Conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés (Ordre professionnel des) c. Montagne | 2022 QCCDCRHRI 9 |
CONSEIL DE DISCIPLINE | ||||
ORDRE DES CONSEILLERS EN RESSOURCES HUMAINES ET EN RELATIONS INDUSTRIELLES AGRÉÉS DU QUÉBEC | ||||
CANADA | ||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||
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No: | 13-22-00034 | |||
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DATE : | 5 octobre 2022 | |||
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LE CONSEIL : | Me LYNE LAVERGNE | Présidente | ||
M. DENIS MORIN, CRHA | Membre | |||
M. PIERRE LEFEBVRE, CRHA | Membre | |||
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M. ANDRÉ LACAILLE, CRIA, en sa qualité de syndic adjoint de l’Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec | ||||
Plaignant | ||||
c.
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Intimé | ||||
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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION | ||||
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APERÇU
[1] Monsieur André Lacaille, plaignant reproche à M. Louis-Gilles Montagne, l’intimé, de ne pas avoir donné suite à la correspondance du Comité d’inspection professionnelle (CIP) et d’avoir ainsi entravé le travail de ce dernier.
PLAINTE
[2] D’entrée de jeu, le plaignant demande l’autorisation de modifier la plainte disciplinaire datée du 22 avril 2022 qu’il a déposée en sa qualité de syndic adjoint de l’Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec (l’Ordre).
[3] La demande vise à modifier la date de fin de l’infraction reprochée pour refléter le fait que l’intimé a fait l’objet d’une radiation administrative en date du 1er avril 2022.
[4] La plainte modifiée est désormais libellée ainsi :
[Transcription textuelle]
[6] Après avoir rappelé à l’intimé son droit à l’assistance d’un avocat, lui avoir expliqué sa position désavantageuse par rapport à celle du plaignant, s’être assuré de son choix libre et volontaire de ne pas être représenté malgré tout par un avocat, et de lui avoir expliqué le concept d’entrave passive et active, l’intimé enregistre un plaidoyer de culpabilité à l’égard de l’unique chef de la plainte modifiée.
[7] Après s’être assuré du consentement libre et éclairé de l’intimé et de sa compréhension quant aux conséquences de cette reconnaissance, le Conseil, séance tenante et unanimement, le déclare coupable du chef 1 de la plainte modifiée tel que décrit au dispositif de la présente décision.
QUESTION EN LITIGE
[8] La question à laquelle le Conseil doit répondre est la suivante :
[9] Le plaignant demande l’imposition d’une amende de 2500 $ et la condamnation de l’intimé aux déboursés.
[10] L’intimé suggère plutôt l’imposition d’une réprimande.
CONTEXTE
[11] L’intimé devient membre de l’Ordre le 1er octobre 1999. Il le demeure jusqu’au 31 mars 2003. Il redevient membre du 9 novembre 2003 au 2 juin 2020, puis se réinscrit au tableau de l’Ordre du 10 juin 2020 au 31 mars 2022.
[12] Le 14 juillet 2021, il est sélectionné pour une inspection professionnelle dans le cadre du programme de surveillance de la pratique pour l’année 2021-2022. Cette procédure se fait en deux temps, soit dans un premier temps l’envoi d’un questionnaire sur la pratique professionnelle qui doit être complété par le membre, et dans un deuxième temps une visite, si requis.
[13] Le 15 octobre 2021, l’intimé achemine à l’Ordre le questionnaire sur la pratique professionnelle dûment complété[1]. Il y indique notamment agir à son compte à titre de consultant RH et avoir en général de 4 à 6 clients en continu pour des mandats dont la durée varie entre deux et cinq mois. Ses clients sont constitués de petites et moyennes entreprises (PME) dans le secteur des technologies de l’information, des communications et du multimédia, et les mandats concernent des besoins en recrutement, du développement organisationnel, et de l’implantation d’outils et de processus en ressources humaines.
[14] Le même jour, Mme Colette Côté, inspectrice à l’Ordre (l’inspectrice), fixe une visite d’inspection virtuelle pour le 25 octobre 2021 à 9 h, ce que l’intimé accepte.
[15] Le 18 octobre 2021, l’inspectrice adresse à l’intimé un courriel d’instructions en vue de la visite virtuelle prévue pour le 25 octobre suivant. Le courriel mentionne notamment qu’il devra lui présenter des dossiers représentant sa pratique professionnelle.
[16] Le 25 octobre 2021, l’intimé ne se connecte pas à la plateforme de la visite virtuelle. L’inspectrice lui laisse un message vocal sur son téléphone et lui offre de remettre la visite au 3 novembre 2021. À 9 h 15, ce même jour, elle confirme le tout par courriel[2].
[17] L’intimé ne donne pas suite au message vocal ni au courriel de l’inspectrice.
[18] Le 5 novembre 2021, l’inspectrice informe M. Pierre-Alain Rey, responsable de l’inspection et de l’encadrement de la pratique professionnelle et Secrétaire du CIP (le secrétaire du CIP) du défaut de l’intimé à l’égard du processus d’inspection.
[19] Le 9 novembre 2021, le secrétaire du CIP écrit à l’intimé pour l’aviser qu’il informera le syndic de l’Ordre de son défaut de collaborer au processus d’inspection[3]. Cette lettre lui est envoyée par courriel et une confirmation de remise indique que le courriel a été livré à l’intimé.
[20] L’intimé conteste avoir pris connaissance de cette lettre. Il explique qu’à l’époque il vivait de sérieux problèmes exigeant son hospitalisation et s’occupait de ses parents, à titre d’aidant naturel.
[21] Le 15 novembre 2021, le président du CIP saisit le plaignant d’une demande d’enquête à l’égard de l’intimé pour son défaut de collaboration[4].
[22] Le 11 février 2022, le plaignant contacte l’intimé par téléphone. L’intimé lui explique être l’aidant naturel de son père, en fin de vie et qui doit recevoir l’aide médicale à mourir la semaine suivante, et ajoute qu’en conséquence ce n’est pas un moment opportun pour discuter.
[23] Le plaignant lui répond qu’il lui enverra un avis d’enquête et qu’il se met une note de suivi afin de le rappeler trois semaines plus tard[5].
[24] Le 10 mars 2022, le plaignant fait parvenir à l’intimé une lettre l’informant qu’il mène une enquête à son égard à la suite d’une demande du CIP[6].
[25] Le 15 mars 2022, le plaignant téléphone à l’intimé, lui pose plusieurs questions en lien avec sa pratique professionnelle et enregistre la conversation.
[26] À la lumière des informations obtenues lors de cette conversation téléphonique, le plaignant décide de déposer une plainte disciplinaire à l’encontre de l’intimé.
ANALYSE
[27] La finalité du droit disciplinaire n’est pas en soi de punir le professionnel fautif, mais plutôt de trouver une sanction juste et appropriée afin d’assurer la protection du public, en ayant un effet de dissuasion sur le professionnel et d’exemplarité à l’égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés d’agir de la sorte, sans empêcher indûment le professionnel d’exercer sa profession[7].
[28] La sanction doit être individualisée et se fonder autant sur la nature, la gravité et les conséquences de l’infraction que sur la personne du professionnel sanctionné[8].
[29] Ainsi, afin d’en arriver à une sanction appropriée, le Conseil doit regarder les facteurs objectifs et subjectifs applicables, tels qu’énoncés dans de nombreuses décisions ainsi que par les auteurs[9].
[30] Les facteurs objectifs traitent des éléments en lien avec l’infraction, notamment sa nature, sa gravité, ses conséquences, sa durée et s’il s’agit d’un acte isolé.
[31] Quant aux facteurs subjectifs, ils traitent des éléments propres à la personnalité du professionnel, notamment l’âge et l’expérience de l’intimé, son repentir, sa volonté de s’amender, les conséquences déjà subies, son plaidoyer de culpabilité, et son dossier disciplinaire.
[32] Cependant, les facteurs subjectifs doivent être utilisés avec soin, puisque l’on ne doit pas leur accorder une importance telle qu’ils prévalent sur la gravité objective de l’infraction, et ce, car ils « portent sur la personnalité de l’intimé alors que la gravité objective porte sur l’exercice de la profession[10] ».
[33] En effet, la Cour d’appel du Québec rappelle que la gravité objective d’une faute donnée ne devrait jamais « être subsumée au profit de circonstances atténuantes relevant davantage de la personnalité du professionnel que de l’exercice de sa profession[11] ».
[34] Par ailleurs, la détermination de la sanction doit également prendre en compte le principe de la parité des sanctions.
[35] Toutefois, il est important de rappeler les enseignements de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Lacasse[12] selon lesquels le Conseil doit voir les fourchettes de peines comme des outils visant à favoriser l’harmonisation des sanctions et non pas comme des carcans, celles-ci n’ayant pas un caractère coercitif.
[36] D’ailleurs, le Tribunal des professions dans la décision Chbeir[13] ajoute que le fait de déroger à ces fourchettes de sanction ne constitue pas en soi une erreur.
[37] Enfin, le Conseil doit tenir compte du principe de gradation de la sanction.
[38] C’est à la lumière de ces principes que le Conseil détermine la sanction juste et appropriée dans les circonstances du présent dossier.
[39] Par son plaidoyer de culpabilité à l’égard du chef 1 de la plainte modifiée, l’intimé reconnait avoir contrevenu à l’article 73 du Code de déontologie des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés[14] (Code de déontologie) et aux articles 59.2 et 114 du Code des professions[15], libellés ainsi :
Code de déontologie :
73. Le membre doit répondre dans le plus bref délai à toute correspondance provenant du secrétaire de l’Ordre, du syndic de l’Ordre, s’il y a lieu du syndic adjoint, d’un expert dont s’est adjoint le syndic, ainsi que d’un membre du comité d’inspection professionnelle, d’un enquêteur, d’un expert ou d’un inspecteur de ce comité.
Code des professions :
59.2. Nul professionnel ne peut poser un acte dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de sa profession ou à la discipline des membres de l’ordre, ni exercer une profession, un métier, une industrie, un commerce, une charge ou une fonction qui est incompatible avec l’honneur, la dignité ou l’exercice de sa profession.
114. Il est interdit d’entraver de quelque façon que ce soit un membre du comité, la personne responsable de l’inspection professionnelle nommée conformément à l’article 90, un inspecteur ou un expert, dans l’exercice des fonctions qui lui sont conférées par le présent code, de le tromper par des réticences ou par de fausses déclarations, de refuser de lui fournir un renseignement ou document relatif à une inspection tenue en vertu du présent code ou de refuser de lui laisser prendre copie d’un tel document.
De plus, il est interdit au professionnel d’inciter une personne détenant des renseignements le concernant à ne pas collaborer avec une personne mentionnée au premier alinéa ou, malgré une demande à cet effet, de ne pas autoriser cette personne à divulguer des renseignements le concernant.
[40] Aux fins de la détermination de la sanction, le plaignant demande au Conseil de retenir l’article 114 du Code des professions, alors que l’intimé préfère l’article 73 du Code de déontologie comme disposition de rattachement.
[41] Le Conseil relève que l’intimé ne donne pas suite aux courriels du CIP, ne fournit aucune explication à l’inspectrice, et ne lui demande pas de délai considérant ses problèmes de santé et ses difficultés familiales. Il choisit de prioriser ses obligations familiales et sa santé, ce qui constitue dans les circonstances une justification pour obtenir un délai. Cependant, en ignorant la correspondance du CIP sans explication, il entrave le travail de celui-ci, ce qui constitue en l’espèce de l’entrave passive.
[42] Vu la preuve, le Conseil retient comme disposition de rattachement l’article 114 du Code des professions. En considération des enseignements de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kienapple[16], le Conseil prononce la suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi à l’article 73 du Code de déontologie et à l’article 59.2 du Code des professions à l’égard du chef 1 de la plainte modifiée.
[43] Le Conseil retient que l’entrave au CIP constitue un manquement grave en lien avec la profession, puisque l’inspection professionnelle constitue l’un des mécanismes mis sur pied par le Code des professions permettant à l’Ordre d’accomplir sa mission de protection du public.
[44] En effet, le but visé par ce mécanisme est d’assurer la compétence des membres par l’inspection de leur pratique professionnelle[17].
[45] En devenant membre de l’Ordre, l’intimé s’est engagé à participer à la mission de celui-ci et à collaborer avec ses instances.
[46] Cette obligation de collaboration avec le CIP constitue une obligation de résultat[18], essentielle au bon fonctionnement du système professionnel.
[47] Toute contravention à cette obligation compromet le fondement même du système professionnel, car il empêche le CIP d’évaluer sa pratique et ses compétences. En agissant ainsi l’intimé met à risque la protection du public.
[48] En revanche, il s’agit d’un acte isolé, en ce que l’intimé a fait défaut de répondre à l’inspectrice à la suite de son appel et de son courriel du 25 octobre 2021, bien que l’entrave se soit poursuivie sur une période de plusieurs mois.
[49] À cet égard, l’intimé croyait, bien qu’à tort, qu’il ne pouvait plus donner suite au processus d’inspection. Les lettres qu’il a reçues, tant du secrétaire du CIP que du plaignant ne lui demandent, ni ne lui offrent de donner suite audit processus.
[50] Par ailleurs, aucune preuve n’a été présentée devant le Conseil relativement à la survenance de conséquences néfastes à l’égard du public.
[51] Le Conseil rappelle toutefois qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait eu réalisation de conséquences néfastes à l’égard du public pour constater la gravité de l’infraction.
[52] En effet, l’absence de conséquence ne constitue pas un facteur atténuant[19].
[53] Enfin, comme autres éléments relatifs à la détermination de la sanction, il y a lieu de retenir la dissuasion de l’intimé de récidiver et l’exemplarité à l’égard des membres de la profession.
[54] Le Conseil retient comme facteur aggravant que l’intimé est membre de l’Ordre depuis près de 20 ans. De ce fait, il aurait dû connaître son obligation professionnelle de se soumettre au processus d’inspection.
[55] En revanche, on retrouve les facteurs subjectifs atténuants suivants :
[56] Le Conseil retient que l’intimé témoigne de façon sincère des difficultés qu’il a vécues et ne tente aucunement d’éluder sa responsabilité. Il a également offert toute sa collaboration au plaignant.
[57] Le risque de récidive est également un élément à considérer dans l’évaluation de la sanction[21].
[58] Le plaignant le considère comme toujours présent puisque l’intimé n’a pas répondu au CIP concernant la visite d’inspection.
[59] Quant à l’intimé, il ne se prononce pas à cet égard.
[60] Le Conseil considère que le risque de récidive est faible puisque l’intimé n’est plus membre de l’Ordre et qu’au moment de l’audition, il n’est toujours pas en mesure de décider de son avenir professionnel, ayant déclaré au Conseil avoir besoin de plus de temps pour reprendre sa santé en main et en conséquence ne pas être présentement en mesure de travailler. Le Conseil constate de l’introspection chez l’intimé.
[61] Le plaignant suggère l’imposition d’une amende de 2500 $ alors que l’intimé suggère plutôt une réprimande.
[62] Pour étayer sa recommandation, le plaignant se réfère à quelques décisions, alors que l’intimé n’en cite aucune.
[63] Dans la décision Lévesque[22], l’ancienne conseillère plaide coupable de ne pas avoir donné suite à la demande de remplir le questionnaire sur la pratique professionnelle et d’avoir ainsi entravé le travail du CIP. Elle démissionne de l’Ordre pour éviter la radiation. Elle n’offre pas sa pleine collaboration au plaignant et ne donne aucune explication ou raison pour ne pas avoir rempli le questionnaire. Le conseil de discipline donne suite à la recommandation conjointe des parties et lui impose une amende de 2500 $. Cette affaire se distingue du présent dossier en ce que Mme Lévesque n’a aucunement collaboré avec le CIP, alors que l’intimé dans le dossier à l’étude a rempli le questionnaire sur la pratique professionnelle. De plus, celle-ci n’offre aucune explication à l’égard de son comportement, alors que l’intimé en offre.
[64] Dans la cause Patry[23], la conseillère plaide coupable au chef d’avoir entravé le travail du CIP en ne donnant pas suite à ses messages vocaux, courriels et lettres visant à fixer une visite d’inspection par visioconférence. Elle prend connaissance de cette correspondance, mais choisit de ne pas y donner suite, préférant prioriser sa pratique professionnelle et présumant qu’à cause de la pandémie de la COVID-19, les visites d’inspection professionnelle sont suspendues. Après avoir discuté avec le syndic, elle reconnait son obligation et contacte le CIP. Au moment de l’audition devant le conseil de discipline, le processus d’inspection est alors terminé. Le syndic suggère l’imposition d’une amende de 2500 $ alors qu’elle suggère une réprimande. Le conseil de discipline relève que Mme Patry est membre de l’Ordre depuis 29 ans, mais également membre du Barreau du Québec pendant la même période. Elle admet avoir ignoré la correspondance provenant du CIP, mais reconnait que si elle avait émané du CIP du Barreau du Québec, elle y aurait donné suite rapidement. Elle décide qu’il n’est pas pertinent de procéder à une inspection professionnelle par visioconférence, quoiqu’une telle décision ne lui revienne pas. Elle se voit imposer une amende de 2500 $.
[65] Le Conseil considère que les faits dans l’affaire Patry sont plus graves que ceux du cas à l’étude, car la conseillère n’avait aucune raison de ne pas donner suite à la correspondance du CIP. Qui plus est, elle reconnait que si la même correspondance avait émané du Barreau du Québec, elle y aurait donné suite rapidement, signifiant par le fait même qu’elle accorde peu d’importance à l’Ordre.
[66] Dans la décision Brousseau[24], la conseillère entrave le travail du CIP en ne donnant pas suite à la correspondance de ce dernier lui demandant d’apporter à sa pratique les correctifs inscrits au rapport de non-conformité. Elle plaide coupable. Le syndic demande l’imposition d’une amende de 2500 $, alors qu’elle suggère une réprimande. Au moment de l’inspection professionnelle, elle travaille au sein d’une grande entreprise à titre de conseillère en ressources humaines. Le conseil de discipline retient que lors de l’audition Mme Brousseau est radiée pour avoir fait défaut de payer sa cotisation annuelle, mais qu’elle se réinscrit au cours de la pause. Elle manque de collaboration envers le syndic en ne retournant pas ses appels. Le conseil de discipline qualifie son comportement de désinvolte, voire de négligence grossière envers l’Ordre. Il lui impose une amende de 2500 $.
[67] Les faits de la décision Brousseau se distinguent de ceux du dossier à l’étude en ce que la qualification du comportement de cette dernière se situe à la limite de négligence grossière. Ce n’est pas le cas de l’intimé en l’espèce.
[68] Enfin, dans la cause Victor[25], le conseiller est déclaré coupable d’avoir entravé le travail du CIP en ne remplissant pas le questionnaire sur la pratique professionnelle (chef 1) ainsi que celui du syndic en ne lui remettant pas les documents démontrant qu’il se trouvait à l’extérieur du Québec pendant la période d’entrave au travail du CIP. Au moment de l’audition sur sanction, M. Victor n’est plus membre de l’Ordre et n’a pas effectué les heures de formation continue obligatoire. Il n’est pas non plus présent à cette audition. Le conseil de discipline ne retient aucun facteur atténuant, mais tient compte de plusieurs facteurs aggravants, dont le fait de ne pas avoir avisé qui que ce soit de son absence à l’occasion de l’audition sur sanction. Il relève que M. Victor n’a posé aucun geste pour s’amender, qu’il ne prend aucunement au sérieux les obligations qu’il a envers son Ordre et qu’il ne comprend pas son obligation de remplir le questionnaire sur la pratique professionnelle. Le conseil de discipline lui impose une période de radiation de deux mois ainsi qu’une amende de 2750 $ pour le chef d’entrave au travail du CIP et une amende de 2750 $ quant à l’entrave au travail du syndic.
[69] Les faits de l’affaire Victor ne se comparent aucunement à ceux du dossier à l’étude. M. Victor refuse de remplir le questionnaire sur la pratique professionnelle, première étape du processus alors que l’intimé l’a remis au CIP dûment rempli. Il indique au syndic avoir été à l’extérieur du Québec lorsqu’il reçoit la correspondance du CIP, mais refuse de lui remettre les documents exigés par le syndic en lien avec sa justification. De fait, non seulement M. Victor fait fi de ses obligations envers le CIP, mais il fait de même à l’égard du syndic.
[70] Dans le cas à l’étude, l’intimé a rempli le questionnaire sur la pratique professionnelle et l’a remis dans les délais. Il n’a pas donné suite à la correspondance du CIP, car il explique avoir eu des problèmes de santé sérieux et des obligations familiales qu’il a dû prioriser. Il a cependant offert toute sa collaboration au syndic par la suite.
[71] Le Conseil retient du témoignage de l’intimé ce qui suit :
[72] Il ressort de la transcription de la conversation téléphonique tenue le 15 mars 2022 entre le plaignant et l’intimé que le plaignant questionne l’intimé afin d’obtenir les réponses qu’il recherche, sans trop sembler vouloir comprendre exactement ce qui a pu amener l’intimé à ne pas donner suite au processus d’inspection.
[73] Le Conseil ne constate pas dans cet échange d’offre de la part du plaignant, ni même d’inférence qu’il est toujours temps de donner suite au processus d’inspection professionnelle.
[74] À la suite de cette conversation téléphonique, le plaignant considère la situation comme suit : l’intimé travaille, sa séparation remonte à près de deux ans, son père est maintenant décédé depuis quelques semaines, il aurait dû demander un délai au CIP, mais ne l’a pas fait, et il ne sait pas s’il demeurera membre de l’Ordre. Il en conclut que l’intimé présente un risque sérieux de récidive et en conséquence, il décide de déposer la présente plainte.
[75] Le Conseil s’attarde maintenant à la tâche de déterminer la sanction à imposer à l’intimé.
[76] Le Tribunal des professions dans l’affaire Serra[26] rappelle les principes de base en matière d’imposition d’une sanction disciplinaire que le Conseil juge important de souligner :
[113] Le seul véritable guide pour les objectifs de la sanction en matière disciplinaire se trouve à l’arrêt Pigeon c. Daigneault.
[114] Dans cet arrêt, avant même de traiter de la notion de la protection du public, la Cour d’appel place en premier lieu la règle fondamentale en matière d’imposition de sanction, soit l’individualisation :
[37] La sanction imposée par le Comité de discipline doit coller aux faits du dossier. Chaque cas est un cas d’espèce.
[115] Ainsi, ce qui doit guider une instance disciplinaire lors de l’imposition de la sanction est le principe de l’individualisation et de la proportionnalité. Un conseil de discipline ne sanctionne pas d’abord une faute déontologique, mais plutôt un professionnel ayant contrevenu à certaines règles en posant certains gestes précis. L’analyse doit donc porter sur les faits particuliers de l’affaire et sur le professionnel à sanctionner, comme l’a précisé le Tribunal des professions dans Brochu :
[69] Il faut rappeler que le rôle du Comité ne consiste pas à sanctionner seulement un comportement, mais à imposer une sanction à un professionnel qui a eu un comportement fautif. L’attention se porte aussi sur l’individu en fonction du geste qu’il a posé […]
[116] Les objectifs de la sanction disciplinaire sont énoncés au paragraphe 38 de l’arrêt Pigeon c. Daigneault, soit « au premier chef la protection du public, puis la dissuasion du professionnel de récidiver, l’exemplarité à l’égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables et enfin, le droit par le professionnel visé d’exercer sa profession » et ils s’inscrivent dans l’esprit de cette règle fondamentale de l’individualisation et de la proportionnalité. Le but visé par la sanction disciplinaire est la protection du public et pour l’atteindre, les conseils de discipline doivent trouver un juste équilibre entre tous ces objectifs, en insistant à l’occasion sur l’un ou l’autre en relation avec le cas particulier, mais pas au détriment des autres objectifs.
[117] Par exemple, la protection du public doit s’évaluer en tenant compte de la situation particulière du professionnel et non in abstracto. Les conseils de discipline doivent s’interroger si ce professionnel en particulier représente un risque de préjudice pour le public et non le faire d’une façon abstraite, sans lien avec le dossier à l’étude.
[118] En ce qui concerne l’objectif de la dissuasion spécifique, le conseil de discipline doit notamment analyser la situation du professionnel au moment de la sanction et déterminer si le processus disciplinaire l’a suffisamment dissuadé de répéter son comportement, donc considérer l’effet dissuasif du processus disciplinaire lui‑même.
[119] Pour l’objectif de l’exemplarité, qu’il suffise de souligner le fait que la Cour d’appel du Québec a mentionné à plusieurs reprises la valeur toute relative de cette notion.
[120] Le dernier objectif relativement au droit d’exercer sa profession ne doit pas être négligé, même s’il semble être rarement considéré par les instances disciplinaires. Si le professionnel ne représente pas ou plus un danger pour le public, il n’y a peut‑être pas lieu d’imposer de longues périodes de radiation temporaire, ce qui a comme effet de priver le professionnel de revenus. En intégrant cet objectif, la Cour d’appel dans l’arrêt Pigeon c. Daigneault cible la réhabilitation, facteur inhérent à toute mesure punitive, et impose aux conseils de discipline de considérer l’éventuelle réintégration du professionnel dans son milieu.
[121] En définitive, un conseil de discipline qui ne considère pas à sa juste valeur les principes de l’individualisation et de la proportionnalité risque fort de commettre une erreur de principe et d’imposer une sanction manifestement non indiquée.
[Soulignements ajoutés; références omises]
[77] Le Tribunal ajoute qu’en matière de sanction relative à l’entrave, le Conseil doit également considérer les conséquences de celle-ci :
[148] La simple mention de la gravité de la faute déontologique d’entrave ne suffit pas à déterminer la sanction juste et appropriée. Il faut, comme les auteurs le mentionnent, en considérer les conséquences pour déterminer la sanction juste.
[149] En m’inspirant des critères avancés par les auteurs Battah et Jila, je considère que pour l’imposition d’une sanction en matière d’entrave, les conseils de discipline peuvent, entre autres, considérer les éléments suivants :
- la nature de l’entrave, s’il s’agit d’une entrave « active » (ex. fausse déclaration) ou « passive » (défaut de répondre);
- si l’entrave a empêché le syndic de faire son enquête ou d’intervenir au moment opportun;
- la durée de l’entrave, ses causes et à quel moment elle a pris fin;
- l’impact de l’entrave sur l’enquête;
- le fait que des tiers ont été ou non affectés par l’entrave;
- la gravité de l’infraction faisant l’objet de l’enquête et le fait qu’il y ait eu ou non le dépôt d’une plainte à l’issue de l’enquête.
[78] Dans le cas à l’étude, l’intimé commet de l’entrave passive envers le CIP. Il témoigne avoir rempli le questionnaire sur la pratique professionnelle et que par la suite sa santé ainsi que sa situation familiale l’ont empêché de donner suite aux demandes du CIP, en ce qu’il n’en avait pas la force et n’était pas en mesure de travailler.
[79] Bien qu’à l’égard du chef d’entrave au travail du CIP, on dénote dans la jurisprudence citée par le plaignant que la sanction souvent imposée est une amende de 2500 $, les faits dans ces affaires se distinguent de ceux du présent dossier, comme le Conseil l’exprime plus haut.
[80] Dans les circonstances, le Conseil juge qu’en l’espèce une sanction autre que la réprimande relèverait plus du caractère punitif que de la réhabilitation prônée par le droit disciplinaire.
[81] En effet, la protection du public n’est pas menacée par le faible risque de récidive que présente actuellement l’intimé.
[82] Cependant, n’eût été des explications de l’intimé quant à ses problèmes de santé et sa situation familiale, le Conseil lui aurait imposé une amende de 2500 $ comme le suggère le plaignant.
[83] Par ailleurs, l’intimé se doit d’être bien conscient que s’il désire redevenir membre de l’Ordre, il devra se soumettre au processus d’inspection et le terminer en y accordant son entière collaboration. Faute de quoi, une nouvelle plainte pourra être déposée contre lui. L’intimé se retrouverait alors en situation de récidive et la sanction éventuelle ne pourra qu’être plus sévère.
[84] Ainsi, le Conseil estime que l’imposition d’une réprimande dans le présent dossier satisfait aux objectifs de protection du public, de dissuasion de récidiver et sert quand même d’exemplarité chez les autres membres de la profession.
EN CONSÉQUENCE, LE CONSEIL, UNANIMEMENT, LE 20 SEPTEMBRE 2022 :
[85] A DÉCLARÉ l’intimé coupable du chef 1 de la plainte modifiée en vertu de l’article 73 du Code de déontologie des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés et des articles 59.2 et 114 du Code des professions.
ET CE JOUR :
[86] ORDONNE la suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi à l’article 73 du Code de déontologie des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés et à l’article 59.2 du Code des professions.
[87] IMPOSE à l’intimé une réprimande sous le seul chef de la plainte modifiée.
[88] CONDAMNE l’intimé au paiement de tous les déboursés conformément à l’article 151 du Code des professions.
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| __________________________________ Me LYNE LAVERGNE Présidente
__________________________________ M. DENIS MORIN, CRHA Membre
__________________________________ M. PIERRE LEFEBVRE, CRHA Membre
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Me Jacques Prévost | ||
Avocat du plaignant | ||
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M. Louis-Gilles Montagne | ||
Intimé (agissant personnellement) | ||
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Date d’audience : | 20 septembre 2022 | |
[1] Pièce SP-16.
[2] Pièce SP-5.
[3] Pièce SP-7.
[4] Pièce SP-8.
[5] Pièce SP-12.
[6] Pièce SP-10.
[7] Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII, 32934 (QC CA).
[8] Villeneuve, J.-G., Hobday, N, et al., Précis de droit professionnel, Yvon Blais inc., Cowansville, 2007, p. 244.
[9] Pigeon c. Daigneault, supra, note 7; Me Pierre BERNARD, « La sanction en droit disciplinaire : quelques réflexions », dans Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire (2004), Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Cowansville, Yvon Blais Inc., 2004, 71 à 126.
[10] Marston c. Autorité des marchés financiers, 2009 QCCA 2178.
[11] Ibid., reprenant Pierre Bernard, « La sanction en droit disciplinaire : quelques réflexions », dans Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2004, p. 87-88.
[12] R. c. Lacasse, 2015 CSC 64.
[13] Médecins (Ordre professionnel des) c. Chbeir, 2017 QCTP 3.
[14] RLRQ, c. C-26, r. 81.
[15] RLRQ, c. C-26.
[16] Kienapple c. R., 1974 CanLII 14 (CSC).
[17] Article 112, du Code des professions, supra, note 15.
[18] Marin c. Ingénieurs forestiers, 2002 QCTP 29; voir aussi Chené c. Chiropraticiens (Ordre professionnel des), 2006 QCTP 102.
[19] Ubani c. Médecins (Ordre professionnel des), 2013 QCTP 64.
[20] Rabbani c. Médecins (Ordre professionnel des), 2022 QCTP 3, paragr. 33, 112 et 118.
[21] Médecins c. Chbeir, supra, note 13.
[22] Conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés (Ordre professionnel des) c. Lévesque, 2022 QCCDCRHRI 1.
[23] Conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés (Ordre professionnel des) c. Patry, 2021 QCCDCRHRI 5.
[24] Conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés (Ordre professionnel des) c. Brousseau, 2021 QCCDCRHRI 4.
[25] Conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés (Ordre professionnel des) c. Victor, 2022 QCCDCRHRI 2 (décision sur culpabilité) et Conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés (Ordre professionnel des) c. Victor, 2022 QCCDCRHRI 6 (décision sur sanction).
[26] Serra c. Médecins (Ordre professionnel des), 2021 QCTP 1.
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