de plusieurs cofacteurs, la Commission des lésions professionnelles retient aussi la corrélation existant entre l’apparition et l’évolution de la symptomatologie et l’exposition du travailleur à des facteurs de risque dans l’exercice de son travail.  Il avait déjà ressenti avant son embauche chez l’employeur des symptômes aux mains lors de travaux plus exigeants.  Symptômes qui avaient disparu.  C’est en 1996 qu’apparaissent les engourdissements lors du contrat au Port de Montréal.  Les symptômes se résorbent après la fin du chantier.  Le travailleur témoigne des difficultés rencontrées avec la perceuse, difficultés que l’employeur reconnaît, et du mouvement de percussion qu’il a dû faire avec la paume de la main droite.  Le docteur Taillefer est d’avis que ces impacts ont pu causer une atteinte au nerf médian.  Il connaît un autre épisode de symptômes lors du chantier de Clermont à l’automne 1997.  Puis il témoigne que les symptômes deviennent permanents mais «en sourdine» à compter du chantier du Barrage des Cèdres en mai et juin 1998.  Il s’agit d’un chantier où le travailleur a plongé presque tous les jours.  Puis il y a augmentation des douleurs et difficultés à dormir à compter du chantier de Beauharnois en novembre 1999, période où il a davantage plongé.

 

[55]      Relativement au fait que le travailleur ait déjà ressenti des symptômes entre 1985 et 1996, le tribunal retient que le travailleur a présenté des symptômes plutôt fugaces justement lorsqu'il a eu à faire des travaux de réfection plus exigeants alors que dans les tâches d'inspection, il n'avait pas de tels symptômes.  Cela tend davantage à établir une relation qu'à la nier. 

 

 

[56]      L’ensemble de ces éléments militent en faveur d’une relation probable entre le travail exercé par monsieur Rémillard et le syndrome du canal carpien dont il a souffert.

 

(...) » (sic)

 

 

[103]       Comme il s’agit d’un syndrome du canal carpien bilatéral, il importe pour la Commission des lésions professionnelles que les mouvements accomplis au travail et qui impliquent une posture contraignante soient exécutés de manière symétrique.

[104]       La technique utilisée par le travailleur, pour pousser sur les arbres, est celle mimée lors de son témoignage et, telle que plus amplement exhibée par l’une des photos déposées (cf. pièces T2 en liasse).

[105]       La Commission des lésions professionnelles retient que la main ainsi apposée sur la face la plus élevée possible de l’arbre implique une extension complète du poignet; aussi, s’agit-il de l’une des sollicitations musculo-squelettiques spécifiquement identifiée par l’étude I.R.S.S.T.[10] qui est considérée comme l’un des mouvements ou l’une des postures, les plus fréquemment associés à l’apparition du syndrome du canal carpien.

[106]       De plus, ce mouvement est accompli, alternativement, avec la main gauche et la main droite puisque le positionnement du bûcheron devant l’arbre, l’exige nécessairement.

[107]       De tels mouvements accomplis pendant plusieurs jours d’affilée, et ce, de manière soutenue ou enfin répétée, sont susceptibles d’avoir favorisé la manifestation d’un syndrome du canal carpien.  La Commission des lésions professionnelles retient qu’au moins 150 arbres ont pu être ainsi poussés, chaque jour, et une telle quantité s’avère peu négligeable.  Ce n’est donc pas de manière isolée et légère que le travailleur dût s’adonner à l’accomplissement de cette activité exceptionnelle.  La Commission des lésions professionnelles écarte ainsi l’avis du Dr Villeneuve voulant que les activités en cause n’aient impliqué qu’une extension légère.

[108]       La Commission des lésions professionnelles conclut donc que l’ensemble de la preuve milite en faveur d’une relation probable entre le syndrome du canal carpien dont a souffert le travailleur, à compter de novembre 1999 et le travail qu’il a exercé les 7, 8, 9, 24 et 25 novembre 1999.

[109]       La Commission des lésions professionnelles retient ainsi que le travail alors exceptionnellement accompli a constitué le facteur déclenchant du développement de la symptomatologie résultant d’une compression du nerf médian.  D’ailleurs, l’avis émis par le Dr Villeneuve n’a pas nié que les activités décrites aient eu un apport contributoire puisqu’elles s’avéraient de nature à favoriser la manifestation de la maladie latente jusque-là; toutefois, il s’est déclaré convaincu que le travailleur était alors atteint d’une condition personnelle préexistante.

[110]       La Commission des lésions professionnelles ayant préalablement conclu que les données recueillies par le Dr Grenier s’avéraient, en grande partie, inexactes, retient, par la même occasion, que l’une des prémisses considérée par le Dr Villeneuve s’avère non fondée.  Par conséquent, son avis perd de sa valeur probante et ne permet pas que la Commission des lésions professionnelles retienne que le travailleur était atteint d’une condition personnelle préexistante, avant novembre 1999.  L’ensemble de la preuve sous-tend, tout au plus, une certaine prédisposition.

[111]       La Commission des lésions professionnelles s’avère ainsi convaincue que le travailleur a subi une lésion professionnelle à compter du 7 novembre 1999.

[112]       Aussi, la chirurgie effectuée le 5 septembre 2001 s’inscrit à l’intérieur de ce même tableau qui a continué à évoluer et résulte, par conséquent, de la lésion professionnelle subie en novembre 1999.

[113]       Le travailleur a donc droit aux prestations prévues à la loi pour l’arrêt de travail prescrit en raison de cette chirurgie.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de monsieur Denis Audet, le travailleur;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 29 janvier 2002, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la réclamation produite le 7 septembre 2001 est recevable;

DÉCLARE que le travailleur a subi une lésion professionnelle en raison d’un accident de travail, le ou vers le 7 novembre 1999;

DÉCLARE que la décompression du canal carpien gauche, pratiquée le 7 septembre 2001, est reliée à cette lésion professionnelle subie en novembre 1999.

 

 

 

 

ME CAROLE LESSARD

 

Commissaire

 

 

 

 


 

 

S.C.F.P. (SECTION LOCALE 1500)

(M. Louis Bergeron)

 

Représentant de la partie requérante

 

 

 

CAIN, LAMARRE & ASSOCIÉS

(Me Pierre Caouette)

 

Représentant de la partie intéressée

 

 

 



[1]          L.R.Q., c. A-3.001

[2]          Ron GORSCHÉ, « Carpal Tunnel Syndrome », The Canadian Journal of CME, vol. 12, no 10, octobre 2001, 101; M. E. Verdon, « Overuse Syndromes of the Hand and Wrist », (1996) 23 Primary Care 305;

Louis PATRY, Michel ROSSIGNOL, Marie-Jeanne COSTA et Martine BAILLARGEON, Guide pour le diagnostic des lésions musculosquelettiques attribuables au travail répétitif, vol. 1, « Le syndrome du canal carpien », Sainte-Foy, Éditions Multimondes, Montréal, Institut de recherche en santé et en sécurité du travail du Québec, Québec, Régie régionale de la santé et des services sociaux, 1997, 33 p.

[3]          Société Chabot Métal Tech inc. et Éric Beaulieu, CLP 157163-61-0103, 8 janvier 2002, Ginette Morin

[4]          Grant et Technosil Canada inc., CALP 82969-63-9609, 20 janvier 1997, S. Moreau; Arcan et Peter Rosenbaum, CALP 39355-64-9204, 13 septembre 1994, F. Dion-Drapeau

[5]          CALP, 33837-60-9011, 19 juillet 1994, Anne Leydet

[6]              Réjean Dion et Dana Canada inc. et autres, CLP 101339-32-9806, 12 juillet 1999, Yvan Vigneault; Lisette Lafranchise et Agences Claude Marchand inc., CLP 109317-62-9901, 12 août 1999, Hélène Marchand; Pierre Fogette et Sérigraphie SSP et CSST-Montérégie, CLP 122654-62-9909, 15 mai 2000, Suzanne Mathieu; Laurette Belleau et CFER Louis-Joseph Papineau, CLP 102799-63-9806, 14 juillet 2000, Francine Juteau; Jacques Bovet et Ville de Montréal, CLP 131903-72-0002 et 144613-72-0008, 21 février 2001, Lucie Landriault; Entreprises Michel Corbeil inc. et Benoît Lévis, CLP 140800-63-0006, 2 avril 2001, Manon Gauthier; Julia-Susan Dillette et Les Emballages Plackam inc., CLP 127478-73-9911, 15 mai 2001, Monique Billard; M.P. Rembourreur et Mireille Therrien, CLP 155984-62-0102, 16 novembre 2001, Suzanne Mathieu

[7]          Société Chabot Métal Tech inc. et Éric Beaulieu, CLP 157163-61-0103, 8 janvier 2002, Ginette Morin; Aliments Flamingo et Murielle Lepage, CLP 111268-62A-9902, 29 octobre 1999, Johanne Landry; Isabelle Bolduc et Ferme des Becs-Fins inc., CLP 118101-64-9906, 20 décembre 1999, Robert Daniel; Luc Choquet et Kronos Canada inc., CLP 102926-62-9806 et 124543-62-9910, 21 mars 2000, Hélène Marchand

[8]          Martine Claveau et Provigo et CSST-Saguenay-Lac-St-Jean, CLP 117214-02-9905, 9 février 2000, Pierre Simard; Renaud Gouin et Les Industries P.P.D. inc., CLP 128103-05-9912, 6 avril 2000, Micheline Allard; Éric Gilbert et Les Salaisons Brochu inc., CLP 128893-31-9912, 7 août 2000, Pierre Simard

[9]              CLP 164747-61-0107, 11 décembre 2002, Lucie Nadeau

[10]            Précitée note 2

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