[1] L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 24 avril 2020 par la Cour du Québec, Chambre criminelle, district d’Iberville (l’honorable Dominique Dudemaine), le condamnant à une peine d’emprisonnement de 9 ans après qu’il eut plaidé coupable à un chef de voies de fait graves (art. 268 C.cr.) et à un chef d’introduction par effraction dans une maison d’habitation (art. 348(1)b)d) C.cr.)[1].
[2] Il soutient que le juge de première instance a commis une erreur de droit et de principe en insistant indûment sur les facteurs reliés aux objectifs de dissuasion générale et d’exemplarité au détriment des autres facteurs et en imposant une peine s’éloignant de manière marquée et substantielle des peines généralement infligées pour des crimes similaires à des délinquants qui ont essentiellement les mêmes caractéristiques que lui.
[3] Ces deux erreurs, ajoute-t-il, l’ont conduit à imposer une peine manifestement non indiquée.
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[4] Les faits sont simples, mais ils révèlent un comportement violent qui justifiait une peine qui communique fermement la réprobation de la société à l’égard de ce type de crimes[2]. La seule question qui se pose est de savoir si la sévérité de la peine justifie l’intervention de la Cour.
[5] L’appelant et la victime ont formé un couple pendant un peu plus de quatre ans. Peu de temps après leur rupture, l’appelant utilise une clé qu’il a toujours en sa possession pour pénétrer dans le domicile de la victime, autrefois leur domicile commun. Il la surprend en train de faire du ménage et une altercation éclate. Il l’asperge de poivre de Cayenne et lui assène dix-sept coups de couteau, dont certains sont portés à son cou. Elle survit, mais conserve des séquelles importantes de cette agression.
[6] Plusieurs chefs d’accusation sont déposés contre l’appelant. Celui-ci plaide rapidement coupable à un chef de voies de fait graves et à un chef d’introduction par effraction dans une maison d’habitation. Un arrêt conditionnel des procédures est prononcé sur d’autres chefs d’accusation.
[7] Les parties déposent un exposé conjoint des faits ainsi qu’un rapport présentenciel en vue de l’audience sur la peine[3]. Celle-ci se tient le 31 janvier et le 13 mars 2020. Seule la victime est entendue.
[8] Le ministère public suggère une peine d’emprisonnement totale de 9 ans, alors que l’appelant suggère une peine de 30 mois (équivalant au temps déjà purgé) assortie d’une probation de 3 ans.
[9] Le 24 avril 2020, le juge Dudemaine accepte la recommandation du ministère public et impose à l’appelant une peine totale de 9 ans d’emprisonnement, de laquelle 63 mois demeurent à être purgés compte tenu de la détention préventive[4].
[10] Le 14 mai 2020, une juge de la Cour accueille sa requête pour permission d’appeler, mais refuse sa demande pour mise en liberté provisoire pendant l’instance d’appel[5].
[11] Le juge de première instance s’attarde d’abord aux facteurs atténuants. Il souligne que l’appelant a plaidé coupable rapidement, sans exiger la tenue d’une enquête préliminaire[6], qu’il n’a pas d’antécédents judiciaires significatifs, occupe un emploi depuis 11 ans, n’a pas d’historique de violence envers la victime et a participé à divers programmes de formation depuis son incarcération, dont certains portant sur la gestion de la dépendance affective et de la violence[7]. Il atténue toutefois l’importance à accorder à ce dernier élément puisque la preuve démontre que cette participation fait en sorte que l’appelant estime ne pas avoir besoin d’une aide professionnelle supplémentaire[8].
[12] Il s’attarde ensuite aux facteurs aggravants, retenant à cet égard la gravité objective des crimes commis, pour lesquels le législateur prévoit des peines d’emprisonnement élevées[9], la gravité subjective des gestes posés[10], les torts considérables causés à la victime qui a subi des blessures sévères rendant nécessaires de nombreuses interventions chirurgicales dont elle conserve des séquelles importantes tant au niveau physique que psychologique[11], les torts causés à sa famille, à ses collègues de travail et à la société en général[12], et finalement, le fait que l’incident se soit déroulé dans un contexte de violation de domicile[13] et de violence domestique[14].
[13] Il exclut par ailleurs l’existence d’une forme de préméditation compte tenu des faits présentés dans l’exposé conjoint.
[14] Il reconnaît ensuite que la fourchette de peines applicable en matière de voies de fait grave est large[15], estimant qu’elle est généralement de 2 à 6 ans, mais qu’elle va jusqu’à 7 à 10 ans lorsque de nombreux facteurs aggravants sont présents[16], tout en rappelant que ces fourchettes ne constituent pas des règles absolues[17].
[15] Dans un effort d’harmonisation de la peine à imposer, il revoit ensuite certaines décisions soumises par les parties[18], traçant un parallèle avec les circonstances des affaires R c. Pouliot[19] et R c. Marier[20], dans lesquelles le contrevenant avait également commis des voies de fait graves dans un contexte de violence conjugale[21].
[16] Après une revue des faits de l’espèce, il estime approprié de privilégier les principes de dénonciation et de dissuasion[22] et la protection de la société face au potentiel d’impulsivité de l’appelant qu’il considère comme bien réel et impose la peine de 9 ans d’emprisonnement contre laquelle celui-ci se pourvoit[23].
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[17] L’appelant allègue que le juge, bien qu’il ait retenu à bon droit les facteurs aggravants énumérés précédemment, leur a accordé un poids beaucoup trop important et les a même exagérés. Plus particulièrement, il allègue qu’il a attribué à la victime des séquelles purement spéculatives, conclu sans preuve que les blessures qu’elle a subies avaient le potentiel d’être mortelles, considéré la brutalité des voies de faits graves comme un facteur aggravant en soi, alors qu’il s’agit plutôt d’un élément inhérent à l’infraction, et utilisé la violation de domicile tant comme un facteur aggravant que comme une infraction distincte. Il lui reproche également d’avoir officieusement considéré une possible préméditation même s’il a l’officiellement rejetée.
[18] Parallèlement, il plaide que le juge n’a pas accordé le poids qui s’imposait aux facteurs atténuants qu’il a pourtant reconnus. Il lui reproche de lui avoir attribué un potentiel de violence qui n’a fait l’objet d’aucune preuve, de ne pas avoir considéré les démarches entreprises durant son incarcération et sa bonne conduite générale et d’avoir ignoré son dossier médical et son état dépressif.
[19] Subsidiairement, il allègue aussi qu’il n’a pas considéré la possibilité d’accorder une sanction moins contraignante et qu’il n’a qu’effleuré la preuve des remords sincères et du travail qu’il a entamé durant son incarcération. Ces éléments, ajoute-t-il, justifiaient une peine se rapprochant de celle qu’il a proposée. Le juge aurait également dû prendre en compte le caractère isolé de sa conduite.
[20] Quoiqu’il reconnaisse qu’il a retenu les bonnes fourchettes de peines, il plaide que le juge a néanmoins erré en situant l’infraction commise en l’espèce à l’extrémité la plus grave du spectre, plutôt qu’à son échelon mitoyen, faisant en sorte que la peine imposée s’en écarte significativement.
[21] Il soulève finalement que les décisions sur lesquelles le juge s’est fondé dans son effort d’harmonisation de la peine concernent des affaires où il y a eu tentative de meurtre, une infraction pour laquelle il n’a pas été condamné.
[22] L’intimée, pour sa part, reconnaît que la peine est sévère, mais qu’elle n’est pas disproportionnée dans les circonstances de l’espèce.
[23] Qu’en est-il?
[24] Rappelons d’abord le principe voulant que le juge de première instance bénéficie d’une latitude importante en matière de prononcé de la peine et qu’ainsi le pouvoir d’intervention de la Cour soit limité. La norme d’intervention, qui est exigeante, est énoncée en ces termes dans l’arrêt R. c. Lacasse :
[11] Notre Cour a maintes fois rappelé l’importance d’accorder une grande latitude au juge qui prononce la peine. Comme celui-ci a notamment l’avantage d’entendre et de voir les témoins, il est le mieux placé pour déterminer, eu égard aux circonstances, la peine juste et appropriée conformément aux objectifs et aux principes énoncés au Code criminel à cet égard. Le seul fait qu’un juge s’écarte de la fourchette de peines appropriée ne justifie pas l’intervention d’une cour d’appel. Au final, sauf dans les cas où le juge qui fixe la peine commet une erreur de droit ou une erreur de principe ayant une incidence sur la détermination de cette peine, une cour d’appel ne peut la modifier que si cette peine est manifestement non indiquée.[24]
[25] Puis réitérée ainsi dans l’arrêt Friesen :
[26] Comme l’a confirmé notre Cour dans Lacasse, la cour d’appel ne peut intervenir pour modifier une peine que si (1) elle n’est manifestement pas indiquée (par. 41) ou (2) le juge de la peine a commis une erreur de principe qui a eu une incidence sur la détermination de la peine (par. 44). Parmi les erreurs de principe, mentionnons l’erreur de droit, l’omission de tenir compte d’un facteur pertinent ou encore la considération erronée d’un facteur aggravant ou atténuant. La manière dont le juge de première instance a soupesé ou mis en balance des facteurs peut constituer une erreur de principe seulement s’il a « exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable, en insistant trop sur un facteur ou en omettant d’accorder suffisamment d’importance à un autre » (R. c. McKnight (1999), 1999 CanLII 3717 (ON CA), 135 C.C.C. (3d) 41 (C.A. Ont.), par. 35, cité dans Lacasse, par. 49). Ce ne sont pas toutes les erreurs de principe qui sont importantes : la cour d’appel ne peut intervenir que lorsqu’il ressort des motifs du juge de première instance que l’erreur a eu une incidence sur la détermination de la peine (Lacasse, par. 44). Si une erreur de principe n’a eu aucun effet sur la peine, cela met un terme à l’analyse de cette erreur et l’intervention de la cour d’appel ne se justifie que si la peine n’est manifestement pas indiquée.[25]
[26] Il découle de cette norme que la Cour doit s’abstenir d’intervenir afin de simplement substituer son opinion à celle du juge d’instance pour la seule raison qu’elle aurait imposé une peine différente ou reconnu un poids différent aux facteurs pertinents[26] et qu’elle doit se limiter, en ce qui a trait à son opportunité, à déterminer si le juge de première instance a appliqué les bons principes et tenu compte des faits pertinents[27].
[27] Elle permet toutefois son intervention si la peine imposée n’est manifestement pas indiquée ou si le juge ayant imposé la peine a commis une erreur de droit ou de principe ayant eu un impact sur le résultat.
[28] De façon générale, la peine nettement ou manifestement déraisonnable, excessive ou inadéquate, ou encore celle qui s’écarte de façon marquée et importante du principe de proportionnalité sera qualifiée de manifestement non indiquée alors que l’omission de prendre en considération un facteur pertinent ou l’insistance trop grande sur l’un de ces facteurs au détriment de certains autres pourra constituer une erreur de principe.
[29] Dans l’un et l’autre de ces cas de figure, l’erreur devra toutefois avoir eu une influence sur la peine infligée pour justifier une intervention[28].
[30] Cela étant établi, l’appelant ne nous convainc pas que le juge, en l’espèce, a commis une telle erreur ou a imposé une peine manifestement non indiquée.
[31] Les motifs du juge de première instance démontrent qu’il a bien identifié tant les facteurs aggravants que les facteurs atténuants. La Cour reconnaît qu’il a accordé un poids important à la violence de l’agression et à la sévérité des blessures qu’elle a entraînées, ainsi qu’au lien conjugal qui reliait l’appelant à la victime, mais elle ne peut dire que ce faisant il n’a pas appliqué les bons principes ou n’a pas tenu compte des faits pertinents.
[32] L’agression a effectivement été très violente. L’exposé conjoint des faits produit au dossier fait état que la victime a été atteinte par la lame d’un couteau au cou, au dos, aux doigts, à une cuisse et à un pied et qu’elle en gardera de nombreuses séquelles. La déclaration de celle-ci permet aussi de comprendre son traumatisme psychologique et les conséquences de celui-ci sur sa vie quotidienne.
[33] Cette agression s’étant produite dans un contexte conjugal, la relation amoureuse de l’appelant et de la victime s’étant terminée à peine un mois plus tôt, le juge pouvait choisir d’accorder un poids important à ce facteur. Le fait que l’appelant ait pénétré dans le domicile de la victime constituait également un facteur aggravant[29] que le juge pouvait considérer malgré l’accusation d’introduction par effraction dans une maison d’habitation et le plaidoyer de culpabilité enregistré par l’appelant sur ce chef.
[34] Le reproche que formule l’appelant voulant que le juge ait retenu qu’il avait un potentiel de violence alors qu’aucune preuve de ce fait n’a été administrée doit également être rejeté.
[35] La Cour estime en effet que le juge, à la lecture du rapport présentenciel[30], dans lequel l’agente de probation fait état d’un potentiel d’impulsivité préoccupant et des circonstances entourant l’agression, notamment du contenu des textos échangés avec la victime dans les jours précédant l’agression et du fait qu’il a l’habitude de se promener avec un couteau, pouvait légitimement conclure que l’appelant présentait un potentiel de violence.
[36] Finalement, son reproche voulant que le juge n’ait pas suffisamment tenu compte des remords qu’il a exprimés et du travail qu’il a entamé durant son incarcération est également non fondé puisque les motifs démontrent que le juge les a considérés. Il écrit, au chapitre des facteurs atténuants de son analyse :
[23] Au niveau des facteurs atténuants, la défense souligne que l’accusé a un passé sans histoire, qu’il s’agit d’un premier geste violent, qu’il y a absence de préméditation, qu’il a plaidé coupable rapidement, qu’il regrette les gestes posés et qu’il a suivi plusieurs thérapies visant sa réhabilitation durant sa détention
[24] L’énoncé des faits admis par les parties atteste que l’accusé a un passé sans histoire et qu’il s’agit d’un premier geste violent, le Tribunal considère ces facteurs atténuants établis.
[25] En plaidant coupable rapidement, sans exiger la tenue d’une enquête préliminaire, et en convenant d’un énoncé des faits aux fins de la sentence, l’accusé a épargné à la victime d’avoir à subir l’épreuve du témoignage de la Cour. En agissant ainsi, l’accusé a reconnu sa responsabilité et a fait les premiers pas en vue de sa réhabilitation, il s’agit de facteurs atténuants.]
[26] Son parcours en détention, tel qu’en font foi les nombreuses attestations obtenues et les commentaires des formateurs, est également un facteur positif, tout comme son absence d’antécédents judiciaires significatifs.
[37] Bref, la Cour ne voit dans l’exercice auquel s’est livré le juge ni erreur de principe ni erreur de droit.
[38] Il est vrai que la peine qui en découle est sévère, voire très sévère, et qu’elle ne doit pas être perçue comme constituant dorénavant la norme en semblables matières. Cela étant, la Cour estime que cette sévérité ne la rend pas manifestement non-indiquée dans les circonstances de l’espèce.
[39] Dans ces circonstances, rien ne justifie son intervention.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[40] REJETTE l’appel.
[1] R. c. Lalande, 2020 QCCQ 1677 (ci-après le jugement entrepris).
[2] R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, paragr. 81.
[3] Pièce S-2, Rapport présentenciel, sous-scellés.
[4] Jugement entrepris, paragr. 114 et s.
[5] Lalande c. R., 2020 QCCA 691, paragr. 20-21.
[6] Jugement entrepris, paragr. 25.
[7] Jugement entrepris, paragr. 17-19.
[8] Jugement entrepris, paragr. 20.
[9] Jugement entrepris, paragr. 29-30.
[10] Jugement entrepris, paragr. 31.
[11] Jugement entrepris, paragr. 34-39.
[12] Jugement entrepris, paragr. 40-42.
[13] Jugement entrepris, paragr. 43.
[14] Jugement entrepris, paragr. 51.
[15] Jugement entrepris, paragr. 78, 91-92.
[16] Jugement entrepris, paragr. 78.
[17] Jugement entrepris, paragr. 79.
[18] Jugement entrepris, paragr. 80 et s.
[19] R. c. Pouliot, 2011 QCCS 1539.
[20] R. c. Marier, 2013 QCCS 3398.
[21] Jugement entrepris, paragr. 87 et 89.
[22] Jugement entrepris, paragr. 102-104.
[23] Jugement entrepris, paragr. 105.
[24] R. c. Lacasse, 2015 CSC 64.
[25] R. c. Friesen, 2020 CSC 9, paragr. 26.
[26] R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, paragr. 12 et 49.
[27] R. c. McDonnell, [1997] 1 R.C.S. 948.
[28] R. c. Friesen, 2020 CSC 9, paragr. 27; R. c. Lacasse, CSC 64, paragr. 44.
[29] Art. 348 C.cr.
[30] Pièce S-2, Rapport présentenciel, sous-scellés.
AVIS :
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