DÉCISION
[1] Le 24 mai 2000, madame Thérèse Cameron (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l'encontre d'une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) le 1er mai 2000.
[2] Par cette décision, la CSST rejette la plainte logée par la travailleuse le 2 mars 2000 en vertu de l'article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., chapitre A-3.001) (LATMP).
[3] La travailleuse est présente et représentée par procureur lors de l'audience à laquelle participe également monsieur Guy Ferland en tant que contrôleur des finances de l’employeur.
[4] Le présent dossier est joint à celui de la Commission des lésions professionnelles portant le numéro 141223-03B-0006, alors que les questions en litiges sont sensiblement les mêmes dans les deux cas.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Le procureur de la travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles d'infirmer la décision en litige, d'accueillir la plainte logée à la CSST le 2 mars 2000 et de déclarer que l'employeur est tenu de rétablir, à compter du 29 février 2000, la participation des parties au régime d'assurance-groupe de l'établissement jusqu'à l'expiration du droit au retour au travail de madame Cameron.
LES FAITS
[6] Madame Thérèse Cameron trie les poussins, place les œufs dans les contenants et entretient certains appareils de l'entreprise Couvoir Scott ltée lorsqu'elle présente une maladie professionnelle aux deux épaules, soit une tendinite de la coiffe des rotateurs, à compter du 6 avril 1999.
[7] Suite à la consolidation de la lésion professionnelle le 22 décembre 1999, la travailleuse demeure avec des limitations fonctionnelles. Ces dernières sont ainsi décrites par le Dr Lacourcière, en tant que membre du Bureau d’évaluation médicale, dans son avis signé le 6 janvier 2000:
«Elle doit éviter d’exécuter des mouvements répétitifs d’abduction ou d’élévation antérieure dépassant 90° dans l’exécution de son travail. C’est la seule restriction fonctionnelle permanente reliée à l’événement du 6 avril 1999. »
[8] Le 21 janvier 2000, la CSST adresse à la travailleuse ainsi qu'à l'employeur une décision concernant la réadaptation de cette dernière. Cette décision se lit comme suit:
«(...)
Nous désirons vous informer que vous pouvez bénéficier de la réadaptation professionnelle, puisque vous conservez des limitations fonctionnelles attribuables à votre lésion professionnelle survenue le 6 avril 1999.
L'évaluation de la situation démontre en effet que vous avez besoin de services de réadaptation pour pouvoir intégrer un emploi convenable ailleurs sur le marché du travail puisque vous êtes incapable d'exercer votre emploi habituel et qu'il n'y a pas d'emploi convenable disponible chez votre employeur. Nous poursuivrons donc le versement des indemnités de remplacement du revenu et chercherons avec vous les solutions qui conviennent le mieux, compte tenu des circonstances.
À cette fin, nous évaluerons vos possibilités professionnelles. Nous communiquerons sous peu avec vous à ce sujet.
Vous ou votre employeur pouvez demander la révision de cette décision dans les 30 jours suivant la réception de la présente lettre. N’hésitez pas à communiquer avec nous si vous avez besoin de renseignements supplémentaires à ce sujet ou pour toute autre question.
(...)»
[9] Le 23 février 2000, l'employeur émet à la travailleuse un relevé d'emploi en raison de maladie et de blessure suivant le code "D" inscrit au formulaire. On y indique également qu'un processus de réadaptation est présentement en cours avec la CSST.
[10] L'employeur avise la travailleuse que sa participation à l’assurance-groupe prend fin le 29 février 2000.
[11] Le 2 mars 2000, la travailleuse adresse à la CSST une plainte dans les termes suivants:
«(...)
J'ai subie une lésion professionnelle en date du 6 avril 1999. J'ai été en assignation temporaire jusqu'au 18 janvier 2000. J'ai cessé de travailler complètement et je reçois des indemnités de la CSST.
J'ai demander à mon employeur de continuer à participer au R. Ass et au Reer Collectif en payant ma part des cotisations exigibles.
Mon employeur a refusé en date du 29 février 2000. Je soumets que cette décision est contraire à la LATMP. Art 235 et 240.
Je demande votre intervention afin d'ordonner à mon employeur le respect de mes droits suivant les dispositions des articles 255 et suivant LATMP. (sic)
(...)»
[12] Le 8 mars 2000, l'employeur adresse au syndicat de la travailleuse la lettre suivante:
«(...)
Nous vous confirmons par la présente que les cessations d'emploi expédiées à Mesdames Monique Bélanger et Thérèse Cameron ne signifient pas que nous entendons nous opposer à l'article 11.05 paragraphe G de la convention collective. Les 2 employées ci-haut mentionnées conservent donc leur anciennetée et les droits qui s'y rattachent conformément aux dispositions de la convention collective. » (sic)
[13] Le 1er mai 2000, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare non fondée la plainte logée par la travailleuse le 2 mars précédent. La CSST considère que l'obligation de l'employeur envers la travailleuse a pris fin étant donné la condition physique de cette dernière qui la rend désormais inemployable. La CSST estime que l'employeur n'a pas contrevenu à l'article 32 de la LATMP et qu'il a repoussé la présomption de l'article 255 puisqu'il a émis la cessation d'emploi après la décision d'incapacité du 21 janvier 2000 alors qu'il n'avait pas d'emploi convenable à offrir à la travailleuse. Le lien d'emploi étant ainsi rompu, les avantages prévus à l'article 235 de la LATMP ne peuvent dès lors trouver application.
[14] Le 24 mai 2000, la travailleuse loge la requête dont la Commission des lésions professionnelles est présentement saisie à l'encontre de la décision précitée.
[15] Suivant la preuve et les représentations des parties à l'audience, il appert que la travailleuse bénéficiait d'un contrat de travail à durée indéterminée au moment de la survenance de la lésion professionnelle. L'établissement comptait alors plus de 20 employés. Les cotisations versées par l'employeur dans le cadre de sa participation au régime d'assurance-groupe offert dans l'établissement sont de l'ordre de 6 $ par semaine lorsque l'employé bénéficie d'un plan individuel et de 14 $ dans le cas d'un plan familial.
[16] Suite à la décision d'admissibilité en réadaptation rendue par la CSST le 21 janvier 2000, la travailleuse se voit émettre par l'employeur, le 23 février, un relevé d'emploi dont copie est déposée sous la cote T-1. Elle est ensuite avisée du refus de l'employeur de maintenir sa participation à l'assurance-groupe de l'établissement à compter du 29 février 2000, d'où la consultation auprès du syndicat suivie de la plainte logée à l'encontre de cette sanction ou mesure le 2 mars 2000. La travailleuse est alors informée par le syndicat qu'elle conserve son ancienneté et les droits qui s'y rattachent, ce que confirme la lettre de l'employeur du 8 mars 2000. Elle estime donc avoir conservé son lien d’emploi.
[17] Madame Cameron n'entend revendiquer que le maintien de la participation au régime d'assurance-groupe (plan familial) et non la participation au régime de retraite, malgré le libellé de la plainte du 2 mars 2000. L'employeur ayant mis fin au plan d'assurance, il était désormais impossible à la travailleuse de fournir sa part des cotisations exigibles.
L'ARGUMENTATION DES PARTIES
[18] Les prétentions de la partie requérante à l'appui de la plainte logée le 2 mars 2000 reposent sur les prescriptions des articles 235 et 240 de la LATMP, lesquelles accordent à la travailleuse le droit de participer au régime d'assurance offert par l'employeur pendant la période de deux ans prévue pour l'exercice du droit au retour au travail. La travailleuse peut bénéficier de cet avantage jusqu'à l'expiration du délai précité, suivant les termes de la LATMP qui est une loi d'ordre public. Selon l'article 4 de la LATMP, aucune convention ou entente ne peut établir des dispositions moins avantageuses que celles prévues à la loi. En refusant la demande de la travailleuse de poursuivre la participation commune au régime d'assurance-groupe de l'établissement alors qu'elle reçoit des prestations de réadaptation de la CSST, l'employeur lui impose une telle mesure ou sanction à cause de l'exercice d'un droit que lui confère la LATMP et ce, en contravention de l'article 32 de la LATMP. Cette participation doit donc être rétablie jusqu'à l'expiration du délai pour l'exercice du droit au retour au travail.
[19] Quant au congédiement pour une cause juste et suffisante le 23 février 2000, qui est soulevé par l'employeur et retenu par la CSST, la partie requérante soutient que la preuve soumise n'établit pas une telle rupture du lien d'emploi dans les circonstances démontrées en l'espèce.
[20] La partie intéressée soutient pour sa part que la CSST a conclu à bon droit l'existence du congédiement pour une cause juste et suffisante. Malgré le libellé de la lettre adressée au syndicat de l'établissement le 8 mars 2000, l'intention réelle de l'employeur était plutôt de mettre fin au lien d'emploi de la travailleuse alors que l'état physique de cette dernière, à la suite de la lésion professionnelle, l'empêchait désormais d'occuper un emploi quelconque dans l'entreprise suivant la décision de la CSST du 21 janvier 2000. La travailleuse ayant alors opté pour les prestations de réadaptation offertes par la CSST, elle se trouvait à renoncer au lien d'emploi ainsi qu'aux avantages s'y rapportant.
[21] L'employeur reconnaît, par contre, qu’il peut toujours être tenu de réintégrer la travailleuse dans le délai de deux ans suivant le début de la période d’absence continue en raison de la lésion professionnelle, en vertu des articles 236 et suivants de la LATMP, si son état lui permet à nouveau de refaire son emploi ou si un emploi convenable devient disponible chez l'employeur. Ce dernier reconnaît également que la travailleuse qui s'absente pour une lésion professionnelle conserve son ancienneté et tous les autres droits s'y rapportant pendant une période de 36 mois, selon l'article 11.05 paragraphe h de la convention collective.
[22] Or, même en prenant pour acquis le maintien de la participation au régime d'assurance-groupe jusqu'à l'expiration du droit au retour au travail suivant les articles 235 et 240 de la LATMP, l'employeur estime que la travailleuse ne peut bénéficier de l’assurance offerte dans l’entreprise selon la police en vigueur auprès de la SSQ puisque la prestation minimum de 16 ou 20 heures travaillées n'est pas rencontrée en l'espèce.
[23] Enfin, l'employeur estime qu'il ne lui revient pas d'assumer les coûts futurs importants qui se rattachent au dossier de la travailleuse dont le processus de réadaptation vise le retour en emploi ailleurs sur le marché du travail.
L'AVIS DES MEMBRES
[24] Les membres issus des associations d'employeurs et syndicales considèrent que la cessation d'emploi émise par l'employeur le 23 février 2000 ne peut être associée à un congédiement puisque la preuve circonstancielle démontre clairement qu'il n'y a pas eu rupture définitive du lien d'emploi à cette occasion. Il s’agit plutôt d’un geste administratif posé à la suite du constat de l'incapacité de la travailleuse à refaire son emploi et de l'absence d'emploi convenable alors disponible chez l'employeur. La participation de la travailleuse aux mesures de réadaptation offertes par la CSST n'a pas en soi pour effet de rompre le lien d'emploi entre les parties. L'employeur est tenu dans les circonstances de permettre à la travailleuse de continuer de participer au régime d'assurance-groupe de l'établissement, alors qu'elle a déjà offert de verser sa part des cotisations exigibles à compter du 29 février 2000, et d'y apporter sa propre contribution.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[25] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a fait l'objet d'une mesure ou d'une sanction visée à l'article 32 de la LATMP, lequel se lit comme suit:
32. L'employeur ne peut congédier, suspendre ou déplacer un travailleur, exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou de représailles ou lui imposer toute autre sanction parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice d'un droit que lui confère la présente loi.
Le travailleur qui croit avoir été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée dans le premier alinéa peut, à son choix, recourir à la procédure de griefs prévue par la convention collective qui lui est applicable ou soumettre une plainte à la Commission conformément à l'article 253.
________
1985, c. 6, a. 32.
[26] Il appert de la preuve, d’une part, que la plainte logée à la CSST le 2 mars 2000 respecte le délai légal de 30 jours prévu à l'article 253 de la LATMP puisqu'il a été porté à la connaissance de la travailleuse que l'employeur mettait fin à la participation au régime d'assurance offert dans l'établissement le 29 février précédent, soit deux jours avant la plainte.
253. Une plainte en vertu de l'article 32 doit être faite par écrit dans les 30 jours de la connaissance de l'acte, de la sanction ou de la mesure dont le travailleur se plaint.
Le travailleur transmet copie de cette plainte à l'employeur.
________
1985, c. 6, a. 253.
[27] La mesure ainsi adoptée par l’employeur le 29 février 2000 survient, d’autre part, dans les six mois de l’exercice d’un droit que prévoit la LATMP, soit le droit à la réadaptation conféré par la CSST à la travailleuse le 21 janvier 2000 et aussi le droit au maintien de la participation au régime d’assurance-groupe alors demandé par la travailleuse mais refusé par l’employeur. Il y a donc présomption à l’effet que la travailleuse a été victime d’une mesure ou sanction visée à l’article 32 suivant les prescriptions de l’article 255 de la LATMP, lequel prévoit que :
255. S'il est établi à la satisfaction de la Commission que le travailleur a été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée dans l'article 32 dans les six mois de la date où il a été victime d'une lésion professionnelle ou de la date où il a exercé un droit que lui confère la présente loi, il y a présomption en faveur du travailleur que la sanction lui a été imposée ou que la mesure a été prise contre lui parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice de ce droit.
Dans ce cas, il incombe à l'employeur de prouver qu'il a pris cette sanction ou cette mesure à l'égard du travailleur pour une autre cause juste et suffisante.
________
1985, c. 6, a. 255.
[28] La Commission des lésions professionnelles constate que la plainte de la travailleuse porte non pas sur un congédiement mais bien sur l'interruption, sur l’initiative de l'employeur, de la participation aux régimes d'assurance et/ou de retraite offerts dans l'établissement. Or, la CSST qui est saisie en première instance de cette plainte analyse plutôt le bien-fondé d'un congédiement qu'elle déclare avoir été effectué pour une cause juste et suffisante. La CSST conclut d’abord au renversement de la présomption de l’article 255 de la LATMP. Elle établit ensuite, comme corollaire de la rupture du lien d'emploi, la non-application des avantages prévus à l'article 235 de la LATMP tels qu'invoqués à la plainte de la travailleuse.
[29] Cependant, la Commission des lésions professionnelles estime quant à elle que c'est la sanction ou la mesure dont la travailleuse s'est plainte le 2 mars 2000 qui constitue l'objet du litige, soit l’interruption de la participation aux régimes d'assurance et/ou de retraite à compter du 29 février 2000 et non pas un congédiement.
[30] Non seulement il y a absence de plainte de congédiement, mais la preuve révèle que la travailleuse a plutôt l'assurance de ne pas avoir fait l'objet d'une telle mesure. Le relevé d'emploi émis par l'employeur le 23 février 2000 fait expressément référence à l'incapacité résultant de la lésion professionnelle avec processus de réadaptation en cours à la CSST comme seul motif de cette procédure administrative qui est par ailleurs assortie du maintien de l'ancienneté et autres droits s'y rapportant, selon les précisions données par l'employeur au syndicat et confirmées dans une lettre du 8 mars 2000 (pièce T-1).
[31] La Commission des lésions professionnelles s'explique mal, dans ce contexte, la prétention de l'employeur qui dit avoir eu l'intention de rompre le lien d'emploi le 23 février 2000 mais qui reconnaît par ailleurs l'application potentielle du droit au retour au travail jusqu'à l'expiration du délai de deux ans prévu à la LATMP, alors que l’absence de retour au travail résulte uniquement des conséquences de la lésion professionnelle.
[32] Les circonstances mises en preuve ne sont pas de nature à convaincre le tribunal d’une rupture définitive du lien d’emploi en l’espèce. Il n'y a donc pas de preuve d'un congédiement et encore moins d'une plainte logée à l'encontre d'une telle mesure de la part de la travailleuse qui, à la suite de l’émission du relevé d'emploi, est avisée qu'elle conserve son ancienneté et les droits qui s'y rattachent pendant les 24 ou même 36 mois suivant le début de son absence pour la lésion professionnelle.
[33] Le seul objet de la plainte soumise par la travailleuse à la CSST, en vertu de l'article 32 de la LATMP, est le fait que l'employeur contrevienne aux prescriptions de l'article 235 de la LATMP en refusant de lui permettre de cotiser au régime d'assurance-groupe et/ou de retraite de l'établissement et en omettant d'y apporter sa propre contribution depuis le 29 février 2000.
[34] Une telle contravention à la loi, si elle est démontrée, peut constituer une mesure prohibée à l'article 32 de la LATMP et entraîner une ordonnance à l'employeur de cesser cette mesure ou sanction à l'endroit de la travailleuse et de verser à cette dernière les avantages dont elle a été privée, et ce en vertu de l'article 257 de la LATMP, lequel se lit comme suit:
257. Lorsque la Commission dispose d'une plainte soumise en vertu de l'article 32, elle peut ordonner à l'employeur de réintégrer le travailleur dans son emploi avec tous ses droits et privilèges, d'annuler une sanction ou de cesser d'exercer des mesures discriminatoires ou de représailles à l'endroit du travailleur et de verser à celui-ci l'équivalent du salaire et des avantages dont il a été prive.
________
1985, c. 6, a. 257.
[35] Les articles 235 , 240 et 241 de la LATMP énoncent d’autre part ce qui suit:
235. Le travailleur qui s'absente de son travail en raison de sa lésion professionnelle :
1° continue d'accumuler de l'ancienneté au sens de la convention collective qui lui est applicable et du service continu au sens de cette convention et au sens de la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1) ;
2° continue de participer aux régimes de retraite et d'assurances offerts dans l'établissement, pourvu qu'il paie sa part des cotisations exigibles, s'il y a lieu, auquel cas son employeur assume la sienne.
Le présent article s'applique au travailleur jusqu'à l'expiration du délai prévu par le paragraphe 1°ou 2° , selon le cas, du premier alinéa de l'article 240.
________
1985, c. 6, a. 235.
240. Les droits conférés par les articles 236 à 239 peuvent être exercés :
1° dans l'année suivant le début de la période d'absence continue du travailleur en raison de sa lésion professionnelle, s'il occupait un emploi dans un établissement comptant 20 travailleurs ou moins au début de cette période ; ou
2° dans les deux ans suivant le début de la période d'absence continue du travailleur en raison de sa lésion professionnelle, s'il occupait un emploi dans un établissement comptant plus de 20 travailleurs au début de cette période.
Le retour au travail d'un travailleur à la suite d'un avis médical n'interrompt pas la période d'absence continue du travailleur si son état de santé relatif à sa lésion l'oblige à abandonner son travail dans la journée du retour.
________
1985, c. 6, a. 240.
241. Une demande de révision ou un appel qui a pour objet l'incapacité du travailleur d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle suspend la période d'absence continue prévue par l'article 240 si la décision finale conclut que le travailleur était capable d'exercer son emploi à l'intérieur de cette période.
________
1985,c. 6,a. 241.
[36] En vertu des articles précités, la travailleuse a droit de continuer de participer au régime d'assurance-groupe de l'établissement, comptant plus de 20 travailleurs, dans les deux ans suivant le début de la période d'absence continue en raison de la lésion professionnelle survenue le 6 avril 1999. Le fait qu’elle ait repris un travail en assignation temporaire à la suite de cette lésion n’a pas pour effet d’interrompre la période d’absence continue suivant l’article 240 de la LATMP ni le délai d’exercice du droit au retour au travail prévu à cet article. Seule une demande de révision ou un appel qui a pour objet l’incapacité du travailleur d’exercer un emploi en raison de sa lésion professionnelle suspend la période d’absence continue. La Commission d’appel en matière de lésions professionnelles et la Commission des lésions professionnelles ont déjà statué en ce sens dans les affaires Lord et Hôpital Laval et CSST [1] ainsi que Frigidaire Canada et Réal Bernier[2].
[37] La travailleuse doit par ailleurs avoir payé sa part de cotisations exigibles, ce qu'elle n'a cependant pu effectuer alors que l'employeur a mis fin à la participation au régime d'assurance-groupe, lui refusant ainsi la possibilité d'y contribuer. L'absence de contribution ne peut par conséquent être opposée à la travailleuse dans les circonstances.
[38] L'employeur soulève le fait que même en appliquant l'article 235 de la LATMP jusqu'à l'expiration du droit de retour au travail, il ne peut y avoir de contribution au régime d'assurance-groupe dans ce cas puisque les conditions du régime offert dans l'établissement exigent un certain nombre d'heures travaillées.
[39] La Commission des lésions professionnelles, sur ce dernier point, partage toutefois l'opinion déjà émise en ces termes par le commissaire Jean-Marc Dubois dans l'affaire Réjean Vallières et Fromagerie de Corneville[3]:
«(...)
L'employeur soutient de plus qu'il a respecté la convention qui ne prévoit pas de contribution lors d'une absence pour lésion professionnelle et qu'il a par conséquent appliqué les conditions du régime offert dans l'établissement.
La Commission des lésions professionnelles est d'avis que lorsque le législateur réfère au régime offert dans l'établissement, ce n'est sûrement pas pour venir à l'encontre de ses propres intentions de garantir au travailleur victime d'une lésion professionnelle de contribuer au régime de retraite pendant son absence.
Comme la loi a préséance sur toute convention collective, le législateur ne peut que référer à la convention collective que pour les modalités de versement et de la part que chacun doit y apporter.
Comme nous l'avons déjà mentionné, l'employeur ne peut invoquer la convention collective pour se soustraire à la loi et même s'il ne viole pas sa convention collective, cela ne lui donne pas le droit de violer la loi.
Dans les circonstances, la Commission des lésions professionnelles est d'avis que le travailleur lui a fait la démonstration que l'employeur viole les dispositions de l'article 235 en refusant de permettre au travailleur de cotiser à son REER pendant les périodes d'absence en raison de ses lésions professionnelles et par conséquent, en ne versant pas sa part.
L'employeur soutient de plus que le travailleur n'a pas gagné de salaire pendant son absence puisque l'indemnité de remplacement du revenu ne constitue pas un salaire.
La Commission des lésions professionnelles a déjà répondu à cette allégation de l'employeur en signifiant que l'article 242 prévoit que l'on peut considérer comme une période réelle de travail celle durant laquelle le travailleur doit s'absenter en raison de sa lésion professionnelle. Par conséquent, l'employeur ayant contrevenu aux dispositions de l'article 235 de la loi, cela équivaut à une mesure prohibée par l'article 32 de la loi ce qui justifie de faire droit aux plaintes que le travailleur a logées de plein droit.
(...)»
[40] Malgré la controverse jurisprudentielle qui demeure en la matière[4], le présent tribunal considère qu’il doit s’en remettre aux dispositions de la LATMP lesquelles sont d’ordre public, suivant les termes de l’article 4 dont le libellé se lit comme suit :
4. La présente loi est d’ordre public.
Cependant, une convention ou une entente ou un décret qui y donne effet peut prévoir pour un travailleur des dispositions plus avantageuses que celles que prévoit la présente loi.
1985, c. 6, a. 4.
[41] Il s’infère de l’article précité que les prescriptions des articles 235 et 240 de la LATMP s’appliquent à la travailleuse et qu’aucune convention ou entente ne peut contenir des dispositions moins avantageuses que celles prévues à la loi. Or, l’intention expresse du législateur consiste à maintenir en faveur de la travailleuse qui s’absente de son travail suite à une lésion professionnelle, et ce pour les deux années d’absence continue en raison de cette lésion, certains avantages dont entre autres sa participation au régime d’assurance offert dans l’établissement.
[42] La travailleuse a donc droit de continuer de participer au régime d’assurance-groupe de l’établissement jusqu’à l’expiration du délai d’exercice du droit au retour au travail et l’employeur est tenu de rétablir la participation à ce régime à compter du 29 février 2000.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête logée par la madame Thérèse Cameron à la Commission des lésions professionnelles le 24 mai 2000;
INFIRME la décision rendue par la CSST le 1er mai 2000;
DÉCLARE que la plainte logée par la travailleuse le 2 mars 2000 est bien fondée;
DÉCLARE que la travailleuse a fait l’objet, le 29 février 2000, d’une mesure visée à l’article 32 de la LATMP en raison de l’exercice d’un droit que prévoit la LATMP;
ORDONNE à l’employeur de rétablir la participation de madame Thérèse Cameron au régime d’assurance-groupe de l’établissement à compter du 29 février 2000 et ce, jusqu’à l’expiration du délai prévu par la loi pour l’exercice du droit au retour au travail de cette travailleuse.
|
|
|
GENEVIÈVE MARQUIS |
|
Commissaire |
|
|
|
|
|
|
|
|
C.S.N. (Me Georges-Étienne Tremblay) 155, boul. Charest Est Québec (Québec) G1K 3G6 |
|
|
|
Représentant de la partie requérante |
|
|
[1]
[1996] C.A.L.P.
1047
[2]
C.L.P.
92672-63-9711, 1999-02-19, Me Santina Di Pasquale
[3]
[1998]
C.A.L.P. 265, requête en révision judiciaire rejetée, C.S Montréal,
500-05-043041-985, 98-11-16, j. Courteau, en appel, C.A. Montréal,
500-09-007481-989.
[4]
Voir
la note 3 ainsi que l’affaire Placer Dome Canada ltée (Mines Sigma) c. Moreau
[1996] C.A.L.P.355 (C.S.) (décision accueillant la requête en évocation), en
appel, C.A. Abitibi, 200-09-001102-968.