Brunelle c. Coopérative d'Alentour |
2015 QCCA 2163 |
COUR D'APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
No : |
500-09-024577-140 |
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(450-17-004449-121) |
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PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE |
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DATE : |
Le 10 décembre 2015 |
CORAM : LES HONORABLES |
FRANCE THIBAULT, J.C.A. |
APPELANTE |
AVOCAT |
LOUISE BRUNELLE
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Me MARIO GOULET (Després Goulet)
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INTIMÉE |
AVOCATE |
COOPÉRATIVE D’ALENTOUR
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Me JOSÉE THIBAULT (Delorme LeBel Bureau Savoie s.e.n.c.)
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En appel d'un jugement rendu le 16 juin 2014 par l'honorable Yves Tardif de la Cour Supérieure du district de Saint-François |
NATURE DE L'APPEL : |
Travail - congédiement |
Greffière d’audience : Shirley Thomas |
Salle : Pierre-Basile-Mignault |
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AUDITION |
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10 h 29 |
Ouverture de l'audience. Observation de la Juge Thibault. |
10 h 32 |
Argumentation de Me Goulet. |
11 h 01 |
Suspension de l'audience. |
11 h 20 |
Reprise de l'audience. |
11 h 20 |
Me Goulet poursuit son argumentation. |
11 h 41 |
Suspension de l'audience. |
11 h 47 |
Repris de l'audience. |
11 h 47 |
L'argumentation de Me Thibault n'est pas nécessaire. |
11 h 48 |
PAR LA COUR: Arrêt unanime prononcé par la Juge Thibault - voir page 3. |
11 h 48 |
Fin de l'audience. |
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SHIRLEY THOMAS |
Greffière d’audience |
PAR LA COUR
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ARRÊT |
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[1] L’appelante, qui prétend avoir été congédiée sans motif sérieux de son poste de directrice générale, a poursuivi l’intimée pour réclamer le paiement d’une indemnité de 163 370 $ tenant lieu de délai-congé (16 mois) ainsi que des dommages-intérêts compensatoires de 40 000 $ en raison d’un abus de droit.
[2] Un jugement de la Cour supérieure du district de St-François (l’honorable Yves Tardif), prononcé le 16 juin 2014, a rejeté la requête introductive d’instance, estimant que l’intimée avait résilié le contrat de travail à durée indéterminée de l’appelante pour un motif sérieux et n’avait pas abusé de ses droits en la congédiant.
[3] Le pourvoi de l’appelante soulève trois questions :
1. Le juge a-t-il erré en concluant que l’intimée avait des motifs sérieux de congédier l’appelante sans lui octroyer un délai-congé raisonnable?
2. Le juge a-t-il erré en n’abordant pas la notion de congédiement déguisé?
3. Le juge a-t-il omis de sanctionner un abus de droit?
* * *
1. Le juge a-t-il erré en concluant que l’intimée avait des motifs sérieux de congédier l’appelante sans lui octroyer un délai-congé raisonnable?
[4] La qualification des motifs du congédiement soulève une question de fait pour laquelle la norme d’intervention d’une cour d’appel est bien connue[1]. Or, après avoir eu le bénéfice d’entendre et d’examiner minutieusement l’ensemble d’une preuve à la fois testimoniale et documentaire, le juge a considéré que les actes reprochés à l’appelante constituaient de l’insubordination, de la déloyauté et un grave manque de jugement qui ont irrémédiablement rompu le lien de confiance entre les parties.
[5] Les constats du juge, selon lesquels l’appelante a (1) tenu des propos mensongers pour tenter de repousser la réunion du conseil d’administration prévue pour le 22 novembre 2011, (2) par la teneur de sa lettre du 18 novembre, manifesté une conduite qui s’écarte de celle de l’employé loyal et diligent, (3) adopté un comportement incontrôlé et démesuré lors d’une réunion du comité exécutif concernant sa rémunération et (4) usé de son pouvoir de gestion de façon malhonnête et irrespectueuse envers les employés, ne comportent pas d’erreur manifeste et déterminante.
[6] Il en va de même de la qualification des comportements de l’appelante que retient le juge aux paragraphes 38 et 39 du jugement entrepris :
[38] Dans sa défense amendée, l’avocate de la Coopérative résume ainsi les motifs qui ont porté celle-ci à mettre fin immédiatement au lien d’emploi de Brunelle :
« 180- Les comportements inappropriés de la demanderesse lors des réunions des 1er septembre et 17 novembre 2011, son obsession quant à la présentation et à la modification, à son avantage, du Programme, ses réactions excessives quant au report de l'étude de la question du Programme, les propos déplacés et le manque de respect dont elle a fait preuve à l'égard de certains membres du conseil d'administration de la COOP à l'intérieur de ses courriels, les mensonges qu’elle a avancés afin de faire annuler et reporter la réunion du 22 novembre, les menaces et soupçons que la demanderesse a dirigés et nourris à l'encontre du président, du vice-président, et de certains cadres, ses machinations afin de faire démettre le président, ses entraves à un soi-disant mouvement de syndicalisation et l'ensemble des autres comportements étayés précédemment constituent conjointement, et souvent pris isolément, des fautes graves et des motifs sérieux de congédiement;
181- La demanderesse occupait les plus hautes fonctions au sein de la COOP, et cette dernière devait par conséquent pouvoir s'attendre à ce que la demanderesse fasse preuve d'exemplarité et maintienne son équipe unie et motivée;
182- Le lien de confiance entre la COOP et la demanderesse fut irrémédiablement rompu suivant la survenance et la connaissance des évènements précédemment énoncés; »
[39] La Cour est d’accord avec ce résumé.[2]
[7] Par ailleurs, la conclusion du juge selon laquelle la conduite de l’appelante est contraire aux obligations que lui imposaient l’article 2088 C.c.Q. et son contrat de travail ne comporte pas non plus d’erreur révisable.
[8] L’argument de l’appelante voulant que l’article 2094 C.c.Q. ne trouve application que si les manquements reprochés ont « porté à conséquence »[3] est, en l’espèce, infondé. Qu’il suffise de rappeler, à cet égard, ce que soulignait notre collègue Marie-France Bich dans l’arrêt Concentrés scientifiques Belisle inc. c. Lycro Nutrition inc. :
[44] Cela dit, la violation grave ou répétée du devoir de loyauté en cours d’emploi constitue un motif sérieux de congédiement au sens de l’article 2094 C.c.Q. que ce manquement ait ou non causé un préjudice à l’employeur. S’il y a préjudice, l’employeur pourra en outre exiger réparation. De même, l’ex-salarié qui viole son devoir de loyauté postcontractuel s’expose à être poursuivi par l’ex-employeur : demande d’injonction, s’il s’agit d’empêcher la violation ou de la prévenir, demande de dommages-intérêts, si la violation a engendré un préjudice, combinaison de ces remèdes, le cas échéant.[4]
[Nous soulignons]
[9] C’est, en l’espèce, la somme des comportements répréhensibles de l'appelante qui constitue le motif sérieux justifiant la résiliation unilatérale et sans préavis de son contrat d’emploi, bien que certains de ceux-ci étaient, à eux seuls, suffisamment graves pour satisfaire aux exigences de l'article 2094 C.c.Q. Il convient en conséquence de conclure que le juge n’a pas erré à cet égard.
2. Le juge a-t-il erré en n’abordant pas la notion de congédiement déguisé?
[10] Un bref rappel des faits s’impose ici.
[11] Après avoir vainement tenté de faire reporter, sous de faux prétextes, la réunion du conseil d’administration du lendemain, l’appelante prévient, le 21 novembre 2011, certains cadres qu’elle aura un billet médical avant la fin de la journée. Effectivement, elle remettra à son employeur un billet signé par la Dre Charline Cormier daté du 21 novembre 2011, énonçant qu’elle doit s’absenter du travail durant une période indéterminée pour une cause médicale non dévoilée. À la réunion du 22 novembre 2011, le conseil d’administration désigne donc Hélène Gagnon à titre de directrice générale par intérim et l’appelante est alors avisée de ne plus communiquer avec les employés, cadres, clients et fournisseurs de la coopérative durant son absence. Le 3 février 2012, l’intimée prévient l’appelante qu’elle doit se soumettre à une expertise effectuée par le médecin qu’elle a choisi, s’abstenir de se présenter sur les lieux du travail jusqu’à ce que soient connus les résultats de l’expertise et que, dans l’intervalle, elle est « suspendue administrativement sans traitement »[5]. Le 7 mars suivant, l’appelante est avisée de la décision du conseil d’administration de procéder à son congédiement prenant effet à compter du 6 février 2012, date à laquelle elle s’était déclarée apte à reprendre le travail à temps complet.
[12] L’isolement forcé dont se plaint l’appelante résulte, avant toute chose, de la maladie qui l’a contrainte à ne pouvoir offrir sa prestation de travail à l’intimée. Cette dernière a réagi en assignant de façon intérimaire la charge d’effectuer ses tâches à une autre employée. La demande de ne plus intervenir dans les affaires de l’intimée durant cette absence, dans les circonstances de l’espèce, ne suffit définitivement pas pour qualifier la situation de congédiement déguisé. Il en va de même pour la suspension du 3 février 2012.
[13] Cela dit, l’appelante a été congédiée de façon explicite. La lettre du 7 mars 2012 qu’adresse le procureur de l’intimée à l’appelante n’est aucunement ambiguë à cet égard. Le contexte ne portait pas non plus à la confusion et le juge n’a pas erré en ne traitant pas la question sous l’angle du congédiement déguisé.
3. Le juge a-t-il omis de sanctionner un abus de droit?
[14] L’appelante soutient que l’intimée a agi de façon insouciante, maladroite, malveillante et négligente à son égard en déclenchant à son insu une enquête durant laquelle elle n’a pu donner sa version des faits et en lui faisant subir une expertise psychiatrique après que la décision de la congédier ait été prise. Cette conduite cavalière de l’intimée aurait gravement porté atteinte à sa vie privée et à sa réputation.
[15] Or, la preuve révélait plutôt que l’enquête avait été instituée à la seule fin de colliger les faits de façon indépendante auprès de cinq employés de l’intimée. L’enquêteur n’a d’ailleurs émis aucune conclusion à la suite des interrogatoires et n’a pas formulé de recommandation au conseil d’administration au terme de son mandat.
[16] En ce qui concerne l’expertise médicale, il faut rappeler que l’appelante avait jusque-là refusé de dévoiler à l’intimée le diagnostic médical qui l’empêchait d’exercer ses fonctions de façon indéterminée. Le mandat confié au Dr Denis Lepage par l’intimée comprenait cinq volets :
1. Préciser le diagnostic;
2. Discuter des recommandations du Dre Cormier relativement au retour progressif de l’appelante au travail à compter du 2 février 2012 et de son retour à temps complet le 6 février 2012;
3. Déterminer si l’appelante souffrait de troubles de personnalité;
4. Déterminer si le diagnostic retenu pouvait être la cause des comportements erratiques de l’appelante du mois de novembre 2011;
5. Déterminer si l’appelante serait apte à faire face à une décision de congédiement.
[17] L’enquête disciplinaire, menée par une tierce personne qui a pour mission de vérifier les faits allégués, est intrinsèquement reliée au pouvoir patronal de gestion et de discipline et n’a pas à être soumise à des exigences procédurales comparables à celles des comités de discipline des ordres professionnels. À moins que l’employeur ait choisi « de se doter d’une politique qui incorpore à son processus d’enquête disciplinaire les règles de la justice naturelle ou de l’équité procédurale ou certaines d’entre elles »[6], ce qui n’est pas le cas en l’espèce, ces règles que connaît le droit administratif ne s’imposent pas d’elles-mêmes à une enquête commandée par une entreprise. L’intimée et l’enquêteur n’avaient donc pas l’obligation de recueillir la version de l’appelante préalablement à son congédiement.
[18] D’autre part, l’examen du mandat confié à l’expert-psychiatre, les conclusions que révèlent son rapport et la diffusion restreinte de celui-ci démontrent que cette nécessaire recherche dans la vie de l’appelante s’est effectuée de façon respectueuse et aussi peu intrusive que possible dans les circonstances.
[19] Comme le souligne avec raison le juge, l’intimée ne s’est pas comportée, en congédiant l’appelante, de façon à l’humilier, à la blesser ou à la mortifier. Aussi, bien que le juge ait eu tort de les qualifier de dommages punitifs, sa conclusion, selon laquelle l’intimée n’avait pas commis de faute justifiant l’indemnité réclamée, est exempte d’erreur révisable.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[20] REJETTE l’appel;
[21] Avec dépens.
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FRANCE THIBAULT, J.C.A. |
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CLAUDE C. GAGNON, J.C.A. |
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GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A. |
[1] P.L. c. Benchetrit, 2010 QCCA 1505, paragr. 24.
[2] Brunelle c. Coopérative d’Alentour, 2014 QCCS 2837.
[3] De Montigny c. Valeurs mobilières Desjardins inc., 2011 QCCS 235, paragr. 262.
[4] 2007 QCCA 676, paragr. 44.
[5] Mémoire de l’appelante, p. 143.
[6] Ditomene c. Boulanger, 2014 QCCA 2108, paragr. 28.
AVIS :
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