Décision

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G.P. c. Drouin Gagnon

2015 QCCS 3913

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

ST-FRANÇOIS

 

 

 

Nº :

450-17-003935-104

 

 

 

DATE :

25 août 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

LINE SAMOISETTE, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

G... P...

Demanderesse

c.

BIBIANE DROUIN GAGNON

Défenderesse

et

JEAN-YVES DUMAS

           Défendeur

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]   La demanderesse demande l’émission d’une injonction permanente afin que les défendeurs cessent d’empiéter sur sa propriété, de briser ses biens et cessent le harcèlement et l’intimidation à son égard. Elle leur réclame également 69 074,54$ à titre de dommages-intérêts.

[2]   Les défendeurs contestent vivement le bien-fondé du recours de la demanderesse.

[3]   La défenderesse est voisine de la demanderesse. En juin 2003, une divergence de vues concernant la propriété d'une lisière de terrain de cinq pieds en façade du lac Magog est à l'origine d'une chicane entre elles.

[4]   Le défendeur est un autre voisin de la demanderesse. Leur relation de voisinage était quasi inexistante jusqu'en novembre 2008. Les difficultés sont apparues lorsque la demanderesse a entrepris des travaux importants sur un petit terrain qui servait de droit de passage au défendeur pour se rendre à son terrain au lac.

 

CONTEXTE

[5]   Il convient tout d'abord de traiter de la relation conflictuelle entre la demanderesse et la défenderesse et ensuite des incidents avec le défendeur.

La demanderesse et la défenderesse

[6]   La demanderesse est âgée de 66 ans. Elle est gestionnaire. Elle a travaillé à titre d'agente aux plaintes au ministère de la Santé et des Services sociaux de 1993 à 2001.  Elle a été conseillère à la municipalité de Ville A entre 2005 et 2009.

[7]    Le 18 octobre 1978, elle a acquis une propriété en bordure du lac Magog du père de la défenderesse. En 1982, elle a donné naissance à sa fille unique X et elle a alors emménagé de façon permanente dans cette maison où elle vit toujours.

[8]   La maison est située près de la ligne arrière du terrain (ligne Est). Les fenêtres du salon et de la chambre à coucher donnent sur le lac alors que la fenêtre de la cuisine est près de la ligne Est. Un stationnement est attenant à la maison. La ligne qui sépare son terrain de celui de la défenderesse au bord du lac est connue comme étant la ligne Nord.

[9]   La défenderesse est âgée de 69 ans. Elle réside dans le secteur depuis 1949. En 1974, avec son époux, elle a acheté sa propriété actuelle. En juin 1995, ils ont acheté une auberge à Ville A et, depuis le décès de son mari le 22 janvier 1998, elle en est l'unique propriétaire.

[10]        La défenderesse est la mère de cinq enfants, dont Mélanie et Grégoire, ainsi que sept petits-enfants.

[11]        La défenderesse est propriétaire d'un grand terrain principalement de forme rectangulaire lequel se prolonge sur un petit terrain de 60 pieds de largeur que l’on pourrait qualifier d’appendice pour se rendre au lac. La résidence de la défenderesse est située plus haut que celle de la demanderesse. Entre la maison de la défenderesse et le lac, il y a environ 700 pieds et une dénivellation d’environ 100 pieds.

[12]        Les terrains de la demanderesse et de la défenderesse sont contigus sur deux faces soit les lignes Est et Nord. Ce sont ces deux lignes qui sont au coeur du litige. Le désaccord a porté sur une largeur de cinq pieds concernant la ligne Nord et de huit pieds relativement à la ligne Est. Nous y reviendrons.

 

Détérioration de la relation de voisinage

[13]        Jusqu'en 2003, la relation de voisinage entre la demanderesse et la défenderesse se déroulait bien. Pendant 25 ans, il y a eu une relation cordiale et empreinte de collaboration entre elles.

[14]        La défenderesse a gardé la fille de la demanderesse durant son jeune âge et elle l'a même embauchée durant un été à l'auberge. En 2000, X a déménagé à Montréal afin de poursuivre ses études. Depuis, la demanderesse habite seule dans sa maison.

[15]        En juin 2003, tout a chaviré pour une question de droit de propriété concernant la lisière de cinq pieds en façade du lac. L'élément déclencheur est le suivant.

[16]        Jusqu'en 2003, le quai de la défenderesse était mitoyen avec les voisins situés plus au nord. Ces derniers n’en voulant plus, la défenderesse a été contrainte de le déplacer. Aussi, en juin 2003, avant de l'installer à l'eau, elle l'a placé du côté du terrain de la demanderesse. La demanderesse lui a alors demandé de l’enlever parce qu'elle ne voulait pas de son « maudit quai sale » sur son terrain, lui a-t-elle dit. C’est à ce moment-là que la question de la propriété de la lisière de cinq pieds sur le lac a été soulevée pour la première fois. La défenderesse s'est mise en colère face à l'attitude de la demanderesse, car elle était convaincue que ce cinq pieds de terrain lui appartenait. Quoi qu'il en soit, la défenderesse a installé son quai plus loin de la ligne Nord.

[17]        La relation entre les deux voisines s'est détériorée rapidement, chacune étant persuadée de son droit de propriété.

[18]        La demanderesse a demandé à la défenderesse qu'un arpentage soit effectué, mais celle-ci n’y a pas consenti. La demanderesse a alors mandaté l'arpenteur-géomètre Boisclair pour l'arpentage de son terrain et la défenderesse a retenu les services de l'arpenteur-géomètre de Passillé.

[19]        Le 22 juillet 2005, la demanderesse a mis la défenderesse en demeure de procéder au bornage de leur propriété[1]. Au mois de septembre suivant, la défenderesse y a consenti et c’est l’arpenteur-géomètre Michel J. Côté qui a été choisi pour y procéder[2].

[20]        Durant toute la période où la question de la limite de terrain n'a pas été tranchée, la situation n'a pas été facile. La discorde et la tension étaient palpables entre les deux voisines.

[21]        Résumons tout d'abord les étapes ayant mené à l'homologation du procès-verbal de bornage avant d'aborder la question d'empiètement, d'intimidation et de harcèlement.

Bornage

[22]        En 2005, l’arpenteur-géomètre Boisclair a agi à titre de consultant pour la demanderesse afin d'expliquer à l'arpenteur-géomètre Côté le travail d’arpentage qu'il avait préalablement effectué.

[23]        Dans ce contexte, celui-ci se rappelle avoir rencontré la défenderesse à deux reprises. La première fois, le 26 octobre 2005, alors qu'il y a eu une visite des lieux. Étaient également présents la demanderesse, son procureur d’alors et l’arpenteur-géomètre Côté. L'arpenteur-géomètre Boisclair se souvient que la défenderesse était agressive à son égard. Elle était vivement en désaccord avec son opinion en rapport avec la borne près du lac, et il dit qu'elle est intervenue à plusieurs reprises dans la discussion de façon cavalière. Elle tenait une canne à la main et il avait l’impression qu’elle n’hésiterait pas à s’en servir contre lui.

[24]        La deuxième rencontre a eu lieu lors de l’arbitrage avec l’arpenteur-géomètre Côté le 21 juin 2006[3]. En plus des personnes qui étaient présentes lors de la première rencontre, il y avait également quelques témoins. L'arpenteur-géomètre Boisclair souligne que la défenderesse a déposé une plainte contre lui auprès de l’Ordre des arpenteurs-géomètres du Québec laquelle n’a pas été retenue.

[25]        Pour des raisons qui n'ont pas été expliquées, ce n'est qu'en août 2009, que la demanderesse et la défenderesse ont reçu un rapport de bornage de l’arpenteur-géomètre Côté statuant sur les limites respectives de leurs propriétés. Le 14 octobre 2009, la défenderesse a indiqué son intention de contester le rapport de bornage. C’est dans ce contexte qu’en novembre 2009, la demanderesse a déposé une requête introductive d’instance en bornage.

[26]        Le 18 mai 2011, le juge François Tôth a ordonné le bornage des immeubles des parties désignant l’arpenteur-géomètre Michel J. Côté afin de procéder à ce bornage[4]. La demanderesse a par la suite déposé une requête en homologation du procès-verbal de bornage du 21 décembre 2011 lequel a été homologué par le juge Gaétan Dumas le 27 février 2012[5].

[27]        La raison pour laquelle la défenderesse dit avoir finalement consenti aux conclusions relatives au bornage, c’était qu’elle voulait avoir la paix. La preuve a révélé que la défenderesse n'a plus eu de contacts avec la demanderesse à partir de ce moment-là. Le 26 avril 2012, la défenderesse a ramené chez elle tout ce qui se trouvait sur la lisière de terrain.  

[28]        La preuve démontre que depuis que la question de bornage a été réglée définitivement, plus rien n'est survenu entre la demanderesse et la défenderesse.

[29]        Il en va toutefois autrement durant toute la période du débat entourant le droit de propriété.

Intimidation, harcèlement et empiètement

[30]        Après juin 2003, l'importance des parcelles de terrain en litige sur les lignes Est et Nord a pris des proportions insoupçonnées. La défenderesse a enlevé soit un piquet d’arpentage ou une borne et la demanderesse a enlevé un poteau qui était placé de travers vers chez elle. Chaque partie voulait protéger « son territoire ». Aussi, la défenderesse a  pris possession de la partie de terrain situé près de la ligne Nord en y plaçant, entre autres, un bac rouge dans lequel elle plantait des fleurs et l'agrémentait au fil du temps de toutes sortes d'éléments « particuliers ». 

[31]        La  demanderesse, pour sa part, délimitait son terrain en appuyant une brouette sur un arbre là où elle considérait la limite de sa propriété. À de multiples reprises, la défenderesse a enlevée la brouette pour la placer ou la garrocher plus loin et à chaque fois, la demanderesse allait la replacer à l'endroit original. D'autres objets ont également été lancés, la demanderesse allant toujours les replacer. La défenderesse a même enchaîné un lit de métal à un arbre sur la propriété de la demanderesse.

[32]        La défenderesse s'installait régulièrement dans une chaloupe sur le lac en face du terrain de la demanderesse et regardait vers la maison.

[33]        À de nombreuses reprises, la défenderesse s’est installée près de la ligne Nord en regardant très longuement vers la propriété de la demanderesse alors que celle-ci était à l’extérieur. Il est arrivé que le fils de la défenderesse, Grégoire, s’assoie dos au lac en regardant vers la maison de la demanderesse[6].

[34]        La demanderesse dit qu'elle se sentait démunie face aux agissements de la défenderesse. De plus, elle se sentait toujours épiée.

[35]        Alors que la demanderesse travaillait sur son terrain, la défenderesse l'a déjà invectivée en employant des mots tels que « grosse charogne, tu vas avoir de la misère à dormir ma …crisse, c’est pour ça que t’engraisses, t’es une lâche, t’attaques des personnes âgées, tu vas payer pour ce que tu as fait, t’es une ordure, t’as été trop chienne pour t’occuper de ta fille, etc. ».

[36]        La défenderesse affirme que la demanderesse lui a déjà dit des mots blessants en la traitant de dépravée, dégueulasse et en lui disant que son fils Grégoire était mal élevé.

[37]        La défenderesse s’est amusée à faire sursauter la demanderesse et lui faire peur en lui parlant de couleuvres alors qu’elle sait que cette dernière en avait une peur bleue.

[38]        Face au comportement de la défenderesse, la demanderesse, avec l'aide de son beau-frère, René Brodeur, a installé une clôture munie d'une bâche près de la ligne Nord. Elle voulait ainsi éviter que la défenderesse ou ses enfants l’épient chez elle et entravent son intimité. Or, la défenderesse ne l’entendait pas ainsi. Aussi, le frère de la défenderesse, en compagnie de cette dernière, a délibérément brisé la clôture et coupé la bâche installées sur le terrain de la demanderesse.

[39]        La demanderesse ne se sentait plus à l’aise de sortir de chez elle et de travailler sur son terrain. À tout moment, elle craignait l’arrivée de la défenderesse.

[40]        La demanderesse reconnaît qu'il y a eu une période d'accalmie entre 2006 et 2008. Cette période coïncide avec diverses plaintes qu'elle a formulées à l'encontre de la défenderesse devant différentes instances. Vers 2005-2006, elle a déposé une plainte contre la défenderesse auprès de la Régie du bâtiment du Québec parce qu’elle avait amené un fil d’extension électrique à partir de sa maison située en haut jusqu’au terrain au bord du lac. La défenderesse explique qu'elle avait besoin d'électricité parce qu'elle faisait une réception au bord du lac. À un autre moment, la demanderesse a porté plainte à la municipalité concernant les eaux provenant du terrain de la défenderesse.

[41]        La demanderesse a également communiqué avec un agent de la Faune concernant des travaux effectués par la défenderesse en bordure du lac. Par la suite, la défenderesse a été poursuivie à la Cour du Québec « chambre pénale » pour avoir fait une activité susceptible de modifier l’habitat du poisson. Le 28 janvier 2008, la défenderesse a été acquittée de cette infraction[7].

[42]        En 2006, la demanderesse a déposé une plainte contre la défenderesse pour harcèlement. La défenderesse a été inculpée de[8] :

« Entre le 3 juillet 2006 et le 1 août 2006, à Ste-Catherine de Hatley, district de Saint-François, a agi à l’égard de G... P... dans l’intention de la harceler ou sans se soucier qu’elle se sente harcelée, en posant un acte interdit par l’alinéa 264(2) du Code criminel, ayant pour effet de lui faire raisonnablement craindre pour sa sécurité ou celle d’une de ses connaissances, commettant ainsi l’infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité prévue à l’article 264(1)(3)b) du Code criminel. »

[43]        Le procès a été fixé au 14 octobre 2008, mais au grand désarroi de la défenderesse, la demanderesse ne s'y est pas présentée. Sa raison est qu'elle s'est plutôt rendue à Lac-Mégantic parce qu'en tant que curatrice de son frère, elle devait l'accompagner afin qu’il puisse voter. Cette explication surprend. La défenderesse a été acquittée, mais ne comprend toujours pas l'attitude de la demanderesse.

[44]        La demanderesse dit qu’en 2007, elle est plongée dans une dépression majeure. En 2009, la demanderesse a été consultée le psychiatre Dr Gagné lequel a conclu son rapport de la façon suivante[9]:

« En Axe I, nous sommes en présence d’un trouble de stress post-traumatique chronique avec quelques symptômes dépressifs surajoutés. Les symptômes ont d’autant plus de risque de demeurer permanents que les traumatismes dont elle est victime sont répétés et continus depuis maintenant six ans. Je suis d’avis, afin de préserver autant que possible la santé psychologique de madame P..., qu’elle devrait déménager, au moins de façon temporaire jusqu’à ce que les procédures civiles soient terminées. Je suis également d’avis qu’elle devrait poursuivre son suivi psychologique avec madame Parent. »

[45]        Le beau-frère de la demanderesse a remarqué que cette dernière était dépressive, elle pleurait et était nerveuse. Les gestes posés par la défenderesse la rendaient inquiète et l’insécurisaient.

[46]        X a constaté qu'au fil du temps, cette chicane avait un effet dévastateur pour sa mère. Elle ne la reconnaissait plus. Cette affaire prenait toute la place. Après son départ de la maison, elle avait l'habitude de visiter sa mère une fois par mois, puis lui téléphonait environ aux deux jours. Depuis quelques années, la fréquence a diminué. Elle dit qu’à plusieurs occasions, sa mère l’a appelée en détresse, elle se sentait agressée chez elle, elle pleurait, elle était stressée. Elle avait peur pour sa mère. Elle-même a pu constater qu’elle se faisait suivre sur la propriété alors qu’elle était chez sa mère. Elle réfère à la défenderesse, Y, Mélanie et son amie.

[47]        Jusqu'en 2008, la demanderesse considère qu'elle n'avait pas répondu aux gestes ou paroles de la défenderesse, mais qu'à partir de ce moment-là cela a changé.

[48]        La demanderesse explique qu'à la suggestion des policiers elle a enregistré et filmé tout ce qui se passait. Soulignons qu'entre 2004 et 2010, l'agent de police Carl Pépin a répertorié pas moins de 39 appels logés au poste de police en rapport avec les problèmes de voisinage des parties dont  33 par la demanderesse. Toute cette saga est bien connue tant par la municipalité que le corps policier de Magog.

[49]        Alors qu'elle enregistrait, Y a pris l'enregistreuse de ses mains, a sorti la cassette, brisé le ruban puis a lancé l’enregistreuse.

[50]        La demanderesse dit avoir dû se barricader pour avoir la paix. Au fil des ans, elle a érigé des clôtures autour de son terrain et des palissades près de sa maison ce qui, à chaque fois, suscitait des réactions de la défenderesse ou de son fils.

[51]        Le beau-frère de la demanderesse a posé une partie de la clôture derrière la maison à environ 6  à 12 pouces de la ligne Est.  Il a vu la défenderesse environ de 15 à 20 fois venir longuement vérifier ce qu'il faisait et il se sentait constamment regardé. La défenderesse l'a déjà filmé. Il a également vu quelques fois Mélanie et à l'occasion Grégoire puisque, dit-il, dès qu'il arrivait chez sa belle-sœur celui-ci descendait en camion près de la propriété.

[52]        La défenderesse a placé un ours empaillé et moisi, la gueule grande ouverte près de la ligne séparative qui regardait en direction de la résidence de la demanderesse. À chaque fois que la demanderesse faisait une clôture en bois, la défenderesse reculait son ours pour suivre le travail. Contre-interrogée à cet égard, la défenderesse dit que c’était un jeu et qu’elle déplaçait cet ours pour jouer avec ses petits-enfants, donc selon elle, ce ne serait qu’une pure coïncidence…

[53]        La  défenderesse a aussi installé jusqu’à 40 sacs d'Halloween suspendus aux arbres près de la ligne Est alors que cela n'était vraisemblablement pas un endroit propice pour de telles décorations. La demanderesse les a enlevés au printemps 2009.

[54]        Le 29 novembre 2008, suite aux recommandations de l'enquêteur Denis Roy dont la demanderesse avait retenu les services, la demanderesse a fait installer des caméras fixes. Il y en a eu jusqu’à six en fonction alors que maintenant il n’y en aurait plus que quatre ou cinq. Les caméras servent à filmer ce qui se passe sur le terrain de la demanderesse et l'on voit également une partie du terrain de la défenderesse.

[55]        Avec sa requête introductive d'instance, la demanderesse a communiqué aux défendeurs pas moins de 1017 vidéos et de nombreuses photos. À l'audience, une petite partie de ces vidéos et photos a finalement été produite.

[56]        Après que les caméras aient été installées, il est arrivé fréquemment durant l'hiver que la défenderesse soit passée devant l’une d’elles en faisant des signes de « bye-bye » et en envoyant un baiser en direction de la maison. Elle explique ce geste parce qu’elle considérait qu’elle était elle-même épiée sur son terrain et qu’elle voulait que la demanderesse sache qu’elle savait qu’il y avait des caméras braquées sur son terrain.

[57]        La défenderesse a installé une roulotte près de la ligne Est et la demanderesse se sentait épiée jusque dans sa maison. D’ailleurs, la preuve démontre que la défenderesse a déjà regardé à l’intérieur de la maison par la fenêtre de la cuisine[10].

[58]        La défenderesse ou son fils déposaient de la ripe de bois près de la ligne Est et la demanderesse ajoute qu’il y avait également d'autres « cochonneries ». La demanderesse considérait que c'était du harcèlement alors que la défenderesse dira qu’elle voulait simplement enrichir le terrain parce qu'elle voulait reboiser vu que la demanderesse s’était plainte que l’eau s’écoulait sur son terrain.

[59]        Une glissoire d'enfant était déplacée régulièrement près de la ligne Est afin de marquer la propriété de l'une et de l'autre. Une largeur de huit pieds était en cause. Finalement, lors de l'homologation du procès-verbal de bornage ce huit pieds a été accordé à la demanderesse.

[60]        Le 5 novembre 2009, un homme que la demanderesse dit ne pas connaître s'est présenté chez elle en lui disant que la glissoire était laide et il l'a lancé sur le terrain de la défenderesse et s'en est retourné, sans plus. La demanderesse n’y voit rien de particulier alors que dans le contexte cela est tout à fait surprenant!

[61]        La demanderesse craignait la défenderesse, car elle ne savait pas, dit-elle, jusqu’où elle pouvait aller. Elle est persuadée que le fils de la défenderesse, Grégoire, l’a suivie en auto et parfois, il faisait semblant qu’il lui fonçait dessus.

[62]        À l'été 2009, Stéphane Gauthier a effectué divers travaux sur le terrain de la demanderesse de façon discontinue sur une période d’un mois et demi. Il ne connaissait pas la demanderesse auparavant. Il a livré un témoignage très crédible. Il souligne que c’est la seule fois qu'il s'est senti intimidé dans son travail qu’il fait depuis plusieurs années.

[63]        M. Gauthier savait qu’il y avait un désaccord sur la limite des deux terrains sans plus. Il a fait de la coupe de bois avec une scie mobile alors qu’il était installé dans le stationnement chez la demanderesse. Il a également installé trois panneaux de huit pieds de largeur pour compléter la clôture déjà en place sur la ligne Est. Il évalue avoir installé la clôture à environ 12 à 24 pouces à l’intérieur de la ligne Est. Il a dû s’arrêter lorsque le fils de la défenderesse Grégoire s’est accoté sur une pelle à quelques pieds d'où il travaillait et lui a dit : « on ne veut pas que tu travailles ici, on veut que tu t’en ailles », etc. Cet événement a été pris sur caméra fixe no. 1. Il sentait que Grégoire était menaçant avec sa pelle en main.

[64]        À un autre moment, Stéphane Gauthier a également planté des cèdres à 15-20 pieds de la ligne Nord et à 15 pieds du lac. Il a vu la défenderesse s’accoter sur une pelle pendant des heures à le regarder sans lui parler.

[65]        Un autre jour, sur invitation de la demanderesse, il avait amené ses deux filles pour que celles-ci fassent du kayak pendant qu’il travaillait. Mélanie et une autre dame se sont rendues au stationnement de la demanderesse pour prendre des photos des deux jeunes adolescentes en maillot de bain. Stéphane Gauthier a alors demandé à Mélanie de lui rendre ses photos ou de les supprimer. Elle ne voulait pas et lui disait en le narguant de venir les chercher.

[66]        Il se rappelle que la demanderesse était présente sur les lieux, mais était totalement abasourdie par la situation. Elle tournait en rond. Elle n’a pas pu intervenir. Il a fait une déclaration aux policiers, il trouvait insensé qu’une photo de ses deux filles se retrouve entre les mains d’une tierce personne qu'il ne connaît pas sans qu’il sache ce qu’elle en ferait. Après avoir terminé son contrat chez la demanderesse, il n’y est plus retourné.

[67]        Le 11 octobre 2009, vers 20 h 10 alors qu’il faisait noir, la défenderesse a pointé sa lampe de poche vers la résidence de la demanderesse. Cela lui a fait peur. La défenderesse dira qu’il lui arrivait souvent, pour relaxer, d’aller faire un tour sur son terrain au bord de l’eau et sur le quai. Ce soir-là, elle aurait entendu un bruit et voulait voir s’il s’agissait d’un animal. Cette explication dans le contexte est peu crédible.

[68]        Le 13 octobre 2009, Grégoire filme et photographie la demanderesse qui elle-même le filme. Il surveillait alors une personne qui faisait des travaux chez la demanderesse.  

[69]        À ce moment-là tout le monde se surveillait! La situation va se poursuivre jusqu'en 2012 jusqu'à ce que la question du terrain soit réglée.

Entre la demanderesse et le défendeur

[70]        Le défendeur Dumas est âgé de 77 ans et est retraité. Il a acheté sa propriété le 9 novembre 1989 et certains lots qui lui appartiennent sont contigus à la propriété de la demanderesse.

[71]        Il est copropriétaire d'un terrain en façade du lac Magog avec trois autres personnes. Pour s'y rendre, il doit passer sur un terrain de 30' x 40' que la demanderesse a acheté.  En effet, le 20 mars 2009, la demanderesse a acquis par contrat notarié ce petit terrain qui a servi, dit-elle, à rallonger son stationnement[11]. Le 5 novembre 2008, elle avait déjà signé un avant-contrat sous seing privé avec le propriétaire qui lui permettait d'effectuer des travaux[12]. C'est ce terrain qui est en cause dans le litige l'opposant au défendeur. La demanderesse sait depuis environ 2003 que les Dumas passent par là pour se rendre à leur terrain au bord du lac.

[72]        Le défendeur vit avec son épouse dans sa maison située plus haut derrière celle de la demanderesse et plus au sud que celle de la défenderesse. En 1993, leur fille Isabelle a vécu avec eux durant environ 10 mois. Depuis, elle les visite régulièrement une fois aux deux semaines et l’hiver elle s'occupe de la maison lorsque ses parents séjournent en Floride du début novembre jusqu'à la mi-avril. Celle-ci précise qu'avant les événements du mois de novembre 2008, ils utilisaient régulièrement le terrain au bord du lac. Isabelle Dumas précise qu'elle connaît la demanderesse uniquement de vue.

[73]        D'emblée, la demanderesse convient qu’il y a beaucoup moins de problèmes avec le défendeur qu’avec la défenderesse. De fait, elle réfère particulièrement à une altercation en novembre 2008, à un événement le 2 septembre 2009 et un autre le 11 septembre suivant.

[74]        Le défendeur lui se rappelle qu’en 1999, alors qu’il voulait ramasser deux arbres tombés sur son terrain au lac, la demanderesse avait placé une tente-roulotte dans l’entrée du chemin où il exerce un droit de passage. Il lui a demandé de la déplacer pour passer avec sa remorque, mais elle n’a pas voulu. Ça n’a pas été plus loin, il s’est organisé.

[75]        Entre 1999 et 2003, le défendeur a remarqué que la demanderesse plaçait souvent ses poubelles dans l’emprise de son droit de passage, mais il n’y a pas vraiment eu de discussions entre la demanderesse et le défendeur.

[76]        C’est plutôt en novembre 2008 qu’il y a eu une altercation.

[77]        Le 6 novembre 2008, la demanderesse a fait faire des travaux par un opérateur de pelle mécanique sur ce terrain de 30' x 40'. Elle n’avait pas informé ses voisins qu’elle avait acheté ce terrain. Dans un premier temps, la demanderesse dit qu’elle n’avait pas informé non plus les policiers alors qu’en contre-interrogatoire, un CD audio est déposé du 6 novembre 2008 qui démontre le contraire[13].

[78]        Le 6 novembre 2008, l'épouse du défendeur, la défenderesse et son fils se sont présentés sur les lieux. L'opérateur de pelle mécanique a cessé les travaux et a remis la terre en place.

[79]        Le matin du 7 novembre 2008, madame Dumas a demandé des explications à la demanderesse ce à quoi elle s'est fait répondre que ce n’était pas de ses affaires. En après-midi, le défendeur s'est rendu sur les lieux en quatre roues. Selon la demanderesse, il était très en colère. Il a mis des branches de cèdre par terre. Il lui aurait pris la main et tordu le bras en grimaçant et aucune parole n’aurait été dite!

[80]        Le 7 novembre 2008, la demanderesse s'est présentée à l'urgence et a été vu par un médecin. Dans son rapport, il écrit, entre autres, qu’elle présente des signes de dépression majeure[14].

[81]        Lorsqu’elle fait appel aux policiers, elle dira plutôt qu’il lui a tordu un doigt. Les policiers ne se sont pas présentés et elle n’a pas porté plainte. Le défendeur aurait voulu que les policiers se présentent pour qu’ils prennent sa version des faits, mais ils ne n’ont pas voulu le faire sur le moment.

[82]        Le 2 septembre 2009, le beau-frère de la demanderesse était sur place pour installer des pieux pour améliorer, dit-il, le secteur bacs de poubelle et recyclage. Il a eu une altercation et une engueulade avec le défendeur qu'il ne voyait que pour la deuxième fois. Il dit ne pas l’avoir poussé, mais il reconnaît qu'étant fatigué de sa journée de travail, il a « pété sa coche ».

[83]        Quelques jours après, soit le 11 septembre 2009, la demanderesse dit s'être sentie harcelée. Elle explique que des invités du défendeur descendaient vers le lac et ont regardé vers sa maison. La vidéo montre que c’était les deux garçons et la fille des Dumas ainsi que le petit-fils de quatre ans. Il n'y a pas de démonstration de harcèlement.

[84]        La fille du défendeur a expliqué que ce jour-là, alors que plusieurs membres de la famille étaient chez ses parents, ils ont décidé d’aller prendre une marche. Ils se sont rendus au terrain du lac, sont demeurés quelque temps au bord de l’eau puis ont décidé de continuer leur marche. Isabelle Dumas raconte que sur le chemin Val-Joli, la demanderesse est alors passée en trombe en automobile en les frôlant deux fois plutôt qu'une. La demanderesse reconnaît qu'elle était irritée et qu'il est possible qu'elle ait conduit rapidement sur ce chemin, mais elle affirme ne pas avoir frôlé personne contrairement à ce que soutient Isabelle Dumas.

[85]        Considérant que la question de l’existence même du droit de passage n’était pas claire, le défendeur et son épouse ont entrepris une action confessoire le 20 juillet 2010. Leur droit de passage a été reconnu par jugement le 25 octobre 2012 et confirmé par la Cour d’appel le 1er avril 2014.

[86]        Enfin, soulignons que l’excavateur qui avait débuté les travaux le 6 novembre 2008 a poursuivi la demanderesse devant la Cour du Québec, division des petites créances. La demanderesse avait alors appelé en garantie le défendeur, la défenderesse ainsi que Grégoire Gagnon. Le 7 juin 2011, le juge Patrick Théroux a accueilli la demande de l’excavateur et a rejeté la demande en garantie.

 

POSITION DES PARTIES

[87]        La demanderesse allègue que les défendeurs, par leurs gestes, paroles et comportements, lui créent un préjudice. Ainsi, elle soutient qu’une injonction permanente doit être émise pour empêcher que ces gestes et paroles se perpétuent. Elle demande les conclusions suivantes :

« (…)

ORDONNER aux défendeurs, personnellement ou par personne interposée, de cesser les empiètements de toutes sortes sur la propriété de la demanderesse, et ce, de quelque façon que ce soit.

ORDONNER aux défendeurs, personnellement ou par personne interposée, de cesser de harceler, intimider, nuire, menacer, ou d’épier la demanderesse et de ne plus entrer en communication avec elle de quelque façon que ce soit.

ORDONNER aux défendeurs, personnellement ou par personne interposée, de cesser tout comportement et/ou agissement visant à troubler la paix et la quiétude de la demanderesse et de notamment, cesser de l’importuner, de prendre des photos d’elle, des personnes chez elle ou de sa propriété, et ce, en tout temps et de quelque manière que ce soit. »

[88]        Elle réclame également des dommages de 69 074,54$ qu’elle détaille comme suit :

Dommages non pécuniaires :

 

a) Pour perte de jouissance de la vie et dommages moraux :               15 000,00$

b) Pour atteinte au droit de propriété et de la libre jouissance

    de ses biens :                                                                                        5 000,00$

c) Pour atteinte à sa réputation :                                                               3 000,00$

d) Pour atteinte à sa vie privée :                                                                5 000,00$

e) Pour troubles, ennuis et inconvénients :                                             15 000,00$

f) Pour dommages exemplaires et punitifs :                                             7 000,00$

 

Dommages matériels :

 

-     évaluation psychiatrique :                                                                    1 500,00$

-     coûts des caméras, du matériel et de leur installation :                   11 430,47$

-     coûts pour l’enquêteur :                                                                       2 182,44$

-     enregistreuses :                                                                                     146,29$

-     bris du kayak :                                                                                        652,00$

-     bris et vol de clôtures :                                                                           600,00$

-     vol d’une scie à onglet :                                                                          253,04$

-     vol d’une scie à main :                                                                            110,00$

-     coût de décontamination du réservoir à essence

      de la voiture :                                                                                       2 200,00$

 

[89]        Les défendeurs affirment qu’ils n’ont commis aucune faute à l’égard de la demanderesse et demandent que son recours soit rejeté, avec dépens.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[90]        Y a-t-il lieu d’émettre une injonction permanente concernant l’empiètement sur la propriété de la demanderesse ainsi que le harcèlement et l’intimidation à son égard?

[91]        La demanderesse a-t-elle droit aux dommages réclamés? Si oui, quels sont-ils?

ANALYSE

[92]        Y a-t-il lieu d’émettre une injonction permanente concernant l’empiètement sur la propriété de la demanderesse ainsi que le harcèlement et l’intimidation à son égard?

[93]        En l'instance, tous les problèmes entre la demanderesse et la défenderesse étaient causés par la limite des propriétés et, depuis le jugement qui a homologué le bornage, il n'y a plus de reproches. En ce qui concerne le défendeur, les derniers incidents remontent à 2009.

[94]        La demanderesse demande donc au tribunal de prononcer une injonction de nature préventive.

[95]        La Cour d'appel s'est penchée récemment sur l'injonction de nature préventive dans l'arrêt Plantons A. et P. inc. c. Delage. Elle écrit[15]

« [93] Une injonction permanente est prononcée lorsque le droit de celui qui la demande paraît clair. La violation des règles de bon voisinage est susceptible de fonder une telle mesure. Lorsque le recours revêt un caractère préventif « il doit y avoir un haut degré de probabilité que le dommage sera effectivement causé.

[94] En l’espèce, la preuve révèle, sans contredit, que les chaudières artisanales ne sont plus utilisées depuis avril 2010 et qu’elles ne sont même plus en possession de Plantons et de Coopérative. Il n’existe en l’espèce aucune preuve d’un retour possible à l’ancien système de chauffage.

(…)

 [96] Il y a donc lieu de rayer du dispositif du jugement entrepris ces deux conclusions dont la nécessité n’a pas été démontrée. »

(notre soulignement)

[96]        Le tribunal est d'avis que la demanderesse n'a pas démontré qu'il y a un haut degré de probabilité qu'un dommage lui sera causé à l'avenir. Conséquemment, il n'y a pas lieu d'émettre une injonction permanente.

[97]        La demanderesse a-t-elle droit aux dommages réclamés? Si oui, quels sont-ils?

[98]        La demanderesse allègue que le comportement abusif des défendeurs lui a causé des dommages qu'elle évalue à $ 69 074,54$.

[99]        Le défendeur a-t-il empiété, intimidé ou harcelé la demanderesse et qu'en est-il du comportement de la défenderesse?

[100]     En ce qui concerne le défendeur, la preuve n'a pas démontré qu'il a empiété sur le terrain de la demanderesse puisque tout au plus, il a utilisé l'assiette du droit de passage pour se rendre à son terrain au lac. Rappelons que pour clarifier la situation, il a entrepris un recours pour faire reconnaître son droit de passage ce qui lui a été accordé.

[101]     La preuve n'a pas non plus révélé que le défendeur avait harcelé ou intimidé la demanderesse. L'événement qui s'est déroulé le 7 novembre 2008 n'est pas clair. La demanderesse mentionne que le défendeur s'est rendu chez elle très en colère et elle est persuadée qu’il a fait des ravages sur son terrain. La demanderesse a été à la rencontre du défendeur et elle allègue que lors de l'altercation, il n'y a eu aucun échange verbal, ce qui surprend. Quant aux ravages auxquels elle réfère, ceux-ci n'apparaissent pas sur la photo produite. La demanderesse a changé sa version à quelques reprises concernant l'agression qu'elle aurait subie. Chose certaine, son état de santé psychologique était fragile à ce moment-là et la demanderesse était exaspérée par le comportement de la défenderesse.

[102]     Le défendeur a été entraîné dans toute cette saga alors que bien peu de choses lui étaient reprochées tout comme le reconnaît d'ailleurs la demanderesse. Il a tout de même dû se défendre. Il a été contraint de visionner des vidéos et photos qui lui avaient été communiquées avec la requête introductive d'instance et il a assisté aux six jours d'audience. Cela fait six ans que la famille Dumas ne se rend plus au terrain au bord du lac, car le défendeur ne veut pas de problèmes.

[103]     Le recours de la demanderesse à l'égard du défendeur doit être rejeté, avec dépens.

[104]     La défenderesse a-t-elle empiété, intimidé ou harcelé la demanderesse? Si oui, la demanderesse a-t-elle droit aux dommages réclamés?

[105]     Le conflit s'inscrit dans un contexte où la demanderesse et la défenderesse défendaient ce qu'elles considéraient être leur propriété. Le désaccord et tout ce qui s'en est suivi a perduré de 2003 à 2012, soit jusqu'à ce que le jugement ait tranché que les parcelles en litige appartenaient bel et bien à la demanderesse. Depuis, la défenderesse a retiré les effets qui se trouvaient sur les parcelles en cause et il n'a plus été question d'empiètement sur le terrain de la demanderesse. Durant la période conflictuelle, soulignons que la demanderesse s'était elle-même rendue sur le terrain de la défenderesse en son absence pour prendre des photos.

[106]     Compte tenu de la situation dans son ensemble, le tribunal ne peut retenir l'empiètement comme étant un geste abusif ou fautif de la part de la défenderesse.

[107]     Qu'en est-il de l'intimidation et du harcèlement?

[108]     La preuve non contredite démontre que la défenderesse surveillait régulièrement et durant de longues périodes la demanderesse et les personnes qui se trouvaient sur son terrain enfreignant ainsi les règles de bon voisinage. Elle s'installait près de la ligne séparative en regardant vers la propriété de la demanderesse avec une attitude qui n'avait rien d'amical comme le reflètent certaines photos éloquentes. À cela, il faut ajouter des paroles vulgaires et blessantes. À l'occasion, le fils de la défenderesse ainsi que sa fille se sont mêlés de cette affaire.

[109]     La surveillance visait non seulement la demanderesse, mais également les gens qui se trouvaient sur son terrain. La fille de la demanderesse a été l'objet de cette surveillance ce qui a eu pour effet qu'elle visitait moins régulièrement sa mère. Le beau-frère a aussi goûté à cette médecine et en raison de tout ce qui s'est passé, il visite plus rarement la demanderesse.

[110]     Deux autres personnes ont livré des témoignages crédibles et dénués d'intérêt. M. Boisclair, arpenteur-géomètre expérimenté, s'est souvenu de l'attitude intempestive de la défenderesse et de l'inconfort que cela lui a créé. Quant à M. Gauthier, il a déploré le climat dans lequel il était contraint de travailler sur le terrain de la demanderesse. Il affirme qu'il était surveillé à tout moment sans oublier que ses filles ont été photographiées par la fille de la défenderesse sans son consentement, ce qui lui a causé beaucoup de désagrément. C’était la première fois qu’il se sentait intimidé dans son travail. D’ailleurs, une fois son travail terminé, il n'est plus retourné.

[111]     Force est d’admettre que si la défenderesse était en mesure d’intimider ces deux personnes qui n’avaient rien à voir avec le litige, l’on peut bien comprendre que le même comportement appliqué régulièrement durant quelques années a pu rendre la demanderesse anxieuse et insécure.

[112]     Il faut reconnaître que la défenderesse était souvent créative dans ses moyens pour faire réagir la demanderesse et elle savait exactement comment s'y prendre pour lui faire peur et l'exaspérer. Qu’il suffise de rappeler le déplacement de l'ours moisi le long de la ligne séparative, les sursauts à l'improviste, la suspension dans les arbres d'une quarantaine de sacs d'Halloween, l'installation d'une roulotte près de la ligne séparative ainsi que le dépôt de ripe et autres détritus près de cette ligne. La défenderesse a tenté de minimiser ses gestes et de les expliquer alors que cela ne tenait pas la route. Son objectif était clairement d'indisposer la demanderesse. Ces gestes abusifs et répétitifs sont rapidement devenus des éléments déstabilisateurs pour la demanderesse.

[113]     La demanderesse se sentait toujours épiée. Elle a voulu s'isoler en faisant ériger des clôtures et des palissades pour ne plus être à la vue de ses voisins. Tout cela a eu un impact sur sa santé psychologique. Elle a été visiblement ébranlée par tout le stress.

[114]     Bien sûr, certaines réactions de la demanderesse, telles les nombreuses  plaintes, n'ont pas été sans jeter de l'huile sur le feu. Le fait qu'elle ne se présente pas à la Cour le 14 octobre 2008 afin qu'il soit statué sur l'accusation de harcèlement demeure difficile à comprendre. Son explication quant à son absence ne tient pas la route. Rappelons qu’à ce moment-là, la demanderesse était déjà grandement perturbée par toute la situation. Peu après, lorsqu’elle s’est rendue chez le médecin, il a noté des symptômes de dépression majeure liés aux troubles qu’elle vivait. La demanderesse voulait que la défenderesse cesse de la harceler comme elle le faisait. Sa seule façon de réagir à ce comportement intimidant était d’entreprendre des recours légaux. Quoi qu'il en soit, la défenderesse n'a pas cessé de poser des gestes déstabilisateurs. La défenderesse a souligné que la situation avait aussi causé un impact sur sa santé. Toutefois, cela ne l’a pas arrêtée.

[115]     La demanderesse a déployé un système de sécurité par caméra allant même jusqu'à retenir les services d'un enquêteur. Elle demeure seule dans sa maison et elle voulait se protéger. Par l'installation de caméras fixes, elle voulait conserver de la preuve et cela ne peut lui être reproché[16]. En l’espèce, son terrain était couvert par la captation d’images et vu le contexte, une petite partie du terrain de la défenderesse était également captée.

[116]     La procureure de la défenderesse a déposé plusieurs jugements portant sur la captation d’images sur un terrain voisin. De fait, la défenderesse s’est défendue d’avoir posé certains gestes en raison du fait qu’elle voulait faire comprendre à la demanderesse qu’elle savait qu’elle était filmée et voulait le lui laisser savoir. Il est loin d’être clair qu’au moment où ces gestes ont été posés que c’était vraiment l’objectif poursuivi.

[117]     La demanderesse n’a jamais reçu de demande pour modifier l’angle de la caméra et en l’instance, il n’y a pas de demande reconventionnelle requérant des modifications en ce sens. Quoi qu’il en soit, pour éviter tout problème futur, la demanderesse devrait corriger l'angle ou le positionnement de ses caméras fixes pour éviter de capter des images du terrain voisin.

[118]     La demanderesse a soupçonné la défenderesse de certains gestes qui n'ont pu être démontrés par la preuve prépondérante. Par exemple, elle la soupçonne d'avoir égratigné son auto et avoir mis des pneus sur ses cèdres de quatre pieds. Elle est également convaincue que c'est la défenderesse qui a déchiré son abri d'auto même si le policier qui s'est rendu sur les lieux est plutôt d'avis que ce problème est dû aux intempéries[17]. Ces soupçons sont nourris par d’autres gestes quasi quotidiens qui eux ne sont pas tolérables.

[119]     La demanderesse a déposé une liste de photos et vidéos qu’elle a produites accompagnée de commentaires. La plupart de ces commentaires sont exacts, mais certains ne le sont pas puisqu'ils ne sont pas en lien avec ce qui est présenté[18].

[120]     La défenderesse a également fait valoir que certaines vidéos ont été coupées en ce qu'il manque des secondes ou des minutes. Elle a raison. Toutefois, dans l'ensemble cela a peu d'impact. Ce que révèle l’ensemble de la preuve, c’est que la défenderesse posait des gestes répétitifs dans le but d’atteindre la demanderesse.

[121]     La demanderesse avait le droit de jouir paisiblement de sa propriété, ce qu'elle n'a pu faire entre 2003 et 2012.

[122]     Quoique le témoignage de la demanderesse ait laissé entrevoir à certains moments une mémoire sélective ou encore quelques invraisemblances, il n'en demeure pas moins que la preuve concluante est à l'effet qu'elle était surveillée à tout moment, et ce, de façon abusive. Il y avait suffisamment d’éléments pour inquiéter la demanderesse.

[123]     À première vue, l’on pourrait croire que la demanderesse et la défenderesse se livraient une bataille à armes égales. Toutefois, pour avoir entendu le témoignage de chacune et avoir pu apprécier leur crédibilité, le tribunal n’est pas de cet avis. La demanderesse a été rapidement déstabilisée par le comportement incessant de la défenderesse. La défenderesse savait comment l’atteindre.

[124]     La preuve prépondérante est à l'effet que la défenderesse a eu une inconduite abusive à l'égard de la demanderesse. Cette conduite a été exercée de manière réfléchie, insidieuse et répétée à la seule fin de la déstabiliser et elle a réussi. Le fait que la demanderesse ait réagi à certains moments ne change en rien la nature des gestes posés par la défenderesse.

[125]     Le tribunal est d'avis que l’attitude de la défenderesse à l’égard de la demanderesse a été harcelante, menaçante et parfois grossière.

Dommages non pécuniaires

[126]     Les pertes non pécuniaires réclamées totalisent 50 000$.

[127]     Le tribunal a déjà énuméré plusieurs comportements reprochés à la défenderesse. Tout cela a eu un impact sur la santé de la demanderesse. En effet, sa santé psychologique a été affectée et, pendant un certain temps, elle n’a pas pu jouir paisiblement et complètement de sa propriété. À l’audience, elle souligne qu’elle est maintenant bien chez elle et qu’elle aime toujours l’endroit.

[128]     La demanderesse n'a pas démontré qu'il y a eu atteinte à sa réputation.

[129]     Le tribunal estime approprié, compte tenu de l'ensemble de la preuve, d'ordonner à la défenderesse de payer à la demanderesse 15 000$. Cette somme englobe le stress, l'angoisse et l'insécurité que la demanderesse a vécus ainsi que les troubles et inconvénients subis sans oublier l'atteinte à la libre jouissance de ses biens.

[130]     Reste la réclamation de la demanderesse de 7 000$ pour dommages exemplaires et punitifs[19].

[131]     Les dommages punitifs ou exemplaires ont pour but de sanctionner la conduite d’un auteur d’un acte jugé répréhensible. Une atteinte intentionnelle et illicite à un droit ou à une liberté garantie par la Charte des droits et liberté de la personne est nécessaire pour condamner à des dommages punitifs.

[132]     Considérant toutes les circonstances en l'espèce dont le fait qu'il s'agit d'un comportement délibéré, organisé et répétitif avec l'intention de violer des droits fondamentaux, le tribunal estime approprié d'accorder 3 000$ à ce titre.

Dommages matériels

[133]     La demanderesse réclame 19 074,94$ à titre de dommages matériels.

[134]     Il y a lieu de rejeter la réclamation concernant le bris du kayak, les vols d'une scie à onglet et d'une scie à main et celle relative à la contamination du réservoir à essence. En effet, la preuve n'a pas permis d’établir que la défenderesse était responsable de ces dommages.

[135]     La demanderesse réclame certains frais liés au système de sécurité qu'elle a mis en place en novembre 2008. Quant aux frais concernant l'enquêteur Roy, la preuve révèle que cela n'était pas essentiel. Il n'a pas rencontré les défendeurs, n'a pas produit de rapport et n'a pas témoigné. Il n'y a pas lieu d'accueillir cette réclamation.

[136]     La demanderesse réclame 11 430,47$ pour le coût des caméras et leur installation. Certaines factures produites au soutien de cette réclamation ne sont pas au nom de la demanderesse, mais plutôt au nom d'une fiducie au nom du père de sa fille. Ces factures doivent donc être déduites. Le solde est d’environ 10 000$. La preuve a révélé que l’installation de caméras avait deux objectifs, soit la surveillance du terrain de la demanderesse et, dans les circonstances de la présente affaire, également une partie du terrain de la voisine. Compte tenu des commentaires déjà formulés à cet égard, il y a lieu d’accorder à la demanderesse la moitié des coûts soit 5 000$.

[137]     Quant à l'enregistreuse, la preuve ne permet pas de conclure qu’elle avait été brisée par le fils de la défenderesse.

[138]     Reste la réclamation relative aux honoraires du Dr Gagné, psychiatre, concernant l'évaluation psychiatrique. Considérant le contexte global de la situation, ce rapport a été utile au débat et la défenderesse devra rembourser les honoraires de 1 500$ à la demanderesse.

[139]     La défenderesse devra donc payer à la demanderesse un montant total pour des dommages de 24 500$.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[140]     ACCUEILLE, en partie, la requête introductive d'instance réamendée à l'encontre de la défenderesse;

[141]     ORDONNE à la défenderesse de payer à la demanderesse 24 500$ avec intérêts et indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q. à compter de l'assignation;

[142]     AVEC DÉPENS.

[143]     REJETTE la requête introductive d'instance réamendée à l'égard du défendeur;

[144]     AVEC DÉPENS.

 

 

__________________________________

LINE SAMOISETTE, J.C.S.

 

Me Marc Savoie

Delorme LeBel Bureau

Procureurs de la demanderesse

 

Me Julie Bolduc

Lepage Carette, s.n.a.

Procureurs de la défenderesse

 

Me Céline Gallant

Gallant Bernier

Procureurs du défendeur

 

Date d’audience :

4, 5, 6, 7 ,8 mai 2015 et

16 juin 2015

 



[1] Pièce P-13.

[2] Pièce P-14.

[3] Pièce P-56.

[4] Pièce P-47.

[5] Pièce P-48.

[6] Pièce P-55A, photo F-14.

[7] Pièce D-7.

[8] Pièce D-2.

[9] Pièce P-17.

[10] Pièce P-55A, photo F-8.

[11] Pièces P-3 et P-4.

[12] Pièce P-3.

[13] Pièce DD-7.

[14] Pièce P-15A.

[15] Plantons A. et P. inc. c. Delage, 2015 QCCA 7.

[16] Ostiguy c. Laporte, 2015 QCCS 676, par. 114 à 116.

[17] Pièce P-55A, E-32 et E-33.

[18] Vidéos des 16 juin 2009, 21 juillet 2009, 3 septembre 2009, 11 septembre 2009, 21 septembre 2009, 13 octobre 2009, 10 mai 2010, 21 mai 2010 et 25 octobre 2011.

[19] C.c.Q., art. 1621 et Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12, art. 49.

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