RÉGIE DES ALCOOLS, DES COURSES ET DES JEUX
DÉCISION
[1] Le 27 mars 2015, la Régie des alcools, des courses et des jeux (la Régie) a transmis à la titulaire un avis de convocation à une audition.
[2] Une première audience a été tenue le 17 avril 2015. Lors de cette audience, les parties ont soumis au Tribunal de la Régie une proposition conjointe verbale ainsi qu’un engagement volontaire souscrit par la titulaire.
[3] Le 4 mai 2015, le Tribunal a rendu une décision rejetant la proposition conjointe soumise verbalement et ordonnant que la titulaire soit de nouveau convoquée en audience pour continuation de celle-ci[1].
[4] Le 16 septembre 2015, la Régie a transmis à la titulaire un avis de convocation à une audition amendé.
[5] L’audition pour laquelle a été convoquée la titulaire a pour but d’examiner et d’apprécier les allégations décrites aux documents annexés à l’avis de convocation amendé, d’entendre tout témoignage utile et de déterminer, dans le cadre d’une enquête, si la titulaire a commis quelque manquement à ses obligations légales et, le cas échéant, suspendre ou révoquer les permis de la titulaire.
LES FAITS
[6] Les faits qui ont donné ouverture à la convocation se résument comme suit dans l’avis de convocation amendé du 16 septembre 2015 :
[Transcription conforme]
§ Le 19 mars 2015, les policiers du Service de police de la Ville de Montréal ont demandé à la Régie de convoquer la titulaire à une audience, notamment suite à des coups de feu tirés en direction de l'établissement ainsi que d'une tentative de meurtre (document 1, rapport no 11-150318-016 - Demande de convocation).
§ Le 3 septembre 2015, la Régie reçoit du
Service de police de la ville de Montréal une demande de convocation, suite à
une tentative de meurtre ayant eu lieu à l’intérieur de l’établissement le 28
août dernier (document 12, demande de convocation).
Actes de violence / Tentative de meurtre
§ Le 23 mai 2014, les policiers se présentent à l'établissement pour un incendie criminel. À leur arrivée, ils constatent la présence de plusieurs camions de pompier qui contrôlent le feu qui se situe derrière le Bar Liquid Lounge. Un des employés du bar rapporte aux policiers avoir vu le suspect commettre l'infraction. Trois (3) bonbonnes de propane sont saisies sur les lieux (document 2, rapport no 11-140523-012).
§ Le 6 février 2015, les policiers interviennent à l'établissement pour un vol qualifié. Un client de l'établissement s'est fait agresser et voler par trois (3) à cinq (5) hommes de race noire. Ils l'ont roué de coups au visage et au corps. Selon les policiers, cet événement s'inscrit dans une montée de la violence et une augmentation de la clientèle criminogène dans le secteur, notamment au Bar Liquid Lounge (document 3, rapport no 11-150206-012).
§ Le 15 mars 2015, les policiers se présentent à l'établissement suite à un appel les informant que des coups de feu ont été tirés en direction du bar (document 1, rapport no 11-150318-016 - Demande de convocation et document 4, rapport no 11-150315-018).
§ Le 18 mars 2015, les policiers se présentent à l'établissement suite à une tentative de meurtre sur un client du bar. Le suspect a tiré deux (2) coups de feu en direction du client l’atteignant aux deux jambes, alors que ce dernier était sur la terrasse. Une douille d'arme à feu est retrouvée devant la porte de l'établissement (document 5 rapport no 11-150318-012).
§ Le 28 août 2015, les policiers et les
services ambulanciers sont appelés à se rendre à l’établissement suite à une
tentative de meurtre. Le suspect est entré dans le bar, s’est dirigé vers le
barman qui était derrière le comptoir-service. Il l’a d’abord poussé et frappé
pour ensuite tiré en sa direction trois (3) coups de feu l’atteignant aux deux
jambes. La victime a été transportée d’urgence à l’hôpital (document 13,
rapport no. 11-150828-002).
Présence de drogue
§ Le 31 juillet 2015, lors d’une visite pour une inspection systématique, les policiers ont saisi un sachet d’environ un quart de gramme de cocaïne qui se trouvait au sol près du bar (document 14, rapport 11-150731-004).
Bruit
§ Entre le 4 avril et le 6 juillet 2014, les policiers ont reçu plusieurs appels concernant des plaintes de bruit provenant de l'établissement Bar Liquid Lounge (document 6, cartes d'appel).
Boissons alcooliques contenant un insecte
§ Le 19 décembre 2014, les policiers ont saisie dans votre établissement, quatre (4) bouteilles de boissons alcooliques contenant des insectes (document 7, rapport no 11-141219-020).
§ Le 31 juillet 2015, les policiers ont
saisie dans votre établissement, deux (2) bouteilles de boissons alcooliques
contenant des insectes (document 15, rapport no. 11-150731-002).
Publicité : Incitation à la consommation non responsable / Rabais
§ Le 19 mars 2015, les policiers ont constaté sur votre page Facebook, de la publicité incitant une personne à consommer des boissons alcooliques de façon non responsable et dans laquelle vous offrez un rabais sur le prix habituel de vos boissons alcooliques (document 8).
AUTRES INFORMATIONS PERTINENTES :
- Le 13 mars 2015, les agents Mélissa Garon et Alexandre Lebuis du SPVM rencontrent le propriétaire de l’établissement, monsieur Christopher Thomson, afin de discuter avec lui des problématiques reliées à son établissement (document 1, rapport no 11-150318-016 - Demande de convocation et document 10, rapport no 11-150206-014).
- Le 19 mars 2015, les agents Mélissa Garon et Alexandre Lebuis du SPVM rencontrent le propriétaire de l’établissement, monsieur Christopher Thomson, suite aux derniers événements de violence, soit les coups de feu tirés en direction du bar ainsi que de la tentative de meurtre sur un client. Lors de cette rencontre, il est notamment discuté de l’importance pour le titulaire de prendre des mesures concrètes, en cas de réouverture de son bar, afin de s’assurer de la sécurité de ses employés et ses clients (document 11, Complément à la demande de convocation).
- Il est également discuté lors de cette rencontre du concept «Celebrity Nights». Monsieur Thomson explique qu’il s’agit d’un concept pour attirer la clientèle et qui consiste à choisir un client comme assistant-serveur d’un soir. Ce dernier se retrouve derrière le bar et assiste le serveur pour la soirée. Lors de la tentative de meurtre du 18 mars 2015, l’assistante-serveuse qui était en compagnie de la victime sur la terrasse était une cliente qui avait participé audit concept (document 11, Complément à la demande de convocation).
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- Le 1er septembre 2015, suite à la tentative de meurtre survenue le 28 août 2015, les policiers rencontrent le responsable de la titulaire, Monsieur Christopher Thomson. Celui-ci mentionne aux policiers qu’il n’a aucune idée pourquoi des coups de feu ont été tirés dans son bar. Il ne croit pas que son barman ni lui-même étaient visés par le tireur mais croit plutôt que c’est son établissement qui est visé, peut-être quelqu’un a des intérêts pour que son bar ne fonctionne pas. Il ajoute qu’il pense que les trois événements de coups de feu sont liés et ne sont pas le fruit du hasard. Il est très conscient qu’il y a un risque élevé à rouvrir son bar pour lui-même, ses employés et le clientèle. Monsieur Thomson affirme aux policiers qu’il ferme son bar définitivement car il ne veut pas que la prochaine victime soit atteinte mortellement (document 12, demande de convocation).
- Vous êtes autorisée à exploiter cet établissement depuis le 4 août 2003.
- La date d'anniversaire des permis est le 20 février.
L’AUDIENCE
[7] La deuxième audience s’est tenue au Palais de justice de Montréal, le 22 octobre 2015. Me Guy Nephtali représente la société 9015-0002 Québec inc. Il est accompagné de M. Christopher Thomson, le responsable de la titulaire. Me Mélanie Charland est présente pour la Direction du contentieux.
Preuve de la Direction du contentieux
Témoignage de l’agente Mélissa Garon (documents 1, 2, 3, 4, 5, 8, 10 et 11)
[8] Mme Mélissa Garon est agente-enquêteure au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Elle est affectée à la section de la moralité de la région ouest de l’île de Montréal. Elle est chargée de procéder à des enquêtes et des suivis concernant les établissements licenciés qui peuvent présenter certains problèmes en matière de tranquillité et de sécurité publique. Elle est enquêteure principale depuis mars 2012.
[9] Le 19 mars 2015, l’agente Garon a formulé une demande de convocation de la titulaire devant la Régie en raison de certains événements qui se sont déroulés à l’établissement et qui ont grandement perturbé la tranquillité publique et porté atteinte à la sécurité publique.
[10] La policière fait la narration des événements qui se sont déroulés le 23 mai 2014 (incendie criminel) et le 6 février 2015 (vol qualifié et agression) et qui ont nécessité des interventions policières. Les policiers présents lors de ces interventions ont recommandé au responsable de la titulaire d’installer des caméras de surveillance à l’extérieur et à l’intérieur de l’établissement.
[11] À la suite de ces événements, l’agente Garon a convoqué M. Christopher Thomson à une rencontre qui a eu lieu le 13 mars 2015. Mme Garon était accompagnée de l’agent enquêteur Alexandre Lebuis.
[12] Lors de cette rencontre, M. Thomson a mentionné aux policiers que depuis l’incendie du 23 mai 2014, il y a eu une baisse d’achalandage à l’établissement et que la situation financière en découlant le stresse. Il affirme qu’il n’y a pas de problèmes de violence à l’établissement ni de présence de gangs de rue ou de groupes criminalisés.
[13] Il a été moins présent à l’établissement au cours des derniers mois en raison de problèmes de santé. Il n’a pas fait installer de caméras de surveillance, car il n’en a pas les moyens.
[14] Les agents Garon et Lebuis ont donné des conseils à M. Thomson afin d’assurer le respect de la tranquillité et de la sécurité publique. Ce dernier s’est montré réceptif et a assuré qu’il sera plus présent à l’établissement.
[15] Le 15 mars 2015, des bruits ressemblant à des coups de feu ont été entendus à proximité du bar Liquid Lounge.
[16] Le 18 mars 2015, un événement majeur est survenu à l’établissement.
[17] Vers 0 h 55, un client du Bar Liquid Lounge, M. Leo Melikoff, est sorti à l’extérieur pour fumer. Il est accompagné d’une serveuse de l’établissement, Mme Bailey Clive.
[18] Un autre individu circule à pied sur le trottoir. Arrivé à la hauteur du Bar Liquid Lounge, il tire un coup de feu et atteint M. Melikoff. Il prend ensuite la fuite. La serveuse n’est pas blessée, mais a subi un choc nerveux.
[19] Les policiers se sont présentés sur les lieux vers 1 h 05. La victime, blessée aux jambes, est transportée dans un centre hospitalier où elle doit subir une chirurgie. Elle n’est pas connue des policiers et ne possède aucun antécédent criminel. Elle collabore à l’enquête et veut porter plainte.
[20] Une douille d’arme à feu est retrouvée par les policiers devant la porte de l’établissement.
[21] M. Thomson se présente à l’établissement vers 1 h 50. Il déclare aux policiers qu’il était dans un autre bar. C’est la serveuse, Mme Clive, qui l’a appelé. Il se dit inquiet des événements.
[22] À la demande des policiers, M. Thomson a fermé l’établissement immédiatement après l’événement précédemment décrit.
[23] Le 19 mars 2015, une nouvelle rencontre est tenue avec M. Thomson au Centre d’enquête Ouest. L’objectif de cette rencontre était de mettre en place un plan de sécurité lors de la réouverture du bar. Les policiers suggèrent fortement à M. Thomson la mise en place des mesures suivantes :
- l’installation de caméras de surveillance;
- l’embauche d’un agent de sécurité;
- assurer lui-même une plus grande présence à l’établissement;
- revoir les heures d’ouverture;
- aviser le SPVM de son intention de rouvrir l’établissement.
[24] M. Thomson déclare qu’il n’a pas l’intention d’ouvrir ses portes prochainement pour la sécurité de ses employés et de ses clients. Il déclare vouloir communiquer avec des acheteurs potentiels.
[25] L’agente Garon fait également état du reproche découlant du document 8 (incitation à la consommation non responsable/rabais).
[26] Contre-interrogée par Me Nephtali au sujet de l’événement du 6 février 2015 (document 3), Mme Garon admet que la première fois que la victime a été vue par les policiers, elle se trouvait devant le restaurant A &W au 5150, rue Sherbrooke Ouest et la deuxième fois, elle se trouvait dans la rue Marlowe au sud de la rue Sherbrooke Ouest et était blessée.
[27] La victime a été rencontrée par les policiers dans le contexte d’une recrudescence de violence à l’établissement et aux alentours du restaurant A &W.
[28] En mars 2015, M. Thomson lui avait dit qu’il n’y avait plus d’agent de sécurité à l’établissement la nuit après la fermeture du bar.
[29] Au sujet de l’événement du 15 mars 2015, le rapport policier n’indique pas si des douilles d’arme à feu ont été trouvées.
Témoignage de l’agent Michel Rodrigue (documents 12 et 13)
[30] L’agent Michel Rodrigue est policier à la section moralité sud du SPVM. Il travaille au SPVM depuis 1999.
[31] Le 28 août 2015, vers 0 h 15, un individu se présente à pied au Bar Liquid Lounge. Il a dans ses mains un sac. Il entre en se cachant le visage de sa main et se dirige à l’arrière du bar où se trouvent M. Kyle Gordon Lisacek, barman, et Mme Hannah-Jane Arsenault-Danielis, conjointe de M. Chistopher Thomson. Ce dernier est également présent dans l’établissement.
[32] L’individu sort de son sac un pistolet et frappe M. Lisacek à la tête. Il fait ensuite feu dans sa direction et l’atteint à la cuisse. Puis, il fait feu en direction de Mme Arsenault-Danielis, mais ne l’atteint pas. Il vise à nouveau M. Lisacek en s’approchant très près de lui. Il fait feu une troisième fois en l’atteignant de nouveau à la cuisse. En tout, trois projectiles ont atteint M. Lisacek. Le tireur s’enfuit à pied par la rue Sherbrooke vers l’ouest.
[33] M. Lisacek a été transporté à l’hôpital pour y être soigné. Une douille de balle ainsi qu’une balle, tombée du pantalon de la victime, ont été retrouvées par les policiers.
[34] Dix témoins, incluant M. Thomson ainsi que la victime, ont été interrogés par les policiers. Tous ont déclaré ne pas connaître le tireur. Aucun suspect n’a encore été arrêté.
[35] Le 1er septembre 2015, l’agent Michel Rodrigue a convoqué M. Chistopher Thomson à une rencontre qui a eu lieu le même jour.
[36] Au cours de cette rencontre, M. Thomson déclare à l’agent Rodrigue qu’il n’a aucune idée des motivations qui ont mené aux tentatives de meurtre du 18 mars et du 28 mars 2015 et aux coups de feu du 15 mars 2015. Après l’événement du 18 mars 2015, il avait installé huit caméras dans le bar et engagé des agents de sécurité.
[37] Il est convaincu que le barman, M. Kyle Gordon Lisacek, n’était pas personnellement visé lors de l’événement du 28 mars 2015. M. Lisacek est une personne amicale.
[38] M. Thomson ajoute qu’il ne se connaît pas d’ennemi et qu’il n’a jamais eu de menace ni tentative d’extorsion. Il pense que c’est l’établissement lui-même qui est visé. Les trois événements sont liés entre eux et ne sont pas le fruit du hasard.
[39] Il affirme au policier qu’il ferme l’établissement définitivement. Il est conscient que l’exploitation de son bar présente un risque élevé pour lui-même, ses employés et sa clientèle. Il cherche juste la meilleure solution pour perdre le moins d’argent possible. Il aimerait pouvoir vendre l’établissement.
[40] Considérant la gravité des événements survenus au Bar Liquid Lounge, le fait que M. Thomson est lui-même inquiet pour la sécurité des personnes fréquentant l’établissement ainsi que son incapacité à assurer la protection de ces personnes, l’agent Michel Rodrigue déclare que le SPVM demande la révocation des permis de la titulaire afin de régler la problématique de sécurité publique qui a fait deux victimes directes par armes à feu en moins de six mois.
[41] Le SPVM craint que d’autres événements du même type se produisent si l’établissement rouvre ses portes, que ce soit avec M. Thomson ou avec un nouveau propriétaire. Si l’établissement recommence à être exploité, le SPVM devra y assurer une présence policière tous les soirs le temps nécessaire pour s’assurer qu’il n’y a plus de danger pour la sécurité.
[42] L’agent Michel Rodrigue n’est pas contre-interrogé par le procureur de la titulaire.
Autres éléments de preuve
[43] Me Mélanie Charland présente les documents 6, 7, 9, 14 et 15 qui sont déposés à titre de preuve documentaire.
Preuve de la titulaire
Témoignage de M. Christopher Thomson
[44] M. Christopher Thomson est l’actionnaire unique et le seul administrateur de la titulaire, 9015-0002 Québec inc. Il est propriétaire de l’établissement depuis octobre 2013.
[45] L’établissement a fait l’objet de visites policières en 2013 et 2014, et les policiers lui ont dit qu’il faisait du bon travail.
[46] Il n’a pas d’ennemis et n’a jamais reçu de menace. Il n’y a jamais eu de bataille dans son bar. Il ne connaît pas la clientèle criminogène qui pourrait fréquenter l’établissement (document 10).
[47] Il n’était pas présent à l’établissement lors de l’événement du 23 mai 2014 (incendie criminel, document 2). Les bombonnes trouvées par les policiers n’étaient pas des bonbonnes de gaz, mais de CO2. Ces bonbonnes lui appartenaient.
[48] Il a embauché un agent de sécurité pour surveiller l’établissement la nuit et a fait installer huit caméras de surveillance à l’intérieur et à l’extérieur. Les policiers étaient satisfaits de cette installation.
[49] Lors de l’événement du 6 février 2015 (vol qualifié et agression, document 3), le bar était fermé et il n’y avait personne à l’intérieur.
[50] L’agression survenue le 18 mars 2015 s’est déroulée à l’extérieur de l’établissement. Il ne connaissait pas la personne visée.
[51] Il a rencontré les policiers après cet événement et il a fermé son établissement. Il n’est pas habitué à de tels événements violents.
[52] Il a rouvert l’établissement après l’audience du 17 avril 2015. Les caméras de surveillance étaient installées et tout allait bien jusqu’à l’événement du 28 août 2015.
[53] Il était présent au bar lors de ce dernier événement et il a tout vu. Le tireur n’a jamais dit un mot. Il avait entre 25 et 30 ans, c’est la première fois qu’il le voyait. Trois coups de feu ont été tirés.
[54] C’est M. Kyle Gordon Lisacek qui était visé. Les individus qui ont causé des problèmes n’étaient pas des clients réguliers. La clientèle habituelle est tranquille.
[55]
L’établissement
est maintenant fermé et il ne veut plus l’exploiter. Il ne paie plus
le loyer. Il a reçu une offre d’achat d’un dénommé A qui est un
exploitant d’expérience et qui voudrait transformer l’établissement en resto-bar.
Il craint que si ses permis sont révoqués, l’offre d’achat soit retirée.
[56] M. Thomson fournit également certaines explications concernant les allégations découlant des documents 6, 7, 8, 9, 14 et 15 annexés à l’avis de convocation.
Observations du propriétaire de l’immeuble
[57] M. Rauf Bakali est le représentant du propriétaire de l’immeuble où est situé le Bar Liquid Lounge, soit la société PM Équibec inc., a fait parvenir à la Régie des observations écrites (pièce P-1).
[58] M. Bakali est au courant des événements qui sont survenus au Bar Liquid Lounge. Il confirme que M. Thomson veut s’en retirer et qu’il ne paie plus son loyer. Il lui a proposé qu’un nouveau locataire exploite l’établissement.
[59]
Un nouvel
exploitant potentiel s’est manifesté : il s’agit de M.
A .
M. A est déjà propriétaire du situé rue
. Ce dernier
possède les qualités nécessaires et l’expérience suffisante pour exploiter un
établissement titulaire de permis d’alcool sans nuire à la tranquillité
publique ni porter atteinte à la sécurité publique.
[60] M. A espère pouvoir exploiter l’établissement dans les meilleurs délais. Il a déjà signé un bail de location du local où est situé l’établissement.
[61] M. Bakali estime qu’une suspension de deux mois du permis de la titulaire serait suffisante pour assurer une transition ordonnée.
Représentations de la procureure de la Direction du contentieux
[62] Me Mélanie Charland soumet que la preuve a clairement démontré que des éléments violents se sont produits à l’établissement. Elle note, particulièrement, l’incendie criminel du 23 mai 2014 ainsi que les agressions armées du 18 mars et du 28 août 2015.
[63] Ce sont des événements qui font craindre pour la sécurité des clients et du personnel de l’établissement. De plus, on ne sait pas qui est visé par ces attentats de sorte qu’un climat d’incertitude a été créé autour de l’établissement. Les policiers ont constaté une recrudescence de violence dans les environs immédiats du bar Liquid Lounge.
[64] M. Thomson admet qu’il a peur pour la sécurité des clients et de ses employés.
[65] Tant le SPVM que la Direction du contentieux estiment que l’exploitation des permis porte atteinte à la sécurité publique. Il y a donc lieu de révoquer les permis de la titulaire et d’ordonner qu'aucun permis ne puisse être délivré dans l'établissement situé au 5028, rue Sherbrooke Ouest à Montréal avant l'expiration d'un délai de six mois de la date de la révocation.
Représentations du procureur de la titulaire
[66] Me Guy Nephtali admet que deux événements graves se sont produits à l’établissement, soit ceux du 18 mars et du 28 août 2015. Il estime que celui du 6 février 2015 (vol qualifié et agression) n’est pas déterminant puisque le bar était fermé.
[67] Le procureur plaide que le Tribunal doit tenir compte du principe de proportionnalité des sanctions considérant que c’est la première fois que la titulaire est convoquée devant la Régie. Il soumet la décision rendue par la Régie dans l’affaire Moomba[2] dans laquelle il y avait beaucoup plus d’infractions reprochées à la titulaire. Les permis de la titulaire avaient été suspendus pour une période de cinquante jours. Il cite également la décision Bar Goldie’s[3] où la titulaire s’était vu imposer une sanction de trente-cinq jours de son permis et de sa licence suite à une proposition conjointe.
[68] M. Thomson a trouvé un acheteur potentiel. Si les permis sont révoqués, il ne lui sera pas possible de vendre son établissement. Il faudrait lui laisser une chance.
[69] L’établissement est fermé depuis le 1er septembre 2015, soit immédiatement après le dernier événement d’agression armée. Le procureur estime qu’une suspension de quatre-vingt-dix jours des permis de la titulaire rétroactive au 1er septembre 2015 serait raisonnable dans les circonstances.
LE DROIT
[70] Les dispositions légales qui s'appliquent dans le présent dossier sont les suivantes :
Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques[4](LIMBA)
108. Quiconque étant muni d'un permis:
[…]
2.1° garde ou tolère qu'il soit gardé dans son établissement une boisson alcoolique contenant un insecte, à moins que cet insecte n'entre dans la fabrication de cette boisson alcoolique; […]
commet une infraction et est passible d'une amende de 325 $ à 700 $ et, […]
Loi sur les permis d'alcool[5] (LPA)
24.1. Pour l'exercice de ses fonctions et pouvoirs mettant en cause la tranquillité publique, la Régie peut tenir compte notamment des éléments suivants:
1° tout bruit, attroupement ou rassemblement résultant ou pouvant résulter de l'exploitation de l'établissement, de nature à troubler la paix du voisinage;
2° les mesures prises par le requérant ou le titulaire du permis et l'efficacité de celles-ci afin d'empêcher dans l'établissement:
[…]
d) les actes de violence, y compris le vol ou le méfait, de nature à troubler la paix des clients ou des citoyens du voisinage;
[…]
f) toute contravention à la présente loi ou à ses règlements ou à la Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques (chapitre I-8.1);
[…]
3° le lieu où est situé l'établissement notamment s'il s'agit d'un secteur résidentiel, commercial, industriel ou touristique.
75. Un titulaire d'un permis ne doit pas l'exploiter de manière à nuire à la tranquillité publique.
86. La Régie peut révoquer ou suspendre un permis si:
[…]
8° le titulaire du permis contrevient à une disposition des articles 70 à 72, 73, 74.1, 75, du deuxième alinéa de l'article 76, des articles 78, 82 ou 84.1 ou refuse ou néglige de se conformer à une demande de la Régie visée à l'article 110; […]
Règlement sur la promotion, la publicité et les programmes éducatifs en matière de boissons alcooliques[6]
2. Nul ne peut faire une publicité sur les boissons alcooliques:
[…]
4° incitant une personne à consommer des boissons alcooliques de façon non responsable.
ANALYSE
[71] En vertu de l’article 86, 2e alinéa, paragraphe 2o de la LPA, la Régie doit révoquer ou suspendre un permis lorsque son exploitation porte atteinte à la sécurité publique.
[72] Dans le présent dossier, le Tribunal retient essentiellement deux événements qui sont directement visés par cette notion de sécurité publique.
[73] Le premier est celui du 18 mars 2015 lors duquel un client de l’établissement, qui se trouvait sur la terrasse, a été blessé à la jambe par un coup de feu tiré par un individu qui a ensuite pris la fuite. Une serveuse a assisté à cette agression armée.
[74] Après cet événement, M. Christopher Thomson a décidé de fermer son établissement jusqu’à l’audience du 17 avril 2015. Il a rouvert l’établissement à la suite de cette première audience.
[75] Le deuxième événement est celui du 28 août 2015 lors duquel un individu armé a fait irruption dans l’établissement et a fait feu sur le barman à trois reprises le blessant aux jambes. La conjointe de M. Thomson a aussi été visée par le tireur. Une dizaine de clients étaient présents dans l’établissement.
[76] M. Thomson est une personne honnête et il n’est certainement pas impliqué dans les incidents du 18 mars et du 28 août 2015. Il n’en demeure pas moins qu’il est dépassé par ces événements de violence. Il a d’ailleurs décidé de fermer l’établissement précisément pour ne pas mettre en péril la sécurité de son personnel et de ses clients. Il ne veut plus l’exploiter et espère pouvoir le vendre.
[77] Le témoignage des policiers révèle qu’il y a une recrudescence de violence dans le voisinage du Bar Liquid Lounge.
[78] Le témoignage non contredit de l’agent Michel Rodrigue révèle que si l’exploitation d’un établissement titulaire d’un permis d’alcool est autorisée à cet endroit, le SPVM devra y assurer une présence policière tous les soirs pendant un certain temps.
[79] Compte tenu de la preuve, les soussignés en arrivent à la conclusion que l’exploitation du permis d’alcool dans l’établissement porte atteinte à la sécurité publique. La Régie doit donc intervenir. Le procureur de la titulaire est d’ailleurs d’accord avec cette conclusion en proposant une suspension de quatre-vingt-dix jours des permis de sa cliente.
[80] Y a-t-il lieu de suspendre ou révoquer les permis de la titulaire? Examinons certaines décisions de la Régie présentant des cas similaires au présent dossier.
[81] Dans l’affaire Bar Nexxt (Le Safou)[7], deux tentatives de meurtre sont survenues à l’établissement en l’espace d’un mois. De nombreux autres actes de violence y ont également eu lieu. La Régie a décidé de révoquer les permis d’alcool de la titulaire puisque leur exploitation portait atteinte à la sécurité publique malgré le fait que la titulaire proposait une réorientation totale de la vocation de l’établissement.
[82] Le Tribunal de la Régie motivait sa décision ainsi :
[Transcription conforme]
[153] Compte tenue de ce qui précède, la sécurité publique commande que les permis exploités par la titulaire au bar Safou soient révoqués. En outre, cette sanction fera en sorte que tout projet ultérieur quant à l’exploitation de permis d’alcool à cet endroit passe par le filtre d’une demande dûment déposée devant la Régie, c’est-à-dire, nécessitant publication, enquête policière si nécessaire, etc., de manière à s’assurer de la capacité des éventuels exploitants.
[154] Cette conclusion apparaît conforme à la ligne décisionnelle de la Régie lorsque confrontée à des situations mettant en péril la sécurité du public.
[155] Bien que certaines décisions examinées[2] comportent un nombre plus important d’événements ou d’autres volets de manquements comme le trafic ou la consommation de stupéfiants dans l’établissement, la mise en danger prouvée de l’intégrité physique des clients fréquentant un établissement ne laisse pas beaucoup de marge de manœuvre aux régisseurs dans leur appréciation des mesures adéquates susceptibles de garantir qu’une telle situation ne se représentera plus. Chaque cas évalué en est un d’espèce.
__________
[2] Décision de la RACJ du 28 février 2002, Bar Ivory, no 217407, confirmée par décision du TAQ du 4 mars 2003, no SAE-M-075418-0204
[83] Dans l’affaire Pub St-James[8], deux tentatives de meurtre sont survenues à l’établissement en l’espace de cinq mois. D’autres actes criminels s’y étaient aussi déroulés. Le Tribunal de la Régie a conclu que l’exploitation de l’établissement portait atteinte à la sécurité publique en ajoutant que son responsable avait perdu le contrôle de l’établissement (paragraphe 175).
[84] Le Tribunal, après avoir cité, notamment, la décision Bar Nexxt (Le Safou), avait conclu à la révocation du permis de la titulaire :
[Transcription conforme]
[194] L’examen de la preuve documentaire, l’audition des témoins et l’analyse de plusieurs décisions antérieures de la Régie, permettent aux soussignés de conclure que, dans la présente affaire, la seule mesure appropriée pour protéger la sécurité publique et assurer la tranquillité publique est la révocation pure et simple du permis de la titulaire.
[85] Dans le présent dossier, M. Thomson ne veut plus exploiter son établissement. Il affirme, cependant, qu’un acheteur potentiel s’est montré intéressé ce qui est confirmé par les propos contenus dans les observations écrites du propriétaire de l’immeuble. Il est disposé à accepter une suspension, mais considère qu’une révocation pourrait rebuter l’acheteur en question.
[86] Les soussignés n’ont pas à examiner l’expectative de M. Thomson de vendre son commerce et en conclure que l’établissement pourrait éventuellement être exploité par quelqu’un d’autre sans porter atteinte à la sécurité publique ou nuire à la tranquillité publique. Ainsi que le souligne le Tribunal dans l’affaire Pub St-James, « la Régie aura, pour l’avenir, la possibilité de réévaluer toute future demande concernant cet endroit, à la lumière d’informations complètes, exactes et pertinentes » (paragraphe 195).
[87] Par ailleurs, la suggestion de Me Nephtali de laisser une chance à la titulaire « se heurte à l'intérêt public de laisser exploiter un endroit non seulement difficile, mais aussi à l'évidence dangereux[9] ».
[88] Comme dans les affaires précitées, les soussignés en arrivent à la conclusion qu’il y a lieu de révoquer les permis de la titulaire.
[89] Les soussignés sont cependant d’avis qu’il n’est pas opportun de rendre une ordonnance en vertu de l’article 86.2 de la LPA, ce afin de ne pas faire obstacle aux démarches de M. Thomson visant à vendre son commerce.
PAR CES MOTIFS, |
RÉVOQUE les permis de bar nos 9880808 et 9880816 ainsi que la licence d’exploitant de site d’appareils de loterie vidéo no 92593 dont 9215 - 0002 Québec inc. est titulaire;
ORDONNE la saisie et la confiscation des permis et de la licence ainsi que des boissons alcooliques et leurs contenants qui sont en possession de la titulaire par un inspecteur de la Régie ou par le corps policier dûment mandaté à cette fin pour en disposer conformément à l’article 91 de la Loi sur les permis d’alcool;
ORDONNE à la titulaire de retourner à la Régie les permis ainsi que la licence, s’ils se trouvent en sa possession.
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Régisseur |
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Régisseur |
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[1] RACJ, décision no 40-0006762.
[2] RACJ, décision no 40-0004368, le 20 février 2012.
[3] RACJ, décision no 40-0006007, le 30 avril 2014.
[4] RLRQ, chapitre I-8.1.
[5] RLRQ, chapitre P-9.1.
[6] RLRQ, chapitre P-9.1, r. 6.
[7] RACJ, décision no 40-0002055, le 18 juillet 2007.
[8] RACJ, décision no 40-0002236, le 17 janvier 2008.
[9] Bar Ivory, RACJ, décision no 40-5002446, le 28 février 2008, page 4.
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